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Décisions

CA Paris, Pôle 4 - ch. 5, 5 novembre 2025, n° 22/08724

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 22/08724

5 novembre 2025

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 5

ARRET DU 05 NOVEMBRE 2025

(n° /2025, 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/08724 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFYGL

Décision déférée à la Cour : jugement du 17 février 2022 - tribunal judiciaire d'EVRY - RG n° 18/00402

APPELANTE

S.A.S. IBELYS prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Ayant pour avocat plaidant à l'audience Maître Jérôme MARTIN de la SELARL MARTIN & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

Association FEDERATION FRANCAISE DE RUGBY prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Pierre-yves SOULIE de la SELARL EGIDE AVOCATSCÎMES, avocat au barreau D'ESSONNE, substitué à l'audience par Me Céline BAUDOT, avocat au barreau d'ALBERTVILLE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 octobre 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Ludovic JARIEL, président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Ludovic JARIEL, président de chambre

Mme Emmanuelle BOUTIE, conseillère

Mme Viviane SZLAMOVICZ, conseillère

Greffier, lors des débats : M. Alexandre DARJ

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Ludovic JARIEL, président de chambre et par Tiffany CASCIOLI, greffière, présente lors de la mise à disposition.

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Courant 2010-2011, l'association la Fédération française de rugby (la FFR) a souhaité faire construire et être propriétaire d'un grand stade multifonctionnel francilien afin de gagner une autonomie dans la programmation des événements sportifs et augmenter ses ressources financières (le projet du [Localité 8] Stade).

En 2011, elle a lancé une consultation afin de sélectionner un site pour accueillir le projet.

Elle a retenu la candidature de la communauté d'agglomération [Localité 7] [Adresse 6] (CAECE), regroupée avec les communes de [Localité 9] et de [Localité 5], qui proposaient un site de 133 hectares.

Le 26 juin 2012, un accord-cadre a été signé avec le groupement prévoyant les principaux engagements nécessaires à l'acquisition du terrain, aux aménagement nécessaires (ZAC, infrastructures), au financement et aux contreparties d'intérêt général.

En parallèle, le 16 mai 2013, la FFR a conclu, un contrat de maîtrise d''uvre avec un groupement constitué des sociétés Populous, Ateliers 234, Egis Bâtiments et Egis concept.

Le 27 juillet 2016, la FFR a conclu un contrat de conception, construction, entretien et maintenance du [Localité 8] Stade avec la société Ibelys, créée pour ce faire et qui est venue se substituer à la FFR dans le contrat de maîtrise d''uvre, pour un prix de 583 080 942 euros, dont 508 261 772 euros de travaux.

La société Ibelys s'y engageait à exécuter le contrat en quatre phases.

La phase 0 est celle de la préparation des conditions propices à l'établissement des demandes d'autorisation de construire et consiste, notamment, à gérer les relations avec les collectivités publiques, à constituer les dossiers nécessaires à la maîtrise de l'ouvrage pour l'obtention des autorisations administratives et à étudier les diverses démarches à engager à cette fin ainsi qu'à réaliser les études préalables et à identifier les mesures compensatoires à mettre en 'uvre.

La phase 1 est celle des prestations relatives à la conception et à l'obtention des autorisations de construire, qui s'étend de la notification de l'ordre de service phase 1 (OSP1) jusqu'à la notification de l'ordre de service phase 2 (OSP2).

La phase 2 est celle des prestations relatives à la conception et à la réalisation de l'ouvrage, de la notification de l'ordre de service phase 2 (OPS2) jusqu'à la réception des travaux.

La phase 3 est celle de l'exploitation de l'ouvrage pendant laquelle la société Ibelys devait être chargée des prestations d'entretien et de maintenance de celui-ci.

Le 3 décembre 2016, M. [F] a été élu président de la FFR.

