Cass. 1re civ., 5 novembre 2025, n° 24-17.641
COUR DE CASSATION
Autre
Cassation
PARTIES
Défendeur :
Cofidis (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Champalaune
Rapporteur :
Mme Tréard
Avocats :
SCP Alain Bénabent, SCP Boutet et Hourdeaux
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 16 mai 2024), par un contrat conclu hors établissement le 26 décembre 2017, Mme [L] (l'emprunteuse) a commandé auprès de la société Eclog (le vendeur) la fourniture et l'installation d'un système aérovoltaïque composé de douze panneaux photovoltaïques et d'une unité domotique de pilotage, dont le prix a été financé par un crédit souscrit auprès de la société Cofidis (le prêteur).
2. À la suite d'échéances impayées ayant conduit à une déchéance du terme, le prêteur a assigné l'emprunteuse en paiement du solde du prêt le 18 décembre 2019.
3. Le 24 juin 2020, un tribunal de commerce a prononcé la liquidation judiciaire du vendeur.
4. Après avoir déclaré sa créance, l'emprunteuse a assigné le liquidateur du vendeur en intervention forcée dans l'instance l'opposant au prêteur, aux fins de nullité des contrats de vente et de crédit.
Examen des moyens
Sur le troisième moyen
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. L'emprunteuse fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté sa demande d'indemnisation au titre de travaux de remise en état, alors « que l'annulation d'une vente entraîne de plein droit la remise des parties en l'état où elles se trouvaient antérieurement à sa conclusion ; que si, en principe, à la suite de cette annulation d'un contrat, l'emprunteur obtient du vendeur la restitution du prix, il en va différemment lorsque le vendeur est en liquidation judiciaire ; que dans cette hypothèse, l'emprunteur, qui n'est plus propriétaire de l'installation qu'il avait acquise compte tenu de l'anéantissement du contrat de vente, est dans l'impossibilité d'obtenir la restitution du prix ; qu'il en résulte que la restitution du prix à laquelle le vendeur est condamné de plein droit, par suite de l'anéantissement du contrat de vente, étant devenue impossible du fait de son insolvabilité, l'emprunteur, privé de la contrepartie de la restitution du bien vendu, justifie d'un préjudice certain ; qu'en l'espèce, après avoir annulé les contrats de vente et de prêt, la cour d'appel a retenu, pour rejeter la demande d'indemnisation au titre de travaux de remise en état formée par l'emprunteuse, qu'''en l'état de la liquidation judiciaire de la société Eclog, la restitution de l'installation au vendeur et le préjudice lié à son démontage n'ont qu'un caractère hypothétique'' ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 1231-1 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1231-1 du code civil :
7. Conformément à ce texte, le débiteur d'une obligation est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de son obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.
8. Dans le cadre d'un crédit affecté, le prêteur qui a versé les fonds sans s'être assuré, comme il y était tenu, de la régularité formelle du contrat principal engage sa responsabilité à l'égard de l'emprunteur et doit l'indemniser des préjudices résultant de ses fautes.
9. L'impossibilité pour l'emprunteur d'obtenir du vendeur, placé en liquidation judiciaire, la désinstallation d'un matériel dont il n'est plus propriétaire et la remise en état des lieux, est, selon le principe d'équivalence des conditions, une conséquence de la faute de la banque dans l'examen du contrat principal. Ce préjudice doit être indemnisé à concurrence du montant nécessaire à la remise des parties en l'état où elles se trouvaient antérieurement à la conclusion du contrat principal annulé.
10. Pour rejeter la demande d'indemnisation au titre de travaux de remise en état, l'arrêt, après avoir retenu la nullité de la vente au regard des irrégularités affectant le bon de commande, rappelle que le prêt a été conclu par l'intermédiaire du vendeur et que le prêteur avait l'obligation de vérifier la régularité formelle du contrat de vente. Il retient, d'abord, que le prêteur n'a pas procédé aux vérifications auxquelles il était tenu avant de remettre les fonds prêtés au vendeur et a ainsi engagé sa responsabilité à l'égard de l'acquéreur, ensuite, que, si l'emprunteuse déplore un manque de rendement l'installation fonctionne et qu'en l'état de la liquidation judiciaire du vendeur, la restitution de l'installation au vendeur et le préjudice lié à son démontage n'ont qu'un caractère hypothétique, dès lors que la revendication du matériel contraindrait le liquidateur à la restitution du prix. Il en déduit que l'emprunteuse ne démontre, ni ne justifie d'un préjudice indemnisable résultant des fautes commises par le prêteur.
