CA Orléans, ch. civ., 4 novembre 2025, n° 23/01920
ORLÉANS
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL D'ORLÉANS
C H A M B R E C I V I L E
GROSSES + EXPÉDITIONS : le 04/11 /2025
la SELARL CABINET GENDRE & ASSOCIES
la SCP DIKAIA AVOCATS
Me Alexis DEVAUCHELLE
ARRÊT du : 04 NOVEMBRE 2025
N° : - 25
N° RG 23/01920 - N° Portalis DBVN-V-B7H-G2Z6
DÉCISION ENTREPRISE : Jugement TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de [Localité 8] en date du 25 Mai 2023
PARTIES EN CAUSE
APPELANTE :
- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265295664208523
Madame [N] [K]
née le 14 Juin 1965 à [Localité 9]
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée par Me Nicolas GENDRE de la SELARL CABINET GENDRE & ASSOCIES, avocat au barreau de TOURS
D'UNE PART
INTIMÉES :
- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265296674604173
S.A.R.L. [B] TP prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège social,
[Adresse 6]
[Localité 4]
représentée par Me Matthieu MICOU de la SCP DIKAIA AVOCATS, avocat au barreau de BLOIS
- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265295203220194
Compagnie d'assurance MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège
[Adresse 1]
[Localité 7]
ayant pour avocat postulant Me Alexis DEVAUCHELLE, avocat au barreau d'ORLEANS
ayant pour avocat plaidant Me Frédéric CHEVALLIER de la SCP HERVOUET/CHEVALLIER/GODEAU, avocat au barreau de BLOIS,
D'AUTRE PART
DÉCLARATION D'APPEL en date du : 26 Juillet 2023.
ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 16 juin 2025
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats à l'audience publique du 08 Septembre 2025 à 14h00, l'affaire a été plaidée devant Madame Nathalie LAUER, présidente de chambre, en charge du rapport, et Madame Laure- Aimée GRUA, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, en l'absence d'opposition des parties ou de leurs représentants.
Lors du délibéré, au cours duquel Madame Nathalie LAUER, présidente de chambre et Madame Laure- Aimée GRUA, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, ont rendu compte des débats à la collégialité, la Cour était composée de:
Madame Nathalie LAUER, Présidente de chambre,
Monsieur Xavier GIRIEU, Conseiller,
Madame Laure- Aimée GRUA, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
GREFFIER :
Mme Karine DUPONT, Greffier lors des débats et du prononcé.
ARRÊT :
Prononcé publiquement le 04 novembre 2025 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
***
FAITS ET PROCEDURE :
Mme [N] [K] est propriétaire d'une maison à usage d'habitation située [Adresse 2].
Courant 2011, Mme [K] a sollicité l'entreprise [P] pour réaliser des travaux de voirie et réseaux, notamment des travaux de terrassement d'allée devant sa maison, avec fourniture d'une couche d'enrobé à chaud.
Alléguant l'apparition de fissures, Mme [N] [K] a saisi son assureur de protection juridique.
A la demande de l'assureur protection juridique de Mme [N] [K], la société [B] TP a établi un devis de reprise de fissures.
Les travaux de reprise ont été effectués par la société [B] TP en février 2017, qui a émis deux factures :
- facture du 31 janvier 2018 pour un montant de 5.931,12 euros réglée le 15 février 2018,
- facture du 28 février 2018 pour un montant de 2.656,50 euros réglée le jl 5 février 2018,
soit un total de 8.587,62 euros TTC.
Alléguant l'apparition de nouvelles fissures malgré les travaux de reprise, Mme [N] [K] a saisi le juge des référés d`une demande d'expertise.
Par ordonnance du 11 juin 2019, le juge des référés a fait droit à la demande d'expertise et désigné M. [R].
L'expert a déposé son rapport le 24 mars 2020.
Par acte d'huissier de justice du 19 juillet 2021-, Mme [N] [K] a assigné la SARL [B] Dominique et la compagnie Mma Iard Assurances Mutuelles devant le tribunal judiciaire de Blois, principalement sur le fondement de la responsabilité décennale.
Par jugement du 25 mai 2023, le tribunal judiciaire de Blois a :
- constaté que les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité décennale ne sont pas réunies,
- rejeté l'ensemble des demandes formées par Mme [N] [K] sur le fondement de la responsabilité décennale,
- rejeté toute autre demande,
- rejeté l'ensemble des demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Mme [N] [K] aux dépens, qui comprendront les frais de l'expertise judiciaire ordonnée en référé,
- autorisé les avocats de la cause à recouvrer directement ceux des dépens dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision,
- constaté que la présente décision est assortie de droit de l'exécution provisoire.
Par déclaration du 26 juillet 2023, Mme [K] a relevé appel de l'intégralité des chefs de ce jugement.
Suivant conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 12 octobre 2023, Mme [K] demande à la cour de :
- entériner le rapport d'expertise judiciaire.
- prononcer la réception judiciaire des travaux de la société [B] à la date du 28 février 2018, date de paiement de l'entreprise et de réception sans réserve desdits travaux.
- infirmer en conséquence le jugement rendu par le Tribunal Judiciaire le 25 mai 2023, en ce qu'il a retenu la non réception des travaux.
- infirmer également en ce qu'il a considéré que les travaux réalisés par la société [B] seraient des travaux de « reprise » n'ayant pas aggravé les désordres initiaux, alors qu'il s'est agi d'un nouveau marché, comportant notamment la remise à nu du terrain et la réalisation de nouveaux travaux relevant de la garantie décennale des constructeurs.
- juger en conséquence Mme [K] recevable et bien fondée en son appel.
- infirmer le jugement déféré.
- prononcer la réception judiciaire des travaux réalisés par la société [B] à la date du 28 février 2018.
- condamner la société [B] et la société Mma Iard la garantissant au paiement de la somme de 32.879,00 euros, montant du devis Pannequin retenu par l'expert outre l'indexation courue depuis le 30 janvier 2020, sur l'indice du coût de la construction jusqu'à la date du paiement effectif.
- juger subsidiairement que le Société [B] a manqué à son devoir de conseil en ne sollicitant pas d'étude de sol et engagé à ce titre sa responsabilité contractuelle.
