CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 5 novembre 2025, n° 16/14776
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Hygien'eco (SARL)
Défendeur :
Kimberly-Clark (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Brun-Lallemand
Conseiller :
M. Richaud
Avocats :
Me Montoya, Me Guerre, Me Ponsard
FAITS ET PROCÉDURE
En liquidation judiciaire depuis le 3 avril 2015, la société Hygien'Eco avait pour activité la commercialisation de produits d'hygiène pour bébés auprès des comités d'entreprises et des professionnels de la petite enfance, tels que les crèches privées et publiques.
La société Kimberly-Clark SAS (ci-après « Kimberly-Clark ») est spécialisée dans la production et la commercialisation de produits d'hygiène corporelle et de soins pour bébés et enfants, notamment sous les marques « Kleenex » ou « Huggies ».
Ces deux sociétés ont entamé une relation commerciale à partir du mois d'août 2011, la société Kimberly-Clark fournissant des couches-culottes de la marque « Huggies » à la société Hygien'Eco qui les distribuait à ses clients dans le cadre de marchés publics conclus après appels d'offres.
Le 12 octobre 2012, le groupe Kimberly-Clark a annoncé se retirer du marché des couches en Europe, à l'exception de l'Italie.
La société Hygien'Eco a alors fait part de ses préoccupations à la société Kimberly-Clark , laquelle, par courriel du 26 octobre 2012, lui a confirmé ce retrait, décidé par sa société mère pour des motifs économiques.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 30 octobre 2012, la société Kimberly-Clark a précisé à la société Hygien'Eco qu'elle cesserait de l'approvisionner, à l'issue d'un préavis de trois mois, le 31 janvier 2013. Cette dernière date a été repoussée au 31 mars puis au 30 avril 2013, soit un préavis d'une durée de six mois.
Estimant que la rupture de leur relation commerciale lui avait causé un préjudice, la société Hygien'Eco en a, par plusieurs courriers, demandé réparation à la société Kimberly-Clark. Faute d'obtenir satisfaction, elle a, par acte du 11 juin 2013, assigné la société Kimberly-Clark devant le tribunal de commerce de Nanterre en demandant, notamment, sa condamnation, sur le fondement de l'article L. 442-6 du code de commerce, à lui payer diverses sommes à titre de dommages et intérêts.
Par jugement du 30 mai 2014, le tribunal de commerce de Nanterre s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Paris.
Déboutant la société Hygien'Eco, le tribunal de commerce de Paris a, par jugement du 23mai 2016 :
- dit que les relations commerciales établies n'ont pas été rompues de manière brutale et débouté Me [D] [T], ès-qualités de mandateur judiciaire liquidateur de la société Hygien'Eco, de ses demandes au titre de la perte des contrats conclus pour trois ans et des pertes subies en raison des achats effectués en Pologne ;
- débouté Me [D] [T], ès-qualités de mandateur judiciaire liquidateur de la société Hygien'Eco, de sa demande au titre de préjudice pour dépendance économique ;
- débouté Me [D] [T], ès-qualités de mandateur judiciaire liquidateur de la société Hygien'Eco, de ses demandes au titre de frais exposés pour la mise sous sauvegarde, au titre des salaires et traitements et au titre d'amende civile ;
- débouté la société Kimberly-Clark de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
- condamné Me [D] [T], ès-qualités de mandateur judiciaire liquidateur de la société Hygien'Eco, à payer à la société Kimberly-Clark la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, lesquels seront employés en frais de liquidation judiciaire de la société Hygien'Eco ;
- rejeté comme inopérantes ou mal fondées toutes conclusions plus amples ou contraires ou présent jugement et en a débouté respectivement les parties ;
- ordonné l'exécution provisoire du présent dispositif ;
- dit que les dépens de l'instance seront employés en frais privilégiés de la liquidation judiciaire de la société Hygien'Eco.
La société Hygien'Eco , représentée par Me [T], ès qualités de liquidateur judiciaire a interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe de la cour le 5 juillet 2016.
Le 11 décembre 2020, le tribunal de commerce de Pontoise a prononcé la clôture de la liquidation judiciaire de la société Hygien'Eco, en conséquence de quoi l'affaire a été radiée du rôle de la cour d'appel par ordonnance du 10 mars 2021. La liquidation ayant ensuite été réouverte pour permettre la poursuite de la procédure « jusqu'à l'obtention d'une décision de justice irrévocable », l'affaire a finalement été rétablie.