Par courriel du 5 décembre suivant, soit au cours de la phase 1, la FFR a informé la société Ibelys et ses partenaires du gel des réunions de travail sur le projet programmé dans les semaines suivantes, dans l'attente des instructions de la gouvernance de la fédération.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 3 janvier 2017, elle a informé la société Ibelys de l'abandon du projet du [Localité 8] Stade et l'a invitée à cesser immédiatement l'exécution des prestations prévues à son contrat.

Par la suite, la FFR a refusé de reprendre l'exécution du contrat ou d'indemniser la société Ibelys à hauteur de ce que celle-ci réclamait.

Le 19 janvier 2018, la société Ibelys a assigné la FFR en réparation de ses préjudices.

La CAECE ainsi que les communes de Ris-Orangis et de Bondoufle ont, parallèlement, saisi le tribunal administratif de Versailles d'une demande d'indemnisation par la FFR des conséquences dommageables de l'abandon du projet.

Par jugement du 3 juillet 2020, le tribunal administratif de Versailles a condamné la FFR à payer une indemnité de 3 364 288,12 euros à la CAECE ainsi qu'une indemnité de 18 328,60 euros à la commune de Ris-Orangis et a rejeté le surplus des demandes d'indemnisation à son encontre.

Par jugement du 17 février 2022, le tribunal judiciaire d'Evry a statué en ces termes :

Condamne la FFR à payer à la société Ibelys une somme de 150 000 euros HT au titre de l'état d'avancement du 26 décembre 2016 ;

Déboute la société Ibelys du surplus de ses demandes envers la FFR ;

Rejette les demandes de la FFR ;

Condamne la FFR aux dépens de l'instance, ainsi qu'à payer à la société Ibelys une somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Autorise maître [W] [B], de la société Willkiefarr & Gallagher LLP à procéder au recouvrement direct des dépens conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;

Ordonne l'exécution provisoire de la présente décision.

Par déclaration en date du 29 avril 2022, la société Ibelys a interjeté appel du jugement, intimant devant la cour la FFR.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 27 janvier 2023, la société Ibelys demande à la cour de :

Déclarer la société Ibelys recevable et bien fondée en son appel ;

Y faisant droit,

Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la FFR à payer à la société Ibelys une somme de cent cinquante mille euros hors taxes (150 000 euros HT) au titre de l'état d'avancement du 26 décembre 2016 ;

Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Ibelys du surplus de ses demandes envers la FFR, qui tendaient à voir ;

Condamner la FFR au paiement d'une somme de 16 339 873 euros (à parfaire) en réparation du préjudice subi par celle-ci du fait de la résiliation du contrat conclu avec la FFR ;

Condamner la FFR à relever et garantir la société Ibelys de toute demande d'indemnisation qui serait formée à son encontre dans le cadre de la résiliation du contrat de maîtrise d''uvre du 16 mai 2013 ;

Condamner la FFR au paiement de la somme de 50 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau,

Constater la résiliation du contrat de conception, construction, entretien et maintenance du [Localité 8] Stade de la FFR du 27 juillet 2016 ;

Déclarer que le contrat de conception, construction, entretien et maintenance du [Localité 8] Stade du 27 juillet 2016 a été résilié de façon fautive par la FFR ;

Déclarer que la FFR ne peut pas se prévaloir de l'article 4.3.2 [lire 4.2.3] du contrat de conception, construction, entretien et maintenance du [Localité 8] Stade du 27 juillet 2016 pour contester sa faute ou pour minimiser le préjudice subi par la société Ibelys ;

Déclarer la société Ibelys recevable à voir réputer non écrit l'article 4.3.2 [lire 4.2.3] du contrat de conception, construction, entretien et maintenance du [Localité 8] Stade du 27 juillet 2016 ;

Réputer non écrit l'article 4.3.2 [lire 4.2.3] du contrat de conception, construction, entretien et maintenance du [Localité 8] Stade du 27 juillet 2016 ;

Déclarer que la société Ibelys doit être indemnisée par la FFR de l'entier préjudice consécutif à la résiliation fautive du contrat de conception, construction, entretien et maintenance du [Localité 8] Stade du 27 juillet 2016 ;

