CA Paris, Pôle 5 - ch. 6, 5 novembre 2025, n° 25/01777
PARIS
Arrêt
Autre
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 6
ARRET DU 05 NOVEMBRE 2025
(n° ,13 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 25/01777 - N° Portalis 35L7-V-B7J-CKWVA
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 09 Décembre 2024 - juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Meaux 1ère chambre - RG n° 24/00911
APPELANTE
Madame [S] [E] épouse [X]
née le [Date naissance 2] 1964 à [Localité 8]
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentée par Me Hugues FRACHON, avocat postulant au barreau de Paris, substituant à l'audience Me Arnaud DELOMEL, avocat au barreau de Rennes, avocat plaidant
INTIMÉES
S.A. BOURSORAMA
[Adresse 4]
[Localité 7]
N°SIREN : 351 058 151
agissant poursuites et diligences de son directeur général domicilié en cette qualité audit siège
Représentée par Me Arnaud-Gilbert RICHARD de la SAS RICHARD ASSOCIES, avocat au barreau de Paris, toque : B1070
S.A. CAIXABANK SA, société de droit espagnol immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Valence sous le numéro Feuille V - 178351, Volume 10370 Folio 1
[Adresse 3]
[Localité 5] (Espagne)
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualit audit siège
Représentée par Me Claude LAROCHE de la SELARL CABINET SABBAH & ASSOCIES, avocat au barreau de Paris, toque : P0466, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 906 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 25 Septembre 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Pascale SAPPEY-GUESDON, conseillère, entendue en son rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Vincent BRAUD, président de chambre
Mme Pascale SAPPEY-GUESDON, conseillère
Mme Anne BAMBERGER, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé parVincent BRAUD, président de chambre et par Mélanie THOMAS, greffier, présent lors de la mise à disposition.
* * * * *
PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 13 janvier 2025, Mme [S] [E] (épouse [X]) a interjeté appel d'une ordonnance rendue le 9 décembre 2024 en ce que le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Meaux [ce dernier ayant été saisi par voie d'assignations délivrées à la requête de Mme [E] aux sociétés Boursorama et Caixabank] a statué ainsi :
'Déclare irrecevable l'action engagée par Mme [S] [E], épouse [X], à l'encontre de la société Caixabank pour cause de prescription ;
Condamne Mme [S] [E], épouse [X], aux dépens ;
Rejette la demande présentée par la société Caixabank sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Renvoie les parties à l'audience de mise en état du 13 janvier 2025 pour conclusions en
demande au fond (...)';
***
À l'issue de la procédure d'appel clôturée le 2 septembre 2025 les prétentions des parties s'exposent de la manière suivante.
Au dispositif de ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 24 juillet 2025, l'appelant
présente, en ces termes, ses demandes à la cour :
'Vu le Règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 dit 'Bruxelles I BIS',
Vu le Règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 dit 'Rome II',
Vu l'article 2224 du Code civil,
Vu les articles 1968 et 1973 du Code civil espagnol,
Vu l'ordonnance rendue par le JME de MEAUX le 9 décembre 2024,
Vu la jurisprudence française et européenne,
Il est demandé à la cour d'appel de Paris de :
' INFIRMER l'ordonnance rendue le 9 décembre 2024 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Meaux en ce qu'elle a :
- Déclaré irrecevable l'action engagée par Mme [S] [E], épouse [X], à l'encontre de la société CAIXABANK pour cause de prescription ;
- Condamné Mme [S] [E], épouse [X] aux dépens.
Et statuant à nouveau :
A TITRE PRINCIPAL :
- DECLARER le droit français comme applicable à l'action en responsabilité engagée par Madame [S] [E], épouse [X] à l'encontre de la société CAIXABANK ;
- RECEVOIR les demandes de Madame [S] [E], épouse [X] à l'encontre de la société CAIXABANK ;
A TITRE SUBSIDIAIRE :
- DECLARER le droit espagnol comme applicable à l'action en responsabilité engagée par Madame [S] [E], épouse [X] à l'encontre de la société CAIXABANK ;
- RECEVOIR les demandes de Madame [S] [E], épouse [X] à l'encontre de la société CAIXABANK et les juger comme étant non prescrites.
EN TOUT ETAT DE CAUSE :
- CONDAMNER la société CAIXABANK à verser à Madame [S] [E], épouse [X] la somme de 1.500 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- CONDAMNER la même aux entiers dépens.'
Au dispositif de ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 1er septembre 2025, la société Caixabank, intimé
présente, en ces termes, ses demandes à la cour :
'Vu l'article 122 du Code de Procédure Civile,
Vu le Réglement (CE) n°864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non-contractuelles ('Rome II'),
Vu les articles 1089, 1902 et 1968 du Code civil espagnol.
Il est demandé à la Cour d'Appel de Paris de :
RECEVOIR la société CAIXABANK SA en ses demandes, l'y DECLARER bien fondée et DEBOUTER Madame [S] [E] épouse [X] de toutes ses demandes, fins et prétentions formulées à l'encontre de la société CAIXABANK SA.
CONFIRMER en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 9 décembre 2024 par le Juge de la mise en état de la 1ere Chambre du Tribunal Judiciaire de Meaux (RG n°24/00911 ; Minute n°24/978).
DEBOUTER Madame [S] [E] épouse [X] de toutes ses demandes, fins et prétentions formulées à l'encontre de la société CAIXABANK SA, y compris celles relatives à la condamnation de la société CAIXABANK SA au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et des entiers dépens.
CONDAMNER Madame [S] [E] épouse [X] à payer à la société CAIXABANK SA la somme de 3.000 Euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
CONDAMNER Madame [S] [E] épouse [X] aux entiers dépens, lesquels pourront être recouvrés, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.'
Au dispositif de ses conclusions communiquées par voie électronique le 25 août 2025, qui constituent ses uniques écritures, la société Boursorama, intimé
présente, en ces termes, ses demandes à la cour :
'Il est demandé à la Cour d'appel de :
DONNER ACTE à la société BOURSORAMA qu'elle s'en rapporte à justice sur le bien fondé de cet appel contre l'Ordonnance du 9 décembre 2024 (RG n°24/00911),
CONDAMNER la partie qui succombera à régler la somme de 1.000 euros à la société BOURSORAMA sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux
entiers dépens du procès.'
Par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs conclusions précitées.
MOTIFS DE LA DECISION
1 - Mme [S] [E] expose avoir été contactée au début du mois d'octobre 2022 par une personne se présentant comme un conseiller financier de l'établissement bancaire BNP Paribas ayant pour nom commercial 'Hello Bank', qui lui a proposé d'investir dans un livret d'épargne à terme reposant sur l'acquisition et la gestion de parts de société civile de placement immobilier, tout en l'assurant que le produit de placement était sûr, sécurisé et rentable. Mise en confiance par la notoriété de l'établissement bancaire Mme [E] a choisi d'investir par son intermédiaire et a signé deux contrats au cours des mois d'octobre et de novembre 2022, puis a effectué, utilisant les coordonnées bancaires transmises par son interlocuteur, plusieurs virements bancaires (15 000 euros, le 12 octobre 2022 ; 16 000 euros, le 17 octobre 2022 ; 27 500 euros, le 1er novembre 2022 ' soit la somme totale de 58 500 euros) depuis son compte bancaire ouvert auprès de Boursorama vers celui de 'Linards', domicilié en Espagne dans les livres de l'établissement bancaire Caixabank, ayant pour IBAN le numéro [XXXXXXXXXX09].
Suite au refus d'exécution par sa banque d'un quatrième ordre de virement, d'un montant de 41 500 euros, par courriel en date du 25 novembre 2022 Mme [E] a demandé la restitution de la totalité des sommes versées et il lui a été répondu le même jour que le retour de ses capitaux ainsi que la clôture de son livret sera effectif sous un délai de 30 jours. Le 30 novembre 2022, Mme [X] a déposé plainte contre X pour escroquerie, au commissariat de police de [Localité 10]. La procédure de rappel des fonds qu'elle a sollicitée auprès de Boursorama a été infructueuse.
2 - À défaut de réponse satisfaisante aux courriers que son avocat a adressés les 23 et 26 mars 2023 aux sociétés Caixabank et Boursorama, mises en demeure d'avoir à lui rembourser la somme de 58 500 euros, par actes de commissaires de justice en date des 13 et 21 février 2024 Mme [E] a fait assigner en responsabilité la société Boursorama et la société Caixabank, devant le tribunal judiciaire de Meaux, auquel il était demandé de :
'A TITRE PRINCIPAL :
- Juger et retenir que les sociétés BOURSORAMA et CAIXABANK S.A. n'ont pas respecté leur obligation légale de vigilance au titre du dispositif de LCB-FT (Code monétaire et financier).