- juger que la société [B] n'a pas satisfait à l'obligation de résultat pesant sur elle.
- la condamner en tout état de cause au paiement de la somme ci-dessus.
- la condamner au paiement de la somme de 3.000 euros en indemnisation du préjudice esthétique et 3.000 euros en indemnisation du préjudice de jouissance,
- la condamner au paiement de la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
- condamner solidairement Mma Iard la garantissant au paiement des mêmes sommes,
- la condamner aux dépens, qui incluront les frais de référé et d'expertise.
Suivant conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 6 décembre 2023, la société Mma Iard Assurances Mutuelles demande à la cour de :
- déclarer mal fondé l'appel interjeté par Mme [N] [K] en toutes fins qu'il comporte ;
En conséquence,
- confirmer purement et simplement la décision entreprise dans toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
- juger que les conditions de la mobilisation des garanties consenties par les Mma Iard Assurances Mutuelles à la SARL [B] TP ne sont pas réunies et ne peuvent pas être réunies ;
- rejeter toutes demandes formées contre la Mma Iard Assurances Mutuelles ;
- condamner Mme [N] [K] au paiement d'une somme de 3.000,00 euros au profit de la Société Mma Iard Assurances Mutuelles sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Alexis Devauchelle, avocat aux offres de droit.
Par ordonnance du 11 juin 2025, le président de chambre statuant en tant que magistrat chargé de la mise en état a jugé irrecevables les conclusions notifiées par voie électronique le 15 janvier 2024 par la SARL [B] TP.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 juin 2025.
Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile il convient de se reporter à leurs dernières conclusions.
Sur ce, la cour
Les demandes de Mme [K] fondées sur la responsabilité décennale des constructeurs
Mme [K] poursuit l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes de condamnations à paiement in solidum de la société [B] et de son assureur, les sociétés MMA, fondées sur la responsabilité décennale des constructeurs. À l'appui, elle rappelle que suite aux travaux réalisés par l'entreprise [P] devant sa maison, une fissuration importante est apparue ; que la société [B] a alors établi un devis considérablement plus important de destruction des travaux existants et de reconstruction ; qu'ainsi, ils consistaient bien en une destruction totale de ce qui avait été fait en ce compris le béton de fondation et les enrobés pour les remplacer par la fourniture et la pose de pavés de type pierre reconstituée ; que de nouveaux désordres sont apparus, une mesure d'expertise judiciaire étant alors intervenue ; que celle-ci met en évidence le caractère évolutif des fissures, lesquelles, selon l'expert, sont amenées à prendre de l'ampleur et à grandir à chaque saison sèche ; que l'expert estime également que la suppression des enrobés actuels est inévitable, la solution la plus adaptée consistant en la mise en place d'un pavage bord à bord sans joints. Elle reproche au premier juge de l'avoir déboutée de ses demandes en relevant d'office une prétendue absence de réception des travaux, aucune des parties dans la procédure n'ayant prétendu qu'elle ne serait pas intervenue. Elle observe que les factures de la société [B] ont été réglées en totalité ; qu'ainsi, même en l'absence d'établissement d'un procès-verbal de réception écrit, la réception tacite était acquise par les parties de sorte que la cour devra prononcer la réception judiciaire ; que les travaux sont bien de nature décennale, la société [B] ayant préconisé de tout démolir et de refaire à l'identique ; que la cour d'appel de Besançon retient que la réalisation de la couche de tout-venant puis l'épandage d'un enrobé sur une surface importante par voie mécanique et manuelle, le tout selon des techniques propres à la construction de voirie, constitue un ouvrage au sens de l'article 1792 du Code civil ; que le détail des prestations réalisées par la société [B] démontre la nature d'ouvrage des travaux qu'elle a réalisés ; qu'elle ne s'est pas contentée de recouvrir l'allée d'un enrobé mais l'a intégralement refait avant de fournir et de poser des matériaux notamment destinés au maintien des terres ; que selon la jurisprudence de la Cour de cassation l'incorporation ou l'adjonction de matériaux constitue la réalisation d'un ouvrage ; que l'arrêt de cette cour cité par les sociétés MMA pour contredire la nature d'ouvrage des travaux réalisés par la société [B] concerne une espèce qui n'a rien à voir avec les données du présent litige ; qu'en effet, dans cette espèce, il s'agissait essentiellement de travaux de terrassement ; qu'or, elle n'a pas confié seulement à la société [B] des travaux de terrassement puisque ceux-ci ont nécessité l'incorporation au terrain naturel de matériaux dans le sol, à savoir des pavés, des bordures et la réalisation d'un enrobé sur 115 m² ; que la société [B] ne s'est pas contentée non plus de réaliser des travaux de reprise de désordres puisque le terrain, après destruction des enrobés et du béton de fondation, a d'abord été remis à nu.
La société MMA conclut à la confirmation du jugement déféré. Elle expose que les conditions de la responsabilité décennale des constructeurs ne sont pas réunies en ce que la mise en 'uvre de cette garantie est impérativement subordonnée au constat de l'immobilisation de la construction ; que la notion d'ouvrage n'est pas remplie en l'espèce.
Appréciation de la cour
L'article 1792 du code civil dispose que : 'Tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère'.
Pour pouvoir prétendre à la mise en 'uvre de la responsabilité décennale de la société [B], il appartient à Mme [K] d'établir la nature d'ouvrage des travaux que cette dernière a réalisés.
Au vu des pièces produites aux débats, à savoir les devis et factures établis par la société [B], celle-ci a exécuté les prestations suivantes :
- Amenée et repli du matériel
- démolition des enrobés existants avec évacuation des déblais,
- dépose des bordures existantes et du béton de fondation après évacuation des déblais en décharge
- fourniture et pose de pavés en pierre reconstituée
- fourniture et pose de bordures type manoir sur lit de pose en béton pour le maintien des terres en délimitation de la cour,
- fourniture, transport et mise en 'uvre des enrobés noirs sur une épaisseur de 4 cm à raison de 100 kg par mètre carré,
travaux supplémentaires :
- fourniture et pose de pavés devant le pavillon
- préparation du support comprenant le terrassement et l'empierrement
Il est donc établi que la société [B], avant de réaliser ses propres prestations, a procédé en premier lieu à la démolition des travaux exécutés par la société Lefèvre.