Sur les préjudices subis au titre de la phase 1 ;

A titre principal,

Condamner la FFR à payer à la société Ibelys la somme de 150 000 euros au titre de l'état d'avancement au 26 décembre 2016 ;

Condamner la FFR à payer à la société Ibelys la somme de 370 299 euros en réparation de la perte de marge subie au titre de la phase 1 ;

A titre subsidiaire,

Dans l'hypothèse où, par impossible, la société Ibelys ne serait pas indemnisée au titre de la perte de marge :

Condamner la FFR à payer à la société Ibelys la somme de 150 000 euros au titre de l'état d'avancement au 26 décembre 2016 ;

Condamner la FFR à payer à la société Ibelys la somme de 136 185 euros au titre des honoraires de maîtrise d''uvre ;

Sur les préjudices subis au titre des phases 2 et 3 ;

A titre principal,

Condamner la FFR à payer à la société Ibelys la somme 11 606 786 euros en réparation de la perte de marge subie au titre de la phase 2 ;

Condamner la FFR à payer à la société Ibelys la somme de 4 282 025 euros en réparation de la perte de marge subie au titre de la phase 3 ;

A titre subsidiaire,

Dans l'hypothèse où, par impossible, la société Ibelys ne serait pas indemnisée au titre de la perte de marge :

Condamner la FFR à payer à la société Ibelys la somme 3 911 007 euros en réparation des coûts exposés en pure perte avant la signature du contrat de conception, construction, entretien et maintenance du [Localité 8] Stade ;

Sur le préjudice d'image subi par la société Ibelys,

Condamner la FFR à payer à la société Ibelys la somme de 40 000 euros en réparation de son préjudice d'image ;

En tout état de cause :

Débouter la FFR de l'ensemble de ses prétentions, fins et conclusions, et notamment de celles formulées dans le cadre de son appel incident ;

Condamner la FFR à payer à la société Ibelys la somme de 50 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner la FFR aux dépens, dont distraction au profit de la société Lexavoue Paris Versailles, représentée par Maître Matthieu Boccon Gibbod, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Dans leurs conclusions notifiées par voie électronique le 28 octobre 2022, la FFR demande à la cour de :

Constater l'irrecevabilité de la demande de la société Ibelys visant à faire réputer non écrit l'article 4.3.2 [lire 4.2.3] du CCEM ;

Constater que la résiliation par la FFR de la convention conclue avec la société Ibelys n'est pas fautive ;

En conséquence, infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire d'Evry à ce titre et débouter la société Ibelys de ses demandes d'indemnisations ;

Condamner la société Ibelys à rembourser à la FFR la somme de 150 000 euros versée au titre de l'exécution provisoire de la décision de première instance ;

A titre subsidiaire,

Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a limité l'indemnisation de Ibelys à la somme de 150 000 euros, et débouter Ibelys de l'ensemble de ses demandes ;

Débouter la société Ibelys de sa demande formulée au titre des frais irrépétibles ;

Condamner la société Ibelys à verser à la FFR la somme de 50 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

La clôture a été prononcée par ordonnance du 9 septembre 2025 et l'affaire a été appelée à l'audience du 8 octobre 2025, à l'issue de laquelle elle a été mise en délibéré.

MOTIVATION

Sur la recevabilité de la demande en constatation du caractère non-écrit de l'article 4.2.3 du contrat

Moyens des parties

La FFR soutient que cette demande est irrecevable en cause d'appel en raison de sa nouveauté.

En réponse, la société Ibelys fait valoir que cette demande, bien que nouvelle, est recevable dès lors qu'elle tend à faire écarter l'argument tiré de l'article 4.3.2 [lire 4.2.3] qui est opposé par la FFR à sa demande d'indemnisation, de sorte qu'elle a pour objet de faire écarter les prétentions adverses.