- Juger que les sociétés BOURSORAMA et CAIXABANK S.A. sont responsables des préjudices subis par Madame [X].
- Condamner in solidum les sociétés BOURSORAMA et CAIXABANK S.A. à rembourser à Madame [X] la somme de 58.500 € en réparation de son préjudice matériel.
- Condamner in solidum les sociétés BOURSORAMA et CAIXABANK S.A. à verser à Madame [X] la somme de 11.700 €, correspondant à 20 % du montant de son investissement, en réparation de son préjudice moral et de jouissance.
- Condamner in solidum les sociétés BOURSORAMA et CAIXABANK S.A. à verser à Madame [X] la somme de 5.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
- Condamner les mêmes, in solidum, aux entiers dépens.
A TITRE SUBSIDIAIRE :
- Juger et retenir que les sociétés BOURSORAMA et CAIXABANK S.A. n'ont pas respecté leur obligation légale de vigilance (Code civil).
- Juger que les sociétés BOURSORAMA et CAIXABANK S.A. sont responsables des préjudices subis par Madame [X].
- Condamner in solidum les sociétés BOURSORAMA et CAIXABANK S.A. à rembourser à Madame [X] la somme de 58.500 € en réparation de son préjudice matériel.
- Condamner in solidum les sociétés BOURSORAMA et CAIXABANK S.A. à verser à Madame [X] la somme de 11.700 €, correspondant à 20 % du montant de son investissement, en réparation de son préjudice moral et de jouissance.
- Condamner in solidum les sociétés BOURSORAMA et CAIXABANK S.A. à verser à Madame [X] la somme de 5.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
- Condamner les mêmes, in solidum, aux entiers dépens.
A TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE :
- Juger et retenir que la société BOURSORAMA est responsable de plein droit, en matière d'opérations de paiement non autorisées, aux termes des dispositions des articles L. 133-17 et suivants du Code monétaire et financier.
- Juger et retenir que la société BOURSORAMA n'a pas respecté son obligation de remboursement des fonds suite à des opérations de paiement non autorisées, conformément
aux dispositions des articles L. 133-18 et suivants du Code monétaire et financier.
- Condamner la société BOURSORAMA à rembourser à Madame [X] la somme de 58.500 € en réparation de son préjudice matériel.
- Condamner la société BOURSORAMA à verser à Madame [X] la somme de 11.700 €, correspondant à 20 % du montant de son investissement, en réparation de son préjudice moral et de jouissance.
- Condamner la société BOURSORAMA à verser à Madame [X] la somme de 5.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
- Condamner la même aux entiers dépens.'
3 - La société Caixabank par conclusions du 3 septembre 2024 a saisi d'incident le juge de la mise en état, lui demandant, au visa des articles 73, 74 et 75, 122, 789 du code de procédure civile, du Règlement (CE) n°864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non-contractuelles dit 'Rome II', des articles 1089, 1902 et 1968 du code civil espagnol : 'À titre principal, de dire et juger que le droit espagnol est applicable aux relations extracontractuelles existantes entre la société Caixabank et Mme [E], et ce faisant, dire et juger que l'action en responsabilité délictuelle initiée par Mme [E] à l'encontre de la société de droit espagnol Caixabank est prescrite au regard du droit espagnol, et en conséquence, déclarer Mme [E] irrecevable en l'intégralité de ses prétentions formulées à l'encontre de la société Caixabank'.
A) Sur la détermination de la loi applicable
La société Caixabank comme devant le premier juge fait valoir que le Règlement CE N°864/2007 Rome II du 11 juillet 2007, sur la loi applicable aux obligations non contractuelles forme, depuis son entrée en vigueur le 11 janvier 2009, le droit commun des conflits de loi en matière délictuelle.
Ce règlement dispose en son article 4.1 que 'sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent'. Cet article distingue donc parfaitement le lieu du fait générateur du dommage, ou encore de l'événement causal (savoir le prétendu manquement de la banque à son obligation de vigilance et de surveillance) du lieu du fait dommageable (correspondant à l'encaissement sur le compte bénéficiaire de la somme virée, soit en l'espèce en Espagne) et assimile le lieu du dommage au lieu du fait dommageable et non au lieu du fait générateur du dommage. Il n'y a pas lieu, au vu de ce texte, de considérer pour déterminer la loi applicable, le lieu du fait générateur du dommage ou de l'événement causal (quoiqu'il en soit, en l'espèce situé en Espagne).
La jurisprudence de manière constante retient l'irrecevabilité des demandes pour prescription en appliquant la loi étrangère, et non la loi française, à l'établissement bancaire étranger ayant reçu en ses livres le ou les virements objet du litige, la Cour de cassation retenant que le lieu où le dommage est survenu est celui où l'appropriation indue par le dépositaire des fonds s'est produite, le 'lieu de matérialisation du dommage' ne saurait donc être concernant l'action dirigée contre la banque réceptrice des fonds, le lieu de l'établissement bancaire dans lequel est ouvert le compte de la victime ou le lieu où l'ordre de virement a été donné. En l'espèce, le lieu du fait dommageable est situé en Espagne et détermine la loi espagnole comme étant la loi applicable dans le rapport opposant Mme [E] à la société Caixabank.
Au cas présent, il n'existe aucun lien plus étroit avec un autre pays que l'Espagne, pour ne pas voir appliquer la loi espagnole dans le rapport opposant Mme [E] à la société Caixabank, puisque :
- La société Caixabank est une société espagnole située en Espagne, de la même façon que la société Linards, bénéficiaire des virements litigieux.
- Le lieu du fait dommageable est situé en Espagne, puisque les virements litigieux ont été prétendument crédités sur le compte bancaire de la société Linards, qui est une société espagnole située en Espagne, sur un compte bancaire ouvert dans les livres de la société Caixabank, elle-même située en Espagne, de telle sorte que le préjudice financier par l'appropriation indue des sommes litigieuses se serait réalisé en Espagne.
- L'événement causal du dommage reproché à la société Caixabank, à savoir le prétendu manquement à son obligation de vigilance lors de l'ouverture et lors de la tenue du compte de la société Linards, se situe lui aussi en Espagne, puisqu'il s'agit d'un compte bancaire ouvert dans les livres d'une banque espagnole située en Espagne.
- Les RIB produits aux débats par Mme [E] ayant servi aux virements litigieux pour un total de 58 500 euros, indiquent bien, s'agissant du compte bénéficiaire desdits virements, un compte bancaire situé en Espagne,
- L'appropriation indue des virements litigieux s'est donc réalisée en Espagne, et non sur un compte bancaire localisé en France, ouvert dans les livres d'une banque française ou dans les livres d'une banque étrangère en sa succursale en France.
- Mme [E] n'était aucunement dans une relation d'affaire préexistante avec la réelle société 'Hello Bank' avant d'avoir été contactée par une personne se faisant nommer '[D] [J]' se présentant comme étant conseiller financier de l'établissement bancaire BNP Paribas, ayant pour nom commercial 'Hello Bank', afin d'opérer des investissements dans un livret 'Hello SCPI'.
- Mme [E] n'était pas davantage dans une relation d'affaire préexistante avec la société Caixabank ou la société Linards,
- Mme [E] ne démontre aucunement avoir été démarchée par la société Caixabank ou la société Linards.
- Le fait que Mme [E] soit de nationalité française, réside en France et ait procédé aux virements litigieux via sa banque située en France, qu'elle ait porté plainte en France, ne constitue pas des éléments de rattachement pertinents au regard de l'article 4 du Règlement Européen Rome II du 11 juillet 2007 permettant d'appliquer, au lieu de la législation espagnole, la législation française.
En cause d'appel Mme [E] réitère que le droit applicable à l'encontre de la société Caixabank est bien le droit français.
Elle fait valoir que le Règlement (CE) N°864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles dit 'Rome II' doit être lu et interprété à la lumière du règlement (UE) n°1215 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale dit 'Bruxelles I bis'. Les principes consacrés par les deux règlements européens sont clairs, et il en résulte que la loi du pays du domicile de la victime est applicable, lorsque le dommage allégué consistant en un préjudice financier se réalise directement sur un compte bancaire de celle-ci ouvert auprès d'une banque établie dans le pays de son domicile. Les jurisprudences européenne et française se rejoignent pour considérer que le lieu de la matérialisation du dommage se situe dans les conséquences de la perte des fonds, sur le compte bancaire de la personne victime de l'escroquerie.