Cependant, la nature d'ouvrage des prestations accomplies par la société [B] doit s'apprécier par rapport à celles initialement exécutées par la société Lefèvre. En effet, les travaux de la société [B] ne peuvent constituer un ouvrage au sens de l'article 1792 du Code civil que si les travaux initiaux revêtaient également cette qualité.
Il est admis que constitue un ouvrage des travaux de V.R.D. tels allée de château, dalle ou encore étang. C'est donc la construction elle-même des voiries qui constitue un ouvrage.
Or, dans son rapport, l'expert judiciaire décrit précisément les travaux réalisés par l'entreprise [P] :
- travaux de terrassement d'allée et devant la maison,
- fourniture et mise en 'uvre de calcaire,
- fouille en rigole, fourniture et pose de bordures de trottoirs,
- fourniture et mise en 'uvre manuelle d'enrobé chaud, y compris couche d'accrochage et compactage.
Cette description correspond d'ailleurs en tous points à celle reprise par Mme [K] dans ses conclusions.
Les travaux réalisés par la société Lefèvre consistaient donc en l'aménagement de voiries existantes, ce qui ne répond donc pas à la notion d'ouvrage retenue par l'article 1792 du Code civil, la seule pose de pavés ne pouvant y suffire. En d'autres termes, quand bien même la société [B], après avoir mis à nu le terrain, a posé des bordures avec incorporation de pavés et mis en 'uvre des enrobés, n'a pas réalisé elle-même un ouvrage au sens de l'article 1792 du Code civil.
Par ailleurs, faute de disposer des données de l'espèce soumise à la cour d'appel de Besançon, il n'est pas possible de vérifier que les travaux exécutés par la société [B] étaient comparables.
Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a débouté Mme [K] de ses demandes sur le fondement de l'article 1792 du Code civil sans qu'il y ait lieu dès lors d'examiner les autres conditions de mise en 'uvre de la responsabilité des constructeurs de sorte qu'il n'y a pas lieu de répondre aux moyens soulevés à cet égard.
Les demandes de Mme [K] fondées sur la responsabilité contractuelle de droit commun
Subsidiairement, Mme [K] poursuit la condamnation in solidum de la société [B] et de son assureur sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun. À l'appui, elle rappelle que la société [B] était débitrice d'une obligation de résultat dont elle ne peut s'exonérer ; que l'expert judiciaire a précisément relevé sa carence dès lors que les fissures litigieuses ont été en partie provoquées par les variations du sol argileux sur lequel les travaux ont été effectués ; que si la société [B], comme toute entreprise de construction se doit de le faire au titre de son devoir de conseil, avait préconisé une étude de sol, la nature de celui-ci aurait été identifiée et aurait permis d'anticiper, au moyen de travaux ou de matériaux plus adaptés, les phénomènes de gonflement et de retrait de sol ; que l'entrepreneur aurait d'autant plus être alerte sur ce sujet qu'il intervenait effectivement en reprise de travaux existants ; que la Cour de cassation a d'ailleurs estimé, à de nombreuses reprises, qu'une entreprise se doit de refuser d'exécuter les travaux qu'elle sait inefficaces.
La société MMA n'a pas conclu sur ce point.
Appréciation de la cour
En application de l'article 1231-1 du Code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.
En l'espèce, selon la conclusion du rapport d'expertise judiciaire, « les fissures sont liées à un phénomène de gonflement et de retrait du terrain argileux, entraînant des tensions dans le sol et provoquant ses fissurations.
Les expertises menées permettent de démontrer la bonne réalisation des travaux par la SARL [B].
La SARL [B] intervenant en connaissance de cause, suite à des premières fissures, aurait pu proposer/conseiller Mme [K], et/ou procéder à une étude de sol. Dans ce contexte le devoir de conseil de la SARL [B] était essentiel, afin de proposer une solution de reprise plus adaptée et plus pérenne. »
Il est constant que le professionnel est débiteur d'une obligation de conseil à l'égard du maître d'ouvrage.
Peu important qu'elle intervînt en suite des préconisations de l'expert de l'assureur de Mme [K], il appartenait à la société [B], en sa qualité de professionnel du bâtiment, de s'assurer des conditions nécessaires à la parfaite efficacité des travaux qu'elle avait elle-même à accomplir et ce d'autant plus qu'elle intervenait en reprise de fissures existantes, ce qui lui imposait de s'interroger sur la nature du sol. Aussi, aurait-elle dû proposer à Mme [K] une étude de sol, préalable non seulement à l'exécution de ses propres prestations mais aussi à leur définition même. En effet, cette étude lui aurait permis de mettre en 'uvre une solution réparatoire appropriée.
Faute de l'avoir fait, elle a manqué au devoir de conseil auquel elle était tenue envers Mme [K]. Ainsi, ajoutant au jugement déféré, qui a omis de statuer sur ce point, il y a lieu de dire que la société [B] a engagé sa responsabilité sur le fondement de l'article 1231-1 du Code civil.
Les préjudices indemnisables
En réparation de son préjudice matériel, Mme [K] sollicite la condamnation de la société [B] et de la société MMA à lui payer la somme de 32 879 euros, montant du devis Pannequin retenu par l'expert outre l'indexation courue depuis le 30 janvier 2020, sur l'indice du coût de la construction jusqu'à la date du paiement effectif. Elle sollicite en outre une indemnité de 3000 euros en réparation de son préjudice de jouissance et une indemnité de 3000 euros en réparation de son préjudice esthétique.
Subsidiairement, la société MMA conclut au rejet des demandes indemnitaires de Mme [K]. À l'appui, elle expose que ni le préjudice de jouissance, ni le préjudice esthétique ne sont démontrés, Mme [K] n'ayant pas subi de désagréments particuliers dans le cadre de sa vie domestique, les photographies versées aux débats par elle ne démontrant en rien une atteinte à la sécurité, pas davantage s'agissant même d'un préjudice esthétique.
