CA Paris, Pôle 5 - ch. 6, 5 novembre 2025, n° 24/20729
PARIS
Arrêt
Autre
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 6
ARRET DU 05 NOVEMBRE 2025
ARRÊT SUR COMPÉTENCE
(n° , 11 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/20729 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CKQSS
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 06 Novembre 2024 - juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris 9ème chambre 2ème section- RG n° 23/15549
APPELANTE
Société BANCO BILBAO VIZCAYA ARGENTARIA SOCIEDAD ANONIMA, société de droit espagnol, immatriculée au registre du commerce de Vizcaya sous le numéro 000008526, EUID : ES48001.000008526, Tomo 2.083, Folio 1, Hoja BI-17-A,
[Adresse 9]
[Localité 4] (Espagne)
agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de Paris, toque : C2477
INTIMÉES
Madame [M] [B] épouse [D]
née le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 11]
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentée par Me Marc OLIVIER-MARTIN de l'AARPI ROOM AVOCATS, avocat au barreau de Paris, toque : J152, substitué à l'audience par Me Jeanne de SAILLY de L'AARPI ROOM AVOCATS, avocat au barreau de Paris
S.A. SOCIETE GENERALE
[Adresse 2]
[Localité 6]
N°SIREN : 552 120 222
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentée par Me Etienne GASTEBLED de la SCP LUSSAN, avocat au barreau de Paris, toque : P0077
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 906 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 25 Septembre 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Pascale SAPPEY-GUESDON, conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Vincent BRAUD, président de chambre
Madame Pascale SAPPEY-GUESDON, conseillère
Mme Anne BAMBERGER, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé parVincent BRAUD, président de chambre et par Mélanie THOMAS, greffier, présent lors de la mise à disposition.
* * * * *
PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 24 décembre 2024, la société Banco Bilbao Vizcaya Argentaria a interjeté appel d'une ordonnance rendue le 6 novembre 2024 en ce que le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris - qui avait été saisi par voie d'assignations en date du 29 novembre et du 4 décembre 2023 délivrées à la requête de Mme [M] [B] épouse [D], à l'encontre de la banque espagnole et de la Société Générale, a statué ainsi :
'REJETTE l'exception d'incompétence territoriale soulevée par la Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria SA ;
ENJOINT à la SA Société générale et la Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria SA de communiquer à Mme [M] [D] tout élément justifiant des diligences qu'elles ont effectuées dans le cadre de procédure de 'recall' sollicitée le 7 février 2023 ainsi que de la date à laquelle celles-ci ont été effectives ;
ENJOINT à la Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria SA de communiquer à Mme [M] [D] l'ensemble des vérifications faites auprès du titulaire du compte sur lequel les fonds ont été virés lors de l'ouverture et le fonctionnement dudit compte ;
CONDAMNE la SA Société générale et la Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria SA aux dépens de l'incident ;
CONDAMNE la SA Société générale et la Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria SA à payer chacune à Mme [D] la somme de 750 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
RENVOIE l'affaire et les parties à l'audience de mise en état du 8 janvier 2025 à 13h30 pour les conclusions au fond des défenderesses.'
***
S'agissant de l'appel d'une ordonnance du juge de la mise en état se prononçant sur la compétence sans statuer sur le fond du litige, le magistrat statuant sur requête par délégation de M. Le premier président de la cour d'appel de Paris a par ordonnance rendue le 9 janvier 2025 autorisé la partie requérante à assigner à jour fixe devant le Pôle 5 Chambre 6 de la Cour d'appel de Paris, pour l'audience du 25 septembre 2025 à 9 heures.
La Société générale a constitué avocat mais n'a pas fait déposer de conclusions.
À l'issue de la procédure d'appel les prétentions des parties s'exposent de la manière suivante.
Au dispositif de ses conclusions communiquées par voie électronique le 24 décembre 2024, jointes à la déclaration d'appel, et qui constituent donc ses uniques écritures, la banque appelante
présente, en ces termes, ses demandes à la cour :
'Vu le Réglement Bruxelles 1 Bis n°1215/2012 du 12 décembre 2012 sur la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale,
Vu les articles 42, 74, 75, 138, 139, 142, 700, et 791 du Code de procédure civile,
Vu les articles L. 133-6 à L. 133-8, L. 133-22 et L. 511-33 du Code monétaire et financier
Vu l'article 1902 du code civil espagnol,
Vu l'article 83 de la Loi espagnole 10/2014 du 26 juin 2014
Vu la jurisprudence francaise et européenne citée et les pièces versées au débat,
Il est demandé à la Cour d'appel de Paris de :
DECLARER la société BBVA recevable et bien fondée en son appel de l'ordonnance rendue le 6 novembre 2024 par le Juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Paris.
Y faisant droit,
INFIRMER l'ordonnance susvisée et datée en ce qu'elle :
'REJETTE l'exception d'incompétence territoriale soulevée par la Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria SA ;
ENJOINT à la SA Société générale et la Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria SA de communiquer à Mme [M] [D] tout élément justifiant des diligences qu'elles ont effectuées dans le cadre de procédure de recall sollicitée le 7 février 2023 ainsi que de la date à laquelle celles-ci ont été effectives ;
ENJOINT à la Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria SA de communiquer à Mme [M] [D] l'ensemble des vérifications faites auprès du titulaire du compte sur lequel les fonds ont été virés lors de l'ouverture et le fonctionnement dudit compte ;
CONDAMNE la SA Société générale et la Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria SA aux dépens de l'incident ;
CONDAMNE la SA Société générale et la Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria SA à payer chacune à Mme [D] la somme de 750 euros sur le fondement de l'article 700 du code de proéedure civile.'
ET STATUANT A NOUVEAU :
CONSTATER qu'au regard des textes de droit francais et européen et en particulier du Réglement Bruxelles 1 Bis, la juridiction territorialement compétente en l'espèce pour statuer sur les demandes formulées par la Demanderesse à l'encontre de BBVA n'est pas le Tribunal judiciaire de Paris mais le tribunal matériellement compétent en première instance du ressort de Bilbao (Espagne) ;
En conséquence :
RECEVOIR l'exception d'incompétence territoriale soulevée par BBVA en application de l'article 74 du Code de procédure civile ;
RENVOYER Madame [M] [B] ep. [D] à mieux se pourvoir devant le tribunal matériellement compétent en première instance du ressort de Bilbao (Espagne).
DEBOUTER Madame [M] [B] ep. [D] de sa demande de production forcée de pièces formée par la Demanderesse.
En tout état de cause :
- CONDAMNER Madame [M] [B] ep. de [Localité 10] à payer à BBVA la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'au remboursement intégral des frais de traduction ;
- CONDAMNER Madame [M] [B] ep. [D] aux entiers dépens de la présente instance ;
- PRONONCER l'exécution provisoire du jugement à intervenir.'
Au dispositif de ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 26 mars 2025, l'intimé
présente, en ces termes, ses demandes à la cour :
'Vu l'article le réglement Bruxelles 1 bis,
Vu l'article 46 du Code de procédure civile,
Vu les articles 795 et 700 du Code de procédure civile,
Il est demandé à la Cour de :
DEBOUTER la BBVA de toutes ses demandes formulées dans ses conclusions d'appel,
DECLARER la BBVA irrecevable à solliciter l'infirmation de l'ordonnance entreprise, en ce qu'elle a fait droit à sa demande de communication des pièces de la procédure de rappel des fonds, sollicitée par Madame [M] [D],
CONFIRMER l'ordonnance du 6 novembre 2024 en toutes ses dispositions,
JUGER que le Tribunal judiciaire de Paris est compétent pour connaitre des demandes de Madame [M] [D] à l'encontre de la SOCIETE GENERALE et de la BBVA,
CONDAMNER la BBVA à payer à Madame [M] [D] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
Les CONDAMNER aux entiers dépens.'