La société Hygien'Eco, représentée par Me [T], ès qualités de liquidateur judiciaire, aux termes de ses dernières conclusions transmises par RPVA le 6 mai 2025, demande à la cour au visa de l'ancien article 1134 du code civil, des nouveaux articles 1103 et 1200 du code civil, des articles L. 442-6 et L. 420-2 du code de commerce ainsi que des articles 699 et 700 du code de procédure civile :
- d'infirmer le jugement entrepris,
Le réformant,
- de déclarer la société Hygien'Eco recevable et bien fondée en son action,
- de juger fautive la résiliation unilatérale par la société Kimberly-Clark du contrat d'exclusivité commerciale la liant à la société Hygien'Eco,
A titre subsidiaire,
- de juger brutale la rupture par la société Kimberly-Clark des relations commerciales établies,
A titre très subsidiaire,
- de juger les contrats conclus par la société Hygien'Eco opposables à la société Kimberly-Clark ,
- de juger fautive la rupture par la société Kimberly-Clark des relations d'approvisionnement ,
En conséquence,
- de condamner la société Kimberly-Clark à payer à la société Hygien'Eco :
la somme de 2.124.000 euros au titre de la perte de la marge brute pour perte des contrats fermes conclus pour trois ans ;
la somme de 149.390 euros pour des pertes subies en raison des achats des produits en Pologne au lieu de les acheter en France ;
la somme de 34.149.995 euros au titre du préjudice pour dépendance économique ;
la somme de 10.000 euros au titre des frais exposés pour la mise sous sauvegarde ;
la somme de 117.044 euros au titre des salaires et traitements ;
la somme de 2.000.000 euros au titre de l'amende civile ;
Le tout assorti des intérêts légaux à compter de l'assignation du 11 juin 2013
- d'ordonner la compensation entre les sommes allouées à la société Hygien'Eco par la présente juridiction et le montant restant dû par la société Hygien'Eco à la société Kimberly-Clark ,
- de condamner la société Kimberly-Clark à payer à la société Hygien'Eco la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner la société Kimberly-Clark aux entiers dépens en ce inclus les frais prévus par l'article 10 du décret du 12 décembre 1996.
La société Kimberly France, aux termes de ses dernières conclusions transmises par RPVA le 6 juin 2025, demande à la Cour au visa des articles 1103, 1290 et 1315 du code civil, de l'article L. 442-5-I-5° ancien et de l'article L. 420-2 du code de commerce ainsi que des articles 9, 70, 699, 700 et 954 du code de procédure civile :
S'agissant de la demande sur le fondement de la rupture brutale,
- de constater que la société Kimberly-Clark n'a fait que répercuter la décision prise par sa société mère d'arrêter, pour des raisons économiques, la commercialisation de ses couches en Europe à l'exception de l'Italie,
- de constater que la société Hygien'Eco a en tout état de cause bénéficié d'un préavis de six mois, voire d'un an et deux mois pour une relation contractuelle d'un an et trois mois,
- de constater que la cessation des relations intervenue entre les sociétés Kimberly-Clark et Hygien'eco n'a pas présenté de caractère brutal,
- de constater qu'Hygien'eco n'établit pas l'existence d'un préjudice,
Et en conséquence,
- de confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 23 mai 2016 qui a dit et jugé qu'aucune rupture brutale au sens de l'article L. 442-6-I-5° du code de commerce ne saurait, au regard de la jurisprudence applicable en la matière, être imputée à la société Kimberly-Clark ,
S'agissant de la demande sur le fondement de la rupture contractuelle,
- de constater que l'article 1103 du code civil issu de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations n'est pas applicable à la présente espèce antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance,
- constater que la demande de la société Hygien'Eco sur le fondement de la responsabilité contractuelle repose sur l'existence de stipulations d'un prétendu contrat, à savoir la pièce n°41, pour lequel votre Cour a fait injonction à la société Hygien'Eco de produire l'original, injonction à laquelle la société Hygien'Eco n'a pas déféré alors que l'authenticité de cette pièce n'est pas établie, celle-ci devant en conséquence être écartée des débats,
- de constater qu'en l'absence de contrat écrit, la demande de la société Hygien'eco portant sur la rupture abusive avant terme d'un prétendu contrat à durée déterminée est infondée,
- de constater qu'avec cette demande sur un fondement contractuel, la société Hygien'Eco réclame une indemnisation au titre de son préjudice résultant soit d'une rupture contractuelle abusive du prétendu contrat d'exclusivité versé en pièce n° 41, soit d'une rupture des relations commerciales établies relevant de la responsabilité délictuelle et en application du principe de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle, constater que la demande est irrecevable,
Par ailleurs,
- de constater que la rupture n'est pas imputable à la société Kimberly-Clark mais à sa société mère qui a décidé de sortir du marché des couches en Europe, ce qui constituait pour la société Kimberly-Clark , ainsi que le reconnaît la jurisprudence, un cas de force majeure,
- de constater que la société Kimberly-Clark n'a pas imposé le préavis de 6 mois à la société Hygien'Eco mais l'a négocié avec elle,
- de constater qu'il ressort clairement des circonstances de l'espèce, que le contrat a, dans les faits, été exécuté jusqu'à son terme.
En conséquence,
- de juger que la responsabilité de la société Kimberly-Clark ne saurait être engagée sur le fondement de la rupture fautive de sa prétendue relation contractuelle avec la société Hygien'Eco,
Et en conséquence,
- de rejeter l'ensemble des demandes de l'appelante,
- de fixer le montant de la créance de la société Kimberly-Clark au passif de la société Hygien'Eco à la somme de 20.000 euros en plus de sommes déjà inscrites au passif de cette société,
A titre reconventionnel,
- de constater que la procédure engagée par la société Hygien'Eco est abusive,
En conséquence
- d'infirmer le jugement en ce qu'il a écarté cette demande,
- fixer le montant de la créance de la société Kimberly-Clark au passif de la société Hygien'Eco à la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts,
En tout état de cause,
- de rejeter les pièces adverses n° 20, 21, 41 et 42 qui sont douteuses et dont la société Hygien'Eco n'apporte par les originaux,
- de condamner la société Hygien'Eco à verser à la société Kimberly-Clark la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de fixer également cette créance au passif de cette société,
- de condamner la société Hygien'Eco aux dépens,
A titre reconventionnel, si par impossible la Cour devait entrer en condamnation à l'encontre de la société Kimberly-Clark ,
- de compenser la dette de la société Kimberly-Clark telle qu'elle résultera du jugement avec la créance qu'elle détient sur la société Hygien'Eco d'un montant de 232.855,96 euros.
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise ainsi qu'aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 1er juillet 2025.
* * *
MOTIVATION
La société Hygien'Eco demande diverses sommes à titre de dommages et intérêts en réparation de la rupture, qu'elle juge fautive, des relations commerciales qu'elle entretenait avec la société Kimberly-Clark. Elle donne à cette demande plusieurs fondements qu'elle développe à titre principal et subsidiaire, et qui seront examinés ci-après.
Sur la rupture fautive du contrat
A titre principal, la société Hygien'Eco, représentée par son liquidateur judiciaire, ès qualités expose qu'elle a découvert, à l'issue de « recherches entreprises au sein des archives de la liquidation judiciaire », le « contrat définitif » conclu avec la société Kimberly-Clark , en date du 7 septembre 2011, d'une durée déterminée de trois ans, soit jusqu'au 7 septembre 2014, et tacitement reconductible sauf résiliation avec un préavis de six mois. Elle expose que ce contrat, qu'elle communique en copie en pièce n° 41, stipule, notamment, que la société Kimberly-Clark accorde pendant 36 mois à Hygien'Eco « l'exclusivité de la vente des produits de sa gamme Huggies Super [Localité 6], Step In aux marchés publics petite enfance », ce qui implique l'engagement d'approvisionner Hygien'Eco pendant 36 mois et que la société Hygien'Eco s'engage à informer Kimberly-Clark « de chacun des contrats signés afin d'anticiper les volumes de fabrication ». Elle soutient que la société Kimberly-Clark a mis fin à ce contrat de façon unilatérale et prématurée, en invoquant exclusivement la décision de cesser la commercialisation des produits qui en étaient l'objet, et que cette rupture anticipée est fautive et ouvre droit à réparation. L'appelante invoque sur ce point les dispositions de l'article 1134, devenue 1103, du code civil, d'où la jurisprudence a tiré la conséquence que les parties sont tenues de respecter le terme d'un contrat d'une durée déterminée, sauf manquement particulièrement grave de l'une des parties. Elle observe que la cessation de la commercialisation des couches, décidée par la société-mère de la société Kimberly-Clark, ne caractérise en rien un tel manquement.
La société Kimberly-Clark conteste l'existence même du contrat invoqué par son adversaire, dont elle dit n'en avoir « aucune connaissance ». Elle rappelle qu'il n'a été communiqué de ce prétendu contrat qu'une copie, la veille de la première audience de plaidoiries, qu'elle a, en vain, demandé à prendre connaissance de l'original et que, par ordonnance du 3 mars 2020, le conseiller de la mise en a ordonné la production en original, cette ordonnance n'étant toujours pas exécutée. Elle en conclut que cette simple copie ne saurait constituer une preuve suffisante des allégations de la société Hygien'Eco, représentée par son liquidateur judiciaire, ès qualités . Enfin, elle fait valoir que cette société, ce faisant, engage sa responsabilité sur un terrain contractuel, se cumulant avec la responsabilité délictuelle qu'elle invoque par ailleurs sur le fondement de l'article L. 442-6 du code de commerce.
Réponse de la cour
Ainsi que l'a constaté le conseiller de la mise en état dans son ordonnance du 3 mars 2020 (pièce Kimberly-Clark n° 20), le contrat qu'invoque la société Hygien'Eco est contesté par la société Kimberly-Clark « dans son existence même », mais « sert de base à un fondement contractuel nouveau » ; relevant en outre qu'une « procédure éventuelle de vérification de la signature contestée de cette pièce ['] n'est possible qu'au vu d'un original », le magistrat a, en conséquence, ordonné la communication de ce contrat en original, « sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compte du 3ème jour suivant la signification de la présente décision et pendant quatre mois ». Le liquidateur de la société Hygien'Eco n'ayant pas déféré à cette injonction, la société Kimberly-Clark lui a adressé, le 22 mai 2025, une injonction de communiquer cet original restée vaine (pièce Kimberly-Clark n° 21). Force est de constater, dans ces conditions, que la pièce n° 41 produite par la société Hygien'Eco ne présente pas de garanties suffisantes d'authenticité ; elle sera donc écartée des débats.
A titre surabondant, on constatera qu'en toute hypothèse, la société Hygien'Eco, représentée par Me [T], ès qualités de liquidateur judiciaire ayant exposé que ce contrat contient une clause par laquelle la société Kimberly-Clark lui accorde pendant 36 mois « l'exclusivité de la vente des produits de sa gamme Huggies Super [Localité 6], Step In aux marchés publics petite enfance », en tire la conséquence que cette même clause « implique l'engagement d'approvisionner Hygien'Eco pendant 36 mois » (concl. p. 11). ; cependant, elle ne justifie ni n'explique cette conclusion, de sorte que celle-ci ne contredit en rien le constat du tribunal selon lequel la société Hygien'Eco « a[vait] pris le risque de s'engager sur ce marche sans s'assurer d'un partenariat engageant pour KFC pour la durée des engagements quelle prenait au titre des appels d'offres » (jugement p. 8).
Il n'y a pas lieu, en revanche, d'écarter les pièces n° 20 et 21 dont il avait été débattu devant le tribunal et dont celui-ci a tenu compte dans la motivation de son jugement.
Sur la rupture brutale des relations commerciales établies
Subsidiairement, la société Hygien'Eco, représentée par Me [T], ès qualités de liquidateur judiciaire, fait valoir qu'elle entretenait avec la société Kimberly-Clark une relation « suivie, stable et habituelle », qu'il convient de considérer comme « établie » au sens de l'article L. 442-6 du code de commerce. Elle soutient, ensuite, que la rupture de cette relation a été « imprévisible, soudaine et violente » et qu'elle présente donc un caractère de brutalité qui la fait tomber sous le coup des dispositions de cet article. Elle indique que les ventes de produits de la marque « Huggies », que la société Kimberly-Clark a cessé de lui fournir, représentaient 80 % de son chiffre d'affaires total, qui s'élevait à 100 000 € HT /mois, qu'elle était engagée à l'égard de ses clients pour une durée de trois ans en moyenne et que par suite des exclusivités en vigueur sur le marché des couches, il lui avait été impossible de remplacer les produits « Huggies » par des produits d'autres marques. Elle en conclut que le préavis de six mois que lui a accordé la société Kimberly-Clark était insuffisant et soutient que ce préavis aurait dû être de 36 mois, durée des contrats qui la liaient à ses propres clients.
En défense, la société Kimberly-Clark soutient, en premier lieu, que la cessation de ses relations commerciales avec la société Hygien'Eco ne lui est pas imputable, puisqu'elle n'a pu que répercuter la décision de sa société mère. Cette cessation ne présente donc pas le caractère d'un « choix délibéré » que, selon elle, la jurisprudence exige, alors, de surcroît, qu'elle est la conséquence de la conjoncture économique la rendant inéluctable. En second lieu, elle expose qu'en tout état de cause, la cessation ne présente pas de caractère brutal puisque le préavis de six mois qu'elle a accordé était suffisant au regard tant de la durée de la relation commerciale ' un an et trois mois ' que des autres circonstances de l'espèce, tenant à l'absence d'investissement spécifique, la part relativement limitée de la vente de ses produits dans le chiffre total de la société Hygien'Eco, le caractère très concurrentiel du secteur rendant facile le remplacement d'une marque par une autre. Enfin, elle prétend que le préavis de six mois, loin d'avoir été unilatéralement imposé, a été convenu avec la société.
Réponse de la cour
Il est constant qu'ayant débuté au mois d'août 2011 et pris fin en octobre 2012, la relation commerciale établie entre les sociétés Hygien'Eco, représenté par Me [T], ès qualités de liquidateur judiciaire et Kimberly-Clark a duré un an et trois mois. Cette relation, par ailleurs, n'a exigé de la part de la société Hygien'Eco aucun investissement spécifique et, enfin, s'est inscrite dans un secteur concurrentiel. Sur ce dernier point, sans doute ne peut-on aller jusqu'à affirmer, comme le fait l'intimée, que le remplacement d'un produit par un autre est « très aisé » (concl. p. 24), mais il reste possible et ne se heurte à aucun obstacle qui l'empêcherait. Au demeurant, ainsi que la cour le relèvera plus loin, la société Hygien'Eco pouvait durant le préavis comme tout au long du contrat s'approvisionner auprès d'autres fournisseurs, sans être tenue par aucune exclusivité d'achat et, selon la juste motivation du tribunal, « restant libre de diversifier ses fournisseurs » (jugement p. 8 al. 1).
Compte tenu de ces constatations, le préavis d'une durée de six mois accordé par la société Kimberly-Clark apparaît suffisant.
A l'inverse, les arguments que développe la société Hygien'Eco, représentée par Me [T], ès qualités de liquidateur judiciaire à l'appui de sa demande tendant à ce que la cour fixe à trois ans la durée du préavis ne peuvent être retenus. En premier lieu, s'agissant de la dépendance économique invoquée à l'égard de la société Kimberly-Clark, force est de constater ' outre que la dépendance économique ne saurait se déduire du seul flux d'affaires entre les partenaires - que les parties avancent des données contradictoires, sans les justifier : la part dans le chiffre d'affaires total de la société Hygien'Eco des ventes de produits « Huggies » fournis par la société Hygien'Eco, représentée par Me [T], ès qualités de liquidateur judiciaire s'élèverait, selon l'appelante, à 70 % (concl. p. 21) ou 80 (concl. p. 3 et 13), alors que selon l'intimée, qui juge ces données « mensongères » (conc. p. 55), elle serait en réalité de l'ordre de 10 % en 2011 et 30 % en 2012, donc « relativement limitée » et n'entrainant aucune dépendance économique (concl. p. 42). En toute hypothèse, les relations d'exclusivité qu'invoque la société Hygien'Eco sont des exclusivités de ventes consenties par la société Kimberly-Clark, et non pas d'achat, ainsi que le tribunal l'a souligné à juste titre dans son jugement, la société Hygien'Eco « restant libre de diversifier ses fournisseurs » (jugement p. 8 al. 1). En second lieu, la société Hygien'Eco fait valoir, pour justifier l'octroi d'un préavis d'une durée de trois ans, qu'avait été établi avec la société Kimberly-Clark un « partenariat commercial », dans le cadre duquel elle ne s'engageait pas dans des marchés publics « sans l'accord préalable de Kimberly-Clark » (concl. p. 2). Contestée par la société Kimberly-Clark, cette affirmation ne correspond pas aux éléments du dossier : sans doute la société Hygien'Eco a-t-elle communiqué, comme elle le fait valoir, certains de ses appels d'offres avant de s'engager, mais on ne saurait y voir un « accord » formel, comme l'a justement constaté le tribunal qui a relevé que la société Hygien'Eco « a[vait] pris le risque de s'engager sur ce marché sans s'assurer d'un partenariat engageant pour KCF pour la durée des engagements qu'elle prenait au titre des appels d'offres » (jugement p. 8 al . 5).
Sur l'opposabilité à la société Kimberly-Clark des contrats conclus par la société Hygien'Eco
A titre très subsidiaire, La société Hygien'Eco, représentée par Me [T], ès qualités de liquidateur judiciaire invoque le nouvel article 1200 du code civil selon lequel « Les tiers doivent respecter la situation juridique créée par le contrat ». L'appelante en déduit que « sauf à engager sa responsabilité délictuelle, Kimberly-Clark ne pouvait rompre unilatéralement son engagement de fournir les couches culottes objets des contrats conclus, avec son accord, par Hygien'Eco sur toute la durée de trois ans de ces conventions ».
Réponse de la cour
La cour ayant écarté la pièce n° 41, le moyen qui en tire l'interdiction pour la société Kimberly-Clark de cesser d'approvisionner la société Hygien'Eco pendant la durée des contrats passés par celle-ci devient sans objet.
Sur l'abus de dépendance économique
La société Hygien'Eco soutient qu'elle était dans un état de dépendance économique à l'égard de Kimberly-Clark et que celle-ci en a abusé. A ce titre, elle fait valoir, d'une part, que les ventes de couches « Huggies » que lui fournissait la société Kimberly-Clark représentait 70 % de son chiffre d'affaires, que cette marque était une « référence » auprès des professionnels et qu'elle ne disposait d'aucune solution alternative et, d'autre part, que la société Kimberly-Clark a abusé de cette situation de dépendance en lui vendant vendu des couches « au prix les plus bas du marché et des conditions de paiements et volume exceptionnels sur ce marché », ces conditions exceptionnelles l'ayant placée « dans l'impossibilité de trouver d'autres fournisseurs » (concl. p. 22 et 23). Elle ajoute que la société Kimberly-Clark, « en proposant des prix de vente inférieurs à ceux de son concurrent », a « utilisé anormalement sa position dominante pour inonder le marché en embarquant la société Hygien'Eco avec elle » (concl. p. 21, 22 et 23). Quant au préjudice résultant de l'abus de dépendance économique qu'elle allègue, l'appelante se réfère aux dispositions légales relatives au montant maximum des sanctions pécuniaires que l'Autorité de la concurrence peut infliger aux auteurs de pratiques anticoncurrentielles, fixé à 10 % de leur chiffre d'affaires. Elle en conclut que le chiffre d'affaires de la société Kimberly-Clark s'étant élevé en 2012 à 341 499 952 €, il convient de lui allouer la somme 34 149 995 € au titre du préjudice pour dépendance économique.
En défense, la société Kimberly-Clark rappelle que la dépendance économique, au sens des textes qui en sanctionnent l'abus, ne peut procéder du seul constat qu'un distributeur réalise une part importante, voire exclusive, de son approvisionnement auprès d'un seul fournisseur et qu'en particulier, elle suppose également l'absence de solution équivalente. Elle soutient qu'en l'espèce, d'une part, la dépendance n'est pas caractérisée et, d'autre part, qu'aucun abus n'est démontré. C'est ainsi qu'elle fait valoir que la marque « Huggies » n'était pas particulièrement notoire, notamment par rapport à la marque « Pampers », et qu'elle ne représentait qu'une faible part - 9,6 % - du marché des couches en France, que l'affirmation de la société Hygien'Eco selon laquelle les ventes de couches de cette même marque représentaient 70 % de son chiffre d'affaires sont mensongères puisqu'elles ne représentaient en réalité qu'environ 30 % en 2012, et, enfin, qu'il lui était facile de s'approvisionner auprès d'autres concurrents. Sur le préjudice, que la société Hygien'Eco a chiffré en utilisant la méthode de calcul des sanctions pécuniaires prononcées par l'Autorité de la concurrence, l'intimée considère qu'il traduit « une profonde méconnaissance non seulement des règles de droit de la concurrence mais étalement des règles de droit civil (règle de la réparation intégrale) ».
Réponse de la cour
L'abus de dépendance économique, tel qu'il est prohibé et sanctionné par l'article L. 420-2 du code de commerce, suppose la réunion de trois conditions cumulatives : l'exsitence d'une situation de dépendance économique d'une entreprise à l'égard d'une autre, une exploitation abusive de cette situation et une affectation, réelle ou potentielle, du fonctionnement ou de la structure de la concurrence. En l'absence de l'une de ces trois conditions, l'abus de dépendance économique n'est pas établi.
Au cas d'espèce, il a été démontré plus haut que la dépendance économique de la société Hygien'Eco par rapport à la société Kimberly-Clark n'était pas établie. Ainsi, on se bornera à rappeler que les données contradictoires fournies, sans être justifiées, par les parties ne permettent pas d'établir avec suffisamment de certitude que la part des ventes de couches « Huggies » que lui fournissait la société Kimberly-Clark représentait 70 % de son chiffre d'affaires, étant entendu, ainsi que le souligne justement l'intimée, qu'il est de jurisprudence constante que le constat qu'un distributeur réalise une part importante, voire exclusive, de son approvisionnement auprès d'un seul fournisseur ne démontre pas, à lui seul, une situation de dépendance économique. De la même façon, comme la cour l'a constaté ci-dessus, des contrats qui ont été passés entre les parties, quelles que soient par ailleurs les critiques que la société Kimberly-Clark leur adresse sur le terrain de leur authenticité, il ne ressort pas que la société Hygien'Eco ait été empêchée de changer de fournisseur.
En ce qui concerne en toute hypothèse l'abus reproché, à supposer la société Hygien'Eco soit considérée comme en état de dépendance économique à l'égard de la société Kimberly-Clark, l'appelante ne démontre pas en quoi les pratiques qu'elle lui reproche ' qui auraient consisté à lui vendre les couches à bas prix ' auraient revêtu un caractère abusif à son préjudice. De la même façon, l'affectation de la concurrence, dans sa structure ou son fonctionnement, n'est pas plus démontrée puisque l'appelante se borne à affirmer que la société Kimberly-Clark, dont elle dit qu'elle ne vendait pas à perte, avait our objectif d' » inonder le marché de la petite enfance » et qu' » au rythme où allaient les ventes », elle « serait devenu leader sur le marché de la petite enfance en moins de 10 ans » (concl. p.24): pas plus l'objectif prêté à la société Kimberly-Clark que les perspectives de sa croissance dans les dix prochaines années ne sauraient caractériser une affectation, même potentielle, de la concurrence sur son marché.
Le jugement sera donc confirmé.
Sur les demandes accessoires
Les dispositions du jugement entrepris relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance, fondées sur une exacte appréciation, seront confirmées.
Bien que la société Hygien'Eco, représentée par son liquidateur judiciaire, ès qualités succombe à nouveau en cause d'appel, les éléments du dossier ne caractérisent pas suffisamment un abus de sa part du droit d'agir en justice. La demande de condamnation pour procédure abusive sera en conséquence rejetée.
Le jugement étant confirmé, la demande de condamnation à une amende civile sera rejetée.
En vertu de l'article L 622-17 I du code de commerce auquel renvoie l'article L 641-13 en matière de liquidation judiciaire, les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation, ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pendant cette période, sont payées à leur échéance. Le critère de détermination du caractère postérieur ou antérieur des créances au sens du droit des procédures collectives est leur fait générateur ainsi que l'induit la référence expresse à leur naissance. La loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 a néanmoins ajouté un critère d'utilité au critère chronologique. Introduite pour accroître l'actif de la société Hygien'eco, l'action était, en son principe, utile à la procédure collective et à la satisfaction des intérêts des créanciers. Aussi, les créances au titre des dépens et des frais irrépétibles, constituées par l'arrêt, peuvent être considérées comme nées pour les besoins du déroulement de la procédure.
Succombant en son appel, la société Hygien'eco prise en la personne de son liquidateur judiciaire, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, sera condamnée à supporter les dépens d'appel ainsi qu'à payer à la société Kimberly-Clark la somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Ecarte des débats le pièce n° 41 produite par la société Hygien'Eco ;
Confirme le jugement entrepris ;
Rejette la demande de condamnation à une amende civile ;
Rejette la demande de condamnation pour procédure abusive ;
Rejette toute autre demande plus ample ou contraire ;
Condamne la société Hygien'Eco, représenté par Me [T], ès qualités de liquidateur judiciaire aux dépens d'appel et à payer à la société Kimberly-Clark SAS, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 15 000 euros.