Appréciation de la cour
Si la société [B] avait respecté son obligation de conseil à l'égard de Mme [K], celle-ci n'aurait pas subi les désordres objectivés par le rapport d'expertise judiciaire.
Celui-ci conclut que compte tenu des fissures et de leur évolution, la suppression des enrobés (couche supérieure) actuelle est inévitable ; qu'afin d'atténuer les tensions du sol actuel (couche inférieure argileuse) il est conseillé d'enlever la couche de forme actuelle (30 cm de calcaire plus 30 cm de sols argileux) afin de mettre en place 60 cm de calcaire, et d'élargir le décaissement au niveau de l'allée afin de limiter les tensions avec l'espace vert ; que concernant la couche supérieure à mettre en place, il est fortement déconseillé d'appliquer à nouveau des enrobés (même avec une couche de forme de 60 cm de calcaire), ce type de revêtement ayant déjà fissuré à deux reprises ; que la solution la plus adaptée est la mise en place d'un pavage bord à bord sans joint, ce type de pose permettant de concentrer l'effet de fissuration éventuelle entre les pavés sans gêne visuelle.
Il note enfin que la société Pannequin paysage a établi une offre de pavage avec la mise en place d'une couche de forme sur 60 cm le 30 janvier 2020 pour un montant de 32 879 euros TTC.
En conséquence, la société [B] sera condamnée à payer cette somme à Mme [K] en réparation de son préjudice matériel.
S'agissant du préjudice de jouissance, celui-ci résulte de la nature même des faits objet du présent litige. Cependant, il y a lieu de ramener à plus justes mesures les prétentions de Mme [K] à cet égard de sorte que la société [B] sera condamnée à lui payer la somme de 2000 euros en réparation.
En l'état, le préjudice esthétique n'est pas établi puisque la solution réparatoire préconisée par l'expert judiciaire a vocation à y remédier. Ainsi, si un préjudice esthétique a pu exister de manière temporaire, il se confond avec le préjudice de jouissance. En conséquence, Mme [K] sera déboutée de sa demande indemnitaire.
La garantie de l'assureur
La société MMA conteste sa garantie. À l'appui, elle rappelle que les travaux réalisés par la société [B], son assurée, consistaient bien en travaux de reprise pour tenter de mettre un terme aux désordres initiaux, d'autant que le maître d'ouvrage lui-même avait constaté une fissuration importante de l'enrobé ayant la même typologie que celle qui résultait des travaux réalisés précédemment par la société Lefèvre ; qu'en tout état de cause, les conditions de mobilisation de sa garantie ne sont pas réunies ; qu'en effet, le maître d'ouvrage rappelle que les travaux de réfection totale ont été réalisés par la société [B] en janvier et février 2018 mais qu'au cours de l'été 2018 une fissuration importante de l'enrobé est réapparue ; qu'or, il résulte du contrat la liant à la société [B] depuis le 1er janvier 2016 que, s'agissant de la garantie pour dommages intermédiaires, celle-ci exclut tous dommages à l'ouvrage pendant l'année de parfait achèvement ; que dès lors, la survenance d'une nouvelle fissuration étant manifeste à l'intérieur du délai de parfait achèvement, sa garantie n'est donc pas mobilisable ; que, s'agissant de la garantie RC, celle-ci exclut tout dommages à l'ouvrage.
Mme [K] n'a pas répondu sur ce point.
Appréciation de la cour
Il convient de rappeler que la responsabilité contractuelle de la société [B] est engagée pour avoir manqué à son obligation de conseil à l'égard de Mme [K] de sorte que seul le contrat de responsabilité civile professionnelle a vocation à être mobilisé.
En outre, sont mises à la charge de l'assuré les seules conséquences pécuniaires du manquement à cette obligation de conseil et non pas les dommages à l'ouvrage en eux-mêmes.
Selon les conditions particulières du contrat 141764640 H liant la société MMA à la société [B] depuis le 1er janvier 2016, la garantie responsabilité civile professionnelle (y compris responsabilité civile exploitation des locaux) a été souscrite tous dommages confondus.
Les conditions générales police MMA responsabilité civile professionnelle ajoutent: « nous garantissons aux conditions et limites fixées par le présent contrat les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile que vous pouvez encourir du fait des dommages corporels, matériels et immatériels causés à autrui et liés à l'exercice de l'activité professionnelle sous réserve des exclusions prévues ci-dessous ».
Cependant, la lecture de ces exclusions ne permet de relever aucune exclusion ayant trait aux conséquences pécuniaires du manquement de l'assuré à son obligation de conseil à l'égard du maître d'ouvrage.
En conséquence, la société MMA sera condamnée in solidum avec son assuré à payer à Mme [K] les sommes mises à la charge de la société [B] dans les conditions précisées au dispositif ci-après.
Les dispositions accessoires
Le sens du présent arrêt conclu à infirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné Mme [K] aux dépens.
En conséquence, la société [B] et la société MMA seront condamnés in solidum aux dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise, ainsi qu'à payer à Mme [K] la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en indemnisation de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS,
Statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition,
Infirme le jugement rendu le 25 mai 2023 par le tribunal judiciaire de Blois sauf en ce qu'il a débouté Mme [K] de ses demandes sur le fondement des articles 1792 et suivants du Code civil,
Et, statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit que la société [B] a manqué à son devoir de conseil à l'égard de Mme [K] et donc engagé sa responsabilité sur le fondement de l'article 1231-1 du Code civil,
En conséquence,
Condamne in solidum la société [B] et la société MMA, son assureur à payer à Mme [K] les sommes de :
- 32 879 euros, TVA au taux légal incluse avec indexation depuis le 30 janvier 2020, sur l'indice du coût de la construction jusqu'à la date du paiement effectif, en réparation de son préjudice matériel
- 2000 euros en réparation de son préjudice de jouissance,
Déboute Mme [K] du surplus de ses demandes indemnitaires,
Déboute la société MMA IARD Assurances mutuelles de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne in solidum la société [B] et la société MMA IARD Assurances mutuelles à payer à Mme [K] la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne in solidum la société [B] et la société MMA IARD Assurances mutuelles aux entiers dépens de première instance et d'appel en ce compris les frais d'expertise.
