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Décisions

CA Riom, ch. soc., 4 novembre 2025, n° 22/01895

RIOM

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CA Riom n° 22/01895

4 novembre 2025

04 NOVEMBRE 2025

Arrêt n°

ChR/NB/NS

Dossier N° RG 22/01895 - N° Portalis DBVU-V-B7G-F4KS

ASSOCIATION POUR ADULTES ET JEUNES HANDICAPES DE L'ALLIER

/

[J] [L]

jugement au fond, origine conseil de prud'hommes - formation de départage de montluÇon, décision attaquée en date du 13 septembre 2022, enregistrée sous le n° f 20/0037

Arrêt rendu ce QUATRE NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d'Appel de RIOM, composée lors du délibéré de :

M. Christophe RUIN, Président

Mme Karine VALLEE, Conseiller

Mme Clémence CIROTTE, Conseiller

En présence de Mme Nadia BELAROUI greffier lors des débats et du prononcé

ENTRE :

ASSOCIATION POUR ADULTES ET JEUNES HANDICAPES DE L'ALLIER

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représentée par Me Marlene BAPTISTE, avocat au barreau de CUSSET/VICHY

APPELANTE

ET :

Mme [J] [L]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Comparante à l'audience, assistée de Me Jean-louis BORIE de la SCP BORIE & ASSOCIES, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

INTIMEE

M. RUIN, Président en son rapport, après avoir entendu, à l'audience publique du 08 septembre 2025, tenue par ce magistrat, en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans qu'ils ne s'y soient opposés, les représentants des parties en leurs explications, en a rendu compte à la Cour dans son délibéré après avoir informé les parties que l'arrêt serait prononcé, ce jour, par mise à disposition au greffe conformément aux dispositions de l'article 450 du code de procédure civile.

FAITS ET PROCÉDURE

Madame [J] [L], née le 30 juin 1960, a été embauchée à compter du 13 mars 2000 par l'association départementale pour adultes et jeunes handicapés comité de l'Allier (ci-après désignée 'APAJH 03'), suivant un contrat de travail à durée indéterminée, avec une convention de forfait annuel en jours, en qualité de chef de service éducatif. La convention collective nationale applicable à la relation contractuelle est celle de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966.

Selon avenant signé par les parties en date du 30 septembre 2006, Madame [J] [L] a été promue au poste de directrice d'établissement (classe 1, niveau 2, coefficient 848), à compter du 2 octobre 2006.

Selon avenant signé par les parties en date du 1er octobre 2017, Madame [J] [L] a été affectée au poste de directrice du dispositif APAJH 03 (catégorie cadre, hors classe coefficient 1280) à compter de cette date.

Par décision du 27 septembre 2018, le conseil d'administration de l'association départementale APAJH 03 a prononcé la radiation de Monsieur [U] [N], président, de sa qualité de membre de l'association. Ce dernier a formé un recours à l'encontre de cette décision devant le juge des référés du tribunal de grande instance de MONTLUÇON.

Par ordonnance rendue le 26 décembre 2018, le tribunal administratif de MONTLUÇON a annulé la délibération du conseil d'administration de l'association départementale APAJH 03 du 27 septembre 2018, constatait l'absence de bureau régulièrement constitué, jugeait que toutes les délibérations postérieures prises par les organes de délibération devaient être annulées et désignait provisoirement Maître [F] [WR] afin de gérer l'administration courante de l'association et organiser l'élection d'un nouveau bureau.

Le 17 janvier 2019, Maître [F] [WR] donnait mandat à Madame [J] [L] pour gérer les affaires courantes de l'association dans le cadre de ses fonctions de directrice.

Le 17 décembre 2019, un nouveau conseil d'administration a été élu. Le nouveau bureau et le président de l'association, Monsieur [Z], étaient élus le 7 janvier 2020.

Par courrier recommandé (avec avis de réception) daté du 4 mars 2020, l'association APAJH 03 a convoqué Madame [J] [L] à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement et lui a notifié sa mise à pied à titre conservatoire. L'entretien s'est tenu le 18 mars 2020, Madame [J] [L] ayant été assistée par Madame [T], membre du CSE.

Par requête expédiée le 12 mars 2020, Madame [J] [L] a saisi le conseil de prud'hommes de MONTLUÇON aux fins notamment de voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur, juger en conséquence que la rupture du contrat de travail produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre obtenir le paiement des indemnités de rupture afférentes, ainsi que l'indemnisation du préjudice subi outre un rappel de salaire sur mise à pied conservatoire.

Par courrier recommandé (avec avis de réception) daté du 26 mars 2020, l'association APAJH 03 a licencié Madame [J] [L] pour faute grave.

Le courrier de notification est ainsi libellé :

'...Si vous avez la responsabilité d'effectuer et gérer les achats courants pour les différents établissements de l'association, nous avons pu constater que vous ne respectiez les procédures internes.

Comme vous le savez, toute dépense d'un montant supérieur à 500€ doit donner lieu à la mise en concurrence de 3 fournisseurs et à la réalisation de 3 devis, avant qu'elle ne soit validée.

Or, nous vous avons demandé, le 3 février dernier, de nous justifier, pour chaque achat de plus de 500 euros [notamment des ordinateurs et des caméras de vidéo surveillance], les devis que vous auriez dû faire faire en amont.

Vous ne nous avez transmis aucun devis, ni fournis aucune explication suite à cette demande expresse, pas plus que lors de l'entretien préalable.

Compte tenu de votre mutisme, nous avons fait un état des lieux des dépenses que vous aviez engagées pour le compte de l'association.

Sur le 2ème grief, A titre d'exemples, vous deviez assurer la mise en place du règlement général de la protection des données [RGPD] au sein de la structure.

Alors que vous connaissez les procédures applicables pour engager l'association sur toute commande, vous avez fait 1e choix de vous dispenser de toute mise en concurrence pour signer un devis daté du 6 janvier 2020 d'un montant de 63.900€ avec le cabinet MAZARD. En procédant de la sorte et sans délibération du Conseil d'administration, vous avez outrepassé vos fonctions de directrice alors QUE vous êtes habituellement en charge de la gestion courante des affaires de l'association.

De telles dépenses n'entrent pas dans la gestion courante des affaires de l'association, ce que vous pouviez ignorer.

Par votre légèreté et votre manque de conscience professionnelle, compte tenu des montants en jeu, vous avez engagé financièrement l'association sur un montant déraisonnable alors que d'autres associations APAJH ont pu obtenir des tarifs bien moindres.

Aussi, suite à cette découverte, nous avons sollicité l'organisme RESSOURCIAL, l'un des prestataires que d'autres associations APAJH ont choisi, lequel nous a fait parvenir, début mars 2020, un devis d'un montant de 13.680€ pour la mise en conformité RGPD & pour un délégué à la protection des données mutualisé (DPD) ».

Sur le troisième grief, dans la même logique, nous avons récemment découvert que vous aviez acheté plusieurs véhicules dont le montant cumulé atteint la somme de 45.000€.

Il est inutile de vous rappeler que de tels engagements ne constituent pas non plus des actes de gestion courante.

Vous nous avez indiqué lors de l'entretien préalable que vous aviez agi à la demande du comptable, prestataire extérieur de l'association. Or, en votre qualité de Directrice du dispositif APAJH 03 ,vous deviez faire preuve de clairvoyance et ne procéder qu'aux achats strictement nécessaires au bon fonctionnement de l'association dans l'attente d'une sortie de crise.

Vous avez 15 encore dépassé les limites des fonctions dont vous êtes investie, sans avoir manifestement conscience du risque financier ainsi généré pour l'association.

Pourtant, vous n'ignoriez pas que notre association, placée sous administration provisoire, suivant ordonnance du juge des référés en date du 26 décembre 2018, rencontrait ' une crise significative et grave pouvant mettre en péril le groupement même».

La légèreté dont vous avez fait preuve en prenant de telles décisions caractérise un manquement professionnel évident.

Vous n'avez en effet pas pris la mesure de la fébrilité structurelle que connaît notre association pour valider des engagements financiers inconsidérés.

Sur le 4ème grief, autre exemple, pour 1e Foyer d'Accueil Médicalisé de [Localité 7], vous avez procédé à l'achat d'une machine à laver et d'un sèche-linge pour un montant global avoisinant 17.000€. Or, suite à une panne de la machine à laver de ce foyer au premier trimestre 2018, le

Conseil d'administration de l'association avait décidé, en votre présence et suivant délibération du 28 avril 2018, de sous-traiter cette prestation aux ateliers de ,l'APAJH 03 à savoir les laveries de [Localité 8].