Réponse de la cour

Aux termes de l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

Aux termes de l'article 565 du même code, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.

Aux termes de l'article 566 de ce code, les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

Aux termes de l'article 567 de ce code, les demandes reconventionnelles sont également recevables en appel.

Il est établi qu'une cour d'appel, saisie d'une fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de prétentions nouvelles en cause d'appel ou la relevant d'office, est tenue de l'examiner au regard des exceptions prévues aux articles 564 à 567 du code de procédure civile (3e Civ., 25 février 2016, pourvoi n° 14-29.760, Bull. 2016, III, n° 32).

Au cas d'espèce, contrairement à ce que soutient la société Ibelys, sa demande ne tend pas à faire écarter les prétentions de la FFR dès lors que celle-ci ne formule pas, à l'encontre de cette société, de demande en application dudit article.

Par ailleurs, cette demande ne tend pas aux mêmes fins que les demandes de la société Ibelys en indemnisation de ses préjudices et n'en constitue pas l'accessoire, ni la conséquence ou le complément nécessaire.

Enfin, il ne s'agit pas d'une demande reconventionnelle et elle ne tend pas à faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

Par suite, la demande de la société Ibelys tendant à voir réputer non écrit l'article 4.2.3 du contrat de conception, construction, entretien et maintenance du [Localité 8] Stade du 27 juillet 2016 sera déclarée irrecevable.

Sur la résiliation du contrat

Moyens des parties

La société Ibelys soutient que, s'agissant d'un mandat d'intérêt commun, seule une cause reconnue légitime ou des stipulations contractuelles pouvaient autoriser la FFR à résilier le contrat qui, pour ses phases 1 et 2, s'analyse en un contrat de promotion immobilière.

A cet égard, elle expose que ladite résiliation est dépourvue de cause légitime dès lors qu'elle a été opérée pour des raisons purement politiques ; les circonstances économiques, retards et autres contraintes invoqués par la FFR, au demeurant non établis, étant, en tout état de cause, connus de celle-ci au jour de la conclusion du contrat.

S'agissant des stipulations contractuelles, elle observe que la FFR ne saurait se prévaloir des articles 4.3.2 [lire 4.2.3] et 69 invoqués par elle dès lors que la résiliation ne pouvait intervenir avant mars 2017.

Elle en déduit que la FFR a commis une faute en résiliant le contrat.

En réponse, la FFR fait valoir qu'elle disposait de la faculté discrétionnaire de mettre fin au contrat et que l'exercice de celle-ci était, en outre, légitimé par l'absence de réunion du financement nécessaire à la réalisation du [Localité 8] Stade, de mise en 'uvre des infrastructures nécessaires, de création de la ZAC et de modification du PLU nécessaire à l'obtention du permis de construire.

Elle ajoute, qu'en tout état de cause, l'absence d'autorisation de construire et de financement du projet avait entraîné de facto la caducité du contrat.

Réponse de la cour

Aux termes de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.

Au cas présent, il est prévu à l'article 3, intitulé " Objet ", du contrat de conception, construction, entretien et maintenance du [Localité 8] Stade de la FFR, que ses phases 1 et 2 soient soumises aux dispositions des articles 1831-1 à 1831-5 du code civil, la société Ibelys assumant ainsi " les obligations et responsabilité incombant usuellement au promoteur dans le cadre du contrat de promotion immobilière ".

A cet égard, il sera rappelé qu'aux termes de l'article 1831-1 du code civil, le contrat de promotion immobilière est un mandat d'intérêt commun par lequel une personne dite " promoteur immobilier " s'oblige envers le maître d'un ouvrage à faire procéder, pour un prix convenu, au moyen de contrats de louage d'ouvrage, à la réalisation d'un programme de construction d'un ou de plusieurs édifices ainsi qu'à procéder elle-même ou à faire procéder, moyennant une rémunération convenue, à tout ou partie des opérations juridiques, administratives et financières concourant au même objet. Ce promoteur est garant de l'exécution des obligations mises à la charge des personnes avec lesquelles il a traité au nom du maître de l'ouvrage. Il est notamment tenu des obligations résultant des articles 1792, 1792-1, 1792-2 et 1792-3 du présent code. Si le promoteur s'engage à exécuter lui-même partie des opérations du programme, il est tenu, quant à ces opérations, des obligations d'un locateur d'ouvrage.

Aux termes de l'article 1831-2 du même code, le contrat emporte pouvoir pour le promoteur de conclure les contrats, recevoir les travaux, liquider les marchés et généralement celui d'accomplir, à concurrence du prix global convenu, au nom du maître de l'ouvrage, tous les actes qu'exige la réalisation du programme. Toutefois, le promoteur n'engage le maître de l'ouvrage, par les emprunts qu'il contracte ou par les actes de disposition qu'il passe, qu'en vertu d'un mandat spécial contenu dans le contrat ou dans un acte postérieur. Le maître de l'ouvrage est tenu d'exécuter les engagements contractés en son nom par le promoteur en vertu des pouvoirs que celui-ci tient de la loi ou de la convention.

Ledit contrat de promotion immobilière étant un mandat d'intérêt commun, il sera rappelé qu'il est établi de longue date qu'il ne peut être révoqué que par le consentement mutuel des parties, pour une cause légitime reconnue en justice, ou suivant les clauses et conditions spécifiées par le contrat (Civ., 13 mai 1885, DP 1885. 1. 350).

Au cas présent, le président de la FFR ne s'est pas prévalu, dans sa lettre du 3 janvier 2017, d'une cause légitime mais a indiqué abandonner le projet, de sorte la phase 2 du contrat ne pourrait pas être engagée et qu'il convenait donc de résilier le contrat.

La FFR soutient, désormais, que la résiliation était fondée sur une cause légitime tenant à l'absence de réunion du financement nécessaire à la réalisation du [Localité 8] Stade, de mise en 'uvre des infrastructures nécessaires, de création de la ZAC et de modification du PLU nécessaire à l'obtention du permis de construire.

Toutefois, la cour observe que ces éléments, si tant est qu'ils fussent établis et de nature à effectivement empêcher la réalisation effective du projet, étaient, s'agissant notamment du référé de la Cour des comptes en date du 23 décembre 2015, connus de la FFR au jour de la signature du contrat, de sorte que sa résiliation juste quatre mois après sa conclusion est dépourvue de cause légitime.

Par suite, la FFR ne démontre pas l'existence d'une cause légitime de révocation au jour de la résiliation.

Elle ne démontre pas non plus que le contrat aurait été rendu caduc dès lors que les événements qu'elle invoque pour ce faire sont, d'une part, antérieurs à sa conclusion, d'autre part, rendus impossibles du fait de sa résiliation du contrat, telle l'absence d'autorisation administrative de construction.

Avant d'examiner si la FFR pouvait se prévaloir de stipulations contractuelles, il sera rappelé, qu'en toute hypothèse, l'absence de cause légitime ne prive pas d'effet la révocation d'un mandat d'intérêt commun (1re Civ., 2 octobre 2001, pourvoi n° 99-15.938, Bull. 2001, I, n° 239).

S'agissant desdites stipulations, il est établi qu'un mandat d'intérêt commun peut être révoqué, notamment, suivant les clauses et conditions spécifiées au contrat. Doit ainsi être cassé l'arrêt d'une cour d'appel qui, ayant retenu que le contrat de concession qui liait les parties avait été nové en mandat d'intérêt commun, en déduit que la clause du contrat d'origine qui permettait aux parties d'y mettre fin à tout moment sous réserve du respect d'un délai de préavis est devenu inapplicable (Com., 3 juillet 2001, pourvoi n° 98-16.691, Bull. 2001, IV, n° 131). De même, est licite et n'est pas subordonnée à la preuve d'un préjudice causé au mandant la révocation intervenue dans les conditions prévues qui réservaient à chacune des parties une faculté de dénonciation à tout moment, par simple lettre, sous préavis d'un mois (1re Civ., 7 juin 1989, pourvoi n° 87-15.973, Bulletin 1989 I N° 229).