Arrêt signé par Mme Nathalie LAUER, Présidente de Chambre et Mme Karine DUPONT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
C H A M B R E C I V I L E
GROSSES + EXPÉDITIONS : le 04/11 /2025
la SELARL CABINET GENDRE & ASSOCIES
la SCP DIKAIA AVOCATS
Me Alexis DEVAUCHELLE
ARRÊT du : 04 NOVEMBRE 2025
N° : - 25
N° RG 23/01920 - N° Portalis DBVN-V-B7H-G2Z6
DÉCISION ENTREPRISE : Jugement TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de [Localité 8] en date du 25 Mai 2023
PARTIES EN CAUSE
APPELANTE :
- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265295664208523
Madame [N] [K]
née le 14 Juin 1965 à [Localité 9]
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée par Me Nicolas GENDRE de la SELARL CABINET GENDRE & ASSOCIES, avocat au barreau de TOURS
D'UNE PART
INTIMÉES :
- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265296674604173
S.A.R.L. [B] TP prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège social,
[Adresse 6]
[Localité 4]
représentée par Me Matthieu MICOU de la SCP DIKAIA AVOCATS, avocat au barreau de BLOIS
- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265295203220194
Compagnie d'assurance MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège
[Adresse 1]
[Localité 7]
ayant pour avocat postulant Me Alexis DEVAUCHELLE, avocat au barreau d'ORLEANS
ayant pour avocat plaidant Me Frédéric CHEVALLIER de la SCP HERVOUET/CHEVALLIER/GODEAU, avocat au barreau de BLOIS,
D'AUTRE PART
DÉCLARATION D'APPEL en date du : 26 Juillet 2023.
ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 16 juin 2025
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats à l'audience publique du 08 Septembre 2025 à 14h00, l'affaire a été plaidée devant Madame Nathalie LAUER, présidente de chambre, en charge du rapport, et Madame Laure- Aimée GRUA, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, en l'absence d'opposition des parties ou de leurs représentants.
Lors du délibéré, au cours duquel Madame Nathalie LAUER, présidente de chambre et Madame Laure- Aimée GRUA, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, ont rendu compte des débats à la collégialité, la Cour était composée de:
Madame Nathalie LAUER, Présidente de chambre,
Monsieur Xavier GIRIEU, Conseiller,
Madame Laure- Aimée GRUA, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
GREFFIER :
Mme Karine DUPONT, Greffier lors des débats et du prononcé.
ARRÊT :
Prononcé publiquement le 04 novembre 2025 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
***
FAITS ET PROCEDURE :
Mme [N] [K] est propriétaire d'une maison à usage d'habitation située [Adresse 2].
Courant 2011, Mme [K] a sollicité l'entreprise [P] pour réaliser des travaux de voirie et réseaux, notamment des travaux de terrassement d'allée devant sa maison, avec fourniture d'une couche d'enrobé à chaud.
Alléguant l'apparition de fissures, Mme [N] [K] a saisi son assureur de protection juridique.
A la demande de l'assureur protection juridique de Mme [N] [K], la société [B] TP a établi un devis de reprise de fissures.
Les travaux de reprise ont été effectués par la société [B] TP en février 2017, qui a émis deux factures :
- facture du 31 janvier 2018 pour un montant de 5.931,12 euros réglée le 15 février 2018,
- facture du 28 février 2018 pour un montant de 2.656,50 euros réglée le jl 5 février 2018,
soit un total de 8.587,62 euros TTC.
Alléguant l'apparition de nouvelles fissures malgré les travaux de reprise, Mme [N] [K] a saisi le juge des référés d`une demande d'expertise.
Par ordonnance du 11 juin 2019, le juge des référés a fait droit à la demande d'expertise et désigné M. [R].
L'expert a déposé son rapport le 24 mars 2020.
Par acte d'huissier de justice du 19 juillet 2021-, Mme [N] [K] a assigné la SARL [B] Dominique et la compagnie Mma Iard Assurances Mutuelles devant le tribunal judiciaire de Blois, principalement sur le fondement de la responsabilité décennale.
Par jugement du 25 mai 2023, le tribunal judiciaire de Blois a :
- constaté que les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité décennale ne sont pas réunies,
- rejeté l'ensemble des demandes formées par Mme [N] [K] sur le fondement de la responsabilité décennale,
- rejeté toute autre demande,
- rejeté l'ensemble des demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Mme [N] [K] aux dépens, qui comprendront les frais de l'expertise judiciaire ordonnée en référé,
- autorisé les avocats de la cause à recouvrer directement ceux des dépens dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision,
- constaté que la présente décision est assortie de droit de l'exécution provisoire.
Par déclaration du 26 juillet 2023, Mme [K] a relevé appel de l'intégralité des chefs de ce jugement.
Suivant conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 12 octobre 2023, Mme [K] demande à la cour de :
- entériner le rapport d'expertise judiciaire.
- prononcer la réception judiciaire des travaux de la société [B] à la date du 28 février 2018, date de paiement de l'entreprise et de réception sans réserve desdits travaux.
- infirmer en conséquence le jugement rendu par le Tribunal Judiciaire le 25 mai 2023, en ce qu'il a retenu la non réception des travaux.
- infirmer également en ce qu'il a considéré que les travaux réalisés par la société [B] seraient des travaux de « reprise » n'ayant pas aggravé les désordres initiaux, alors qu'il s'est agi d'un nouveau marché, comportant notamment la remise à nu du terrain et la réalisation de nouveaux travaux relevant de la garantie décennale des constructeurs.
- juger en conséquence Mme [K] recevable et bien fondée en son appel.
- infirmer le jugement déféré.
- prononcer la réception judiciaire des travaux réalisés par la société [B] à la date du 28 février 2018.
- condamner la société [B] et la société Mma Iard la garantissant au paiement de la somme de 32.879,00 euros, montant du devis Pannequin retenu par l'expert outre l'indexation courue depuis le 30 janvier 2020, sur l'indice du coût de la construction jusqu'à la date du paiement effectif.
- juger subsidiairement que le Société [B] a manqué à son devoir de conseil en ne sollicitant pas d'étude de sol et engagé à ce titre sa responsabilité contractuelle.