Or, contre toute attente et alors même que vous aviez connaissance de cette décision qui n'était pas nouvelle, vous avez passé outre cette délibération en procédant à ces achats de machines industrielles.

Lors de l'entretien préalable, vous avez cru devoir minimiser la situation indiquant que les machines en question s'am01"tissaient sur 10 ans et que cela représentait donc peu par an..

Vous avez fait, une fois de plus, selon votre bon vouloir, pris une décision contraire à une délibération du conseil d'administration ce qui caractérise à nouveau votre insubordination.

A cela s'ajoute des engagements contractuels très contraignants pour l'association par exemple la signature d'un contrat avec la société PAREDES de fourniture de produits d'entretien pour près de 1.000 euros par moi contenant des majorations excessives en cas de dépassement des quantités.

Au-delà des dépenses financières déraisonnables que vous avez engagées et ce sans respecter les procédures élémentaires, nous avons été informés de problèmes managériaux et de positionnement de votre part totalement incompatibles avec la fonction que vous occupez au sein de l'association.

EN effet, la qualiticienne nous a alerté sur sa situation de détresse psychologique liée à une remise en cause systématique et persistante par vous-même de son travail et à l'absence de suivi de toutes ses recommandations depuis maintenant plusieurs mois.

Elle rapporte de manière précise et circonstanciée subir un déni de sa fonction, une absence de soutien hiérarchique pour les travaux validés en qualité, une absence quasi systématique de réponse à ses interrogations et une absence de communication d'informations et de documents indispensables dans l'exercice de ses fonctions, une remise en cause de son travail devant nos partenaires, les membres du CSE ou les collaborateurs, une prise de décision de votre part dans le domaine de la qualité sans concertation préalable ni demande d'avis.

Cette souffrance dont vous êtes directement à l'origine a conduit la salariée à saisir le médecin du travail et à être placée en arrêt pendant plusieurs semaines.

A son retour et suite à l'élection du nouveau bureau, la salariée a, de nouveau, porté à notre connaissance les difficultés relationnelles persistantes auxquelles elle était confrontée avec vous, alors pourtant qu'un rendez-vous avait été organise avec le médecin du travail en sa présence et en votre présence pour trouver une solution et mettre fin à sa souffrance. Aussi, nous avons dû l'isoler de vous dans1'attente qu'une décision soit prise à votre égard et permettre à cette personne d'exercer ses fonctions dans de bonnes conditions.

Votre comportement à l'égard de cette salariée a nuit an service qualité, pourtant incontournable à la mise en place et à l'amélioration du dispositif APAJH 03 dont vous êtes la garante.

Ces agissements envers Madame [DN] sont confirmés par les témoignages de plusieurs collaborateurs, témoins directs des faits qui rappellent que vous entreteniez un conflit permanent avec elle sans raison objective.

Plusieurs autres collaborateurs nous ont également alerté sur leur mal-être professionnel et expliquent que vous en êtes le fait générateur.

A titre d'exemples, Madame [I] [D] se plaint d'une absence de communication de votre part, d'une remise en cause de son travail sans justification sérieuse et d'une surveillance tatillonne.

Vous avez instauré un climat de suspicion au sein de l'association qui dégrade l'ambiance générale de travail en vous alliant avec les membres du CSE.

Madame [H] rapporte que vous êtes régulièrement 'en réunion' avec les membres du CSE et que depuis l'élection du nouveau bureau, les membres du CSE et vous-même ne saluaient plus les personnes présentes au siège.

Madame [D] nous rapporte également que vous avez transmis aux membres du CSE son mail du 18 février 2020 aux termes desquelles elle sollicitait les bons de délégation des représentants du personnel.

Mesdames [WY] et [T], représentantes du personnel, sont alors venues at sa rencontre reprenant les termes de son mail et l'ont malmenée pendant plusieurs minutes prétextant qu'elle n'aurait pas à suivre leurs heures de délégation. Outre le fait que cet incident n'a fait qu'ajouter à la souffrance de cette collaboratrice, il confirme votre problème de positionnement à l'égard des représentants du personnel face auxquels vous devriez faire preuve d'impartia1ité, de fermeté et de réserves.

Madame [H] nous a également rapporté plusieurs faits de votre part relatant des excès d'autorité totalement injustifiés et à l''origine de sa souffrance psychologique tels que l'interdiction d'ouvrir les recommandés alors qu'e1le l'avait toujours fait jusqu'à présent, le refus injustifié de lui octroyer des congés, le refus de lui signer une demande de remboursement de frais...

Elle rappelle même qu'elle a soutenu trois de ses collègues de travail en souffrance psychologique at cause de vous.

Ces mêmes salariées relatent également que votre comportement s'est encore dégradé

depuis l'élection du nouveau bureau a l'égard duquel vous faites preuve d'un mépris sans précédent n'hésitant pas à la dénigrer et à faire peur aux salaries quant à la pérennité de leurs emplois.

Vos relations avec ces salariées comme bon nombre d'autres collaborateurs confirment que vous n'avez pas pris la mesure de votre rôle au sein de l'association et que votre comportement est totalement inadapté.

Votre attitude et votre manière de vous adresser aux collaborateurs n'est pas celle que nous étions en droit d'attendre d'un cadre de votre niveau. L'ambiance auprès des équipes est délétère et liée à votre seul comportement, ce qui a donné lieu à plusieurs alertes auprès de la médecine du travail'.

La première audience devant le bureau de conciliation et d'orientation a été fixée au 26 juin 2020 (convocation notifiée au défendeur le 4 juin 2020) et, comme suite au constat de l'absence de conciliation, l'affaire été renvoyée devant le bureau de jugement.

Par jugement de départage (RG 20/00037) rendu contradictoirement le 13 septembre 2022 (audience du 5 juillet 2022), le conseil de prud'hommes de MONTLUÇON a :

- Prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de Madame [J] [L] aux torts exclusifs de l'Association Nationale pour Adultes et Jeunes Handicapés du Comité de L'Allier avec prise d'effet à la date du licenciement ;

- Dit en conséquence que la résiliation entraîne les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

- Condamné l'Association APAJH 03 à payer à Mme [J] [L] les sommes suivantes :

* 3.485,82 euros bruts à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire, outre 348,00 euros bruts au titre des congés payés afférents,

* 35.514,00 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 3 551.00 euros bruts au titre des congés payés afférents,

* 106.542,00 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

* 60.000,00 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 2.000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné l'association nationale pour adultes et jeunes handicapés du comité de l'Allier, prise en la personne de son président en exercice, aux entiers dépens ;

- Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement.

Le 27 septembre 2022, l'association APAJH 03 a interjeté appel de ce jugement qui lui a été notifié à sa personne le 19 septembre précédent.

Vu les conclusions notifiées à la cour le 5 juin 2023 par l'association APAJH 03,

Vu les conclusions notifiées à la cour le 13 mars 2023 par Madame [J] [L],

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 4 août 2025.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions, l'association APAJH 03 demande à la cour de :

- Annuler et/ou infirmer le jugement de départage dont appel en ce qu'il a :

- 'Prononcé la résiliation du contrat de travail de Madame [J] [L] aux torts exclusifs de l'Association nationale pour adultes et jeunes handicapés du comité de l'Allier

avec prise d'effet à la date du licenciement ;

- Dit en conséquence que la résiliation entraîne les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

- Condamné l'association nationale pour adultes et jeunes handicapés du comité de l'Allier, prise en la personne de son Président en exercice, à payer à Madame [J] [L] la somme brute de 3.485,82 euros (TROIS MILLE QUATRE CENT QUATRE VINGT CINQ EUROS ET QUATRE VINGT DEUX CENTIMES) à titre de rappel de salaire correspondant à la mise à pied conservatoire outre 348 euros bruts (TROIS CENT QUARANTE HUIT EUROS) au titre des congés payés afférents ;

- Condamné l'association nationale pour adultes et jeunes handicapés du comité de l'Allier, prise en la personne de son Président en exercice, à payer à Madame [J] [L] la somme brute de 35.514 euros (TRENTE CINQ MILLE CINQ CENT QUATORZE EUROS) au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 3.551 euros brut (TROIS MILLE CINQ CENT CINQUANTE ET UN EUROS) au titre des congés payés afférents ;

- Condamné l'association nationale pour adultes et jeunes handicapés du comité de l'Allier, prise en la personne de son Président en exercice, à payer à Madame [J] [L] la somme 106.542 euros (CENT SIX MILLE CINQ CENT QUARANTE DEUX EUROS) au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement ;

- Condamné l'association nationale pour adultes et jeunes handicapés du comité de l'Allier, prise en la personne de son Président en exercice, à payer à Madame [J] [L] la somme de 60.000 euros (SOIXANTE MILLE EUROS) à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;

- Condamné l'association nationale pour adultes et jeunes handicapés du comité de l'Allier, prise en la personne de son Président en exercice, à payer à Madame [J] [L] la somme de 2.000 euros (DEUX MILLE EUROS) sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code procédure civile ;

- Condamné l'association nationale pour adultes et jeunes handicapés du comité de l'Allier, prise en la personne de son Président en exercice, aux dépens de l'instance ;

- Ordonné l'exécution provisoire du jugement ;

- Débouté l'association APAJH 03 de sa demande tendant à voir Madame [L] condamner à lui payer et porter une somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.'