Par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs conclusions précitées.
MOTIFS DE LA DECISION
Pensant investir des fonds au sein du groupe VYV, acteur mutualiste de la santé et de la protection sociale en France, Mme [M] [B] épouse [D] a le 3 février 2023 effectué deux virements d'un montant de 10 000 et 15 000 euros, depuis son compte ouvert dans les livres de la Société générale et tenu à l'agence [Localité 8] République, au bénéfice d'un compte ouvert au nom de la société 'Ende Kacem SL' dans les livres de la banque espagnole Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria.
Ayant découvert l'existence d'une escroquerie au moyen frauduleux de l'utilisation de l'image du groupe VYV, Mme [D] le 7 février 2023 a déposé une plainte auprès du commissariat de police central d'[Localité 8], et le même jour a demandé à la Société générale de mettre en oeuvre auprès de la société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria, une procédure de retour des fonds, dite de 'recall', mais en vain.
Ses démarches auprès des deux banques pour obtenir l'indemnisation de ses préjudices étant demeurées infructueuses, par actes de commissaire de justice datés des 29 novembre et 4 décembre 2023, Mme [D] a fait assigner la Société générale et la société Banco Bilbao Vizcaya Argentaria devant le tribunal judiciaire de Paris, reprochant à la première un manquement à son obligation de vigilance en ne relevant pas les anomalies apparentes affectant les virements et, aux deux établissements, leur défaut de diligence dans le cadre de la procédure de 'recall'.
***
Sur la compétence territoriale
La société Banco Bilbao Vizcaya Argentaria a saisi d'incident le juge de la mise en état, sollicitant, au visa notamment du Règlement européen n°1215/2012 du 12 décembre 2012 sur la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit 'Bruxelles I Bis', et de l'article 42 du code de procédure civile, l'incompétence territoriale du tribunal judiciaire de Paris pour avoir à statuer sur le litige l'opposant à Mme [D], seules les juridictions espagnoles étant compétentes pour se prononcer sur les griefs dirigés par cette dernière à son encontre.
La société Banco Bilbao Vizcaya Argentaria soutenait l'application de la loi espagnole, à l'exclusion du droit français, en application de l'article 4 du règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 dit 'Rome II' outre l'incompétence du tribunal judiciaire de Paris au regard des dispositions tant générales que spéciales du règlement dit 'Bruxelles I Bis', exposant que dans le rapport l'opposant à la demanderesse, les éléments de rattachement du litige sont situés en Espagne puisqu'il lui est fait grief d'avoir commis une faute en s'abstenant de mettre en oeuvre la procédure de rappel des fonds soustraits.
' Ainsi, pour l'essentiel de ses prétentions, la société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria exposait qu'aux termes de l'article 4.1 du règlement européen précité, les juridictions compétentes pour trancher un litige sont, par principe, celles de l'État membre sur le territoire duquel se situe le domicile du défendeur qui doit être apprécié au regard de la loi interne du juge saisi. En l'espèce, en application de l'article 42 du code de procédure civile français, il convient de retenir le lieu du siège social de la personne morale défenderesse, soit en ce qui concerne la société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria, le lieu de son siège social situé à [Localité 7] en Espagne.
L'application des dispositions de l'article 7.2 du même règlement, édictant des règles de compétence spéciale au regard de la matière relative à l'objet du litige, conduit à la même solution au regard de la jurisprudence française, qui, dans des cas similaires à la présente espèce, considère que le lieu du fait dommageable est toujours situé au lieu où se trouve le compte de réception, soit l'établissement situé à l'étranger. Au cas présent, il convient de retenir le lieu du siège social situé en Espagne, où les montants des virements ont été crédités, à l'exclusion de tout autre critère de rattachement dont la demanderesse ne rapporte pas la preuve, notamment quant à un éventuel démarchage.
' La société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria soutenait également que Mme [D] ne saurait se prévaloir utilement de l'exception prévue à l'article 8.1 du règlement précité, et ainsi attraire toutes les défenderesses devant la juridiction du siège social ou du domicile de l'une d'elles, en l'espèce, celui de la Société générale, faute de démontrer la réunion des trois conditions cumulatives exigées que sont l'existence d'un lien de connexité résultant d'une identité de situation de fait et de droit entre les parties, celle d'un risque de décisions inconciliables si elles venaient à être examinées par des juges différents et enfin celle de la prévisibilité pour les défendeurs qu'ils risquent d'être attraits dans l'Etat membre où au moins l'un d'entre eux a son domicile ou siège social.
- S'agissant de la condition tenant à une identité de situation de fait, les faits reprochés aux défenderesses diffèrent en ce que la Société générale, qui est la banque émettrice des deux virements litigieux, se voit reprocher un manquement à ses obligations de vigilance et de surveillance en matière d'exécution de mouvements de fonds en provenance du compte de sa cliente ainsi qu'à son obligation d'information générale, tandis qu'elle-même, banque réceptrice, se voit reprocher un manquement à son obligation de vigilance issue de la réglementation anti-blanchiment espagnole, notamment en matière de vérification obligatoire lors de l'ouverture et durant le fonctionnement du compte bancaire ouvert dans ses livres par la société espagnole bénéficiaire. Elle faisait ainsi valoir que des défenderesses, qui ne réalisent pas les mêmes diligences, agissent de manière indépendante et non concertée, et qui ne sont pas soumises aux mêmes obligations, ne sont donc pas dans une même situation de fait, ce qui écarte tout risque de voir prononcer des décisions inconciliables par des juridictions différentes qui ne se prononceront dès lors pas sur les mêmes faits.
- S'agissant de l'absence d'identité de situation de droit, et par conséquence l'absence d'inconciliabilité entre des décisions rendues séparément contre les défenderesses, faute d'identité de leurs relations avec la demanderesse, la responsabilité de la Société générale est recherchée sur le terrain contractuel et la sienne sur le terrain délictuel, et les obligations prétendument non respectées qui ne sont pas de même nature sont soumises à leurs législations nationales respectives et doivent donc être appréciées à l'aune de celles-ci, soit le code monétaire et financier français concernant la Société générale et la loi espagnole la concernant, précisant que sa responsabilité ne peut être recherchée sur le fondement des directives européennes qui ne sont pas d'application directe et qui ont fait l'objet de transpositions distinctes au plan national.
La société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria concluait ainsi à une absence d'identité de faits, de fondements juridiques et de lois applicables ainsi que de questions communes appelant des solutions coordonnées, dont découle nécessairement une absence de risque de solutions inconciliables faute pour la demanderesse d'établir les circonstances particulières justifiant de la connexité de ses demandes et de la nécessité de les juger ensemble.
Enfin, la société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria exposait qu'elle ne peut se voir opposer le principe de prévisibilité d'être attraite devant une juridiction française au simple motif que l'un de ses clients a bénéficié de virements bancaires internationaux dès lors qu'elle n'a aucun lien contractuel avec la demanderesse, qu'elle est une banque espagnole domiciliée sur son territoire national et soumise à la législation de celui-ci, qu'elle n'a aucune activité de banque de détail sur le territoire français et que la société bénéficiaire titulaire du compte qui a réceptionné les fonds est également une société de droit espagnol.
Elle concluait à la compétence des juridictions espagnoles conformément à l'esprit du règlement 'Bruxelles I Bis' dont l'un des principaux objectifs en matière de règles de compétence, notamment en matière délictuelle, est de privilégier la compétence de la juridiction présentant le plus de proximité avec le litige.