- juger que la société [B] n'a pas satisfait à l'obligation de résultat pesant sur elle.
- la condamner en tout état de cause au paiement de la somme ci-dessus.
- la condamner au paiement de la somme de 3.000 euros en indemnisation du préjudice esthétique et 3.000 euros en indemnisation du préjudice de jouissance,
- la condamner au paiement de la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
- condamner solidairement Mma Iard la garantissant au paiement des mêmes sommes,
- la condamner aux dépens, qui incluront les frais de référé et d'expertise.
Suivant conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 6 décembre 2023, la société Mma Iard Assurances Mutuelles demande à la cour de :
- déclarer mal fondé l'appel interjeté par Mme [N] [K] en toutes fins qu'il comporte ;
En conséquence,
- confirmer purement et simplement la décision entreprise dans toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
- juger que les conditions de la mobilisation des garanties consenties par les Mma Iard Assurances Mutuelles à la SARL [B] TP ne sont pas réunies et ne peuvent pas être réunies ;
- rejeter toutes demandes formées contre la Mma Iard Assurances Mutuelles ;
- condamner Mme [N] [K] au paiement d'une somme de 3.000,00 euros au profit de la Société Mma Iard Assurances Mutuelles sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Alexis Devauchelle, avocat aux offres de droit.
Par ordonnance du 11 juin 2025, le président de chambre statuant en tant que magistrat chargé de la mise en état a jugé irrecevables les conclusions notifiées par voie électronique le 15 janvier 2024 par la SARL [B] TP.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 juin 2025.
Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile il convient de se reporter à leurs dernières conclusions.
Sur ce, la cour
Les demandes de Mme [K] fondées sur la responsabilité décennale des constructeurs
Mme [K] poursuit l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes de condamnations à paiement in solidum de la société [B] et de son assureur, les sociétés MMA, fondées sur la responsabilité décennale des constructeurs. À l'appui, elle rappelle que suite aux travaux réalisés par l'entreprise [P] devant sa maison, une fissuration importante est apparue ; que la société [B] a alors établi un devis considérablement plus important de destruction des travaux existants et de reconstruction ; qu'ainsi, ils consistaient bien en une destruction totale de ce qui avait été fait en ce compris le béton de fondation et les enrobés pour les remplacer par la fourniture et la pose de pavés de type pierre reconstituée ; que de nouveaux désordres sont apparus, une mesure d'expertise judiciaire étant alors intervenue ; que celle-ci met en évidence le caractère évolutif des fissures, lesquelles, selon l'expert, sont amenées à prendre de l'ampleur et à grandir à chaque saison sèche ; que l'expert estime également que la suppression des enrobés actuels est inévitable, la solution la plus adaptée consistant en la mise en place d'un pavage bord à bord sans joints. Elle reproche au premier juge de l'avoir déboutée de ses demandes en relevant d'office une prétendue absence de réception des travaux, aucune des parties dans la procédure n'ayant prétendu qu'elle ne serait pas intervenue. Elle observe que les factures de la société [B] ont été réglées en totalité ; qu'ainsi, même en l'absence d'établissement d'un procès-verbal de réception écrit, la réception tacite était acquise par les parties de sorte que la cour devra prononcer la réception judiciaire ; que les travaux sont bien de nature décennale, la société [B] ayant préconisé de tout démolir et de refaire à l'identique ; que la cour d'appel de Besançon retient que la réalisation de la couche de tout-venant puis l'épandage d'un enrobé sur une surface importante par voie mécanique et manuelle, le tout selon des techniques propres à la construction de voirie, constitue un ouvrage au sens de l'article 1792 du Code civil ; que le détail des prestations réalisées par la société [B] démontre la nature d'ouvrage des travaux qu'elle a réalisés ; qu'elle ne s'est pas contentée de recouvrir l'allée d'un enrobé mais l'a intégralement refait avant de fournir et de poser des matériaux notamment destinés au maintien des terres ; que selon la jurisprudence de la Cour de cassation l'incorporation ou l'adjonction de matériaux constitue la réalisation d'un ouvrage ; que l'arrêt de cette cour cité par les sociétés MMA pour contredire la nature d'ouvrage des travaux réalisés par la société [B] concerne une espèce qui n'a rien à voir avec les données du présent litige ; qu'en effet, dans cette espèce, il s'agissait essentiellement de travaux de terrassement ; qu'or, elle n'a pas confié seulement à la société [B] des travaux de terrassement puisque ceux-ci ont nécessité l'incorporation au terrain naturel de matériaux dans le sol, à savoir des pavés, des bordures et la réalisation d'un enrobé sur 115 m² ; que la société [B] ne s'est pas contentée non plus de réaliser des travaux de reprise de désordres puisque le terrain, après destruction des enrobés et du béton de fondation, a d'abord été remis à nu.
La société MMA conclut à la confirmation du jugement déféré. Elle expose que les conditions de la responsabilité décennale des constructeurs ne sont pas réunies en ce que la mise en 'uvre de cette garantie est impérativement subordonnée au constat de l'immobilisation de la construction ; que la notion d'ouvrage n'est pas remplie en l'espèce.
Appréciation de la cour
L'article 1792 du code civil dispose que : 'Tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère'.
Pour pouvoir prétendre à la mise en 'uvre de la responsabilité décennale de la société [B], il appartient à Mme [K] d'établir la nature d'ouvrage des travaux que cette dernière a réalisés.
Au vu des pièces produites aux débats, à savoir les devis et factures établis par la société [B], celle-ci a exécuté les prestations suivantes :
- Amenée et repli du matériel
- démolition des enrobés existants avec évacuation des déblais,
- dépose des bordures existantes et du béton de fondation après évacuation des déblais en décharge
- fourniture et pose de pavés en pierre reconstituée
- fourniture et pose de bordures type manoir sur lit de pose en béton pour le maintien des terres en délimitation de la cour,
- fourniture, transport et mise en 'uvre des enrobés noirs sur une épaisseur de 4 cm à raison de 100 kg par mètre carré,
travaux supplémentaires :
- fourniture et pose de pavés devant le pavillon
- préparation du support comprenant le terrassement et l'empierrement
Il est donc établi que la société [B], avant de réaliser ses propres prestations, a procédé en premier lieu à la démolition des travaux exécutés par la société Lefèvre.