Statuant à nouveau :

- Annuler le jugement sur le fondement des dispositions de l'article L1457-1 du Code du travail et de l'article 6-1 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme et du Citoyen ;

- Sur la demande de résiliation judiciaire :

- DEBOUTER Madame [L] de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur produisant les effets d'un licenciement sans

cause réelle et sérieuse comme étant mal fondée ;

- Sur le licenciement pour faute grave :

- JUGER que Madame [L] a commis des fautes professionnelles d'une gravité telle qu'elles empêchaient la poursuite de la relation de travail et justifiaient la rupture immédiate et sans indemnité du contrat de travail,

- JUGER que l'employeur rapporte la preuve des fautes professionnelles reprochées à Madame [L],

- DIRE ET JUGER en conséquence que le licenciement repose sur une faute grave établie,

Dans tous les cas et en conséquence :

- DEBOUTER Madame [L] de son appel incident,

- DEBOUTER Madame [L] de ses demandes tendant à la voir condamnée au versement des sommes suivantes :

* 35.514 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 3.551 euros bruts au titre des congés payés sur préavis,

* 3.485,82 euros bruts à titre de rappel de salaire correspondant à la mise à pied

conservatoire,

* 348 euros bruts au titre des congés payés sur mise à pied conservatoire,

* 106.542 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

* 150.000 euros titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et

sérieuse,

* 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers.

- Y ajoutant,

- Condamner Madame [L] à payer et porter une somme de 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre de ses frais irrépétibles d'appel ainsi qu'aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions, Madame [J] [L] demande à la cour de :

A titre principal :

- Confirmer le jugement en ce qu'il a :

'- Prononcé la résiliation du contrat de travail de Madame [J] [L] aux torts exclusifs de l'association nationale pour adultes et jeunes handicapés du comité de l'Allier avec prise d'effet à la date du licenciement ;

- Dit en conséquence que la résiliation entraîne les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse' ;

A titre subsidiaire,

- Dire et juger que le licenciement pour faute grave est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Dans tous les cas,

- Confirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes de Montluçon du 13 septembre 2022 en ce qu'il a :

'- Condamné l'association nationale pour adultes et jeunes handicapés du comité de l'Allier, prise en la personne de son président en exercice, à payer à Madame [L] la somme de 3485,82 euros brut à titre de rappel de salaire correspondant à la mise à pied conservatoire, outre 348 euros brut au titre des congés payés afférents ;

- Condamné l'association nationale pour adultes et jeunes handicapés du comité de l'Allier, prise en la personne de son président en exercice, à payer à Madame [L] la somme de 35 514 euros brut au titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 3 551 euros brut au titre de congés payés afférents ;

- Condamné l'association nationale pour adultes et jeunes handicapés du comité de l'Allier, prise en la personne de son président en exercice, à payer à Madame [L] la somme de 106 542 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

- Condamné l'association nationale pour adultes et jeunes handicapés du comité de l'Allier, prise en la personne de son président en exercice, à payer à Madame [L] la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens' ;

- Infirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes en ce qu'il a limité la condamnation de l'association nationale pour adultes et jeunes handicapés du comité de l'Allier à la somme de 60 000 euros en réparation du préjudice subi pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- Statuant à nouveau, condamner l'association nationale pour adultes et jeunes handicapés du comité de l'Allier, prise en la personne de son président en exercice à lui payer la somme de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre intérêt de droit à compter du jugement déféré sur le montant de la somme allouée par les premiers juges et à compter du présent arrêt pour le surplus, et avec capitalisation des intérêts conformément aux règles légales ;

- Y ajoutant, condamner l'Association APAJH 03 à lui payer et porter la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;

- Débouter l'Association APAJH 03 de toutes ses demandes, fins et conclusions contraires.

Pour plus ample relation des faits, de la procédure, des prétentions, moyens et arguments des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il y a lieu de se référer à la décision attaquée et aux dernières conclusions régulièrement notifiées et visées.

MOTIFS

- Sur la demande d'annulation du jugement du conseil de prud'hommes -

Selon l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil.

Selon l'article L. 111-5 du code de l'organisation judiciaire, l'impartialité des juridictions judiciaires est garantie par les dispositions de ce code et celles prévues par les dispositions particulières à certaines juridictions ainsi que par les règles d'incompatibilité fixées par le statut de la magistrature.

Selon l'article 47 du code de procédure civile, lorsqu'un magistrat ou un auxiliaire de justice est partie à un litige qui relève de la compétence d'une juridiction dans le ressort de laquelle celui-ci exerce ses fonctions, le demandeur peut saisir une juridiction située dans un ressort limitrophe. Le défendeur ou toutes les parties en cause d'appel peuvent demander le renvoi devant une juridiction choisie dans les mêmes conditions. A peine d'irrecevabilité, la demande est présentée dès que son auteur a connaissance de la cause de renvoi. En cas de renvoi, il est procédé comme il est dit à l'article 82 du code de procédure civile.

La récusation d'un juge et le renvoi pour cause de suspicion légitime sont traités par les articles 341 à 350 du code de procédure civile et par l'article L. 111-6 du code de l'organisation judiciaire.

Le code de procédure civile prévoit ainsi des possibilités de renvoi (dépaysement) ou de récusation en cas de suspicion légitime.

Selon les dispositions de l'article L. 1421-2 du code du travail, les conseillers prud'hommes exercent leurs fonctions en toute indépendance, impartialité, dignité et probité et se comportent de façon à exclure tout doute légitime à cet égard.

Aux termes de l'article L. 1457-1 du code du travail :

'Un conseiller prud'hommes peut être récusé, par déclaration remise au secrétariat du conseil de prud'hommes avant la clôture des débats, dans les cas suivants :

1° Lorsqu'il a un intérêt personnel à la contestation, le seul fait d'être affilié à une organisation syndicale ne constituant pas cet intérêt personnel ;

2° Lorsqu'il est conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité, concubin, parent ou allié jusqu'au degré de cousin germain inclusivement d'une des parties ;

3° Si, dans l'année qui a précédé la récusation, il y a eu action judiciaire, criminelle ou civile entre lui et une des parties ou son conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité, concubin ou ses parents ou alliés en ligne directe ;

4° S'il a donné un avis écrit dans l'affaire ;

5° S'il est employeur ou salarié de l'une des parties en cause.'.

Hors les cas de récusation, un conseiller prud'hommes peut être écarté de la formation de jugement pour d'autres motifs mettant en cause son impartialité en application de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme.

Le principe de neutralité du juge s'oppose à ce qu'un magistrat tienne compte, dans la décision qu'il rend, de l'inclination ou de la réserve qu'il éprouve à l'égard de l'un des plaideurs, ou d'une opinion préconçue qu'il a de la solution au fond. La sécurité juridique des justiciables impose le caractère prévisible de la solution, qui doit être fonction de l'état du droit positif, et non de la seule subjectivité du juge.

Le justiciable doit être protégé contre les convictions personnelles et les engagements du juge fondés sur des éléments personnels étrangers au débat judiciaire (impartialité subjective du juge). Il est interdit au juge de participer deux fois à la prise d'une décision juridictionnelle dans le même litige, sur les mêmes faits, ou encore de statuer si préalablement il a déjà pris position ou a été objectivement en position de se faire une opinion sur l'affaire (impartialité objective du juge).

Celui qui invoque la partialité du juge doit en apporter la preuve par des éléments objectifs. En effet, il existe une présomption simple d'impartialité du juge et il appartient au requérant qui se prétend victime d'un juge partial de rapporter la preuve de cette partialité.

La partialité des conseillers prud'hommes peut apparaître dans les termes du jugement.

Le fait qu'un conseiller prud'hommes appartienne à la même organisation syndicale qu'une des parties au procès, et/ou que le défenseur syndical ou conseil de celle-ci, ne met pas en cause son impartialité. Cela résulte notamment de l'article L. 1457-1 1° du code du travail qui précise que le seul fait d'être affilié à une organisation syndicale ne constitue pas un intérêt personnel à la contestation.