La même argumentation est maintenue en cause d'appel.
Mme [D], au visa notamment, du règlement 'Bruxelles I Bis' et de l'article 46 du code de procédure civile, demandait au juge de la mise en état de juger le tribunal judiciaire de Paris territorialement compétent pour connaitre de ses demandes à l'encontre de la Société générale et de la société Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, et pour conclure au rejet de l'exception d'incompétence soulevée par la banque espagnole, invoquait les dispositions des articles 7.2 et 8.1 du règlement 'Bruxelles I Bis', interprétées à l'aune de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne et de la Cour de cassation conduisant en matière de préjudice financier à retenir la compétence des juridictions françaises.
Elle précisait qu'au cas particulier, contrairement aux cas d'espèces cités par la banque espagnole dans lesquels est reproché un manquement à l'obligation de vigilance de la banque étrangère lors de l'ouverture du compte frauduleux, elle recherche la responsabilité des deux banques pour ne pas avoir mis en place la procédure de 'recall' qu'elle a sollicitée immédiatement après la soustraction des fonds.
Elle soutenait qu'en l'espèce, la compétence des juridictions françaises se justifie en raison des liens de rattachement que constituent le lieu de son domicile, celui du siège social de la Société générale impliquée dans la réalisation des virements, celui du siège social du groupe VYV qui devait être destinataire des fonds et dont l'image a été usurpée sur le territoire français, sur des sites français, pour tromper des consommateurs français, la langue française dans laquelle le bulletin de souscription support de l'escroquerie a été rédigé, le lieu de réalisation du dommage, à savoir le compte bancaire de Mme [D] ouvert en France, et le lieu depuis lequel elle a demandé la mise en oeuvre de la procédure de rappel des fonds auprès de la société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria qui dans ce cadre a été sollicitée par la Société générale. Enfin, les deux banques devaient mettre en oeuvre la procédure de restitution des fonds de façon simultanée et concordante et ses demandes à leur encontre trouvent ainsi leur origine dans la même situation de fait et de droit, fondant une action devant la même juridiction pour solliciter leur condamnation in solidum en l'absence de production de pièces démontrant leurs diligences.
Sur les circonstances particulières du litige permettant d'attribuer la compétence à la juridiction française, à hauteur d'appel Mme [D] entend souligner (à nouveau) qu'en l'espèce, il est reproché aux banques et notamment à la société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria de ne pas avoir mis en place la procédure de restitution des fonds qui avait été sollicitée par Mme [D] immédiatement après la réalisation de l'escroquerie en ligne. Pour tenter de faire obstacle à la compétence du juge français, la société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria produit une abondante jurisprudence qui n'est pas pertinente au cas présent, s'agissant d'un grief de défaut de vigilance et non de dossiers dans lesquels une demande de retour des fonds a été ordonnée depuis la France.
Elle réitère qu'en l'espèce, la compétence des juridictions françaises est parfaitement justifiée dès lors que :
- le domicile de la demanderesse, Mme [D], victime de l'escroquerie dans le cadre des virements litigieux, est situé en France,
- le siège social de la deuxième banque impliquée dans la réalisation des virements, la Société générale, est situé en France,
- les virements ont été ordonnés pour le paiement d'un groupe mutualiste français, le groupe VYV, dont un escroc a usurpé l'identité,
- l'usurpation d'image du groupe VYV a été faite en France, sur des sites internet français à destination des consommateurs français,
- le bulletin de souscription de prétendues actions du groupe VYV ayant servi de support à l'escroquerie est rédigé en langue française,
- le dommage a été réalisé sur le compte bancaire de Mme [D] ouvert en France dans les livres de la Société générale, banque française ayant son siège social en France,
- les instructions pour mettre en 'uvre la procédure de retour des fonds ont été données depuis la France par Mme [D] et probablement, la Société générale.
Il n'existe aucune circonstance particulière de l'affaire permettant d'attribuer la compétence à une autre juridiction que celle du lieu de matérialisation du préjudice de Mme [D], et notamment à la juridiction espagnole. À l'inverse des cas de jurisprudence dont fait état la société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria, en l'espèce la demande de compétence de la juridiction française pour trancher le litige opposant Mme [D] à la Société générale et à la société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria n'est pas fondée sur le fait que les virements litigieux aient été initiés depuis un compte bancaire français, mais sur plusieurs circonstances particulières qui rattachent ce litige à la France et justifient que le juge français se saisisse du litige.
Mme [D] estime que de façon surprenante, pour sa défense la société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria argue que le manquement à la procédure de récupération des fonds s'est nécessairement produit en Espagne. Or, d'une part, Mme [D] a été tenue dans l'ignorance totale des démarches mises en 'uvre dans le cadre de la procédure de restitution des fonds qu'elle a sollicitée. Elle ignore qui de la Société Générale, de la société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria (ou des deux) a manqué à son obligation de diligence en ne mettant pas en 'uvre la procédure de restitution des fonds. D'autre part, il est avéré que la société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria a bien été avertie d'une procédure de restitution des fonds ordonnée depuis la France, rendant prévisible, en cas de manquement, la compétence des juridictions françaises. Enfin, compte tenu du fait que les deux banques devaient mettre toutes les deux en 'uvre la procédure de restitution des fonds, de façon simultanée et en concordance, et qu'elles ont refusé de justifier des démarches initiées auprès de Mme [D], celle-ci est fondée à les attraire devant la même juridiction pour solliciter leur condamnation in solidum, si les pièces que les banques devront verser aux débats le justifient.
Enfin, il est manifeste en l'espèce, que les demandes de Mme [D] à l'encontre des deux banques trouvent leur origine dans la même situation de fait et de droit. Les deux banques devaient mettre toutes les deux en 'uvre la procédure de restitution des fonds, de façon simultanée et en concordance, et Mme [D] se heurte à leur refus commun de justifier des démarches mises en 'uvre dans ce cadre. Le juge de la mise en état a exactement jugé qu'il tirait sa compétence du domicile de la Société Générale et du fait que Mme [D] recherchait la réparation d'un même préjudice auprès des deux banques.
Sur ce,
Il est indéniable qu'il y a lieu de statuer sur la compétence en faisant application des dispositions du Règlement n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, en ce que l'action est engagée contre la société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria, société ayant son siège social en Espagne.
Aux termes de son article 4, paragraphe premier (chapitre II, 'Compétence') qui constitue le texte de principe, sous réserve des autres dispositions dudit règlement les personnes domiciliées sur le territoire d'un État-membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre.
Aux termes de l'article suivant - article 5, paragraphe premier, même chapitre - les personnes domiciliées sur le territoire d'un État-membre ne peuvent être attraites devant les juridictions d'un autre État-membre qu'en vertu des règles énoncées aux sections II à VII du présent chapitre II.
Aussi, par exception au principe posé par l'article 4, la compétence des juridictions françaises pour connaitre d'une action dirigée contre des personnes domiciliées à l'étranger peut être recherchée dans les conditions des articles 7 et 8 dudit réglement.
Sur l'application de l'article 8-1 :
En vertu de l'article 8, point 1, du Règlement, s'il y a plusieurs défendeurs, une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre peut, par dérogation au principe énoncé à l'article 4, paragraphe 1, de ce Règlement, être attraite devant la juridiction du domicile de l'un d'eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d'éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément.
Pour l'application de cet article, dont le critère de compétence est d'interprétation stricte, l'appréciation de l'existence du lien de connexité et donc du risque de décisions inconciliables en présence d'une même situation de fait et de droit, n'exige pas l'identité de fondements juridiques, dès lors qu'il était prévisible pour les défendeurs qu'ils risquaient de pouvoir être attraits dans l'Etat membre où au moins l'un d'eux a son domicile.
En l'espèce, Mme [D] a fait assigner en responsabilité la Société générale et la société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria, en ce qu'elles ont concouru à la réalisation d'un même dommage, soit la perte des fonds qu'elle croyait investir. Elle invoque contre elles deux, en particulier, un manquement commun dans leurs diligences conditionnant le succès de la procédure de rappel des fonds.
Le juge de la mise en état l'a d'ailleurs exactement relevé dans son ordonnance : 'Dans son assignation, Mme [D] recherche également la responsabilité des deux banques en invoquant notamment des manquements à leurs obligations dans le cadre de la procédure de 'recall' qui est régie par le règlement européen n°924/2009 du 16 septembre 2009 modifié par le règlement 260/2012 du 14 mars 2012 établissant les exigences techniques et commerciales pour les virements et les prélèvements en euros et le règlement n° 248/2014 du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 modifiant le règlement n°260/2012 en ce qui concerne la migration vers un système de virements et de prélèvements à l'échelle de l'Union européenne. Mme [D] recherche donc la réparation d'un même préjudice auprès de deux défenderesses dont les responsabilités peuvent être liées'.
Ainsi, sans préjuger de leur bienfondé, il appert de prime abord que ces demandes, qui se rapportent aux mêmes faits, tendent à des fins identiques, posent des questions communes qui appellent des réponses coordonnées, notamment sur la matérialité et l'étendue du préjudice, l'analyse des causes du dommage, et la part de responsabilité éventuelle de chaque société.
Il doit être souligné que la banque étrangère, qui détient ou a détenu dans ses livres, un virement en provenance de France susceptible d'avoir un caractère frauduleux ne peut estimer raisonnablement imprévisible d'être attraite, de ce fait, devant les juridictions françaises. Bien au contraire, l'internationalisation croissante des relations bancaires via le développement de l'utilisation des moyens de communication électroniques ne peut que rendre insignifiante l'imprévisibilité pour un établissement bancaire, d'être poursuivi à l'étranger pour une opération à caractère international suspectée d'être frauduleuse à un moment ou à un autre de son déroulement.
Aussi, les actions en responsabilité intentées par Mme [D] sont connexes en ce qu'elles s'inscrivent dans une même situation de fait et de droit et par suite, pour éviter tout risque d'inconciliabilité des solutions, il y a lieu de les juger ensemble, peu important que les demandes soient éventuellement fondées sur des lois différentes (1re Civ., 26 sept. 2012, n°11-26.022 ; 17 fév. 2021, n°19-17.345).
Il y a identité de situation de fait en ce qu'à l'origine du préjudice dont se plaint Mme [D] à savoir la perte avérée des fonds investis à l'occasion des deux virements opérés, puisqu'il s'agit à chaque fois d'une seule et unique opération, soit le virement bancaire d'une même somme d'un compte vers un autre, et le fait que cette opération se déroule en deux temps - un ordre de virement traitée par la banque de départ, puis la réception par la banque étrangère teneur du compte du bénéficiaire - n'ôte rien au fait que ces deux étapes sont indissociables l'une de l'autre. Il y a également identité de situation de fait en ce que Mme [D] reproche à l'une et l'autre banque de ne pas avoir fait diligences lorsqu'il s'est agi de mettre en oeuvre la procédure de rappel des fonds.
Il y a identité de situation de droit en ce qu'il n'est pas discuté en l'espèce qu'un banquier, qu'il soit français ou espagnol, puisse voir sa responsabilité engagée à raison d'un manquement à ses obligations en tant que teneur de compte. Cette considération est suffisante en soi, peu important à cet égard que la règle de droit applicable en France/en Espagne, soit différente dans l'un et l'autre Etat, et que ne soient pas totalement identiques les conditions plus ou moins restrictives de la mise en jeu de cette responsabilité, la nature juridique de l'action exercée (délictuelle ou contractuelle), les chances de succès des demandes indemnitaires.
Par ailleurs, le fait, mis en avant par la banque appelante, que les actions exercées contre la banque française d'une part et contre la banque espagnole d'autre part, reposent sur des fondements juridiques différents, n'a pas pour conséquence nécessaire d'écarter tout risque de décisions inconciliables entre elles. En toutes hypothèses un tel risque existe, en particulier, dans le cas où l'un des juges retiendrait, pour des motifs de fait ou de droit, que la banque dont il a à juger du comportement ne serait responsable qu'à hauteur d'une certaine proportion du dommage, et où le juge de l'autre État, de son côté, retiendrait que la banque dont il est devant lui invoqué la responsabilité est tenue pour un quantum qui n'en fait pas le complément.
Ainsi, contrairement à ce qui est soutenu par la société Banco Bilbao Vizcaya Argentaria les conditions posées par l'article 8-1 du Réglement sont bel et bien réunies et l'ordonnance déférée sera donc confirmée en ce que sur ce fondement le juge de la mise en état a déclaré le tribunal de Paris compétent pour connaitre des demandes formées par Mme [D] à l'encontre de la société de droit espagnol et a débouté la banque espagnole de son exception d'incompétence.
Sur l'application de l'article 7-2 :
Étant retenue la compétence du tribunal judiciaire de Paris sur le fondement de l'article 8.1 du Règlement n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, il n'y a pas lieu de se prononcer sur le second moyen exposé par la société Banco Bilbao Vizcaya Argentaria à l'appui de son exception d'incompétence territoriale, tiré des dispositions de l'article 7.2 dudit réglement.
***
Sur la demande de communication de pièces
L'estimant utile à la décision à venir, le juge de la mise en état a fait droit à la demande d'injonction de communication de pièces que Mme [D] a formée sur le fondement de l'article 138 du code de procédure civile.
La société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria demande à la cour d'infirmer l'ordonnance également sur ce point, et de débouter Mme [D] de cette demande.
Mme [D] en réponse demande à la cour de déclarer la société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria irrecevable à solliciter l'infirmation de l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a fait droit à sa demande de communication des pièces de la procédure de rappel des fonds.
Sur ce,
Comme le soulève Mme [D], la demande d'infirmation que présente la société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria, de ce chef, n'est pas recevable, puisque selon les dispositions de l'article 795 du code de procédure civile, les ordonnances du juge de la mise en état relatives à la communication de pièces ne peuvent être frappées d'appel ou de pourvoi en cassation qu'avec le jugement statuant sur le fond et ne sont pas susceptibles d'un appel immédiat.
L'appel de la société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria de ce chef doit donc être déclaré irrecevable.
*****
Sur les dépens et les frais irrépétibles
La société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria qui échoue dans ses demandes, supportera les dépens de l'incident et ne peut prétendre à aucune somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
En revanche pour des raisons tenant à l'équité il y a lieu de faire droit à la demande de Mme [D] formulée sur ce même fondement, mais uniquement dans la limite de la somme de 1 000 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant dans les limites de l'appel,
DÉCLARE irrecevable la demande de la société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria tendant à l'infirmation de l'ordonnance en ce qu'elle a fait droit à la demande d'injonction de communication de pièces de Mme [B] épouse [D] ;
CONFIRME l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions ;
Et y ajoutant :
CONDAMNE la société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria à supporter les entiers dépens de l'incident en appel ;
CONDAMNE la société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria à payer à Mme [B] épouse [D] la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à raison des frais irrépétibles exposés sur incident, en cause d'appel ;
DÉBOUTE la société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria de sa propre demande formulée sur ce même fondement.
Le greffier Le président
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 6
ARRET DU 05 NOVEMBRE 2025
ARRÊT SUR COMPÉTENCE
(n° , 11 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/20729 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CKQSS
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 06 Novembre 2024 - juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris 9ème chambre 2ème section- RG n° 23/15549
APPELANTE
Société BANCO BILBAO VIZCAYA ARGENTARIA SOCIEDAD ANONIMA, société de droit espagnol, immatriculée au registre du commerce de Vizcaya sous le numéro 000008526, EUID : ES48001.000008526, Tomo 2.083, Folio 1, Hoja BI-17-A,
[Adresse 9]
[Localité 4] (Espagne)
agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de Paris, toque : C2477
INTIMÉES
Madame [M] [B] épouse [D]
née le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 11]
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentée par Me Marc OLIVIER-MARTIN de l'AARPI ROOM AVOCATS, avocat au barreau de Paris, toque : J152, substitué à l'audience par Me Jeanne de SAILLY de L'AARPI ROOM AVOCATS, avocat au barreau de Paris
S.A. SOCIETE GENERALE
[Adresse 2]
[Localité 6]
N°SIREN : 552 120 222
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentée par Me Etienne GASTEBLED de la SCP LUSSAN, avocat au barreau de Paris, toque : P0077
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 906 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 25 Septembre 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Pascale SAPPEY-GUESDON, conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Vincent BRAUD, président de chambre
Madame Pascale SAPPEY-GUESDON, conseillère
Mme Anne BAMBERGER, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé parVincent BRAUD, président de chambre et par Mélanie THOMAS, greffier, présent lors de la mise à disposition.
* * * * *
PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 24 décembre 2024, la société Banco Bilbao Vizcaya Argentaria a interjeté appel d'une ordonnance rendue le 6 novembre 2024 en ce que le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris - qui avait été saisi par voie d'assignations en date du 29 novembre et du 4 décembre 2023 délivrées à la requête de Mme [M] [B] épouse [D], à l'encontre de la banque espagnole et de la Société Générale, a statué ainsi :
'REJETTE l'exception d'incompétence territoriale soulevée par la Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria SA ;
ENJOINT à la SA Société générale et la Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria SA de communiquer à Mme [M] [D] tout élément justifiant des diligences qu'elles ont effectuées dans le cadre de procédure de 'recall' sollicitée le 7 février 2023 ainsi que de la date à laquelle celles-ci ont été effectives ;
ENJOINT à la Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria SA de communiquer à Mme [M] [D] l'ensemble des vérifications faites auprès du titulaire du compte sur lequel les fonds ont été virés lors de l'ouverture et le fonctionnement dudit compte ;
CONDAMNE la SA Société générale et la Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria SA aux dépens de l'incident ;
CONDAMNE la SA Société générale et la Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria SA à payer chacune à Mme [D] la somme de 750 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
RENVOIE l'affaire et les parties à l'audience de mise en état du 8 janvier 2025 à 13h30 pour les conclusions au fond des défenderesses.'
***
S'agissant de l'appel d'une ordonnance du juge de la mise en état se prononçant sur la compétence sans statuer sur le fond du litige, le magistrat statuant sur requête par délégation de M. Le premier président de la cour d'appel de Paris a par ordonnance rendue le 9 janvier 2025 autorisé la partie requérante à assigner à jour fixe devant le Pôle 5 Chambre 6 de la Cour d'appel de Paris, pour l'audience du 25 septembre 2025 à 9 heures.
La Société générale a constitué avocat mais n'a pas fait déposer de conclusions.
À l'issue de la procédure d'appel les prétentions des parties s'exposent de la manière suivante.
Au dispositif de ses conclusions communiquées par voie électronique le 24 décembre 2024, jointes à la déclaration d'appel, et qui constituent donc ses uniques écritures, la banque appelante
présente, en ces termes, ses demandes à la cour :
'Vu le Réglement Bruxelles 1 Bis n°1215/2012 du 12 décembre 2012 sur la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale,
Vu les articles 42, 74, 75, 138, 139, 142, 700, et 791 du Code de procédure civile,
Vu les articles L. 133-6 à L. 133-8, L. 133-22 et L. 511-33 du Code monétaire et financier
Vu l'article 1902 du code civil espagnol,
Vu l'article 83 de la Loi espagnole 10/2014 du 26 juin 2014
Vu la jurisprudence francaise et européenne citée et les pièces versées au débat,
Il est demandé à la Cour d'appel de Paris de :
DECLARER la société BBVA recevable et bien fondée en son appel de l'ordonnance rendue le 6 novembre 2024 par le Juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Paris.
Y faisant droit,
INFIRMER l'ordonnance susvisée et datée en ce qu'elle :
'REJETTE l'exception d'incompétence territoriale soulevée par la Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria SA ;
ENJOINT à la SA Société générale et la Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria SA de communiquer à Mme [M] [D] tout élément justifiant des diligences qu'elles ont effectuées dans le cadre de procédure de recall sollicitée le 7 février 2023 ainsi que de la date à laquelle celles-ci ont été effectives ;
ENJOINT à la Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria SA de communiquer à Mme [M] [D] l'ensemble des vérifications faites auprès du titulaire du compte sur lequel les fonds ont été virés lors de l'ouverture et le fonctionnement dudit compte ;
CONDAMNE la SA Société générale et la Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria SA aux dépens de l'incident ;
CONDAMNE la SA Société générale et la Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria SA à payer chacune à Mme [D] la somme de 750 euros sur le fondement de l'article 700 du code de proéedure civile.'
ET STATUANT A NOUVEAU :
CONSTATER qu'au regard des textes de droit francais et européen et en particulier du Réglement Bruxelles 1 Bis, la juridiction territorialement compétente en l'espèce pour statuer sur les demandes formulées par la Demanderesse à l'encontre de BBVA n'est pas le Tribunal judiciaire de Paris mais le tribunal matériellement compétent en première instance du ressort de Bilbao (Espagne) ;
En conséquence :
RECEVOIR l'exception d'incompétence territoriale soulevée par BBVA en application de l'article 74 du Code de procédure civile ;
RENVOYER Madame [M] [B] ep. [D] à mieux se pourvoir devant le tribunal matériellement compétent en première instance du ressort de Bilbao (Espagne).
DEBOUTER Madame [M] [B] ep. [D] de sa demande de production forcée de pièces formée par la Demanderesse.
En tout état de cause :
- CONDAMNER Madame [M] [B] ep. de [Localité 10] à payer à BBVA la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'au remboursement intégral des frais de traduction ;
- CONDAMNER Madame [M] [B] ep. [D] aux entiers dépens de la présente instance ;
- PRONONCER l'exécution provisoire du jugement à intervenir.'
Au dispositif de ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 26 mars 2025, l'intimé
présente, en ces termes, ses demandes à la cour :
'Vu l'article le réglement Bruxelles 1 bis,
Vu l'article 46 du Code de procédure civile,
Vu les articles 795 et 700 du Code de procédure civile,
Il est demandé à la Cour de :
DEBOUTER la BBVA de toutes ses demandes formulées dans ses conclusions d'appel,
DECLARER la BBVA irrecevable à solliciter l'infirmation de l'ordonnance entreprise, en ce qu'elle a fait droit à sa demande de communication des pièces de la procédure de rappel des fonds, sollicitée par Madame [M] [D],
CONFIRMER l'ordonnance du 6 novembre 2024 en toutes ses dispositions,
JUGER que le Tribunal judiciaire de Paris est compétent pour connaitre des demandes de Madame [M] [D] à l'encontre de la SOCIETE GENERALE et de la BBVA,
CONDAMNER la BBVA à payer à Madame [M] [D] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
Les CONDAMNER aux entiers dépens.'
Par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs conclusions précitées.
MOTIFS DE LA DECISION
Pensant investir des fonds au sein du groupe VYV, acteur mutualiste de la santé et de la protection sociale en France, Mme [M] [B] épouse [D] a le 3 février 2023 effectué deux virements d'un montant de 10 000 et 15 000 euros, depuis son compte ouvert dans les livres de la Société générale et tenu à l'agence [Localité 8] République, au bénéfice d'un compte ouvert au nom de la société 'Ende Kacem SL' dans les livres de la banque espagnole Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria.
Ayant découvert l'existence d'une escroquerie au moyen frauduleux de l'utilisation de l'image du groupe VYV, Mme [D] le 7 février 2023 a déposé une plainte auprès du commissariat de police central d'[Localité 8], et le même jour a demandé à la Société générale de mettre en oeuvre auprès de la société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria, une procédure de retour des fonds, dite de 'recall', mais en vain.
Ses démarches auprès des deux banques pour obtenir l'indemnisation de ses préjudices étant demeurées infructueuses, par actes de commissaire de justice datés des 29 novembre et 4 décembre 2023, Mme [D] a fait assigner la Société générale et la société Banco Bilbao Vizcaya Argentaria devant le tribunal judiciaire de Paris, reprochant à la première un manquement à son obligation de vigilance en ne relevant pas les anomalies apparentes affectant les virements et, aux deux établissements, leur défaut de diligence dans le cadre de la procédure de 'recall'.
***
Sur la compétence territoriale
La société Banco Bilbao Vizcaya Argentaria a saisi d'incident le juge de la mise en état, sollicitant, au visa notamment du Règlement européen n°1215/2012 du 12 décembre 2012 sur la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit 'Bruxelles I Bis', et de l'article 42 du code de procédure civile, l'incompétence territoriale du tribunal judiciaire de Paris pour avoir à statuer sur le litige l'opposant à Mme [D], seules les juridictions espagnoles étant compétentes pour se prononcer sur les griefs dirigés par cette dernière à son encontre.
La société Banco Bilbao Vizcaya Argentaria soutenait l'application de la loi espagnole, à l'exclusion du droit français, en application de l'article 4 du règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 dit 'Rome II' outre l'incompétence du tribunal judiciaire de Paris au regard des dispositions tant générales que spéciales du règlement dit 'Bruxelles I Bis', exposant que dans le rapport l'opposant à la demanderesse, les éléments de rattachement du litige sont situés en Espagne puisqu'il lui est fait grief d'avoir commis une faute en s'abstenant de mettre en oeuvre la procédure de rappel des fonds soustraits.
' Ainsi, pour l'essentiel de ses prétentions, la société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria exposait qu'aux termes de l'article 4.1 du règlement européen précité, les juridictions compétentes pour trancher un litige sont, par principe, celles de l'État membre sur le territoire duquel se situe le domicile du défendeur qui doit être apprécié au regard de la loi interne du juge saisi. En l'espèce, en application de l'article 42 du code de procédure civile français, il convient de retenir le lieu du siège social de la personne morale défenderesse, soit en ce qui concerne la société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria, le lieu de son siège social situé à [Localité 7] en Espagne.
L'application des dispositions de l'article 7.2 du même règlement, édictant des règles de compétence spéciale au regard de la matière relative à l'objet du litige, conduit à la même solution au regard de la jurisprudence française, qui, dans des cas similaires à la présente espèce, considère que le lieu du fait dommageable est toujours situé au lieu où se trouve le compte de réception, soit l'établissement situé à l'étranger. Au cas présent, il convient de retenir le lieu du siège social situé en Espagne, où les montants des virements ont été crédités, à l'exclusion de tout autre critère de rattachement dont la demanderesse ne rapporte pas la preuve, notamment quant à un éventuel démarchage.
' La société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria soutenait également que Mme [D] ne saurait se prévaloir utilement de l'exception prévue à l'article 8.1 du règlement précité, et ainsi attraire toutes les défenderesses devant la juridiction du siège social ou du domicile de l'une d'elles, en l'espèce, celui de la Société générale, faute de démontrer la réunion des trois conditions cumulatives exigées que sont l'existence d'un lien de connexité résultant d'une identité de situation de fait et de droit entre les parties, celle d'un risque de décisions inconciliables si elles venaient à être examinées par des juges différents et enfin celle de la prévisibilité pour les défendeurs qu'ils risquent d'être attraits dans l'Etat membre où au moins l'un d'entre eux a son domicile ou siège social.
- S'agissant de la condition tenant à une identité de situation de fait, les faits reprochés aux défenderesses diffèrent en ce que la Société générale, qui est la banque émettrice des deux virements litigieux, se voit reprocher un manquement à ses obligations de vigilance et de surveillance en matière d'exécution de mouvements de fonds en provenance du compte de sa cliente ainsi qu'à son obligation d'information générale, tandis qu'elle-même, banque réceptrice, se voit reprocher un manquement à son obligation de vigilance issue de la réglementation anti-blanchiment espagnole, notamment en matière de vérification obligatoire lors de l'ouverture et durant le fonctionnement du compte bancaire ouvert dans ses livres par la société espagnole bénéficiaire. Elle faisait ainsi valoir que des défenderesses, qui ne réalisent pas les mêmes diligences, agissent de manière indépendante et non concertée, et qui ne sont pas soumises aux mêmes obligations, ne sont donc pas dans une même situation de fait, ce qui écarte tout risque de voir prononcer des décisions inconciliables par des juridictions différentes qui ne se prononceront dès lors pas sur les mêmes faits.
- S'agissant de l'absence d'identité de situation de droit, et par conséquence l'absence d'inconciliabilité entre des décisions rendues séparément contre les défenderesses, faute d'identité de leurs relations avec la demanderesse, la responsabilité de la Société générale est recherchée sur le terrain contractuel et la sienne sur le terrain délictuel, et les obligations prétendument non respectées qui ne sont pas de même nature sont soumises à leurs législations nationales respectives et doivent donc être appréciées à l'aune de celles-ci, soit le code monétaire et financier français concernant la Société générale et la loi espagnole la concernant, précisant que sa responsabilité ne peut être recherchée sur le fondement des directives européennes qui ne sont pas d'application directe et qui ont fait l'objet de transpositions distinctes au plan national.
La société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria concluait ainsi à une absence d'identité de faits, de fondements juridiques et de lois applicables ainsi que de questions communes appelant des solutions coordonnées, dont découle nécessairement une absence de risque de solutions inconciliables faute pour la demanderesse d'établir les circonstances particulières justifiant de la connexité de ses demandes et de la nécessité de les juger ensemble.
Enfin, la société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria exposait qu'elle ne peut se voir opposer le principe de prévisibilité d'être attraite devant une juridiction française au simple motif que l'un de ses clients a bénéficié de virements bancaires internationaux dès lors qu'elle n'a aucun lien contractuel avec la demanderesse, qu'elle est une banque espagnole domiciliée sur son territoire national et soumise à la législation de celui-ci, qu'elle n'a aucune activité de banque de détail sur le territoire français et que la société bénéficiaire titulaire du compte qui a réceptionné les fonds est également une société de droit espagnol.
Elle concluait à la compétence des juridictions espagnoles conformément à l'esprit du règlement 'Bruxelles I Bis' dont l'un des principaux objectifs en matière de règles de compétence, notamment en matière délictuelle, est de privilégier la compétence de la juridiction présentant le plus de proximité avec le litige.
La même argumentation est maintenue en cause d'appel.
Mme [D], au visa notamment, du règlement 'Bruxelles I Bis' et de l'article 46 du code de procédure civile, demandait au juge de la mise en état de juger le tribunal judiciaire de Paris territorialement compétent pour connaitre de ses demandes à l'encontre de la Société générale et de la société Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, et pour conclure au rejet de l'exception d'incompétence soulevée par la banque espagnole, invoquait les dispositions des articles 7.2 et 8.1 du règlement 'Bruxelles I Bis', interprétées à l'aune de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne et de la Cour de cassation conduisant en matière de préjudice financier à retenir la compétence des juridictions françaises.
Elle précisait qu'au cas particulier, contrairement aux cas d'espèces cités par la banque espagnole dans lesquels est reproché un manquement à l'obligation de vigilance de la banque étrangère lors de l'ouverture du compte frauduleux, elle recherche la responsabilité des deux banques pour ne pas avoir mis en place la procédure de 'recall' qu'elle a sollicitée immédiatement après la soustraction des fonds.
Elle soutenait qu'en l'espèce, la compétence des juridictions françaises se justifie en raison des liens de rattachement que constituent le lieu de son domicile, celui du siège social de la Société générale impliquée dans la réalisation des virements, celui du siège social du groupe VYV qui devait être destinataire des fonds et dont l'image a été usurpée sur le territoire français, sur des sites français, pour tromper des consommateurs français, la langue française dans laquelle le bulletin de souscription support de l'escroquerie a été rédigé, le lieu de réalisation du dommage, à savoir le compte bancaire de Mme [D] ouvert en France, et le lieu depuis lequel elle a demandé la mise en oeuvre de la procédure de rappel des fonds auprès de la société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria qui dans ce cadre a été sollicitée par la Société générale. Enfin, les deux banques devaient mettre en oeuvre la procédure de restitution des fonds de façon simultanée et concordante et ses demandes à leur encontre trouvent ainsi leur origine dans la même situation de fait et de droit, fondant une action devant la même juridiction pour solliciter leur condamnation in solidum en l'absence de production de pièces démontrant leurs diligences.
Sur les circonstances particulières du litige permettant d'attribuer la compétence à la juridiction française, à hauteur d'appel Mme [D] entend souligner (à nouveau) qu'en l'espèce, il est reproché aux banques et notamment à la société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria de ne pas avoir mis en place la procédure de restitution des fonds qui avait été sollicitée par Mme [D] immédiatement après la réalisation de l'escroquerie en ligne. Pour tenter de faire obstacle à la compétence du juge français, la société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria produit une abondante jurisprudence qui n'est pas pertinente au cas présent, s'agissant d'un grief de défaut de vigilance et non de dossiers dans lesquels une demande de retour des fonds a été ordonnée depuis la France.
Elle réitère qu'en l'espèce, la compétence des juridictions françaises est parfaitement justifiée dès lors que :
- le domicile de la demanderesse, Mme [D], victime de l'escroquerie dans le cadre des virements litigieux, est situé en France,
- le siège social de la deuxième banque impliquée dans la réalisation des virements, la Société générale, est situé en France,
- les virements ont été ordonnés pour le paiement d'un groupe mutualiste français, le groupe VYV, dont un escroc a usurpé l'identité,
- l'usurpation d'image du groupe VYV a été faite en France, sur des sites internet français à destination des consommateurs français,
- le bulletin de souscription de prétendues actions du groupe VYV ayant servi de support à l'escroquerie est rédigé en langue française,
- le dommage a été réalisé sur le compte bancaire de Mme [D] ouvert en France dans les livres de la Société générale, banque française ayant son siège social en France,
- les instructions pour mettre en 'uvre la procédure de retour des fonds ont été données depuis la France par Mme [D] et probablement, la Société générale.
Il n'existe aucune circonstance particulière de l'affaire permettant d'attribuer la compétence à une autre juridiction que celle du lieu de matérialisation du préjudice de Mme [D], et notamment à la juridiction espagnole. À l'inverse des cas de jurisprudence dont fait état la société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria, en l'espèce la demande de compétence de la juridiction française pour trancher le litige opposant Mme [D] à la Société générale et à la société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria n'est pas fondée sur le fait que les virements litigieux aient été initiés depuis un compte bancaire français, mais sur plusieurs circonstances particulières qui rattachent ce litige à la France et justifient que le juge français se saisisse du litige.
Mme [D] estime que de façon surprenante, pour sa défense la société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria argue que le manquement à la procédure de récupération des fonds s'est nécessairement produit en Espagne. Or, d'une part, Mme [D] a été tenue dans l'ignorance totale des démarches mises en 'uvre dans le cadre de la procédure de restitution des fonds qu'elle a sollicitée. Elle ignore qui de la Société Générale, de la société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria (ou des deux) a manqué à son obligation de diligence en ne mettant pas en 'uvre la procédure de restitution des fonds. D'autre part, il est avéré que la société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria a bien été avertie d'une procédure de restitution des fonds ordonnée depuis la France, rendant prévisible, en cas de manquement, la compétence des juridictions françaises. Enfin, compte tenu du fait que les deux banques devaient mettre toutes les deux en 'uvre la procédure de restitution des fonds, de façon simultanée et en concordance, et qu'elles ont refusé de justifier des démarches initiées auprès de Mme [D], celle-ci est fondée à les attraire devant la même juridiction pour solliciter leur condamnation in solidum, si les pièces que les banques devront verser aux débats le justifient.
Enfin, il est manifeste en l'espèce, que les demandes de Mme [D] à l'encontre des deux banques trouvent leur origine dans la même situation de fait et de droit. Les deux banques devaient mettre toutes les deux en 'uvre la procédure de restitution des fonds, de façon simultanée et en concordance, et Mme [D] se heurte à leur refus commun de justifier des démarches mises en 'uvre dans ce cadre. Le juge de la mise en état a exactement jugé qu'il tirait sa compétence du domicile de la Société Générale et du fait que Mme [D] recherchait la réparation d'un même préjudice auprès des deux banques.
Sur ce,
Il est indéniable qu'il y a lieu de statuer sur la compétence en faisant application des dispositions du Règlement n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, en ce que l'action est engagée contre la société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria, société ayant son siège social en Espagne.
Aux termes de son article 4, paragraphe premier (chapitre II, 'Compétence') qui constitue le texte de principe, sous réserve des autres dispositions dudit règlement les personnes domiciliées sur le territoire d'un État-membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre.
Aux termes de l'article suivant - article 5, paragraphe premier, même chapitre - les personnes domiciliées sur le territoire d'un État-membre ne peuvent être attraites devant les juridictions d'un autre État-membre qu'en vertu des règles énoncées aux sections II à VII du présent chapitre II.
Aussi, par exception au principe posé par l'article 4, la compétence des juridictions françaises pour connaitre d'une action dirigée contre des personnes domiciliées à l'étranger peut être recherchée dans les conditions des articles 7 et 8 dudit réglement.
Sur l'application de l'article 8-1 :
En vertu de l'article 8, point 1, du Règlement, s'il y a plusieurs défendeurs, une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre peut, par dérogation au principe énoncé à l'article 4, paragraphe 1, de ce Règlement, être attraite devant la juridiction du domicile de l'un d'eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d'éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément.
Pour l'application de cet article, dont le critère de compétence est d'interprétation stricte, l'appréciation de l'existence du lien de connexité et donc du risque de décisions inconciliables en présence d'une même situation de fait et de droit, n'exige pas l'identité de fondements juridiques, dès lors qu'il était prévisible pour les défendeurs qu'ils risquaient de pouvoir être attraits dans l'Etat membre où au moins l'un d'eux a son domicile.
En l'espèce, Mme [D] a fait assigner en responsabilité la Société générale et la société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria, en ce qu'elles ont concouru à la réalisation d'un même dommage, soit la perte des fonds qu'elle croyait investir. Elle invoque contre elles deux, en particulier, un manquement commun dans leurs diligences conditionnant le succès de la procédure de rappel des fonds.
Le juge de la mise en état l'a d'ailleurs exactement relevé dans son ordonnance : 'Dans son assignation, Mme [D] recherche également la responsabilité des deux banques en invoquant notamment des manquements à leurs obligations dans le cadre de la procédure de 'recall' qui est régie par le règlement européen n°924/2009 du 16 septembre 2009 modifié par le règlement 260/2012 du 14 mars 2012 établissant les exigences techniques et commerciales pour les virements et les prélèvements en euros et le règlement n° 248/2014 du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 modifiant le règlement n°260/2012 en ce qui concerne la migration vers un système de virements et de prélèvements à l'échelle de l'Union européenne. Mme [D] recherche donc la réparation d'un même préjudice auprès de deux défenderesses dont les responsabilités peuvent être liées'.
Ainsi, sans préjuger de leur bienfondé, il appert de prime abord que ces demandes, qui se rapportent aux mêmes faits, tendent à des fins identiques, posent des questions communes qui appellent des réponses coordonnées, notamment sur la matérialité et l'étendue du préjudice, l'analyse des causes du dommage, et la part de responsabilité éventuelle de chaque société.
Il doit être souligné que la banque étrangère, qui détient ou a détenu dans ses livres, un virement en provenance de France susceptible d'avoir un caractère frauduleux ne peut estimer raisonnablement imprévisible d'être attraite, de ce fait, devant les juridictions françaises. Bien au contraire, l'internationalisation croissante des relations bancaires via le développement de l'utilisation des moyens de communication électroniques ne peut que rendre insignifiante l'imprévisibilité pour un établissement bancaire, d'être poursuivi à l'étranger pour une opération à caractère international suspectée d'être frauduleuse à un moment ou à un autre de son déroulement.
Aussi, les actions en responsabilité intentées par Mme [D] sont connexes en ce qu'elles s'inscrivent dans une même situation de fait et de droit et par suite, pour éviter tout risque d'inconciliabilité des solutions, il y a lieu de les juger ensemble, peu important que les demandes soient éventuellement fondées sur des lois différentes (1re Civ., 26 sept. 2012, n°11-26.022 ; 17 fév. 2021, n°19-17.345).
Il y a identité de situation de fait en ce qu'à l'origine du préjudice dont se plaint Mme [D] à savoir la perte avérée des fonds investis à l'occasion des deux virements opérés, puisqu'il s'agit à chaque fois d'une seule et unique opération, soit le virement bancaire d'une même somme d'un compte vers un autre, et le fait que cette opération se déroule en deux temps - un ordre de virement traitée par la banque de départ, puis la réception par la banque étrangère teneur du compte du bénéficiaire - n'ôte rien au fait que ces deux étapes sont indissociables l'une de l'autre. Il y a également identité de situation de fait en ce que Mme [D] reproche à l'une et l'autre banque de ne pas avoir fait diligences lorsqu'il s'est agi de mettre en oeuvre la procédure de rappel des fonds.
Il y a identité de situation de droit en ce qu'il n'est pas discuté en l'espèce qu'un banquier, qu'il soit français ou espagnol, puisse voir sa responsabilité engagée à raison d'un manquement à ses obligations en tant que teneur de compte. Cette considération est suffisante en soi, peu important à cet égard que la règle de droit applicable en France/en Espagne, soit différente dans l'un et l'autre Etat, et que ne soient pas totalement identiques les conditions plus ou moins restrictives de la mise en jeu de cette responsabilité, la nature juridique de l'action exercée (délictuelle ou contractuelle), les chances de succès des demandes indemnitaires.
Par ailleurs, le fait, mis en avant par la banque appelante, que les actions exercées contre la banque française d'une part et contre la banque espagnole d'autre part, reposent sur des fondements juridiques différents, n'a pas pour conséquence nécessaire d'écarter tout risque de décisions inconciliables entre elles. En toutes hypothèses un tel risque existe, en particulier, dans le cas où l'un des juges retiendrait, pour des motifs de fait ou de droit, que la banque dont il a à juger du comportement ne serait responsable qu'à hauteur d'une certaine proportion du dommage, et où le juge de l'autre État, de son côté, retiendrait que la banque dont il est devant lui invoqué la responsabilité est tenue pour un quantum qui n'en fait pas le complément.
Ainsi, contrairement à ce qui est soutenu par la société Banco Bilbao Vizcaya Argentaria les conditions posées par l'article 8-1 du Réglement sont bel et bien réunies et l'ordonnance déférée sera donc confirmée en ce que sur ce fondement le juge de la mise en état a déclaré le tribunal de Paris compétent pour connaitre des demandes formées par Mme [D] à l'encontre de la société de droit espagnol et a débouté la banque espagnole de son exception d'incompétence.
Sur l'application de l'article 7-2 :
Étant retenue la compétence du tribunal judiciaire de Paris sur le fondement de l'article 8.1 du Règlement n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, il n'y a pas lieu de se prononcer sur le second moyen exposé par la société Banco Bilbao Vizcaya Argentaria à l'appui de son exception d'incompétence territoriale, tiré des dispositions de l'article 7.2 dudit réglement.
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Sur la demande de communication de pièces
L'estimant utile à la décision à venir, le juge de la mise en état a fait droit à la demande d'injonction de communication de pièces que Mme [D] a formée sur le fondement de l'article 138 du code de procédure civile.
La société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria demande à la cour d'infirmer l'ordonnance également sur ce point, et de débouter Mme [D] de cette demande.
Mme [D] en réponse demande à la cour de déclarer la société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria irrecevable à solliciter l'infirmation de l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a fait droit à sa demande de communication des pièces de la procédure de rappel des fonds.
Sur ce,
Comme le soulève Mme [D], la demande d'infirmation que présente la société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria, de ce chef, n'est pas recevable, puisque selon les dispositions de l'article 795 du code de procédure civile, les ordonnances du juge de la mise en état relatives à la communication de pièces ne peuvent être frappées d'appel ou de pourvoi en cassation qu'avec le jugement statuant sur le fond et ne sont pas susceptibles d'un appel immédiat.
L'appel de la société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria de ce chef doit donc être déclaré irrecevable.
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Sur les dépens et les frais irrépétibles
La société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria qui échoue dans ses demandes, supportera les dépens de l'incident et ne peut prétendre à aucune somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
En revanche pour des raisons tenant à l'équité il y a lieu de faire droit à la demande de Mme [D] formulée sur ce même fondement, mais uniquement dans la limite de la somme de 1 000 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant dans les limites de l'appel,
DÉCLARE irrecevable la demande de la société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria tendant à l'infirmation de l'ordonnance en ce qu'elle a fait droit à la demande d'injonction de communication de pièces de Mme [B] épouse [D] ;
CONFIRME l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions ;
Et y ajoutant :
CONDAMNE la société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria à supporter les entiers dépens de l'incident en appel ;
CONDAMNE la société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria à payer à Mme [B] épouse [D] la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à raison des frais irrépétibles exposés sur incident, en cause d'appel ;
DÉBOUTE la société Banco [Localité 7] Vizcaya Argentaria de sa propre demande formulée sur ce même fondement.
Le greffier Le président