Cependant, la nature d'ouvrage des prestations accomplies par la société [B] doit s'apprécier par rapport à celles initialement exécutées par la société Lefèvre. En effet, les travaux de la société [B] ne peuvent constituer un ouvrage au sens de l'article 1792 du Code civil que si les travaux initiaux revêtaient également cette qualité.
Il est admis que constitue un ouvrage des travaux de V.R.D. tels allée de château, dalle ou encore étang. C'est donc la construction elle-même des voiries qui constitue un ouvrage.
Or, dans son rapport, l'expert judiciaire décrit précisément les travaux réalisés par l'entreprise [P] :
- travaux de terrassement d'allée et devant la maison,
- fourniture et mise en 'uvre de calcaire,
- fouille en rigole, fourniture et pose de bordures de trottoirs,
- fourniture et mise en 'uvre manuelle d'enrobé chaud, y compris couche d'accrochage et compactage.
Cette description correspond d'ailleurs en tous points à celle reprise par Mme [K] dans ses conclusions.
Les travaux réalisés par la société Lefèvre consistaient donc en l'aménagement de voiries existantes, ce qui ne répond donc pas à la notion d'ouvrage retenue par l'article 1792 du Code civil, la seule pose de pavés ne pouvant y suffire. En d'autres termes, quand bien même la société [B], après avoir mis à nu le terrain, a posé des bordures avec incorporation de pavés et mis en 'uvre des enrobés, n'a pas réalisé elle-même un ouvrage au sens de l'article 1792 du Code civil.
Par ailleurs, faute de disposer des données de l'espèce soumise à la cour d'appel de Besançon, il n'est pas possible de vérifier que les travaux exécutés par la société [B] étaient comparables.
Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a débouté Mme [K] de ses demandes sur le fondement de l'article 1792 du Code civil sans qu'il y ait lieu dès lors d'examiner les autres conditions de mise en 'uvre de la responsabilité des constructeurs de sorte qu'il n'y a pas lieu de répondre aux moyens soulevés à cet égard.
Les demandes de Mme [K] fondées sur la responsabilité contractuelle de droit commun
Subsidiairement, Mme [K] poursuit la condamnation in solidum de la société [B] et de son assureur sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun. À l'appui, elle rappelle que la société [B] était débitrice d'une obligation de résultat dont elle ne peut s'exonérer ; que l'expert judiciaire a précisément relevé sa carence dès lors que les fissures litigieuses ont été en partie provoquées par les variations du sol argileux sur lequel les travaux ont été effectués ; que si la société [B], comme toute entreprise de construction se doit de le faire au titre de son devoir de conseil, avait préconisé une étude de sol, la nature de celui-ci aurait été identifiée et aurait permis d'anticiper, au moyen de travaux ou de matériaux plus adaptés, les phénomènes de gonflement et de retrait de sol ; que l'entrepreneur aurait d'autant plus être alerte sur ce sujet qu'il intervenait effectivement en reprise de travaux existants ; que la Cour de cassation a d'ailleurs estimé, à de nombreuses reprises, qu'une entreprise se doit de refuser d'exécuter les travaux qu'elle sait inefficaces.
La société MMA n'a pas conclu sur ce point.
Appréciation de la cour
En application de l'article 1231-1 du Code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.
En l'espèce, selon la conclusion du rapport d'expertise judiciaire, « les fissures sont liées à un phénomène de gonflement et de retrait du terrain argileux, entraînant des tensions dans le sol et provoquant ses fissurations.
Les expertises menées permettent de démontrer la bonne réalisation des travaux par la SARL [B].
La SARL [B] intervenant en connaissance de cause, suite à des premières fissures, aurait pu proposer/conseiller Mme [K], et/ou procéder à une étude de sol. Dans ce contexte le devoir de conseil de la SARL [B] était essentiel, afin de proposer une solution de reprise plus adaptée et plus pérenne. »
Il est constant que le professionnel est débiteur d'une obligation de conseil à l'égard du maître d'ouvrage.
Peu important qu'elle intervînt en suite des préconisations de l'expert de l'assureur de Mme [K], il appartenait à la société [B], en sa qualité de professionnel du bâtiment, de s'assurer des conditions nécessaires à la parfaite efficacité des travaux qu'elle avait elle-même à accomplir et ce d'autant plus qu'elle intervenait en reprise de fissures existantes, ce qui lui imposait de s'interroger sur la nature du sol. Aussi, aurait-elle dû proposer à Mme [K] une étude de sol, préalable non seulement à l'exécution de ses propres prestations mais aussi à leur définition même. En effet, cette étude lui aurait permis de mettre en 'uvre une solution réparatoire appropriée.
Faute de l'avoir fait, elle a manqué au devoir de conseil auquel elle était tenue envers Mme [K]. Ainsi, ajoutant au jugement déféré, qui a omis de statuer sur ce point, il y a lieu de dire que la société [B] a engagé sa responsabilité sur le fondement de l'article 1231-1 du Code civil.
Les préjudices indemnisables
En réparation de son préjudice matériel, Mme [K] sollicite la condamnation de la société [B] et de la société MMA à lui payer la somme de 32 879 euros, montant du devis Pannequin retenu par l'expert outre l'indexation courue depuis le 30 janvier 2020, sur l'indice du coût de la construction jusqu'à la date du paiement effectif. Elle sollicite en outre une indemnité de 3000 euros en réparation de son préjudice de jouissance et une indemnité de 3000 euros en réparation de son préjudice esthétique.
Subsidiairement, la société MMA conclut au rejet des demandes indemnitaires de Mme [K]. À l'appui, elle expose que ni le préjudice de jouissance, ni le préjudice esthétique ne sont démontrés, Mme [K] n'ayant pas subi de désagréments particuliers dans le cadre de sa vie domestique, les photographies versées aux débats par elle ne démontrant en rien une atteinte à la sécurité, pas davantage s'agissant même d'un préjudice esthétique.
Appréciation de la cour
Si la société [B] avait respecté son obligation de conseil à l'égard de Mme [K], celle-ci n'aurait pas subi les désordres objectivés par le rapport d'expertise judiciaire.