La Cour de cassation juge de façon constante que le respect de l'exigence d'impartialité, imposé tant par les règles de droit interne que par l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, est assuré, en matière prud'homale, par la composition même des conseils de prud'hommes, qui comprennent un nombre égal de salariés et d'employeurs élus, par la prohibition d'ordre public de tout mandat impératif, par la faculté de recourir à un juge départiteur extérieur aux membres élus et par la possibilité, selon les cas, d'interjeter appel ou de former un pourvoi en cassation, qu'il en résulte que la seule circonstance qu'un ou plusieurs membres d'un conseil de prud'hommes appartiennent à la même organisation syndicale que l'une des parties au procès, ou à la même organisation syndicale que le défenseur syndical ou conseil de l'une des parties au procès, n'est pas de nature à affecter l'équilibre d'intérêts inhérent au fonctionnement de la juridiction prud'homale ou à mettre en cause l'impartialité de ses membres.

Si le plaideur estime être victime d'une situation de partialité, il doit au préalable épuiser le système protecteur interne, notamment en matière de renvoi ou récusation, sous peine de ne plus pouvoir invoquer ultérieurement l'article 6 § 1 de la CEDH.

La partialité du juge qui a siégé, lorsque le plaideur n'en a pas eu connaissance en temps utile pour le récuser ou demander le renvoi de l'affaire, constitue un cas de nullité du jugement. En effet, en principe, si une décision a été rendue par un juge dont l'impartialité objective ou subjective est remise en cause, le jugement peut faire l'objet d'une annulation.

En l'espèce, vu le dispositif de ses dernières conclusions, l'association APAJH 03 sollicite l'annulation du jugement (RG 20/00037) rendu le 13 septembre 2022 par le conseil de prud'hommes de MONTLUÇON (bureau de départage), et ce en invoquant son droit à un tribunal indépendant et impartial tel que consacré à l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

L'association APAJH 03 met plus spécialement en cause la partialité de Monsieur [K] [O], conseiller de la section encadrement du conseil de prud'hommes de MONTLUÇON, section dont a relevé le litige de première instance, lequel a par ailleurs siégé en qualité d'assesseur (salarié) lors de l'audience de plaidoiries (départage) du 5 juillet 2022.

Il appartient en conséquence à l'association APAJH 03 d'apporter la preuve de ses affirmations en matière de manque ou de défaut d'impartialité de Monsieur [K] [O] par la production d'éléments objectifs.

L'association APAJH 03 fait d'abord état de l'existence de liens personnels qu'auraient entretenus Madame [J] [L] et Monsieur [K] [O] puisqu'ils auraient tous deux étaient salariés de l'association APEAH, avant qu'elle ne fusionne avec l'UNAPEI et, concernant l'intimée, qu'elle intègre la structure de l'appelante le 13 mars 2000 en qualité de chef de service éducatif (contrat de travail à durée indéterminée).

Si l'association APAJH 03 ne verse aucun élément objectif susceptible de corroborer la qualité d'anciens salariés de l'association APEAH de Monsieur [K] [O] et Madame [J] [L], cette dernière admet néanmoins avoir fait partie, tout comme ce conseiller prud'homal, de ses effectifs.

Néanmoins, ainsi qu'en objecte à juste titre Madame [J] [L], Monsieur [K] [O] et elle-même n'ont jamais été employés au sein du même établissement de travail, étant précisé que l'association APEAH comptait, avant sa fusion avec l'UNAPEI, huit sites distincts, et qu' aucun d'entre eux ne les a accueillis simultanément.

De même, alors que Madame [J] [L] n'est plus salariée de l'association APEAH depuis plus de 23 ans, l'association APAJH 03 ne parvient pas à démontrer qu'elle aurait, en tout état de cause depuis cette date, entretenu des liens personnels, de quelque nature qu'ils soient, avec Monsieur [K] [O].

La cour constate en revanche, comme le relève à juste titre l'association APAJH 03, que le fils de Monsieur [K] [O], Monsieur [R] [O], a été élu par les adhérents de l'association, présents ou représentés lors de l'assemblée générale extraordinaire du mardi 17 décembre 2019, membre du conseil d'administration de cette entité, aux côtés de onze autres membres. Monsieur [R] [O] était ensuite plus spécialement nommé, aux termes de la délibération des membres du conseil d'administration de l'association du 7 janvier 2020, en qualité de second vice-président du bureau du conseil d'administration

S'agissant du jugement de départage rendu le 13 septembre 2022 (RG 20/00037) par le conseil de prud'hommes de MONTLUÇON, le bureau de départage, lors des débats et du délibéré, était composé de Monsieur [JO] [Y] (président juge départiteur), de Monsieur [S] [P] (assesseur) conseiller salarié, et de Monsieur [K] [O] (assesseur) conseiller salarié. Etaient absents Madame [X] [LH] ( assesseur) conseiller employeur ainsi que Monsieur [VM] [G] (assesseur) conseiller employeur.

Le juge départiteur a signé seul ce jugement.

L'article R. 1454-29 du code du travail dispose qu'en cas de partage des voix devant le bureau de jugement ou le bureau de conciliation et d'orientation, l'affaire est renvoyée à une audience ultérieure du bureau de jugement. Cette audience, présidée par le juge départiteur, est tenue dans le mois du renvoi.

L'article R. 1454-31 du même code précise que, quelque soit le nombre de conseillers prud'hommes présents et même en l'absence de tout conseiller prud'hommes, lorsque lors de l'audience de départage la formation n'est pas réunie au complet, le juge départiteur statue seul à l'issue des débats. Il recueille préalablement l'avis des conseillers présents.

En l'espèce, le juge départiteur, dans le dispositif du jugement (RG 20/00037) rendu le 13 septembre 2022, a expressément mentionné, conformément aux dispositions de l'article R. 1454-31 susvisé, que 'le conseil de prud'hommes de Montluçon, section encadrement, siégeant en bureau de jugement présidé par le juge départiteur, statuant seul après avoir pris l'avis des conseillers présents lors de l'audience de plaidoiries, publiquement, contradictoirement, en premier ressort et par mise à disposition au greffe'.

Nonobstant la circonstance selon laquelle le juge départiteur, vu la composition du bureau de départage lors de l'audience de plaidoiries du 5 juillet 2022 (absence de Madame [X] [LH] et de Monsieur [VM] [G], conseillers employeur), a statué seul, force est néanmoins de relever que celui-ci a rendu sa décision après avoir pris l'avis des conseillers présents lors de cette audience, soit notamment celui de Monsieur [K] [O]. Or, il est manifeste que, même si cet assesseur n'a pas directement pris part à la décision finale, son avis apparaît néanmoins comme ayant été de nature à influencer, et à tout le moins colorer peu ou prou, la réflexion du juge départiteur.

Compte tenu du lien de filiation de Monsieur [K] [O] avec l'un des membres du conseil d'administration de l'association APAJH 03, Monsieur [R] [O] (son fils), l'employeur disposait, devant le premier juge, d'un moyen de récusation fondé sur l'intérêt personnel à la contestation de cet assesseur (conseiller salarié).

L'association APAJH 03 n'a toutefois pas usé de son droit à récusation avant l'ouverture des débats de l'audience de départage, ni même au cours de celle-ci. Il n'est toutefois pas contesté par Madame [J] [L] que les parties n'ont pas eu communication du rôle d'audience avant la clôture des débats devant le juge départiteur, ni même que celui-ci n'a pas fait l'objet d'un affichage dans la salle d'audience.

Aussi, faute d'avoir été mise en mesure d'exercer son droit à récusation devant le premier juge, l'association APAJH 03 apparaît désormais bien fondée en cause d'appel à soulever l'existence d'un doute ayant affecté la partialité de Monsieur [K] [O] dans la délivrance de son avis au juge départiteur et solliciter conséquemment l'annulation du jugement de première instance pour non-respect du droit à un procès-équitable. La partialité du juge qui a siégé, lorsque le plaideur n'en a pas eu connaissance en temps utile pour le récuser ou demander le renvoi de l'affaire, constitue en effet un cas de nullité du jugement.

Vu l'ensemble des éléments objectifs d'appréciation dont elle dispose, la cour considère que les circonstances d'espèce sont de nature à emporter un doute légitime quant à l'impartialité de Monsieur [K] [O], le jugement de départage (RG 20/00037) rendu le 13 septembre 2022 devant en conséquence être purement et simplement annulé en toutes ses dispositions.

Si la cour annule le jugement frappé d'appel, la dévolution s'opère pour le tout, de sorte qu'elle doit statuer sur le fond.

- Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail -

Le salarié peut demander au juge prud'homal, mais pas en référé, la résiliation judiciaire de son contrat de travail s'il estime que l'employeur manque à ses obligations. Sauf si la loi en dispose autrement, notamment pour le contrat d'apprentissage conclu avant le 1er janvier 2019, seul le salarié peut demander la résiliation judiciaire du contrat de travail. Toute demande de résiliation judiciaire du contrat de travail par l'employeur est irrecevable, même par voie reconventionnelle.

L'action en résiliation judiciaire du contrat de travail postérieure à un licenciement est sans objet, mais le juge doit prendre en compte les griefs du salarié pour apprécier le bien-fondé du licenciement.

L'action en résiliation judiciaire du contrat de travail, qui ne constitue pas une prise d'acte de la rupture, ne met pas fin au contrat de travail et implique la poursuite des relations contractuelles dans l'attente de la décision du juge du fond.

Si le salarié est licencié avant qu'intervienne la décision judiciaire sur une demande de résiliation présentée avant la notification du licenciement, les juges doivent, en premier lieu, rechercher si la demande de résiliation était justifiée, peu important que l'employeur ait engagé la procédure de licenciement avant l'introduction de cette demande ou que le salarié ait adhéré à un dispositif de départs volontaires dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi ou à un contrat de sécurisation professionnelle ou dispositif de même nature, et c'est seulement dans le cas où ils estiment que la demande de résiliation judiciaire n'est pas justifiée que les juges se prononcent sur le licenciement notifié par l'employeur postérieurement à la saisine du juge prud'homal afin de résiliation.

En l'espèce, il n'est pas contesté que Madame [J] [L] a saisi le juge prud'homal (le 12 mars 2020) d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail avant la notification de son licenciement pour faute grave (lettre expédiée par l'employeur le 26 mars 2020) par l'association APAJH 03. Il échet donc d'examiner en premier lieu la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail de la salariée avant, le cas échéant si elle devait être rejetée, d'apprécier le bien fondé du licenciement disciplinaire.

À l'appui de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur, Madame [J] [L] fait valoir que ses conditions de travail se sont subitement et intensément dégradées postérieurement à la nomination le 7 janvier 2020 de Monsieur [V] [Z] en qualité de président de l'association APAJH 03, lequel aurait commencé alors à vider de toute substance son poste de 'directrice du dispositif APAJH 03", l'aurait privée du bureau qu'elle occupait jusque-là personnellement, ainsi qu'exclue de la chaîne d'informations relative au FAM de [Localité 7], pour n'être affectée ensuite qu'à la seule réalisation de tâches de travail subalternes. La salariée impute également à l'employeur les dénonciations publiques et mensongères relatives à sa gestion de l'association dont elle aurait la cible dans la presse locale.

Si les manquements de l'employeur invoqués par le salarié sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail, le juge prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail, et donc la rupture de celui-ci aux torts de l'employeur, au jour de sa décision, sauf si le contrat de travail a déjà été interrompu et que le salarié n'est plus au service de son employeur.

En revanche, lorsque les manquements de l'employeur invoqués par le salarié ne sont pas établis ou ne sont pas suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail, le juge déboute le salarié de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail et il ne peut dans ce cas prononcer ou constater la rupture du contrat de travail. En conséquence, la relation contractuelle se poursuit, sans que l'employeur ne puisse tirer argument ou prétexte de l'action en justice du salarié pour le licencier.

La réalité et la gravité des manquements de l'employeur invoqués par le salarié sont souverainement appréciés par les juges du fond.

C'est au salarié de rapporter la preuve des manquements de l'employeur qu'il invoque. Les juges du fond doivent examiner l'ensemble des manquements de l'employeur invoqués par le salarié, en tenant compte de toutes les circonstances intervenues jusqu'au jour du jugement. En cas de doute sur la réalité des faits allégués, il profite à l'employeur.

La cour va donc examiner chacun des griefs dirigés par Madame [J] [L] à l'encontre de l'association APAJH 03 au soutien de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.

- Sur l'éviction de Madame [J] [L] de son poste de travail -

Il est constant que lors de la nomination le 7 janvier 2020 de Monsieur [V] [Z] en qualité de président de l'association APAJH 03, Madame [J] [Z], après avoir successivement exercé les fonctions de Chef de service éducatif de l'Institut [6] (contrat à durée indéterminée du 13 mars 2000), puis de Directrice d'établissement (avenant au contrat de travail du 30 septembre 2006), exerçait les fonctions de Directrice du dispositif APAJH 03, catégorie cadre, hors classe, coefficient 1280 (avenant au contrat de travail du 1er octobre 2017).

Par ordonnance (RG n° 18/00114) rendue le 26 décembre 2018, le juge des référés du tribunal de grande instance de MONTLUCON, saisi par Monsieur [U] [N] d'une demande d'annulation de la délibération du 27 septembre 2018 du conseil d'administration de l'association APAJH 03 ayant prononcé sa radiation de cette instance, a notamment constaté l'irrégularité affectant la délibération du Conseil d'administration de l'association et prononcé en conséquence sa nullité, constaté que l'APAJH 03 est dépourvue de bureau de bureau régulièrement élu, désigné en conséquence la SELARL AJ UP, prise en la personne de Maître [F] [WR], en qualité d'administrateur provisoire avec pour mission d'organiser l'élection d'un nouveau bureau et de gérer l'association dans l'intervalle nécessaire.

Dans ce cadre, Maître [F] [WR], administrateur judiciaire représentant la SELARL AJ UP, agissant en qualité d'administrateur provisoire de l'association APAJH 03, a, le 17 janvier 2019, donné mandat à Madame [J] [L] pour la gestion des affaires courantes de la structure 'dans le cadre de ses fonctions de directrice de l'association'.

La mission de l'administrateur provisoire telle que définie par le juge des référés du tribunal de grande instance de MONTLUCON (ordonnance du 26 décembre 2018 - RG n° 18/00114), et avec elle le pouvoir conféré à Madame [J] [L] par Maître [F] [WR] pour la gestion des affaires courantes, ont donc cessé le 7 janvier 2020 lorsque les membres du conseil d'administration de l'association APAJH 03 ont élu le nouveau bureau de cette assemblée.

Madame [J] [L] ne disposait en conséquence plus, à compter de cette date du 7 janvier 2020, du pouvoir de gérer les affaires courantes de l'association dans le cadre de la mission temporairement consentie par l'administrateur provisoire.

Par courriel daté du 28 janvier 2020, Monsieur [V] [Z] enjoignait l'ensemble des directrices d'établissement de l'association ' de ne plus rien signer et de ne plus prendre des décisions contraires aux valeurs qui sont les nôtres'.

Les parties s'opposent ici sur la faculté dont aurait disposé Madame [J] [L] d'engager l'association par la signature d'actes de gestion courante.

Les statuts de l'association APAJH 03, établis le 13 juin 2017, disposent notamment que l'association est administrée par un conseil d'administration composé de douze membres au moins (27 au plus) et comprend une assemblée générale composée de membres actifs de l'association et à laquelle assistent le directeur général de l'association départementale ainsi qu'un représentant des salariés assistent aux assemblées générales (sans pouvoir prendre part au vote), et qui a pour mission d'entendre les rapports sur la gestion du conseil d'administration et sur la situation financière et morale de l'association, outre :

- d'approuver les comptes de l'exercice clos ;

- de valider l'ensemble des délibérations prises par le conseil d'administration ;

- de voter le budget de l'exercice suivant ;

- de donner délégation annuelle conformément au dernier alinéa de l'article 11 ;

- de déterminer les objectifs de l'association départementale dans le cadre de l'orientation définie par l'assemblée générale de la Fédération des APAJH.

En application de l'article 11 des statuts de l'association, le conseil d'administration est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir au nom de l'association et réaliser, avec le concours du bureau, tous actes et opérations qui ne sont pas réservés à l'assemblée générale, à savoir notamment :

- proposer à l'assemblée générale la politique et les orientations générales de l'association départementale ;

- arrêter les grandes lignes d'action de communication et de relations publiques ;

- arrêter les budgets et contrôler leur exécution ;

- arrêter les comptes de l'exercice clos ;

- désigner un directeur chargé d'exécuter la politique arrêtée par l'association, préciser la nature de ses fonctions et l'étendue de ses pouvoirs (...).

L'article 13 des statuts de l'association prévoit enfin que 'le président représente l'association départementale dans tous les actes de la vie civile et possède tous les pouvoirs à effet de l'engager', 'signe tous actes et tous contrats nécessaires à l'exécution des décisions prises par le bureau, le conseil d'administration et l'assemblée générale' et 'ordonnance les dépenses'.