En l'espèce, le dommage subi par Mme [E] s'est matérialisé dès l'exécution des ordres de virement réalisée par son établissement bancaire, la société Boursorama, par l'intermédaire duquel, à la suite de manoeuvres frauduleuses, elle s'est dessaisie de ses fonds au profit des auteurs de l'escroquerie. Par ailleurs d'autres éléments de rattachement pertinents, d'autres circonstances particulières concourent à l'application du droit français à l'encontre de l'établissement bancaire espagnol. La cour devra prendre en considération les éléments de rattachement suivants :
- Mme [E] est de nationalité française,
- Mme [E] réside en France,
- L'infraction a été commise par l'intermédiaire d'un site internet accessible en France et en français ; les victimes françaises sont démarchées en ligne et sont ensuite invitées à créer un compte sur le site internet exploité par les escrocs ; ce site internet et la création de profils fictifs associés sont des éléments de qualification de l'infraction pénale d'escroquerie puisqu'ils constituent des manoeuvres frauduleuses destinées à tromper l'utilisateur dans le seul but de se faire remettre des fonds ; Mme [E] a signé le contrat litigieux à distance avec la structure BNP Paribas en France ;
- Mme [E] a subi, directement sur son compte bancaire ouvert en France, la soustraction des sommes dont elle était propriétaire avant les opérations litigieuses.
L'ensemble de ces éléments de rattachement permettent de retenir l'application du droit français au présent litige et son opposabilité à la société Caixabank.
En conséquence la Cour devra déclarer le droit français comme applicable à l'action en responsabilité civile engagée par Mme [E] à l'encontre de la société Caixabank.
Sur ce
Pour retenir l'application de la loi espagnole aux faits de la cause, le juge de la mise en état a fondé sa décision sur l'article 4 du Règlement (CE) n° 864/2007 du parlement européen et du conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (dit 'Rome II'), dont il a énoncé les termes, et qui dispose que :
'1. Sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quelque soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent.
2. Toutefois, lorsque la personne dont la responsabilité est invoquée et la personne lésée ont leur résidence habituelle dans le même pays au moment de la survenance du dommage, la loi de ce pays s'applique.
3. S'il résulte de l'ensemble des circonstances que le fait dommageable présente des liens
manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé aux paragraphes 1 ou 2, la loi de cet autre pays s'applique. Un lien manifestement plus étroit avec un autre pays pourrait se fonder, notamment, sur une relation préexistante entre les parties, tel qu'un contrat, présentant un lien étroit avec le fait dommageable en question.'
Ensuite, le juge de la mise en état a retenu, pour juger que la loi applicable aux faits de la cause est la loi espagnole :
- qu'en matière d'escroquerie où la remise des fonds s'effectue par virement bancaire, le lieu de survenance du dommage est celui où l'appropriation des fonds s'est produite. En l'espèce, l'appropriation des fonds s'est produite en Espagne. Ce pays est donc le lieu de survenance du dommage au sens de l'article du Règlement n° 864/2007 du 11 juillet 2007,
- que le fait que la victime soit de nationalité française et réside en France, que les effets de l'appropriation des fonds aient été ressentis par celle-ci en France, que les fonds prétendument investis l'aient été par l'intermédiaire d'ordres de virement à partir de ses comptes ouverts en France, que le site internet par le biais duquel l'escroquerie a été effectuée soit accessible en France, ne constituent pas des liens manifestement plus étroits avec la France que celui avec le pays de survenance du dommage, étant à relever qu'aucune relation ne préexistait entre Mme [E] et la société Caixabank avant les faits litigieux.
Cependant, en dernier lieu, par arrêt du 1er octobre 2025 (Com., 1er octobre 2025, pourvoi n° 22-23.136, publié), la Cour de cassation a confirmé la décision d'une cour d'appel qui ayant constaté que l'investisseur, domicilié en France, était titulaire d'un compte ouvert auprès d'une banque établie en France, à partir duquel des virements avaient été ordonnés pour réaliser des investissements à la suite d'un démarchage dont il avait fait l'objet en France, a ainsi fait ressortir que le préjudice financier avait été directement subi sur le compte bancaire de l'investisseur ouvert en France.
En l'espèce, si la société Caixabank justifie avoir son siège social en Espagne, tenir les comptes de ses clients et ceux sur lesquels ont été diverties les sommes litigieuses en Espagne, et être soumise au droit espagnol, Mme [E] quant à elle justifie d'éléments propres à faire considérer que le dommage s'est réalisé directement sur son compte bancaire ouvert en France auprès de la société Boursorama, en ce que les virements litigieux ont été ordonnés depuis ce compte et que les effets de l'appropriation y ont été ressentis.
Toutefois, Mme [E] ne justifie pas que d'autres circonstances particulières concourent à désigner la loi du lieu de matérialisation de ce préjudice purement financier, dès lors que :
- sa nationalité française et son domicile en France sont inopérants,
- il n'est mis en évidence aucune opération de démarchage à son égard, la société Caixabank relatant sans être contredite sur ce point, que Mme [E] affirme dans son assignation ainsi que dans sa plainte pénale déposée le 30 novembre 2022, avoir remarqué une publicité proposant un placement avec un taux de rendement de 6 %, ce qui l'a conduite à laisser ses coordonnées sur une plateforme pour suite à donner,
- la convention d'ouverture de compte épargne qu'elle a signée le 4 novembre 2022 visiblement à son domicile de [Localité 6] (Seine-et-Marne) ne concerne pas la société Caixabank,
- il n'est démontré aucune activité, ni intention commerciale de celle-ci à son égard, laquelle n'a fait que réceptionner les virements sur ses comptes en Espagne.
Il se déduit de l'ensemble de ces éléments qu'en l'espèce le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec l'Espagne, pays autre que celui désigné en application de l'article 4 § 1, du règlement dit Rome II (la France) de sorte qu'il convient de retenir l'application de la loi espagnole dans le litige opposant Mme [E] à la société Caixabank.
B) Sur la prescription
La société Caixabank devant le juge de la mise en état faisait valoir que selon jurisprudence constante il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger, d'en rechercher la teneur, soit d'office, soit à la demande la partie qui l'invoque, avec le concours des parties et personnellement s'il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger. Comme le précise la consultation du 20 mars 2019 rédigée par Maître Luis Ferrer Vicent, avocat au barreau de Valence, en droit espagnol toute action en responsabilité délictuelle se prescrit par un an à compter du jour où la partie lésée à connaissance de la faute ou de la négligence qui lui a été préjudiciable, conformément à l'article 1968 du code civil espagnol. En l'espèce, Mme [E] a eu connaissance de l'escroquerie le 30 novembre 2022, date à laquelle elle a déposé une plainte pénale de ce chef. Le délai d'un an pour assigner la société Caixabank en responsabilité délictuelle courait donc à compter du 30 novembre 2022 et expirait le 30 novembre 2023, de telle sorte que les prétentions formulées par Mme [E] à l'encontre de la société Caixabank sont prescrites, l'assignation étant datée du 21 février 2024.
Mme [E] soutenait que concernant la prescription extinctive, l'article 2224 du code civil dispose que 'les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer'. Le principe posé par la Cour de cassation est que la prescription d'une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en a pas eu précédemment connaissance. En l'espèce, c'est à juste titre que la société Caixabank soutient que Mme [E] a eu connaissance de l'escroquerie au plus tard le 30 novembre 2022, jour de son dépôt de plainte. En application des dispositions légales françaises relatives à la prescription, elle avait donc jusqu'au 30 novembre 2027 pour introduire son action en responsabilité à l'encontre de la banque espagnole. Ayant fait assigner la société Caixabank le 21 février 2024, son action en justice est recevable, pour avoir été introduite dans le délai de prescription quinquennale.
Sur ce
1. L'ordonnance juge de la mise en état énonce :
'Il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger d'en rechercher, soit d'office, soit à la demande de la partie qui l'invoque, la teneur, avec le concours des parties et personnellement s'il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger.
La société Caixabank soutient, sans être contredite, qu'en droit espagnol, l'action en responsabilité extracontractuelle se prescrit par un an, en application de l'article 1968 du code civil espagnol, lequel dispose que :
'On prescrit par un an :
1° L'action pour recouvrer ou conserver la possession ;
2° L'action civile en réparation de l'injure et de la calomnie et l'action née des obligations
dérivant de la faute ou de la négligence que vise l'article 1902. La prescription court du moment où la victime a connu son préjudice.'
Aux termes de l'article 1902 du même code, 'celui qui par action ou omission, cause un préjudice à un tiers du fait d'une faute ou d'une négligence est tenu de réparer le dommage
causé.'
Mme [X] indique dans ses conclusions qu'à la suite du refus d'exécution d'un quatrième ordre de virement d'un montant de 41 500 euros par sa banque, elle a appris être victime d'une escroquerie.
Par courriel en date du 25 novembre 2022, elle a demandé au prétendu conseiller de la société 'Hello Bank' la récupération de la somme de 58 500 euros.
Le 30 novembre 2022, Mme [X] a déposé plainte contre x pour escroquerie au commissariat de [Localité 10].
Il s'en déduit qu'elle a été convaincue d'avoir été victime d'escroquerie le 25 novembre 2022 et à tout le moins le 30 novembre 2022, point de départ de la prescription.
Madame [X] a fait assigner la société Caixabank le 21 février 2024 devant le tribunal judiciaire de Meaux, soit plus d'un an à compter du 30 novembre 2022.
Il s'ensuit que son action à l'encontre de la société Caixabank est prescrite et sera déclarée irrecevable.'
L'article 122 du code de procédure civile dispose que constitue une fin de non recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
Comme l'a rappelé le juge de la mise en état, il lui appartient de déterminer la loi applicable pour statuer sur la fin de non recevoir.
En outre, il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger d'en rechercher la teneur, soit d'office, soit à la demande d'une partie qui l'invoque, et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger.
Comme vu précédemment, en l'absence de tout autre élément pertinent de rattachement attestant de liens plus étroits de nature à concourir à la désignation de la loi française, la loi espagnole est applicable aux faits de la cause.
2. Les articles 1902 et 1968 du code civil espagnol, dont la teneur et le champ d'application en l'espèce ne sont pas discutés par Mme [E], prévoient que le délai de prescription est d'un an à compter de la connaissance du préjudice. Il n'est pas plus contesté que le délai de prescription a commencé à courir, au plus tard, le 30 novembre 2022, date à laquelle Mme [E] a déposé plainte pour escroquerie.
Cependant, à hauteur d'appel, Mme [E] soutient à titre subsidiaire, qu'à supposer que le droit espagnol soit applicable, le cours de la prescription a été interrompu, en l'espèce par un acte extrajudiciaire, comme il est prévu à l'article 1973 du code civil espagnol. La jurisprudence espagnole caractérise l'acte extrajudiciaire comme étant un acte externe, concret, et légalement reconnu. Au cas présent, il s'agit de la mise en demeure que par acte extrajudiciaire du 23 mai 2023 le conseil de Mme [E] a adressé à la société Caixabank - pièce 13 - qui de par son effet interruptif a fait courir un nouveau délai de prescrition d'un an à compter de sa date, en sorte que Mme [E] avait donc jusqu'au 23 mai 2024 pour faire assigner la société Caixabank.
La société Caixabank sur ce dernier point réplique que le courrier de mise en demeure adressé par la voie postale en recommandé par Maître Delomel à la société Caixabank n'a eu aucun effet interruptif dans la mesure où cette lettre de mise en demeure n'a pas été transmise en application et dans les conditions prévues au Réglement (UE) 2020/1784 du Parlement Européen et du Conseil du 25 novembre 2020, étant à préciser :
- Qu'il ne s'agit pas d'un 'acte extrajudiciaire' : l'acte extrajudiciaire est traditionnellement défini par opposition à l'acte judiciaire et il est souvent assimilé à un acte de signification accompli par un officier public en dehors d'une procédure judiciaire. Afin de définir l'acte extra-judiciaire, il est nécessaire de distinguer les éléments qui tendent à le caractériser (acte unilatéral utile à la réalisation d'une opération juridique par exemple la protection du droit d'agir), de ceux relatifs à sa transmission ;
- Que le règlement (UE) 2020/1784 du 25 novembre 2020 est un instrument de l'Union européenne (UE) relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale, autrement dit à leur transmission. Ce texte, applicable depuis le 1er juillet 2022, a remplacé les deux précédents règlements communautaires relatifs aux significations et notifications, le règlement (CE) 1348/2000 du 29 mai 2000 et le règlement (CE) n° 1393/2007 du 13 novembre 2007. Avant l'adoption de ces textes, la signification et la notification entre États membres de l'UE était principalement régie par la Convention de La Haye du 15 novembre 1965 relative à la signification et à la notification à l'étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale. Le règlement s'applique pour les communications d'actes en matière civile ou commerciale entre les 27 États membres de l'UE : Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Chypre, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Slovaquie, Slovénie, Suède. Le principal objet de cet instrument est de prévoir les méthodes par lesquelles des actes seront transmis à l'étranger soit aux autorités compétentes de l'État de réception soit directement au destinataire. Le règlement met en place un mode principal de transmission (art. 3, 3, 4, 5, 6 et 8) dans la section 1 (Transmission ou notification des actes judiciaires) de son chapitre II (Actes judiciaires), articulé autour de l'intervention de trois organes : entités d'origine, entités requises et organismes centraux.
L'unique article (art. 21) du chapitre III (Actes extrajudiciaires) dispose que 'Les actes extrajudiciaires peuvent être transmis vers un autre État membre et signifiés ou notifiés dans ce dernier conformément au présent règlement'. Le règlement propose cinq 'Autres moyens de transmission et de signification ou de notification des actes judiciaires' dans la section 2 du chapitre II et notamment celle par l'intermédiaire des service postaux, à travers son article 18 qui dispose que : 'La signification ou la notification d'actes judiciaires à des personnes présentes dans un autre État membre peut être effectuée directement par l'intermédiaire des services postaux, par lettre recommandée avec accusé de réception ou équivalent'. Il en résulte qu'une entité d'origine ou une entité requise peut signifier ou notifier un acte judiciaire ou extrajudiciaire par l'intermédiaire des services postaux dans le cadre du règlement étant rappelé que 1) selon l'art. 3.1, les entités d'origine sont 'les officiers ministériels, autorités ou autres personnes compétents pour transmettre les actes judiciaires ou extrajudiciaires aux fins de signification ou de notification dans un autre État membre'. Elles doivent vérifier que l'acte à transmettre entre dans le cadre du règlement. Elles doivent informer le demandeur de la possibilité pour le destinataire de refuser l'acte pour défaut de traduction dans les conditions de l'art. 9.1. ; 2) selon l'art. 3.2, les entités requises sont 'les officiers ministériels, autorités ou autres personnes désignées par chaque État, chargées de recevoir les actes judiciaires ou extrajudiciaires en provenance d'un autre État membre'. Les entités requises procèdent ou font procéder à la signification ou à la notification de l'acte conformément à la législation de l'État membre requis.
En l'espèce le conseil de l'appelante laquelle est domiciliée en France, n'est pas une entité d'origine au sens de l'article 3.1 du Réglement précité compétente pour transmettre un acte judiciaire ou extra judiciaire telle une lettre de mise en demeure interruptive de prescription, à la société Caixabank située en Espagne, et il appartenait au conseil de l'appelante de faire signifier ou notifier ladite lettre de mise en demeure pour qu'elle produise son effet interruptif de prescription au regard de l'article 1793 du code civil espagnol, par un officier ministériel, autrement dit un commissaire de justice, selon le mode de transmission principal ou alternatif précité prévu dans le Réglement (UE) 2020/1784 du Parlement Européen et du Conseil du 25 novembre 2020.
Au demeurant la Cour de cassation en application de l'article 14 du Règlement n°1393/2007 alors en vigueur a eu l'occasion de préciser que les huissiers de justice peuvent procéder à la notification des actes judiciaires ou extrajudiciaires aux personnes résidant dans un Etat membre de l'Union Européenne par l'intermédiaire des services postaux par lettre recommandée avec avis de réception ' Cass. 2e civ. 8 janvier 2015 -n°13-26.224.
Sur ce,
La société Caixabank fait une exacte lecture des dispositions du Réglement (UE) 2020/1784 du 25 novembre 2020 dont elle cite en exhaustivité celles applicables aux faits de la cause, et dont il résulte qu'en l'espèce la mise en demeure adressée par lettre recommandée avec accusé de réception à la société Caixabank par le conseil de Mme [E], n'a pas été transmise dans les formes prévues audit Réglement, en sorte qu'il ne peut lui être reconnu aucun effet interruptif de prescription au sens de l'article 1973 du code civil espagnol.
L'ordonnance déférée à la cour ne peut donc qu'être confirmée en ce qu'elle a déclaré Mme [E] irrecevable en ses demandes à l'encontre de la société Caixabank.
*******
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Mme [E] qui échoue dans ses demandes, supportera la charge des dépens et ne peut prétendre à aucune somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Pour des raisons tenant à l'équité il y a lieu de faire droit à la demande de la société Caixabank formulée sur ce même fondement, mais uniquement dans la limite de la somme de 1 200 euros, mais de débouter la société Boursorama de sa demande faite à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant dans les limites de l'appel,
CONFIRME l'ordonnance déférée en ce qu'elle a déclaré Mme [S] [E] épouse [X] irrecevable en ses demandes à l'encontre de la société Caixabank et en ce qui concerne les dépens et frais irrépétibles ;
Y ajoutant,
CONDAMNE Mme [S] [E] épouse [X] à payer à la société Caixabank la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de l'incident ;
DÉBOUTE Mme [S] [E] épouse [X] ainsi que la société Boursorama de leurs demandes formées sur ce même fondement ;
CONDAMNE Mme [S] [E] épouse [X] aux dépens d'appel sur incident et admet l'avocat constitué de la société Caixabank au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
* * * * *
Le greffier Le président
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 6
ARRET DU 05 NOVEMBRE 2025
(n° ,13 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 25/01777 - N° Portalis 35L7-V-B7J-CKWVA
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 09 Décembre 2024 - juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Meaux 1ère chambre - RG n° 24/00911
APPELANTE
Madame [S] [E] épouse [X]
née le [Date naissance 2] 1964 à [Localité 8]
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentée par Me Hugues FRACHON, avocat postulant au barreau de Paris, substituant à l'audience Me Arnaud DELOMEL, avocat au barreau de Rennes, avocat plaidant
INTIMÉES
S.A. BOURSORAMA
[Adresse 4]
[Localité 7]
N°SIREN : 351 058 151
agissant poursuites et diligences de son directeur général domicilié en cette qualité audit siège
Représentée par Me Arnaud-Gilbert RICHARD de la SAS RICHARD ASSOCIES, avocat au barreau de Paris, toque : B1070
S.A. CAIXABANK SA, société de droit espagnol immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Valence sous le numéro Feuille V - 178351, Volume 10370 Folio 1
[Adresse 3]
[Localité 5] (Espagne)
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualit audit siège
Représentée par Me Claude LAROCHE de la SELARL CABINET SABBAH & ASSOCIES, avocat au barreau de Paris, toque : P0466, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 906 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 25 Septembre 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Pascale SAPPEY-GUESDON, conseillère, entendue en son rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Vincent BRAUD, président de chambre
Mme Pascale SAPPEY-GUESDON, conseillère
Mme Anne BAMBERGER, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé parVincent BRAUD, président de chambre et par Mélanie THOMAS, greffier, présent lors de la mise à disposition.
* * * * *
PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 13 janvier 2025, Mme [S] [E] (épouse [X]) a interjeté appel d'une ordonnance rendue le 9 décembre 2024 en ce que le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Meaux [ce dernier ayant été saisi par voie d'assignations délivrées à la requête de Mme [E] aux sociétés Boursorama et Caixabank] a statué ainsi :
'Déclare irrecevable l'action engagée par Mme [S] [E], épouse [X], à l'encontre de la société Caixabank pour cause de prescription ;
Condamne Mme [S] [E], épouse [X], aux dépens ;
Rejette la demande présentée par la société Caixabank sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Renvoie les parties à l'audience de mise en état du 13 janvier 2025 pour conclusions en
demande au fond (...)';
***
À l'issue de la procédure d'appel clôturée le 2 septembre 2025 les prétentions des parties s'exposent de la manière suivante.
Au dispositif de ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 24 juillet 2025, l'appelant
présente, en ces termes, ses demandes à la cour :
'Vu le Règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 dit 'Bruxelles I BIS',
Vu le Règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 dit 'Rome II',
Vu l'article 2224 du Code civil,
Vu les articles 1968 et 1973 du Code civil espagnol,
Vu l'ordonnance rendue par le JME de MEAUX le 9 décembre 2024,
Vu la jurisprudence française et européenne,
Il est demandé à la cour d'appel de Paris de :
' INFIRMER l'ordonnance rendue le 9 décembre 2024 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Meaux en ce qu'elle a :
- Déclaré irrecevable l'action engagée par Mme [S] [E], épouse [X], à l'encontre de la société CAIXABANK pour cause de prescription ;
- Condamné Mme [S] [E], épouse [X] aux dépens.
Et statuant à nouveau :
A TITRE PRINCIPAL :
- DECLARER le droit français comme applicable à l'action en responsabilité engagée par Madame [S] [E], épouse [X] à l'encontre de la société CAIXABANK ;
- RECEVOIR les demandes de Madame [S] [E], épouse [X] à l'encontre de la société CAIXABANK ;
A TITRE SUBSIDIAIRE :
- DECLARER le droit espagnol comme applicable à l'action en responsabilité engagée par Madame [S] [E], épouse [X] à l'encontre de la société CAIXABANK ;
- RECEVOIR les demandes de Madame [S] [E], épouse [X] à l'encontre de la société CAIXABANK et les juger comme étant non prescrites.
EN TOUT ETAT DE CAUSE :
- CONDAMNER la société CAIXABANK à verser à Madame [S] [E], épouse [X] la somme de 1.500 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- CONDAMNER la même aux entiers dépens.'
Au dispositif de ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 1er septembre 2025, la société Caixabank, intimé
présente, en ces termes, ses demandes à la cour :
'Vu l'article 122 du Code de Procédure Civile,
Vu le Réglement (CE) n°864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non-contractuelles ('Rome II'),
Vu les articles 1089, 1902 et 1968 du Code civil espagnol.
Il est demandé à la Cour d'Appel de Paris de :
RECEVOIR la société CAIXABANK SA en ses demandes, l'y DECLARER bien fondée et DEBOUTER Madame [S] [E] épouse [X] de toutes ses demandes, fins et prétentions formulées à l'encontre de la société CAIXABANK SA.
CONFIRMER en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 9 décembre 2024 par le Juge de la mise en état de la 1ere Chambre du Tribunal Judiciaire de Meaux (RG n°24/00911 ; Minute n°24/978).
DEBOUTER Madame [S] [E] épouse [X] de toutes ses demandes, fins et prétentions formulées à l'encontre de la société CAIXABANK SA, y compris celles relatives à la condamnation de la société CAIXABANK SA au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et des entiers dépens.
CONDAMNER Madame [S] [E] épouse [X] à payer à la société CAIXABANK SA la somme de 3.000 Euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
CONDAMNER Madame [S] [E] épouse [X] aux entiers dépens, lesquels pourront être recouvrés, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.'
Au dispositif de ses conclusions communiquées par voie électronique le 25 août 2025, qui constituent ses uniques écritures, la société Boursorama, intimé
présente, en ces termes, ses demandes à la cour :
'Il est demandé à la Cour d'appel de :
DONNER ACTE à la société BOURSORAMA qu'elle s'en rapporte à justice sur le bien fondé de cet appel contre l'Ordonnance du 9 décembre 2024 (RG n°24/00911),
CONDAMNER la partie qui succombera à régler la somme de 1.000 euros à la société BOURSORAMA sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux
entiers dépens du procès.'
Par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs conclusions précitées.
MOTIFS DE LA DECISION
1 - Mme [S] [E] expose avoir été contactée au début du mois d'octobre 2022 par une personne se présentant comme un conseiller financier de l'établissement bancaire BNP Paribas ayant pour nom commercial 'Hello Bank', qui lui a proposé d'investir dans un livret d'épargne à terme reposant sur l'acquisition et la gestion de parts de société civile de placement immobilier, tout en l'assurant que le produit de placement était sûr, sécurisé et rentable. Mise en confiance par la notoriété de l'établissement bancaire Mme [E] a choisi d'investir par son intermédiaire et a signé deux contrats au cours des mois d'octobre et de novembre 2022, puis a effectué, utilisant les coordonnées bancaires transmises par son interlocuteur, plusieurs virements bancaires (15 000 euros, le 12 octobre 2022 ; 16 000 euros, le 17 octobre 2022 ; 27 500 euros, le 1er novembre 2022 ' soit la somme totale de 58 500 euros) depuis son compte bancaire ouvert auprès de Boursorama vers celui de 'Linards', domicilié en Espagne dans les livres de l'établissement bancaire Caixabank, ayant pour IBAN le numéro [XXXXXXXXXX09].
Suite au refus d'exécution par sa banque d'un quatrième ordre de virement, d'un montant de 41 500 euros, par courriel en date du 25 novembre 2022 Mme [E] a demandé la restitution de la totalité des sommes versées et il lui a été répondu le même jour que le retour de ses capitaux ainsi que la clôture de son livret sera effectif sous un délai de 30 jours. Le 30 novembre 2022, Mme [X] a déposé plainte contre X pour escroquerie, au commissariat de police de [Localité 10]. La procédure de rappel des fonds qu'elle a sollicitée auprès de Boursorama a été infructueuse.
2 - À défaut de réponse satisfaisante aux courriers que son avocat a adressés les 23 et 26 mars 2023 aux sociétés Caixabank et Boursorama, mises en demeure d'avoir à lui rembourser la somme de 58 500 euros, par actes de commissaires de justice en date des 13 et 21 février 2024 Mme [E] a fait assigner en responsabilité la société Boursorama et la société Caixabank, devant le tribunal judiciaire de Meaux, auquel il était demandé de :
'A TITRE PRINCIPAL :
- Juger et retenir que les sociétés BOURSORAMA et CAIXABANK S.A. n'ont pas respecté leur obligation légale de vigilance au titre du dispositif de LCB-FT (Code monétaire et financier).
- Juger que les sociétés BOURSORAMA et CAIXABANK S.A. sont responsables des préjudices subis par Madame [X].
- Condamner in solidum les sociétés BOURSORAMA et CAIXABANK S.A. à rembourser à Madame [X] la somme de 58.500 € en réparation de son préjudice matériel.
- Condamner in solidum les sociétés BOURSORAMA et CAIXABANK S.A. à verser à Madame [X] la somme de 11.700 €, correspondant à 20 % du montant de son investissement, en réparation de son préjudice moral et de jouissance.
- Condamner in solidum les sociétés BOURSORAMA et CAIXABANK S.A. à verser à Madame [X] la somme de 5.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
- Condamner les mêmes, in solidum, aux entiers dépens.
A TITRE SUBSIDIAIRE :
- Juger et retenir que les sociétés BOURSORAMA et CAIXABANK S.A. n'ont pas respecté leur obligation légale de vigilance (Code civil).
- Juger que les sociétés BOURSORAMA et CAIXABANK S.A. sont responsables des préjudices subis par Madame [X].
- Condamner in solidum les sociétés BOURSORAMA et CAIXABANK S.A. à rembourser à Madame [X] la somme de 58.500 € en réparation de son préjudice matériel.
- Condamner in solidum les sociétés BOURSORAMA et CAIXABANK S.A. à verser à Madame [X] la somme de 11.700 €, correspondant à 20 % du montant de son investissement, en réparation de son préjudice moral et de jouissance.
- Condamner in solidum les sociétés BOURSORAMA et CAIXABANK S.A. à verser à Madame [X] la somme de 5.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
- Condamner les mêmes, in solidum, aux entiers dépens.
A TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE :
- Juger et retenir que la société BOURSORAMA est responsable de plein droit, en matière d'opérations de paiement non autorisées, aux termes des dispositions des articles L. 133-17 et suivants du Code monétaire et financier.
- Juger et retenir que la société BOURSORAMA n'a pas respecté son obligation de remboursement des fonds suite à des opérations de paiement non autorisées, conformément
aux dispositions des articles L. 133-18 et suivants du Code monétaire et financier.
- Condamner la société BOURSORAMA à rembourser à Madame [X] la somme de 58.500 € en réparation de son préjudice matériel.
- Condamner la société BOURSORAMA à verser à Madame [X] la somme de 11.700 €, correspondant à 20 % du montant de son investissement, en réparation de son préjudice moral et de jouissance.
- Condamner la société BOURSORAMA à verser à Madame [X] la somme de 5.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
- Condamner la même aux entiers dépens.'
3 - La société Caixabank par conclusions du 3 septembre 2024 a saisi d'incident le juge de la mise en état, lui demandant, au visa des articles 73, 74 et 75, 122, 789 du code de procédure civile, du Règlement (CE) n°864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non-contractuelles dit 'Rome II', des articles 1089, 1902 et 1968 du code civil espagnol : 'À titre principal, de dire et juger que le droit espagnol est applicable aux relations extracontractuelles existantes entre la société Caixabank et Mme [E], et ce faisant, dire et juger que l'action en responsabilité délictuelle initiée par Mme [E] à l'encontre de la société de droit espagnol Caixabank est prescrite au regard du droit espagnol, et en conséquence, déclarer Mme [E] irrecevable en l'intégralité de ses prétentions formulées à l'encontre de la société Caixabank'.
A) Sur la détermination de la loi applicable
La société Caixabank comme devant le premier juge fait valoir que le Règlement CE N°864/2007 Rome II du 11 juillet 2007, sur la loi applicable aux obligations non contractuelles forme, depuis son entrée en vigueur le 11 janvier 2009, le droit commun des conflits de loi en matière délictuelle.
Ce règlement dispose en son article 4.1 que 'sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent'. Cet article distingue donc parfaitement le lieu du fait générateur du dommage, ou encore de l'événement causal (savoir le prétendu manquement de la banque à son obligation de vigilance et de surveillance) du lieu du fait dommageable (correspondant à l'encaissement sur le compte bénéficiaire de la somme virée, soit en l'espèce en Espagne) et assimile le lieu du dommage au lieu du fait dommageable et non au lieu du fait générateur du dommage. Il n'y a pas lieu, au vu de ce texte, de considérer pour déterminer la loi applicable, le lieu du fait générateur du dommage ou de l'événement causal (quoiqu'il en soit, en l'espèce situé en Espagne).
La jurisprudence de manière constante retient l'irrecevabilité des demandes pour prescription en appliquant la loi étrangère, et non la loi française, à l'établissement bancaire étranger ayant reçu en ses livres le ou les virements objet du litige, la Cour de cassation retenant que le lieu où le dommage est survenu est celui où l'appropriation indue par le dépositaire des fonds s'est produite, le 'lieu de matérialisation du dommage' ne saurait donc être concernant l'action dirigée contre la banque réceptrice des fonds, le lieu de l'établissement bancaire dans lequel est ouvert le compte de la victime ou le lieu où l'ordre de virement a été donné. En l'espèce, le lieu du fait dommageable est situé en Espagne et détermine la loi espagnole comme étant la loi applicable dans le rapport opposant Mme [E] à la société Caixabank.
Au cas présent, il n'existe aucun lien plus étroit avec un autre pays que l'Espagne, pour ne pas voir appliquer la loi espagnole dans le rapport opposant Mme [E] à la société Caixabank, puisque :
- La société Caixabank est une société espagnole située en Espagne, de la même façon que la société Linards, bénéficiaire des virements litigieux.
- Le lieu du fait dommageable est situé en Espagne, puisque les virements litigieux ont été prétendument crédités sur le compte bancaire de la société Linards, qui est une société espagnole située en Espagne, sur un compte bancaire ouvert dans les livres de la société Caixabank, elle-même située en Espagne, de telle sorte que le préjudice financier par l'appropriation indue des sommes litigieuses se serait réalisé en Espagne.
- L'événement causal du dommage reproché à la société Caixabank, à savoir le prétendu manquement à son obligation de vigilance lors de l'ouverture et lors de la tenue du compte de la société Linards, se situe lui aussi en Espagne, puisqu'il s'agit d'un compte bancaire ouvert dans les livres d'une banque espagnole située en Espagne.
- Les RIB produits aux débats par Mme [E] ayant servi aux virements litigieux pour un total de 58 500 euros, indiquent bien, s'agissant du compte bénéficiaire desdits virements, un compte bancaire situé en Espagne,
- L'appropriation indue des virements litigieux s'est donc réalisée en Espagne, et non sur un compte bancaire localisé en France, ouvert dans les livres d'une banque française ou dans les livres d'une banque étrangère en sa succursale en France.
- Mme [E] n'était aucunement dans une relation d'affaire préexistante avec la réelle société 'Hello Bank' avant d'avoir été contactée par une personne se faisant nommer '[D] [J]' se présentant comme étant conseiller financier de l'établissement bancaire BNP Paribas, ayant pour nom commercial 'Hello Bank', afin d'opérer des investissements dans un livret 'Hello SCPI'.
- Mme [E] n'était pas davantage dans une relation d'affaire préexistante avec la société Caixabank ou la société Linards,
- Mme [E] ne démontre aucunement avoir été démarchée par la société Caixabank ou la société Linards.
- Le fait que Mme [E] soit de nationalité française, réside en France et ait procédé aux virements litigieux via sa banque située en France, qu'elle ait porté plainte en France, ne constitue pas des éléments de rattachement pertinents au regard de l'article 4 du Règlement Européen Rome II du 11 juillet 2007 permettant d'appliquer, au lieu de la législation espagnole, la législation française.
En cause d'appel Mme [E] réitère que le droit applicable à l'encontre de la société Caixabank est bien le droit français.
Elle fait valoir que le Règlement (CE) N°864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles dit 'Rome II' doit être lu et interprété à la lumière du règlement (UE) n°1215 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale dit 'Bruxelles I bis'. Les principes consacrés par les deux règlements européens sont clairs, et il en résulte que la loi du pays du domicile de la victime est applicable, lorsque le dommage allégué consistant en un préjudice financier se réalise directement sur un compte bancaire de celle-ci ouvert auprès d'une banque établie dans le pays de son domicile. Les jurisprudences européenne et française se rejoignent pour considérer que le lieu de la matérialisation du dommage se situe dans les conséquences de la perte des fonds, sur le compte bancaire de la personne victime de l'escroquerie.
En l'espèce, le dommage subi par Mme [E] s'est matérialisé dès l'exécution des ordres de virement réalisée par son établissement bancaire, la société Boursorama, par l'intermédaire duquel, à la suite de manoeuvres frauduleuses, elle s'est dessaisie de ses fonds au profit des auteurs de l'escroquerie. Par ailleurs d'autres éléments de rattachement pertinents, d'autres circonstances particulières concourent à l'application du droit français à l'encontre de l'établissement bancaire espagnol. La cour devra prendre en considération les éléments de rattachement suivants :
- Mme [E] est de nationalité française,
- Mme [E] réside en France,
- L'infraction a été commise par l'intermédiaire d'un site internet accessible en France et en français ; les victimes françaises sont démarchées en ligne et sont ensuite invitées à créer un compte sur le site internet exploité par les escrocs ; ce site internet et la création de profils fictifs associés sont des éléments de qualification de l'infraction pénale d'escroquerie puisqu'ils constituent des manoeuvres frauduleuses destinées à tromper l'utilisateur dans le seul but de se faire remettre des fonds ; Mme [E] a signé le contrat litigieux à distance avec la structure BNP Paribas en France ;
- Mme [E] a subi, directement sur son compte bancaire ouvert en France, la soustraction des sommes dont elle était propriétaire avant les opérations litigieuses.
L'ensemble de ces éléments de rattachement permettent de retenir l'application du droit français au présent litige et son opposabilité à la société Caixabank.
En conséquence la Cour devra déclarer le droit français comme applicable à l'action en responsabilité civile engagée par Mme [E] à l'encontre de la société Caixabank.
Sur ce
Pour retenir l'application de la loi espagnole aux faits de la cause, le juge de la mise en état a fondé sa décision sur l'article 4 du Règlement (CE) n° 864/2007 du parlement européen et du conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (dit 'Rome II'), dont il a énoncé les termes, et qui dispose que :
'1. Sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quelque soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent.
2. Toutefois, lorsque la personne dont la responsabilité est invoquée et la personne lésée ont leur résidence habituelle dans le même pays au moment de la survenance du dommage, la loi de ce pays s'applique.
3. S'il résulte de l'ensemble des circonstances que le fait dommageable présente des liens
manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé aux paragraphes 1 ou 2, la loi de cet autre pays s'applique. Un lien manifestement plus étroit avec un autre pays pourrait se fonder, notamment, sur une relation préexistante entre les parties, tel qu'un contrat, présentant un lien étroit avec le fait dommageable en question.'
Ensuite, le juge de la mise en état a retenu, pour juger que la loi applicable aux faits de la cause est la loi espagnole :
- qu'en matière d'escroquerie où la remise des fonds s'effectue par virement bancaire, le lieu de survenance du dommage est celui où l'appropriation des fonds s'est produite. En l'espèce, l'appropriation des fonds s'est produite en Espagne. Ce pays est donc le lieu de survenance du dommage au sens de l'article du Règlement n° 864/2007 du 11 juillet 2007,
- que le fait que la victime soit de nationalité française et réside en France, que les effets de l'appropriation des fonds aient été ressentis par celle-ci en France, que les fonds prétendument investis l'aient été par l'intermédiaire d'ordres de virement à partir de ses comptes ouverts en France, que le site internet par le biais duquel l'escroquerie a été effectuée soit accessible en France, ne constituent pas des liens manifestement plus étroits avec la France que celui avec le pays de survenance du dommage, étant à relever qu'aucune relation ne préexistait entre Mme [E] et la société Caixabank avant les faits litigieux.
Cependant, en dernier lieu, par arrêt du 1er octobre 2025 (Com., 1er octobre 2025, pourvoi n° 22-23.136, publié), la Cour de cassation a confirmé la décision d'une cour d'appel qui ayant constaté que l'investisseur, domicilié en France, était titulaire d'un compte ouvert auprès d'une banque établie en France, à partir duquel des virements avaient été ordonnés pour réaliser des investissements à la suite d'un démarchage dont il avait fait l'objet en France, a ainsi fait ressortir que le préjudice financier avait été directement subi sur le compte bancaire de l'investisseur ouvert en France.
En l'espèce, si la société Caixabank justifie avoir son siège social en Espagne, tenir les comptes de ses clients et ceux sur lesquels ont été diverties les sommes litigieuses en Espagne, et être soumise au droit espagnol, Mme [E] quant à elle justifie d'éléments propres à faire considérer que le dommage s'est réalisé directement sur son compte bancaire ouvert en France auprès de la société Boursorama, en ce que les virements litigieux ont été ordonnés depuis ce compte et que les effets de l'appropriation y ont été ressentis.
Toutefois, Mme [E] ne justifie pas que d'autres circonstances particulières concourent à désigner la loi du lieu de matérialisation de ce préjudice purement financier, dès lors que :
- sa nationalité française et son domicile en France sont inopérants,
- il n'est mis en évidence aucune opération de démarchage à son égard, la société Caixabank relatant sans être contredite sur ce point, que Mme [E] affirme dans son assignation ainsi que dans sa plainte pénale déposée le 30 novembre 2022, avoir remarqué une publicité proposant un placement avec un taux de rendement de 6 %, ce qui l'a conduite à laisser ses coordonnées sur une plateforme pour suite à donner,
- la convention d'ouverture de compte épargne qu'elle a signée le 4 novembre 2022 visiblement à son domicile de [Localité 6] (Seine-et-Marne) ne concerne pas la société Caixabank,
- il n'est démontré aucune activité, ni intention commerciale de celle-ci à son égard, laquelle n'a fait que réceptionner les virements sur ses comptes en Espagne.
Il se déduit de l'ensemble de ces éléments qu'en l'espèce le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec l'Espagne, pays autre que celui désigné en application de l'article 4 § 1, du règlement dit Rome II (la France) de sorte qu'il convient de retenir l'application de la loi espagnole dans le litige opposant Mme [E] à la société Caixabank.
B) Sur la prescription
La société Caixabank devant le juge de la mise en état faisait valoir que selon jurisprudence constante il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger, d'en rechercher la teneur, soit d'office, soit à la demande la partie qui l'invoque, avec le concours des parties et personnellement s'il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger. Comme le précise la consultation du 20 mars 2019 rédigée par Maître Luis Ferrer Vicent, avocat au barreau de Valence, en droit espagnol toute action en responsabilité délictuelle se prescrit par un an à compter du jour où la partie lésée à connaissance de la faute ou de la négligence qui lui a été préjudiciable, conformément à l'article 1968 du code civil espagnol. En l'espèce, Mme [E] a eu connaissance de l'escroquerie le 30 novembre 2022, date à laquelle elle a déposé une plainte pénale de ce chef. Le délai d'un an pour assigner la société Caixabank en responsabilité délictuelle courait donc à compter du 30 novembre 2022 et expirait le 30 novembre 2023, de telle sorte que les prétentions formulées par Mme [E] à l'encontre de la société Caixabank sont prescrites, l'assignation étant datée du 21 février 2024.
Mme [E] soutenait que concernant la prescription extinctive, l'article 2224 du code civil dispose que 'les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer'. Le principe posé par la Cour de cassation est que la prescription d'une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en a pas eu précédemment connaissance. En l'espèce, c'est à juste titre que la société Caixabank soutient que Mme [E] a eu connaissance de l'escroquerie au plus tard le 30 novembre 2022, jour de son dépôt de plainte. En application des dispositions légales françaises relatives à la prescription, elle avait donc jusqu'au 30 novembre 2027 pour introduire son action en responsabilité à l'encontre de la banque espagnole. Ayant fait assigner la société Caixabank le 21 février 2024, son action en justice est recevable, pour avoir été introduite dans le délai de prescription quinquennale.
Sur ce
1. L'ordonnance juge de la mise en état énonce :
'Il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger d'en rechercher, soit d'office, soit à la demande de la partie qui l'invoque, la teneur, avec le concours des parties et personnellement s'il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger.
La société Caixabank soutient, sans être contredite, qu'en droit espagnol, l'action en responsabilité extracontractuelle se prescrit par un an, en application de l'article 1968 du code civil espagnol, lequel dispose que :
'On prescrit par un an :
1° L'action pour recouvrer ou conserver la possession ;
2° L'action civile en réparation de l'injure et de la calomnie et l'action née des obligations
dérivant de la faute ou de la négligence que vise l'article 1902. La prescription court du moment où la victime a connu son préjudice.'
Aux termes de l'article 1902 du même code, 'celui qui par action ou omission, cause un préjudice à un tiers du fait d'une faute ou d'une négligence est tenu de réparer le dommage
causé.'
Mme [X] indique dans ses conclusions qu'à la suite du refus d'exécution d'un quatrième ordre de virement d'un montant de 41 500 euros par sa banque, elle a appris être victime d'une escroquerie.
Par courriel en date du 25 novembre 2022, elle a demandé au prétendu conseiller de la société 'Hello Bank' la récupération de la somme de 58 500 euros.
Le 30 novembre 2022, Mme [X] a déposé plainte contre x pour escroquerie au commissariat de [Localité 10].
Il s'en déduit qu'elle a été convaincue d'avoir été victime d'escroquerie le 25 novembre 2022 et à tout le moins le 30 novembre 2022, point de départ de la prescription.
Madame [X] a fait assigner la société Caixabank le 21 février 2024 devant le tribunal judiciaire de Meaux, soit plus d'un an à compter du 30 novembre 2022.
Il s'ensuit que son action à l'encontre de la société Caixabank est prescrite et sera déclarée irrecevable.'
L'article 122 du code de procédure civile dispose que constitue une fin de non recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
Comme l'a rappelé le juge de la mise en état, il lui appartient de déterminer la loi applicable pour statuer sur la fin de non recevoir.
En outre, il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger d'en rechercher la teneur, soit d'office, soit à la demande d'une partie qui l'invoque, et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger.
Comme vu précédemment, en l'absence de tout autre élément pertinent de rattachement attestant de liens plus étroits de nature à concourir à la désignation de la loi française, la loi espagnole est applicable aux faits de la cause.
2. Les articles 1902 et 1968 du code civil espagnol, dont la teneur et le champ d'application en l'espèce ne sont pas discutés par Mme [E], prévoient que le délai de prescription est d'un an à compter de la connaissance du préjudice. Il n'est pas plus contesté que le délai de prescription a commencé à courir, au plus tard, le 30 novembre 2022, date à laquelle Mme [E] a déposé plainte pour escroquerie.
Cependant, à hauteur d'appel, Mme [E] soutient à titre subsidiaire, qu'à supposer que le droit espagnol soit applicable, le cours de la prescription a été interrompu, en l'espèce par un acte extrajudiciaire, comme il est prévu à l'article 1973 du code civil espagnol. La jurisprudence espagnole caractérise l'acte extrajudiciaire comme étant un acte externe, concret, et légalement reconnu. Au cas présent, il s'agit de la mise en demeure que par acte extrajudiciaire du 23 mai 2023 le conseil de Mme [E] a adressé à la société Caixabank - pièce 13 - qui de par son effet interruptif a fait courir un nouveau délai de prescrition d'un an à compter de sa date, en sorte que Mme [E] avait donc jusqu'au 23 mai 2024 pour faire assigner la société Caixabank.
La société Caixabank sur ce dernier point réplique que le courrier de mise en demeure adressé par la voie postale en recommandé par Maître Delomel à la société Caixabank n'a eu aucun effet interruptif dans la mesure où cette lettre de mise en demeure n'a pas été transmise en application et dans les conditions prévues au Réglement (UE) 2020/1784 du Parlement Européen et du Conseil du 25 novembre 2020, étant à préciser :
- Qu'il ne s'agit pas d'un 'acte extrajudiciaire' : l'acte extrajudiciaire est traditionnellement défini par opposition à l'acte judiciaire et il est souvent assimilé à un acte de signification accompli par un officier public en dehors d'une procédure judiciaire. Afin de définir l'acte extra-judiciaire, il est nécessaire de distinguer les éléments qui tendent à le caractériser (acte unilatéral utile à la réalisation d'une opération juridique par exemple la protection du droit d'agir), de ceux relatifs à sa transmission ;
- Que le règlement (UE) 2020/1784 du 25 novembre 2020 est un instrument de l'Union européenne (UE) relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale, autrement dit à leur transmission. Ce texte, applicable depuis le 1er juillet 2022, a remplacé les deux précédents règlements communautaires relatifs aux significations et notifications, le règlement (CE) 1348/2000 du 29 mai 2000 et le règlement (CE) n° 1393/2007 du 13 novembre 2007. Avant l'adoption de ces textes, la signification et la notification entre États membres de l'UE était principalement régie par la Convention de La Haye du 15 novembre 1965 relative à la signification et à la notification à l'étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale. Le règlement s'applique pour les communications d'actes en matière civile ou commerciale entre les 27 États membres de l'UE : Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Chypre, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Slovaquie, Slovénie, Suède. Le principal objet de cet instrument est de prévoir les méthodes par lesquelles des actes seront transmis à l'étranger soit aux autorités compétentes de l'État de réception soit directement au destinataire. Le règlement met en place un mode principal de transmission (art. 3, 3, 4, 5, 6 et 8) dans la section 1 (Transmission ou notification des actes judiciaires) de son chapitre II (Actes judiciaires), articulé autour de l'intervention de trois organes : entités d'origine, entités requises et organismes centraux.
L'unique article (art. 21) du chapitre III (Actes extrajudiciaires) dispose que 'Les actes extrajudiciaires peuvent être transmis vers un autre État membre et signifiés ou notifiés dans ce dernier conformément au présent règlement'. Le règlement propose cinq 'Autres moyens de transmission et de signification ou de notification des actes judiciaires' dans la section 2 du chapitre II et notamment celle par l'intermédiaire des service postaux, à travers son article 18 qui dispose que : 'La signification ou la notification d'actes judiciaires à des personnes présentes dans un autre État membre peut être effectuée directement par l'intermédiaire des services postaux, par lettre recommandée avec accusé de réception ou équivalent'. Il en résulte qu'une entité d'origine ou une entité requise peut signifier ou notifier un acte judiciaire ou extrajudiciaire par l'intermédiaire des services postaux dans le cadre du règlement étant rappelé que 1) selon l'art. 3.1, les entités d'origine sont 'les officiers ministériels, autorités ou autres personnes compétents pour transmettre les actes judiciaires ou extrajudiciaires aux fins de signification ou de notification dans un autre État membre'. Elles doivent vérifier que l'acte à transmettre entre dans le cadre du règlement. Elles doivent informer le demandeur de la possibilité pour le destinataire de refuser l'acte pour défaut de traduction dans les conditions de l'art. 9.1. ; 2) selon l'art. 3.2, les entités requises sont 'les officiers ministériels, autorités ou autres personnes désignées par chaque État, chargées de recevoir les actes judiciaires ou extrajudiciaires en provenance d'un autre État membre'. Les entités requises procèdent ou font procéder à la signification ou à la notification de l'acte conformément à la législation de l'État membre requis.
En l'espèce le conseil de l'appelante laquelle est domiciliée en France, n'est pas une entité d'origine au sens de l'article 3.1 du Réglement précité compétente pour transmettre un acte judiciaire ou extra judiciaire telle une lettre de mise en demeure interruptive de prescription, à la société Caixabank située en Espagne, et il appartenait au conseil de l'appelante de faire signifier ou notifier ladite lettre de mise en demeure pour qu'elle produise son effet interruptif de prescription au regard de l'article 1793 du code civil espagnol, par un officier ministériel, autrement dit un commissaire de justice, selon le mode de transmission principal ou alternatif précité prévu dans le Réglement (UE) 2020/1784 du Parlement Européen et du Conseil du 25 novembre 2020.
Au demeurant la Cour de cassation en application de l'article 14 du Règlement n°1393/2007 alors en vigueur a eu l'occasion de préciser que les huissiers de justice peuvent procéder à la notification des actes judiciaires ou extrajudiciaires aux personnes résidant dans un Etat membre de l'Union Européenne par l'intermédiaire des services postaux par lettre recommandée avec avis de réception ' Cass. 2e civ. 8 janvier 2015 -n°13-26.224.
Sur ce,
La société Caixabank fait une exacte lecture des dispositions du Réglement (UE) 2020/1784 du 25 novembre 2020 dont elle cite en exhaustivité celles applicables aux faits de la cause, et dont il résulte qu'en l'espèce la mise en demeure adressée par lettre recommandée avec accusé de réception à la société Caixabank par le conseil de Mme [E], n'a pas été transmise dans les formes prévues audit Réglement, en sorte qu'il ne peut lui être reconnu aucun effet interruptif de prescription au sens de l'article 1973 du code civil espagnol.
L'ordonnance déférée à la cour ne peut donc qu'être confirmée en ce qu'elle a déclaré Mme [E] irrecevable en ses demandes à l'encontre de la société Caixabank.
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Sur les dépens et les frais irrépétibles
Mme [E] qui échoue dans ses demandes, supportera la charge des dépens et ne peut prétendre à aucune somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Pour des raisons tenant à l'équité il y a lieu de faire droit à la demande de la société Caixabank formulée sur ce même fondement, mais uniquement dans la limite de la somme de 1 200 euros, mais de débouter la société Boursorama de sa demande faite à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant dans les limites de l'appel,
CONFIRME l'ordonnance déférée en ce qu'elle a déclaré Mme [S] [E] épouse [X] irrecevable en ses demandes à l'encontre de la société Caixabank et en ce qui concerne les dépens et frais irrépétibles ;
Y ajoutant,
CONDAMNE Mme [S] [E] épouse [X] à payer à la société Caixabank la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de l'incident ;
DÉBOUTE Mme [S] [E] épouse [X] ainsi que la société Boursorama de leurs demandes formées sur ce même fondement ;
CONDAMNE Mme [S] [E] épouse [X] aux dépens d'appel sur incident et admet l'avocat constitué de la société Caixabank au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
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Le greffier Le président