11. En statuant ainsi, alors que l'emprunteuse n'aurait pas été placée dans cette situation sans la faute du prêteur, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
12. L'emprunteuse fait grief à l'arrêt de la condamner à rembourser au prêteur, à titre de restitution, la somme de 25 927,02 euros outre intérêts au taux légal, alors « que lorsque la restitution du prix à laquelle le vendeur est condamné de plein droit, par suite de l'anéantissement du contrat de vente, est impossible du fait de son insolvabilité, l'emprunteur, privé de la contrepartie de la restitution du bien vendu, justifie d'une perte subie équivalente au montant du crédit souscrit pour le financement du prix du contrat de vente annulé en lien de causalité avec la faute de la banque qui, avant de verser au vendeur le capital emprunté, n'a pas vérifié la régularité formelle du contrat principal ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a annulé les contrats de vente et de prêt, a constaté, d'une part, l'état de ''liquidation judiciaire de la société Eclog'', et, d'autre part, que le bon de commande transmis à la banque à l'appui de la demande de prêt ''ne comportait aucune description d'informations ou de données techniques relatives au rendement de l'installation (...) ce qui ne pouvait pas échapper à une société professionnelle du crédit affecté au financement d'acquisition de biens par des consommateurs (...) non plus que l'irrégularité formelle entachant le formulaire de rétractation'' de sorte que ''le prêteur de deniers n'a pas procédé aux vérifications auxquelles il était tenu avant de remettre les fonds prêtés au vendeur et a ainsi engagé sa responsabilité à l'égard de l'acquéreur'' ; qu'il en résultait que l'emprunteuse justifiait de son préjudice tenant à la perte subie équivalente au montant du crédit souscrit pour le financement du prix du contrat de vente annulé en lien de causalité avec la faute de la banque qui, avant de verser au vendeur le capital emprunté, n'a pas vérifié la régularité formelle du contrat principal ; qu'en retenant pourtant que « l'emprunteuse ne démontre, ni ne justifie d'un préjudice indemnisable résultant des fautes commises par la banque et doit en conséquence s'acquitter de la restitution des sommes prêtées sans pouvoir opposer la compensation de cette créance avec une créance de dommages-intérêts », la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation de l'article 1231-1 du code civil. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
13. Le prêteur conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que la critique est nouvelle.
14. Cependant, née de la décision attaquée le moyen est recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles L. 312-55 du code de la consommation et 1231-1 du code civil :
15. Il résulte de ces textes que la résolution ou l'annulation d'un contrat de crédit affecté, en conséquence de celle du contrat constatant la vente ou la prestation de services qu'il finance, emporte pour l'emprunteur l'obligation de restituer au prêteur le capital prêté.
7. Cependant le prêteur qui a versé les fonds sans s'être assuré, comme il y était tenu, de la régularité du contrat principal, peut être privé en tout ou partie de sa créance de restitution, dès lors que l'emprunteur justifie avoir subi un préjudice en lien avec cette faute.
16. Si, en principe, à la suite de l'annulation de la vente, l'emprunteur obtient du vendeur la restitution du prix, de sorte que l'obligation de restituer le capital à la banque ne constitue pas, en soi, un préjudice réparable, il en va différemment lorsque le vendeur est en liquidation judiciaire. Dans une telle hypothèse, l'impossibilité pour l'emprunteur d'obtenir la restitution du prix est, selon le principe d'équivalence des conditions, une conséquence de la faute de la banque dans l'examen du contrat principal.
17. Il s'en déduit que lorsque la restitution du prix à laquelle le vendeur est condamné, par suite de l'annulation du contrat de vente ou de prestation de service, est devenue impossible du fait de l'insolvabilité du vendeur ou du prestataire, l'emprunteur, privé de la contrepartie de la restitution du bien vendu, justifie d'une perte subie équivalente au montant du crédit souscrit pour le financement du prix du contrat de vente ou de prestation de service annulé en lien de causalité avec la faute de la banque qui, avant de verser au vendeur le capital emprunté, n'a pas vérifié la régularité formelle du contrat principal.
18. Pour condamner l'emprunteuse à rembourser au prêteur une certaine somme à titre de restitution, après annulation des contrats de vente et de prêt, l'arrêt relève, d'abord, que le prêteur n'a pas procédé aux vérifications auxquelles il était tenu avant de remettre les fonds prêtés au vendeur et a ainsi engagé sa responsabilité à l'égard de l'acquéreur. Il retient, ensuite, que l'installation fonctionne et qu'en l'état de la liquidation judiciaire de la société Eclog, la restitution de l'installation au vendeur et le préjudice lié à son démontage n'ont qu'un caractère hypothétique dès lors que la revendication du matériel contraindrait le liquidateur à la restitution du prix et que l'emprunteuse ne démontre, ni ne justifie, d'un préjudice indemnisable résultant des fautes commises par le prêteur et doit en conséquence s'acquitter de la restitution des sommes prêtées sans pouvoir opposer la compensation de cette créance avec une créance de dommages-intérêts.
19. En statuant ainsi, alors qu'il s'inférait de ses propres constatations que la restitution du prix par le vendeur placé en liquidation judiciaire était devenue impossible et qu'ainsi privé des effets de plein droit de l'annulation des contrats, l'emprunteuse justifiait, indépendamment de l'état de fonctionnement de l'installation dont elle demandait l'enlèvement, d'un préjudice qui n'aurait pas été subi sans la faute du prêteur, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les derniers griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement il rejette la demande d'indemnisation au titre des travaux de remise en état et en ce qu'il condamne Mme [B], veuve [L] à rembourser à la société Cofidis la somme de 25 927,02 euros outre intérêts au taux légal, l'arrêt rendu le 16 mai 2024, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Besançon ;
Condamne la société Cofidis aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Cofidis et la condamne à payer à Mme [B] veuve [L] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé publiquement le cinq novembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.