Il s'ensuit que pour la période postérieure au 7 janvier 2020, date d'entrée en fonction de Monsieur [V] [Z] à la présidence de l'association départementale, seul celui-ci disposait du pouvoir d'engager la structure dans l'ensemble des actes de la vie civile, notamment par la signature d'actes et de contrats, ainsi que celui d'ordonnancer les dépenses, en ce compris celles relevant de sa gestion courante.

Si l'article 13 susvisé permet certes, en matière d'exécution des décisions, que le président de l'association délègue une partie de ses pouvoirs et sa signature au directeur général, il n'est justifié par Madame [J] [L] d'aucune délégation ou mandat en ce sens à compter du 7 janvier 2020.

Dans son courriel du 28 janvier 2020, si Monsieur [V] [Z] a certes demandé à l'ensemble des directrices d'établissements de ne plus rien signer, il précisait ensuite immédiatement qu'il veillerait à les tenir informées de 'la marche à suivre' ainsi qu'à 'les rencontrer chacune pour une mise au point'.

Il s'ensuit qu'entre le 28 janvier (courriel de Monsieur [V] [Z]) et le 26 mars 2020 (envoi de la lettre de licenciement), Madame [J] [L], qui se plaint de ne pas avoir disposé du pouvoir de conclure des actes et contrats de gestion courante de nature à engager l'association, ne pouvait toutefois légitimement prétendre à l'exercice d'un tel pouvoir en l'absence de toute délégation ou mandat qui lui aurait été consenti par le président qui en est le titulaire exclusif.

L'injonction de Monsieur [V] [Z] adressée à l'ensemble des directrices d'établissement peu de temps après la nomination du nouveau bureau, et consistant en la mise en pause de toute passation d'un quelconque acte juridique de nature à engager l'association, ne recouvre en soi aucun caractère fautif ou déloyal à l'endroit de Madame [J] [L], mais s'inscrivait au contraire dans un contexte de désignation d'un nouveau conseil d'administration après une période de vacance significativement longue, impliquant que de nouvelles orientations, notamment politiques et budgétaires, soient définies et adoptées.

Madame [J] [L] ne justifie en conséquence d'aucune faute ou manquement de l'employeur à l'une de ses obligations contractuelles s'agissant du retrait temporaire du pouvoir de signature dont elle disposait antérieurement exclusivement par l'effet du mandat que lui avait consenti l'administrateur provisoire.

Madame [J] [L] réfère ensuite à un courriel de Monsieur [V] [Z] en date du mercredi 29 janvier 2020 aux termes duquel celui-ci lui aurait indiqué de ne pas organiser de réunion avec le comité social et économique.

Aux termes de cette correspondance, le président de l'APAJH 03 faisait part à Madame [J] [L] de son incompréhension quant à son souhait de 'tenir un CSE vendredi tant qu'un conseil d'administration n'a pas défini la politique' de l'association.

Depuis le 1er janvier 2018, le comité social et économique constitue l'instance unique du personnel dont la mission est de représenter les salariés auprès de l'employeur et de prendre en compte leurs intérêts dans la prise de décisions de l'entreprise (ou l'association). Afin d'exercer convenablement sa mission, le comité social et économique se réunit régulièrement.

A l'évidence, l'organisation d'une réunion du comité social et économique n'avait que peu de sens à une date où le conseil d'administration n'avait pas encore défini et arrêté la politique générale de l'association.

Bien plus, Monsieur [V] [Z], contrairement à ce que prétend la salariée, ne lui a pas interdit expressément de procéder à une telle réunion avec le comité social et économique, mais lui a fait part de son incompréhension de réunir cette instance à une date à laquelle il n'aurait disposé d'aucun élément concret pour apprécier la nouvelle politique de l'association restant à définir.

Dans de telles circonstances, Madame [J] [L] ne justifie d'aucune faute ni d'aucun manquement de l'employeur à l'une de ses obligations contractuelles.

S'agissant en revanche de la suspension de Madame [J] [L] de ses fonctions de 'directrice du dispositif APAJH 03", il échet de souligner que, nonobstant son caractère 'temporaire' tel qu'allégué par Monsieur [V] [Z], par courriel du 3 février 2020, une telle modification du contrat de travail ne pouvait intervenir sans qu'un avenant au contrat de travail de la salariée ne soit régularisé entre les parties dès lors qu'elle constitue l'essence même du poste de travail de l'intimée. Or, l'association APAJH 03 ne justifie pas d'un tel avenant, ni au demeurant d'un quelconque accord de Madame [J] [L] qui aurait eu pour effet de valider la 'suspension' de l'exercice de cette fonction contractuelle.

La demande de Monsieur [V] [Z] de justification de l'ensemble des dépenses excédant 500 euros ne saurait légitimer l'éviction de Madame [J] [L] de son poste de directrice du dispositif APAJH 03, en ce compris temporairement.

En retirant à Madame [J] [L], en dehors de tout avenant au contrat, et plus largement de tout accord de la salariée, la mission principale de son poste de travail, force est de constater que l'association APAJH 03 a contrevenu à l'une des obligations contractuelles qui lui incombent en sa qualité d'employeur, à savoir ne pas modifier unilatéralement le contrat de travail de sa salariée.

Il s'ensuit que ce grief est matériellement établi.

- Sur la privation d'un bureau de travail personnel -

Par courriel du 4 février 2020, Monsieur [V] [Z] interpellait Madame [J] [L] quant à l'aménagement d'un espace de travail personnel dans le hall d'entrée de l'établissement et lui faisait part du caractère inapproprié de cette démarche eu égard à la sensibilité des dossiers dont elle avait à connaître dans l'exercice de ses fonctions. Monsieur [V] [Z] devait enfin intimer l'ordre à Madame [J] [L] de 'trouver' un bureau adapté.

Le lendemain, Madame [J] [L] expliquait à Monsieur [V] [Z] que l'ensemble des bureaux de l'association étaient d'ores et déjà occupés par d'autres salariés, qu'elle ne pouvait raisonnablement pas s'installer dans le bureau de la qualiticienne ni même dans ceux de la responsable des ressources humaines ou de la comptable, en considération de la problématique de la confidentialité des données et dossiers appréhendés. La salariée devait enfin rappeler que lors de l'entretien du 3 février 2020, elle avait précisé qu'elle 'trouverait bien un endroit où mettre un bureau', et qu'il lui avait été répondu 'vous allez où vous voulez'.

Madame [C] [E], directrice de la PSMS [Localité 5] COURTE ECHELLE, explique que le 3 février 2020, les directrices d'établissement ont été reçues par Messieurs [V] [Z] (président) et [A] (vice-président), nouvellement élus, et que lors de cet entretien Madame [J] [L] a été suspendue de ses fonctions et priée de quitter sur le champ le bureau qu'elle occupait jusque-là pour s'installer dans le lieu de sa convenance.

Madame [LA] [ID], aide médico psychologue, confirme que 'depuis le retour de Monsieur [V] [Z] à la présidence de l'association', les élus du comité social et économique ont été les 'témoins impuissants d'humiliations quotidiennes' dont était victime Madame [J] [L], tel notamment lorsqu'il lui a été demandé 'de changer de bureau (auparavant elle partageait celui du président) sans lui dire où elle devait s'installer'.

Mesdames [W] [EZ], aide médicale, et [B] [M], aide-médicale, confirment toutes deux les déclarations de ces salariées.

Comme l'explique toutefois l'association APAJH 03 sans que cela ne soit critiqué par la salariée, le bureau qu'il lui a été demandé de délaisser était le bureau attribué depuis l'origine au président de l'association. Si Madame [J] [L] s'y était donc légitimement installée durant la période de vacance du conseil d'administration et de présidence, il demeurait ensuite loisible au nouveau président directeur élu le 7 janvier 2020, de vouloir en récupérer l'usage.

Aussi, si le principe même de la récupération par Monsieur [V] [Z] du bureau attitré au président de l'association n'est en l'espèce pas sérieusement contestable, il en va autrement de l'absence d'appréhension des conséquences qui s'en sont suivies pour Madame [J] [L] ainsi que des circonstances dans lesquelles cette reprise s'est matérialisée.

S'agissant des conséquences pour la situation personnelle de Madame [J] [L], en l'absence de toute démarche entreprise par l'employeur afin de fournir un nouvel espace de travail adaptée à sa salariée, Madame [J] [L] a été contrainte d'installer un bureau dans le hall d'entrée de l'association, ce dont Monsieur [V] [Z] lui a fait grief de manière parfaitement injustifiée (courriel du 4 février 2020). Monsieur [V] [Z] ne pouvait en effet raisonnablement pas se contenter d'enjoindre Madame [J] [L] de se débrouiller seule pour 'se trouver' un bureau, et ce d'autant plus qu'il n'est pas contesté qu'à l'époque considérée l'ensemble des autres bureaux de l'association étaient d'ores et déjà occupés par d'autres salariés.

Madame [J] [L] ne pouvait d'ailleurs pas plus partager un bureau avec un autre salarié de la structure vu la confidentialité des informations dont elle avait à connaître dans l'exercice de ses fonctions de directrice du dispositif APAJH 03, ce dont était parfaitement informé Monsieur [V] [Z] pour en avoir lui-même fait mention dans son courriel du 4 février 2020.

Pour ce qui est des circonstances entourant la reprise du bureau occupé par Madame [L] durant la période d'administration provisoire de l'association, force est de constater que cette salariée a été sommée, lors de l'entretien du 3 février 2020, de quitter sur le champ ledit bureau, sans qu'un autre lieu de travail ne lui soit attribué en amont et sans qu'elle ne bénéficie d'un accompagnement de l'employeur dans la recherche et l'aménagement d'un nouvel espace de travail. Il est donc parfaitement compréhensible que Madame [J] [L] ait pu percevoir en l'attitude de l'employeur une certaine brutalité et défiance de principe de nature à la déstabiliser professionnellement.

Ce grief apparaît donc matériellement établi.

- Sur la réalisation de tâches de travail subalternes -

Par courriel du 3 février 2020, Monsieur [V] [Z] demandait à Madame [J] [L], après l'avoir 'suspendue' de ses fonctions de directrice du dispositif APAJH 03 (cf supra), de justifier la nature de l'ensemble des dépenses excédant un montant de 500 euros qui ont pu être réalisées durant la période d'administration provisoire de l'association.

Outre, comme l'objecte à juste titre la salariée, elle disposait d'un pouvoir régulièrement consenti par Maître [F] [WR] (administrateur provisoire) pour la réalisation d'actes relevant de la gestion courante de l'association durant la période de vacance du conseil d'administration, ce qui lui permettait en conséquence de conclure des actes juridiques pour des montants supérieurs à 500 euros, il est manifeste que cette tâche pouvait, et aurait dû, être confiée à la comptable de l'association et non pas à Madame [J] [L].

Selon la même perspective, il était demandé à Madame [J] [L] le 13 février 2020 que les noms des personnes ayant bénéficié de repas acquittés au moyen de la carte bancaire de l'IME soient mentionnés sur les justificatifs. A l'évidence, une telle mission de travail ne relève du champ de compétence de la directrice du dispositif APAJH 03.

Vu la nature des injonctions de travail adressées à Madame [J] [L] postérieurement à la nomination de la nouvelle présidence, la cour constate effectivement que l'employeur, après avoir démis de ses fonctions de directrice du dispositif APAJH 03 cette salariée, l'a cantonnée à la réalisation de tâches de travail étrangères à celles-ci et d'un niveau de complexité et responsabilité moindre.

Ce grief apparaît donc matériellement établi.

- Sur la mise en cause publique de l'intégrité de Madame [J] [L] -

Au mois de mars 2020, la presse locale quotidienne a consacré un article à la situation de l'APAJH consécutivement à la désignation d'un nouveau président en la personne de Monsieur [V] [Z]. Cet encadré, intitulé 'l'APAJH en quête d'apaisement', comprend notamment une retranscription d'une interview de Monsieur [V] [Z] aux termes de laquelle celui-ci, alors interrogé sur les difficultés rencontrées par l'association, a expliqué en réponse aux propos de Madame [B] [M] selon lesquelles 'trois directrices ont été averties qu'elles n'avaient plus le droit de signature', s'être 'aperçu qu'il y avait des fuites, des dérives ; ce ne sont pas des malversations. Le but de ce retrait de signature est de recontrôler, afin qu'on remette tout en forme'.

S'il est certes fait état de la situation de trois directrices ayant été privée de tout droit à signature, la cour ne retrouve dans ce document aucune mention de l'identité de Madame [J] [L], ni même d'un quelconque élément susceptible d'établir qu'elle aurait été spécialement visée par ces déclarations.

Il en va de même de la correspondance adressée par Monsieur [V] [Z] à l'ensemble des salariés de l'association. Si celui-ci fait certes états de nombreuses 'interrogations notamment au niveau de la nourriture, du management, d'amplitude horaire de certaines équipes', il en impute pas l'origine à une prétendue défaillance de Madame [J] [L]. D'ailleurs Monsieur [V] [Z] réfère clairement dans cette lettre à la situation des 'trois établissements' de l'association devant donner lieu à l'intégration de pôles distincts. La seule critique ouverte soulevée concerne la distribution des médicaments pour laquelle des 'dysfonctionnements' auraient été relevés. Toutefois, en l'absence de toute imputation directe à Madame [J] [L] et, en tout état de cause, vu le caractère isolé de ce reproche, cette salariée ne peut sérieusement soutenir que l'employeur aurait 'ouvertement' porté atteinte à son intégrité morale.

Ce grief n'apparaît donc pas matériellement établi.

- Sur l'analyse globale -

Vu les attendus qui précèdent, Madame [J] [L] justifie objectivement de sa mise à l'écart avec la perte injustifiée de ses fonctions de directrice du dispositif APAJH 03 et son affectation subséquente à la réalisation de tâches de travail étrangères à sa mission principale et relevant clairement d'un niveau de responsabilité moindre, outre de la suppression de tout espace de travail approprié en dépit de la significative sensibilité des dossiers et informations dont elle avait à connaître au quotidien.

Au vu de l'ensemble des éléments d'appréciation objectifs dont elle dispose, la cour considère que l'employeur a commis des manquements suffisamment graves à ses obligations pour empêcher la poursuite du contrat de travail et justifier le prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail ayant lié Madame [J] [L] à l'association APAJH 03, laquelle résiliation produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse au 26 mars 2020, jour d'envoi du courrier de notification du licenciement.

- Sur les conséquences de la rupture du contrat de travail -

En cas de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur, le salarié a droit à l'indemnité (légale ou conventionnelle) de licenciement, à l'indemnité compensatrice de préavis avec congés payés afférents, même s'il est dans l'impossibilité d'exécuter le préavis (peu important que le salarié ait été en arrêt de travail au moment de la rupture du contrat de travail) car dès lors que la résiliation judiciaire du contrat de travail est prononcée aux torts de l'employeur, l'indemnité de préavis est toujours due, à l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ou licenciement nul (mais sans droit réintégration en cas de licenciement nul puisqu'il a pris l'initiative de rompre le contrat de travail), voire à des dommages-intérêts supplémentaires pour circonstances vexatoires, à la réparation de la perte de chance de bénéficier des informations relatives à la portabilité de la prévoyance, mais pas à l'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement ou licenciement irrégulier.

Les indemnités dues au salarié se calculent en fonction de son ancienneté à la date de la notification de la rupture, même s'il a continué à travailler après cette date.

- Sur l'indemnité compensatrice de préavis -

L'article 9 de la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées institue un délai-congé en ces termes :

' Après la période d'essai, le délai-congé est fixé comme suit:

- 2 mois en cas de démission ;

- 4 mois en cas de licenciement.

Pour les directeurs généraux, directeurs de centre de formation en travail social et directeurs d'établissement ou de service, et qui comptent plus de 2 années d'ancienneté ininterrompue (en qualité de cadre ou de non-cadre) au service de la même entreprise, le délai-congé est fixé comme suit :

- 3 mois en cas de démission ;

- 6 mois en cas de licenciement.

Pendant la période de délai-congé, le cadre licencié ou démissionnaire bénéficie de 50 heures par mois, prises en une ou plusieurs fois, pour la recherche d'un emploi. Lorsqu'il s'agit d'un licenciement, ces heures sont rémunérées'.

En l'espèce, Madame [J] [L] qui exerçait les fonctions de directrice du dispositif APAJH, statut cadre autonome, justifiait à la date de la rupture du contrat de travail d'une ancienneté supérieure à deux années et percevait un salaire mensuel brut de référence (non contesté par les parties) de 5.919 euros.

En application des dispositions de l'article 9 de la convention collective susvisé, Madame [J] [L] bénéficie d'un droit à délai-congé de six mois s'agissant d'une résiliation judiciaire du contrat de travail produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

L'association APAJH 03 sera donc condamnée à verser à Madame [J] [L] la somme de 35.514 euros (brut) à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 3.551 euros (brut) au titre de l'indemnité de congés payés correspondante.