Celui-ci conclut que compte tenu des fissures et de leur évolution, la suppression des enrobés (couche supérieure) actuelle est inévitable ; qu'afin d'atténuer les tensions du sol actuel (couche inférieure argileuse) il est conseillé d'enlever la couche de forme actuelle (30 cm de calcaire plus 30 cm de sols argileux) afin de mettre en place 60 cm de calcaire, et d'élargir le décaissement au niveau de l'allée afin de limiter les tensions avec l'espace vert ; que concernant la couche supérieure à mettre en place, il est fortement déconseillé d'appliquer à nouveau des enrobés (même avec une couche de forme de 60 cm de calcaire), ce type de revêtement ayant déjà fissuré à deux reprises ; que la solution la plus adaptée est la mise en place d'un pavage bord à bord sans joint, ce type de pose permettant de concentrer l'effet de fissuration éventuelle entre les pavés sans gêne visuelle.
Il note enfin que la société Pannequin paysage a établi une offre de pavage avec la mise en place d'une couche de forme sur 60 cm le 30 janvier 2020 pour un montant de 32 879 euros TTC.
En conséquence, la société [B] sera condamnée à payer cette somme à Mme [K] en réparation de son préjudice matériel.
S'agissant du préjudice de jouissance, celui-ci résulte de la nature même des faits objet du présent litige. Cependant, il y a lieu de ramener à plus justes mesures les prétentions de Mme [K] à cet égard de sorte que la société [B] sera condamnée à lui payer la somme de 2000 euros en réparation.
En l'état, le préjudice esthétique n'est pas établi puisque la solution réparatoire préconisée par l'expert judiciaire a vocation à y remédier. Ainsi, si un préjudice esthétique a pu exister de manière temporaire, il se confond avec le préjudice de jouissance. En conséquence, Mme [K] sera déboutée de sa demande indemnitaire.
La garantie de l'assureur
La société MMA conteste sa garantie. À l'appui, elle rappelle que les travaux réalisés par la société [B], son assurée, consistaient bien en travaux de reprise pour tenter de mettre un terme aux désordres initiaux, d'autant que le maître d'ouvrage lui-même avait constaté une fissuration importante de l'enrobé ayant la même typologie que celle qui résultait des travaux réalisés précédemment par la société Lefèvre ; qu'en tout état de cause, les conditions de mobilisation de sa garantie ne sont pas réunies ; qu'en effet, le maître d'ouvrage rappelle que les travaux de réfection totale ont été réalisés par la société [B] en janvier et février 2018 mais qu'au cours de l'été 2018 une fissuration importante de l'enrobé est réapparue ; qu'or, il résulte du contrat la liant à la société [B] depuis le 1er janvier 2016 que, s'agissant de la garantie pour dommages intermédiaires, celle-ci exclut tous dommages à l'ouvrage pendant l'année de parfait achèvement ; que dès lors, la survenance d'une nouvelle fissuration étant manifeste à l'intérieur du délai de parfait achèvement, sa garantie n'est donc pas mobilisable ; que, s'agissant de la garantie RC, celle-ci exclut tout dommages à l'ouvrage.
Mme [K] n'a pas répondu sur ce point.
Appréciation de la cour
Il convient de rappeler que la responsabilité contractuelle de la société [B] est engagée pour avoir manqué à son obligation de conseil à l'égard de Mme [K] de sorte que seul le contrat de responsabilité civile professionnelle a vocation à être mobilisé.
En outre, sont mises à la charge de l'assuré les seules conséquences pécuniaires du manquement à cette obligation de conseil et non pas les dommages à l'ouvrage en eux-mêmes.
Selon les conditions particulières du contrat 141764640 H liant la société MMA à la société [B] depuis le 1er janvier 2016, la garantie responsabilité civile professionnelle (y compris responsabilité civile exploitation des locaux) a été souscrite tous dommages confondus.
Les conditions générales police MMA responsabilité civile professionnelle ajoutent: « nous garantissons aux conditions et limites fixées par le présent contrat les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile que vous pouvez encourir du fait des dommages corporels, matériels et immatériels causés à autrui et liés à l'exercice de l'activité professionnelle sous réserve des exclusions prévues ci-dessous ».
Cependant, la lecture de ces exclusions ne permet de relever aucune exclusion ayant trait aux conséquences pécuniaires du manquement de l'assuré à son obligation de conseil à l'égard du maître d'ouvrage.
En conséquence, la société MMA sera condamnée in solidum avec son assuré à payer à Mme [K] les sommes mises à la charge de la société [B] dans les conditions précisées au dispositif ci-après.
Les dispositions accessoires
Le sens du présent arrêt conclu à infirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné Mme [K] aux dépens.
En conséquence, la société [B] et la société MMA seront condamnés in solidum aux dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise, ainsi qu'à payer à Mme [K] la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en indemnisation de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS,
Statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition,
Infirme le jugement rendu le 25 mai 2023 par le tribunal judiciaire de Blois sauf en ce qu'il a débouté Mme [K] de ses demandes sur le fondement des articles 1792 et suivants du Code civil,
Et, statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit que la société [B] a manqué à son devoir de conseil à l'égard de Mme [K] et donc engagé sa responsabilité sur le fondement de l'article 1231-1 du Code civil,
En conséquence,
Condamne in solidum la société [B] et la société MMA, son assureur à payer à Mme [K] les sommes de :
- 32 879 euros, TVA au taux légal incluse avec indexation depuis le 30 janvier 2020, sur l'indice du coût de la construction jusqu'à la date du paiement effectif, en réparation de son préjudice matériel
- 2000 euros en réparation de son préjudice de jouissance,
Déboute Mme [K] du surplus de ses demandes indemnitaires,
Déboute la société MMA IARD Assurances mutuelles de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne in solidum la société [B] et la société MMA IARD Assurances mutuelles à payer à Mme [K] la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne in solidum la société [B] et la société MMA IARD Assurances mutuelles aux entiers dépens de première instance et d'appel en ce compris les frais d'expertise.
Arrêt signé par Mme Nathalie LAUER, Présidente de Chambre et Mme Karine DUPONT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT