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Décisions

CA Versailles, ch. com. 3-1, 5 novembre 2025, n° 23/08522

VERSAILLES

Arrêt

Autre

CA Versailles n° 23/08522

5 novembre 2025

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 30C

Chambre commerciale 3-1

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 05 NOVEMBRE 2025

N° RG 23/08522 - N° Portalis DBV3-V-B7H-WIEL

AFFAIRE :

[M] [V]

...

C/

S.A.R.L. B&O COIFFURE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 09 Octobre 2023 par le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Nanterre

N° RG : 22/08329

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Sophie ACQUERE

Me Katell FERCHAUX- LALLEMENT

TJ [Localité 10]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE CINQ NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [M] [V]

[Adresse 11]

[Adresse 3]

[Localité 8]

Madame [Z] [J] divorcée [V]

[Adresse 6]

[Localité 7]

Représentées par Me Sophie ACQUERE, avocat au barreau des HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 393

APPELANTS

****************

S.A.R.L. B&O COIFFURE

RCS [Localité 10] n° 537 513 988

[Adresse 5]

[Localité 9]

Représentée par Me Katell FERCHAUX-LALLEMENT de la SELARL BDL AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 629 et Me Gabriel NEU-JANICKI de la SELARL Cabinet NEU-JANICKI, plaidant, avocat au barreau de Paris

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 18 Septembre 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseillère chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente,

Madame Gwenael COUGARD, Conseillère,

Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseillère,

Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,

Exposé du litige

Par acte sous seing privé du 26 avril 2011, Mme [Z] [J] ex-épouse [V] et M. [M] [V] ont donné à bail commercial à la société Hair [Localité 12], pour une durée de neuf années à compter du 1er janvier 2011, des locaux commerciaux sis [Adresse 4] à [Localité 12] (Hauts-de-Seine) afin qu'elle y exploite une activité de salon de coiffure mixte, produits capillaires, esthétique, moyennant un loyer annuel de 41.177,04 euros hors taxes et hors charges.

Par acte sous seing privé du 29 novembre 2011, la société Hair [Localité 12] a cédé son fonds de commerce, incluant le droit au bail, à la société B&O Coiffure.

Le loyer annuel s'élevait en décembre 2019 à 45.221,40 euros hors taxes et hors charges.

Par acte extra-judiciaire du 24 décembre 2019, la société B&O Coiffure a sollicité le renouvellement du bail pour une durée de neuf années à compter du 1er janvier 2020, moyennant un loyer annuel fixé à la valeur locative d'un montant de 29.500 euros hors taxes et hors charges.

Mme [J] et M. [V] ont accepté le renouvellement du bail à effet du 1er janvier 2020 pour un loyer annuel hors charges et hors taxes de 47.392,95 euros.

Aucun accord n'a été trouvé sur le montant du loyer du bail renouvelé.

Par acte du 8 juillet 2020, la société B&O Coiffure a fait assigner Mme [J] et M. [V] devant le tribunal judiciaire de Nanterre aux fins de voir fixer le loyer renouvelé au 1er janvier 2020 à la valeur locative, soit 29.500 euros hors taxes et hors charges et, à défaut, à dire d'expert.

Par jugement du 7 décembre 2020, le tribunal a constaté le renouvellement du bail au 1er janvier 2020, avant dire droit sur le montant du loyer du bail renouvelé, ordonné une expertise confiée à M. [S] [R], fixé le loyer provisionnel dû par la société B&O Coiffure pour la durée de l'instance au loyer du bail expiré et sursis à statuer jusqu'au dépôt du rapport d'expertise.

L'expert judiciaire a déposé son rapport le 26 avril 2022.

Par jugement du 9 octobre 2023, le juge des loyers a :

- fixé le loyer du bail renouvelé au 1er janvier 2020 à la somme de 30.180 euros par an en principal ;

- débouté les parties de leurs demandes ;

- ordonné que les dépens, en ce compris les frais d'expertise, soient supportés par moitié entre les parties, en tant que de besoin les y a condamnées, et débouté les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 20 décembre 2023, Mme [J] et M. [V] ont interjeté appel de ce jugement sauf en ce qu'il a débouté les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 19 mars 2024, ils demandent à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau :

- fixer la surface locative à une surface utile de 89 m², telle que retenue dans le rapport d'expertise de M. [R], expert judiciaire ;

- fixer le prix unitaire à 500 euros le m² tel que proposé par M. [R], expert judiciaire ;

- fixer le loyer du bail renouvelé au 1er janvier 2020 entre Mme [J] et M. [V], d'une part, et la société B&O Coiffure, d'autre part, au titre des locaux sis [Adresse 4] à [Localité 14], à la somme de 44.500 euros HT euros par an en principal ;

- en toute hypothèse, condamner la société B&O Coiffure au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens en vertu de l'article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 17 juin 2024, la société B&O Coiffure demande à la cour de débouter Mme [J] et M. [V] de l'ensemble de leurs demandes et de confirmer le jugement en ce qu'il a fixé le loyer du bail renouvelé au 1er janvier 2020 à la somme de 30.180 euros par an en principal et rappelé que l'exécution provisoire est de droit et, y ajoutant :

- juger que les trop-perçus de loyer ont produit intérêts au taux légal depuis leur date d'exigibilité jusqu'à leur remboursement, et ce en vertu de l'article 1231-6 du code civil, avec capitalisation dans les conditions prévues par l'article 1343-2 du même code pour les intérêts correspondant à des trop-perçus de loyers dus depuis plus d'un an ;

- condamner Mme [J] et M. [V] à lui payer la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;

- juger qu'à défaut d'exercice par les parties de leur droit d'option prévu par l'article L.145-57 du code de commerce et qu'à défaut d'appel, ou si l'exécution provisoire est ordonnée, la décision à intervenir constituera titre exécutoire conforme aux dispositions des articles L.111-1 et suivants du code de procédure civile d'exécution.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 5 juin 2025.

SUR CE,

Dans le cadre de l'évaluation du loyer du bail renouvelé, les parties s'opposent sur la superficie des locaux loués et sur les corrections à apporter à la valeur locative.

Sur la superficie des locaux loués

Mme [J] et M. [V] demandent à la cour de fixer le loyer du bail renouvelé à la somme de 44.500 euros hors taxes et hors charges par an, sans opérer aucun abattement.

Ils demandent de retenir le prix unitaire de 500 euros/m² proposé par l'expert judiciaire et de fixer la surface locative à une surface utile de 89 m² et une surface locative pondérée de 83,65 m², telles que retenues par l'expert judiciaire, en écartant le métrage effectué par M. [O], géomètre-expert, après le dépôt du rapport d'expertise judiciaire. Ils font valoir qu'ils ont loué une cellule nue et non aménagée, sans aucune cloison, et qu'ils ne sauraient subir les conséquences des différents aménagements réalisés par les locataires.

La société B&O Coiffure demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a fixé le loyer du bail renouvelé à la somme de 30.180 euros hors taxes et hors charges par an, après corrections.

Elle confirme son accord sur le prix unitaire de 500 euros/m² et propose de retenir le métrage des locaux effectué à la demande des bailleurs par M. [O], géomètre-expert, soit 83,65 m², et, sur cette base, de procéder à la même pondération que celle effectuée par l'expert judiciaire pour aboutir à une surface pondérée de 71,36 m².

Sur ce,

Le bail désigne ainsi les locaux loués : « Local à usage de commerce représenté par le lot n°04, surface 95 m², de l'état descriptif des volumes d'un ensemble immobilier situé à [Adresse 13] [Localité 2][Adresse 1] ».

L'expert judiciaire a calculé une surface utile totale de 89 m² à partir des plans qui lui ont été communiqués et sous réserve d'un métrage précis réalisé par un géomètre-expert.

Il a indiqué qu'en cas de contestation de la surface utile par l'une des parties, il appartiendrait à celle-ci de missionner un géomètre-expert et que, dans cette hypothèse, la surface utile déterminée par le géomètre-expert sera retenue comme base de calcul.

Après le dépôt du rapport d'expertise judiciaire, les bailleurs ont fait appel à M. [D] [O], géomètre-expert, qui a mesuré sur place une surface utile de 83,65 m², inférieure de 5,35 m² à celle ayant servi de base de calcul à l'expert judiciaire.

La surface utile de 83,65 m², résultant de l'attestation de superficie du géomètre-expert du 19 juillet 2022, doit être retenue, peu important que son métrage ait été réalisé après le dépôt du rapport de l'expert judiciaire.

Les bailleurs se limitent à contester la surface utile de 83,65 m², sans discuter le calcul de la surface pondérée effectué par la société B&O Coiffure, qui a opéré une retenue de 5,35 m² sur la 2ème zone (5 à 10 mètres) de l'espace de vente pour tenir compte du mesurage du géomètre expert puis appliqué les mêmes coefficients de pondération que l'expert judiciaire, en fonction des zones définies par la charte de l'expertise en évaluation immobilière, soit 1,20 à la zone d'angle (11,64 m²), 1 à la 1ère zone (0 à 5 mètres) de l'espace de vente (33,79 m²), 0,80 à la 2ème zone (5 à 10 mètres) de l'espace de vente (20,79 m²) et 0,40 aux annexes (17,43 m²).

Il en résulte une surface pondérée de 71,36 m²p (13,97 + 33,79 + 16,63 + 6,97).

Sur les correctifs à apporter à la valeur locative

Aux termes de l'article R.145-8 du code de commerce, « les restrictions à la jouissance des lieux et les obligations incombant normalement au bailleur dont celui-ci se serait déchargé sur le locataire sans contrepartie constituent un facteur de diminution de la valeur locative. Il en est de même des obligations imposées au locataire au-delà de celles qui découlent de la loi ou des usages. Les améliorations apportées aux lieux loués au cours du bail à renouveler ne sont prises en considération que si, directement ou indirectement, notamment par l'acceptation d'un loyer réduit, le bailleur en a assumé la charge ».

L'expert judiciaire a appliqué à la valeur locative :

- une minoration correspondant au montant de la taxe foncière,

- un abattement de 10% pour livraison « brut de béton » dans l'hypothèse d'une accession des travaux en fin de jouissance.

La société B&O Coiffure sollicite l'application d'un abattement de 1.932 euros au titre de la taxe foncière et d'un abattement de 10 % au titre de la clause d'accession qui doit selon elle être interprétée comme organisant une accession en fin de jouissance compte tenu de la contradiction consistant à prévoir à la fois une accession en fin de bail et une faculté d'arasement au profit des bailleurs.

Mme [J] et M. [V] estiment injustifiés :

- la minoration au titre du transfert de la taxe foncière sur le preneur, qui pourra déduire cette taxe de ses frais généraux ;

- l'abattement de 10% au titre de la clause d'accession stipulée au bail, dès lors que les locaux ont été livrés bruts, que les travaux ont fait accession aux bailleurs en fin de bail, que le précédent preneur, la société Hair [Localité 12], a exploité et amorti ces travaux durant les 9 ans de son activité et qu'en acquérant le droit au bail, la société B&O Coiffure a accepté toutes les clauses du bail.

- sur la déduction de la taxe foncière :

Selon l'article A5-5 du bail, le preneur s'engage à régler au bailleur la taxe foncière.

Cette clause est exorbitante du droit commun dès lors que le paiement de cet impôt incombe normalement au bailleur, peu important le sort comptable réservé à ce paiement dans les comptes du preneur.

Le montant non discuté de la taxe foncière, soit 1.932 euros, correspondant au montant de la taxe foncière 2019 ainsi qu'il résulte du rapport d'expertise judiciaire, doit en conséquence être déduit de la valeur locative.

- sur l'abattement au titre de la clause d'accession :

L'article B-10 « Autorisation de travaux » du bail stipule :

« Le preneur est autorisé à effectuer les travaux de réaménagement desdits locaux suivant plan annexé pour les besoins de développement de son activité (').

Les aménagements, installations et équipements effectué par le preneur deviendront propriété pure et simple du bailleur au terme de la location, que celle-ci prenne fin à l'échéance des neuf années de bail ou de manière anticipée pour une raison quelconque. Le preneur n'aura droit à aucune indemnité pour les travaux qu'il aura dû délaisser à sa sortie des lieux.

Il est convenu en outre qu'à l'expiration du présent bail, le bailleur pourra demander, si besoin est, le rétablissement, aux frais du preneur, des locaux dans leur état initial. »

La société B&O Coiffure critique la rédaction de cette clause sans remettre en cause son application aux travaux qu'elle serait éventuellement amenée à réaliser dans les locaux loués.

Les travaux réalisés par le précédent preneur, la société Hair [Localité 12], sous l'empire du bail échu, ont fait accession aux bailleurs, qui sont devenus propriétaires de ces travaux le 29 novembre 2011, à l'issue de la cession du fonds de commerce à la société B&O Coiffure. Dès lors, les arguments invoqués par Mme [J] et M. [V], relativement aux travaux effectués par le précédent preneur, pour s'opposer à l'application d'un abattement sont inopérants.

La clause d'accession du bail renouvelé, selon laquelle les travaux effectués par le preneur deviendront la propriété du bailleur, est une clause exorbitante du droit commun, ce qui justifie l'abattement de 10% appliqué par le juge des loyers, qui est conforme aux usages.

Il s'ensuit que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a fixé le loyer du bail renouvelé au 1er janvier 2020 à la somme de 30.180 euros par an hors taxes et hors charges ([71,36 m²p x 500 euros] ' 1.932 ' [10% x 35.680]).

Sur la demande en paiement d'intérêts sur les trop-perçus de loyer

L'article L.145-57 du code de commerce dispose que « Pendant la durée de l'instance relative à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé, le locataire est tenu de continuer à payer les loyers échus au prix ancien (') sauf compte à faire entre le bailleur et le preneur, après fixation définitive du prix du loyer ».

Il sera fait droit à la demande de la société B&O Coiffure de voir juger que les trop-perçus de loyer depuis le renouvellement du bail ont produit intérêts au taux légal, avec capitalisation des intérêts, dès lors qu'il n'est pas contesté qu'elle a continué à régler un loyer de 45.221,40 euros hors taxes et hors charges par an, d'un montant supérieur au loyer du bail renouvelé tel que fixé par le présent arrêt.

L'action ayant été introduite par une assignation délivrée à l'initiative du preneur, ces intérêts ont couru à compter de la notification par le bailleur de son mémoire en défense, soit le 2 octobre 2020, et non à compter de la date d'exigibilité des loyers jusqu'à leur remboursement comme le demande la société B&O Coiffure.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dispositions du jugement déféré relatives aux dépens, comprenant les frais d'expertise judiciaire, et à l'article 700 du code de procédure civile seront confirmées.

Mme [J] et M. [V], qui succombent en leur appel, supporteront les dépens d'appel. Ils ne peuvent de ce fait prétendre à une indemnité procédurale et seront condamnés à payer à la société B&O Coiffure la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;

Y ajoutant,

Dit que les intérêts au taux légal sur la différence entre le loyer effectivement acquitté et le loyer du bail renouvelé ont couru à compter du 2 octobre 2020 et qu'ils seront capitalisés conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;

Condamne Mme [Z] [J] et M. [M] [V] aux dépens d'appel ;

Condamne Mme [Z] [J] et M. [M] [V] à payer à la société B&O Coiffure la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente, et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier La Présidente

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