- Sur l'indemnité de licenciement -

L'article 10 de la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées institue un droit à indemnité conventionnelle de licenciement en ces termes :

'Le cadre licencié qui compte plus de 2 ans d'ancienneté ininterrompue (en qualité de cadre ou de non-cadre) au service de la même entreprise a droit, sauf en cas de licenciement pour faute grave ou lourde, à une indemnité de licenciement distincte du préavis et égale à :

- 1/2 mois par année de service en qualité de non-cadre, l'indemnité perçue à ce titre ne pouvant dépasser six mois de salaire ;

- 1 mois par année de service en qualité de cadre, l'indemnité perçue à ce titre de non-cadre et de cadre ne pouvant dépasser au total 12 mois de salaire.

Le salaire servant de base à l'indemnité de licenciement est le salaire moyen des trois derniers mois de pleine activité.

Pour les cadres directeurs généraux, directeurs de centre de formation en travail social et directeurs d'établissement ou de service, l'indemnité de licenciement (non-cadre et cadre) ne pourra dépasser un montant égal à 18 mois de salaire.

Par ailleurs, l'application de ces dispositions ne saurait avoir pour effet de verser, du fait du licenciement, des indemnités dont le montant serait supérieur au total des rémunérations que percevrait l'intéressé s'il conservait ses fonctions jusqu'à l'âge d'obtention de la retraite des régimes général et complémentaire au taux plein'.

Il n'est pas contesté au cas présent que l'indemnité conventionnelle de licenciement se révèle plus favorable à Madame [J] [L] que celle légalement prévue par le code du travail. (Article L. 1234-9 du code du travail et R. 1234-1 et R. 1234-2).

Au jour de la rupture du contrat de travail, Madame [J] [L] justifiait d'une ancienneté de 20 années complètes de service ininterrompu au sein de l'association APAJH 03.

En sa qualité de cadre directeur d'établissement, Madame [J] [L] est bien fondée à prétendre à une indemnité conventionnelle de licenciement équivalente à un mois de salaire par année d'ancienneté, dans la limite de 18 mois de rémunération (article 10 de la convention collective), soit la somme de 106.542 euros.

L'association APAJH 03 sera donc condamnée à verser à Madame [J] [L] la somme de 106.542 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement.

- Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse -

Il résulte d'une jurisprudence constante que la perte injustifiée de son emploi par le salarié lui cause nécessairement un préjudice dont il appartient au juge d'apprécier l'étendue. Cette évaluation dépend des éléments d'appréciation fournis par les parties.

S'agissant de la demande de dommages-intérêts, pour les licenciements sans cause réelle et sérieuse notifiés à compter du 24 septembre 2017, l'article L. 1235-3 du code du travail prévoit que si l'une ou l'autre des parties refuse la réintégration, le juge octroie au salarié, en fonction de son ancienneté, une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans un tableau différent selon que l'entreprise emploie habituellement plus de dix ou moins de onze salariés (barème Macron).

En l'espèce, Madame [J] [L], âgée de 59 ans au moment de son licenciement, comptait 20 années complètes d'ancienneté au sein d'une association employant habituellement plus de dix salariés et percevait un salaire mensuel brut de 5.919 euros.

En application de l'article L. 1235-3 du code du travail, Madame [J] [L] peut prétendre à une indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse (calculée en brut) comprise entre 3 et 15,5 mois de salaire mensuel brut, soit entre 17.757 euros et 91.744,50 euros.

Après son licenciement, Madame [J] [L] a perçu l'allocation d'aide au retour à l'emploi. Il est par ailleurs établi qu'elle n'a pas retrouvé d'emploi jusqu'à ce qu'elle ait fait valoir ses droits à retraite le 1er juillet 2022.

Il n'est pas justifié par Madame [J] [L] que l'application du barème prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail porterait une atteinte disproportionnée à ses droits, notamment à son droit d'obtenir une réparation adéquate, appropriée ou intégrale du préjudice subi du fait de la perte injustifiée de son emploi.

Vu les éléments d'appréciation dont la cour dispose, l'association APAJH 03 sera condamnée à payer à Madame [J] [L] la somme de 80.000 euros (brut), à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice subi du fait d'une perte injustifiée d'emploi suite à un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

- Sur la demande de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire -

Il est constant en l'espèce que Madame [J] [L] a été mise à pied à titre conservatoire du 9 au 26 mars 2020.

Compte tenu de l'issue apportée au présent litige, à savoir la résiliation judiciaire du contrat de travail de la salariée produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse à la date d'envoi du courrier de licenciement (26 mars 2020), Madame [J] [L] apparaît bien fondée en sa demande de rappel de salaire sur mise à pied à titre conservatoire.

Il sera donc fait droit à sa demande de condamnation à somme de l'association APAJH 03 à hauteur de 3.485,82 euros (brut) à titre de rappel de salaire, outre 348 euros (brut) au titre de l'indemnité de congés payés correspondante.

- Sur les intérêts :

En application des dispositions des articles 1231-6 du code civil (ancien article 1153) et R. 1452-5 du code du travail, les sommes allouées, dont le principe et le montant résultent de la loi, d'un accord collectif ou du contrat portent intérêts au taux légal à compter de la date de convocation de l'employeur ou du défendeur devant le bureau de conciliation et d'orientation et, lorsqu'il est directement saisi, devant le bureau de jugement du conseil de prud'hommes, valant citation et mise en demeure, ce qui est applicable en l'espèce aux sommes allouées à titre d'indemnité de licenciement, d'indemnité compensatrice de préavis (outre congés payés afférents), ainsi que de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire (outre congés payés afférents) qui produisent intérêts de droit au taux légal à compter du 4 juin 2020.

Les sommes fixées judiciairement produisent intérêts au taux légal à compter de la date de prononcé du jugement déféré en cas de confirmation, ou de la date de prononcé du présent arrêt en cas de réformation ou d'annulation, ce qui est applicable en l'espèce à la somme allouée à titre de dommages-intérêts pour perte injustifiée de l'emploi qui produit intérêts de droit au taux légal à compter du 4 novembre 2025.

- Sur le remboursement à France Travail des allocations chômage :

En cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, sauf si le salarié a moins de deux ans d'ancienneté ou si l'entreprise emploie habituellement moins de onze salariés, le juge ordonne à l'employeur de rembourser aux organismes concernés tout ou partie des allocations chômage payées au salarié licencié du jour du licenciement au jour du jugement, dans la limite de six mois d'allocations par salarié. Ce remboursement est ordonné d'office si ces organismes ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

L'association APAJH 03 sera condamnée à rembourser à PÔLE EMPLOI devenu FRANCE TRAVAIL les indemnités de chômage versées à Madame [J] [L], du jour de son licenciement au jour du jugement du conseil de prud'hommes, dans la limite de six mois d'indemnités.

- Sur les dépens et les frais irrépétibles -

L'association APAJH 03 sera condamnée aux entiers dépens, de première instance et d'appel.

Il serait inéquitable, au sens des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, de laisser à la charge de Madame [J] [L] les frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'engager à l'occasion de cette double instance.

L'association APAJH 03 sera condamnée à payer à Madame [J] [L] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,

- Annule en toutes ses dispositions le jugement de départage rendu le 13 septembre 2022 par le conseil de prud'hommes de MONTLUCON (RG 20/00037) dans l'instance opposant l'association APAJH 03 à Madame [J] [L] ;

Statuant à nouveau,

- Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de Madame [J] [L] aux torts exclusifs de l'association APAJH 03 ;

- Dit que la rupture du contrat de travail de Madame [J] [L] produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse à la date du 26 mars 2020 ;

- Condamne l'association APAJH 03 à payer à Madame [J] [L] les sommes suivantes :

* 3.485,82 euros (brut) à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire, outre 348 euros (brut) au titre de l'indemnité de congés payés correspondante,

* 35.514 euros (brut) à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 3.551 euros (brut) au titre de l'indemnité de congés payés correspondante,

* 106.542 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

* 80.000 euros (brut), à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice subie du fait d'une perte d'emploi injustifiée ;

- Dit que les sommes allouées à titre d'indemnité de licenciement, d'indemnité compensatrice de préavis (outre congés payés afférents), ainsi que de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire (outre congés payés afférents) produisent intérêts de droit au taux légal à compter du 4 juin 2020 ;

- Dit que la somme allouée à titre de dommages et intérêts, pour résiliation judiciaire du contrat de travail produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, produit intérêts de droit au taux légal à compter du 4 novembre 2025 ;

- Condamne l'association APAJH 03 à rembourser à FRANCE TRAVAIL les indemnités de chômage versées à Madame [J] [L], du jour de son licenciement au jour du jugement du conseil de prud'hommes, dans la limite de six mois d'indemnités ;

- Condamne l'association APAJH 03 à payer à Madame [J] [L] une indemnité de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamne l'association APAJH 03 aux entiers dépens, de première instance et d'appel ;

- Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.

Le greffier, Le Président,

N. BELAROUI C. RUIN

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