CA Rennes, 2e ch., 4 novembre 2025, n° 23/05542
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Financo (SA)
Défendeur :
Slemj & Associes (SELARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Jobard
Conseillers :
M. Pothier, Mme Picot-Postic
Avocats :
Me Grenard, Me Lhermitte, Me Boulaire, Me Helain
EXPOSE DU LITIGE :
Selon bon de commande en date du 19 février 2010, les époux [R] ont fait l'acquisition auprès de la SARL Maine Confort Habitat d'une installation de production d'électricité photovoltaïque destinée à vendre de l'électricité à EDF, d'une valeur de 26 000 euros TTC.
Pour financer le matériel, les époux [R] ont signé un contrat de crédit auprès de la SA Financo d'un pareil montant.
Par assignation du 26 septembre 2022, M. et Mme [R] ont assigné la SELARL Slemj et associés prise en la personne de Maître [L] [F] ès qualités de mandataire ad hoc de la Société Maine Confort Habitat et la société Financo en annulation du contrat pour [Localité 8].
Par jugement du 20 juin 2023, le tribunal a statué comme suit :
- Déclare irrecevable comme prescrite l'action en annulation pour dol du contrat de fourniture et de pose d'une installation photovoltaïque souscrit le 19 février 2010 entre M et Mme [R] et la société Maine Confort Habitat ;
- Déclare irrecevable comme prescrite l'action en annulation à raison du défaut allégué de certaines mentions sur le bon de commande ;
- Déclare irrecevable comme prescrite l'action en responsabilité contractuelle exercée par M. et Mme [R] à l'encontre de la SA Arkéa Financements et services ;
- Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamne in solidum M. [K] [R] et Mme [P] [I] épouse [R] en tous les dépens de la présente instance.
Les époux [R] ont formé appel du jugement et par dernières conclusions notifiées le 19 mai 2025, ils demandent de :
- Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à l'égard des époux [R],
Statuant à nouveau et y ajoutant,
- Prendre acte du désistement d'instance et d'action de M. et Mme [R] à l'encontre de la SELARL Slemj ainsi que de la société Maine Confort Habitat
- Déclarer les demandes de M. [K] [R] et Mme [P] [I] épouse [R] recevables et bien fondées ;
- Constater les irrégularités affectant le bon de commande et, dès lors, le contrat de vente conclu entre, d'une part, M. [K] [R] et Mme [P] [I] épouse [R] et, d'autre part, la société Maine Confort Habitat;
- Déclarer que la société Arkéa Financements et Services a commis une faute dans le déblocage des fonds au préjudice de M. [K] [R] et Mme [P] [I] épouse [R] devant entraîner la privation de sa créance de restitution ;
- Condamner la société Arkéa Financements et Services à verser à M. [K] [R] et Mme [P] [I] épouse [R] l'intégralité des sommes suivantes au titre des fautes commises :
- 26 000,00 euros correspondant au montant du capital emprunté, en raison de la privation de sa créance de restitution ;
- 12 645,00 euros correspondant aux intérêts conventionnels et frais payés par M. [K] [R] et Mme [P] [I] épouse [R] à la société Arkéa Financements et Services en exécution du prêt souscrit ;
- 5 000,00 euros au titre du préjudice moral ;
- 6 000,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile
En tout état de cause,
- Prononcer la déchéance du droit aux intérêts contractuels à l'encontre de la société Arkéa Financements et Services ;
- Débouter la société Arkéa Financements et Services de l'intégralité de ses prétentions, fins et conclusions plus amples ou contraires aux présentes
- Condamner la société Arkéa Financements et Services à supporter les entiers frais et dépens de l'instance ;
Par dernières conclusions notifiées le 15 mai 2025, la société Arkéa Financements et Services demande de :
A titre principal,
- Confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré les demandes des emprunteurs irrecevables, tant sur le fondement de la prescription, de l'absence de la désignation d'un administrateur ad'hoc en appel, que sur le fondement d'une demande nouvelle présentée pour la première fois en cause d'appel.
A titre subsidiaire,
- Déclarer la SA Financo recevable et bien fondée en ses demandes, fins et conclusions.
- Déclarer M. [K] [R] et Mme [P] [I] épouse [R] mal fondés en leurs demandes, fins et conclusions et les en débouter.
A titre infiniment subsidiaire,
- Condamner solidairement M. [K] [R] et Mme [P] [I] épouse [R] à la SA Financo la somme de 26 000 euros, au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir, déduction à faire des échéances payées.
En tout état de cause,
- Condamner solidairement M. [K] [R] et Mme [P] [I] épouse [R] à payer à la SA Financo la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamner solidairement M. [K] [R] et Mme [P] [I] épouse [R] aux entiers dépens.
La SELARL Slemj ès qualité n'a pas constitué avocat.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions visées.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 22 mai 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Les époux [R] se désistent de leurs demandes à l'encontre de la SELARL Slemj ès qualité de mandataire ad'hoc de la société Maine Confort Habitat.
Au regard de leur désistement d'instance et d'action à l'encontre de la société Maine Confort Habitat, il sera constaté au vu du dispositif de leurs conclusions qu'ils ne formulent aucune demande en annulation du contrat principal.
A titre principal, ils formulent en cause d'appel des demandes indemnitaires à l'encontre du prêteur invoquant sa responsabilité pour s'être dessaisi des fonds entre les mains du fournisseur sans s'assurer de la régularité du contrat principal et sans les avoir alertés sur les irrégularités du contrat de vente.
La Banque soutient quant à elle que l'ensemble de ces demandes seraient prescrites comme ayant été formées plus de cinq ans après la signature du contrat principal.
L'action en responsabilité exercée par les emprunteurs contre le prêteur professionnel se prescrit, conformément à l'article L. 110-4 du code de commerce, par cinq ans à compter du jour où ces derniers ont connu ou auraient dû connaître les faits leur permettant de l'exercer.
Les époux [R] font grief au prêteur d'avoir débloqué les fonds au profit du vendeur sans vérifier la régularité du contrat de vente auquel ils reprochent de ne pas indiquer de manière précise, le nom et l'adresse du fournisseur, les caractéristiques des biens vendus, les délais et modalités de livraison des biens et services, et les modalités de financement conformément aux dispositions du code de la consommation relatives au démarchage à domicile ou à la vente hors établissement.
Ils font également valoir le caractère dolosif du contrat de vente conclu sur la base de fausses promesses quant à l'auto-financement de l'installation et la rentabilité de l'opération.
S'agissant du grief tiré du défaut de vérification du bon de commande du 19 février 2010 les époux [R] étaient en mesure, dès la date du déblocage des fonds entre les mains du fournisseur en suite de procès verbal de fin de chantier et de la demande de financement du 18 juin 2010 de connaître les faits de nature à engager la responsabilité de la banque.
En effet, en l'espèce, les absences alléguées de précision du bon de commande sur les caractéristiques des biens, du délai et des modalités de livraison des biens invoqués par les appelants pour établir le non-respect du formalisme imposé par le code de la consommation en matière de contrat conclu hors établissement étaient tout à fait visibles dès la signature de l'acte. Il en est de même de l'irrégularité du bordereau de rétractation en ce que ce dernier ne pouvait être détaché qu'en amputant une partie du contrat.
En outre, il sera relevé que la reproduction des dispositions applicables au verso du bon de commande, si elle ne suffit pas à établir la connaissance effective par l'acquéreur des irrégularités formelles entachant le bon de commande, a néanmoins pour conséquence de rendre ces irrégularités décelables au moment de la signature du contrat.
Il en résulte que le manquement qu'ils imputent au prêteur de s'être dessaisi des fonds sans s'assurer de la régularité du contrat était connu d'eux, ou aurait du l'être, dès la date de remise des fonds le 23 juin 2010.
Les époux [R] ne sauraient solliciter le report du point de départ de la prescription à la date à laquelle ils ont consulté un avocat, sans au demeurant en préciser la date, ni se prévaloir de leur qualité de consommateurs profanes et d'une méconnaissance de la réglementation applicable, alors même que nul n'est censé ignorer la loi et que les irrégularités formelles invoquées, à les supposer avérées, étaient visibles par les intéressés dès la date de conclusion du contrat de vente et donc de plus fort à la date de versement des fonds par le prêteur.
La règle nationale de prescription de l'action apparaît conforme aux principes européens d'effectivité des droits, en ce que d'une part, le délai de prescription ne court qu'à compter du moment où le titulaire se trouve en possession des éléments lui permettant d'exercer son action et que d'autre part le délai de 5 ans apparaît suffisamment long pour permettre au bénéficiaire de ce droit de l'exercer utilement.
Retenir l'argumentation des époux [R] reviendrait, par ailleurs, à voir repousser le point de départ du délai de prescription à une date décidée à leur seule convenance, à savoir celle à laquelle ils affirment avoir eu une connaissance effective des conséquences juridiques des irrégularités qu'ils invoquent.
De la même manière, les époux [R] ne peuvent davantage invoquer la jurisprudence de la Cour de cassation issue de son arrêt du 24 janvier 2024 relative à la confirmation d'un acte nul par application de l'article 1182 du code civil, qui juge désormais que la reproduction même lisible des dispositions du code de la consommation prescrivant le formalisme applicable à un contrat conclu hors établissement ne permet pas au consommateur d'avoir une connaissance effective du vice résultant de l'inobservation de ces dispositions, puisque l'article 1182 exige une que soit établie la connaissance effective de la cause de nullité, alors que les articles L. 110-4 du code de commerce et 2224 du code civil, n'exigent du titulaire du droit qu'une connaissance effective ou supposée des faits permettant d'engager l'action.
Il en résulte que s'agissant du grief tiré du défaut de vérification du bon de commande par le prêteur, les époux [R] étaient en mesure, dès la date du déblocage des fonds entre les mains du fournisseur à la suite de cette fiche de livraison, le 23 juin 2010 de connaître les faits de nature à engager la responsabilité de la banque, de sorte que cette action était prescrite à la date de l'assignation du 26 septembre 2022.
S'agissant du caractère dolosif du contrat de vente et du contrat de financement en ce que l'installation n'a pas atteint le niveau de rentabilité attendu, il sera constaté que les époux [R] produisent aux débats les factures de revente d'électricité établie à compter du 20 janvier 2013 qui faisaient apparaître le montant perçu de la revente d'électricité produite de janvier 2012 à janvier 2013.
Nonobstant le fait qu'ils ne justifient d'aucun élément de nature à établir qu'ils ont contracté en considération d'une productivité et d'un rendement particulier de l'installation, il apparaît en tout état de cause que, à tout le moins depuis le 20 janvier 2013 date de la première facture d'électricité, ils étaient en mesure d'apprécier la rentabilité effective de l'installation et toute éventuelle distorsion avec les éléments ayant fondé leur consentement.
Il en résulte que dès le 20 janvier 2013, les époux [R] étaient en mesure d'apprécier l'existence du dol qu'ils imputent à leurs cocontractants de sorte que l'action de ce chef est également prescrite.
- Sur la déchéance du droit aux intérêts
Les époux [R] demandent à titre subsidiaire, que la banque soit déchue de son droit aux intérêts conventionnels pour avoir manqué à son obligation de conseil et à son devoir de mise en garde, pour ne pas justifier des démarches obligatoires préalables à l'octroi du prêt en application des dispositions de l'article L 546-1 du code monétaire et financier et pour ne pas justifier de la consultation et de la réponse obligatoire du FICP.
Le prêteur soulève l'irrecevabilité de cette demande nouvelle en cause d'appel en application de l'article 564 du code de procédure civile.
Il n'est pas contesté que le jugement ne fait nullement état de cette demande de déchéance du droit aux intérêts contractuels.
Il convient de relever que cette demande tendant à la restitution d'intérêts trop perçus ne tend pas aux mêmes fins que la demande indemnitaire formées devant le premier juge. Elle ne constitue pas un moyen de défense mais une demande nouvelle en l'absence de toute demande en paiement formée par le prêteur au titre de l'exécution du contrat de crédit, cause d'appel et ne peut être qualifiée de demande reconventionnelle se rattachant par un lien suffisant aux demandes de la partie adverse puisque précisément la banque ne demande pas de condamnation à payer le crédit et se borne à demander en cas d'annulation à récupérer le seul capital.
Elle est donc irrecevable comme se heurtant aux dispositions de l'article 564 du code de procédure civile.
Au surplus, le prêteur rappelle à juste titre que le contrat de prêt ayant été conclu le 2 mars 2010 n'était pas soumis aux dispositions du code de la consommation comme portant sur un prêt de 26 000 euros excédant dès lors la somme de 21 500 euros fixant la limite d'application des dispositions du code de la consommation en matière de crédit à la consommation à la date de conclusion du contrat.
Les époux [R] demandent en tout état de cause la condamnation de la banque à l'indemniser de son préjudice moral par l'allocation d'une somme de 5 000 euros.
Or, outre le rejet de toutes leurs demandes, ils ne justifient pas de l'existence d'un quelconque préjudice moral puisque cette demande n'est nullement motivée.
Ils doivent donc être déboutés sur ce point.
La décision déférée confirmée en ses principales dispositions, il en sera de même s'agissant des dépens et frais irrépétibles.
Il n'est pas inéquitable de condamner in solidum les époux [R] à payer à la banque la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Ils seront condamnés in solidum aux dépens de la procédure d'appel.
PAR CES MOTIFS,
Constate le désistement d'instance et d'action des époux [R] à l'encontre de la société Maine Confort Habitat.
Statuant dans les limites de l'appel,
Confirme le jugement rendu le 20 juin 2023, par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Rennes ;
Y ajoutant,
Déclare la demande de déchéance du droit aux intérêts contractuels irrecevable ;
Déboute M. [J] [R] et Mme [P] [I] épouse [R] de leur demande au titre du préjudice moral ;
Condamne in solidum M. [J] [R] et Mme [P] [I] épouse [R] à payer à la société Domofinance la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Les condamne in solidum aux dépens de la procédure d'appel ;
Rejette les autres demandes.