Par ailleurs, ne donne pas de base légale à sa décision, une cour d'appel qui, pour écarter la demande du mandataire en paiement d'une indemnité de résiliation, statue au vu d'une clause ayant pour seul but de fixer les conditions de forme et de délai du préavis de résiliation du mandat d'intérêt commun, sans rechercher si le mandant justifiait d'une cause légitime de résiliation ou si le mandataire avait contractuellement renoncé à son droit à l'indemnité compensatrice du préjudice subi du fait de la résiliation (Com., 6 juillet 1993, pourvoi n° 91-15.469, Bulletin 1993 IV N° 287 ; Com., 3 juin 1997, pourvoi n° 95-11.450, Bulletin 1997, IV, n° 172).

Au cas d'espèce, l'article 4.2.3 du contrat est ainsi libellé :

" La décision de délivrer l'OSP2 est discrétionnairement prise par le Maître d'Ouvrage. Cependant, le Maître d'Ouvrage ne pourra délivrer l'OSP2 que pour autant qu'aient été mises en 'uvre les dispositions de l'article 1799-1 du Code civil.

L'OSP2 est délivré au plus tard à la plus tardive des deux dates suivantes :

. A la date de purge des Autorisations de Construire ;

. Deux (2) ans après l'obtention des Autorisations de Construire.

Ce second délai pourra être prorogé par accord entre les Parties.

Les Parties conviennent d'ores et déjà que la délivrance de l'OSP2 ne pourra pas intervenir avant mars 2017.

L'absence de notification de l'OSP2 au plus tard à la date la plus tardive des dates ci-dessus entraînera résiliation du Contrat dans les conditions prévues par les stipulations de l'Article 69. "

Quant à l'article 69, intitulé " Résiliation sans faute du Titulaire ", il prévoit que, si la résiliation intervient préalablement à la réception, l'indemnité versée par le maître de l'ouvrage au titulaire est égale, avant commencement du chantier, aux " montants dus, à la date de la Résiliation, au Titulaire en vertu de la Phase du Contrat au cours de laquelle intervient la Résiliation et non payés à la date de la Résiliation ".

Il ressort de la lecture combinée de ces deux articles, que le premier subordonne le passage à la phase 2 du contrat à la décision discrétionnaire de la FFR et que le second ne crée pas d'hypothèse particulière de résiliation mais en règle les conséquences financières pour le titulaire du contrat.

En l'occurrence, la FFR a usé de son pouvoir discrétionnaire de ne pas engager la phase 2.

La société Ibelys lui reproche de l'avoir fait avant que la phase 1 soit achevée.

Contrairement à ce que soutient la société Ibelys, la décision de la FFR pouvait intervenir antérieurement au mois de mars 2017, dès lors que l'article 4.2.3 ne régule temporellement que la décision positive de la FFR de délivrer l'OSP2 et non la décision négative de la FFR d'y renoncer.

Elle ne pouvait, toutefois, contrairement à ce qu'a indiqué le président de la FFR dans sa lettre du 3 janvier 2017, entraîner la résiliation du contrat à cette date dès lors qu'elle n'avait pour effet que d'empêcher le passage à la phase 2 et non de mettre un terme à la phase 1.

Par suite, la résiliation, en ce qu'elle est intervenue au 3 janvier 2017, est fautive et la FFR a donc engagé sa responsabilité à ce titre.

Sur la responsabilité de la FFR

Moyens des parties

La société Ibelys soutient qu'elle a droit à la réparation intégrale de son préjudice dès lors que la FFR a commis en résiliant abusivement le contrat une faute de nature dolosive.

Elle souligne qu'elle doit être indemnisée du fait de sa perte de marge non seulement au titre de la phase 1 mais également au titre des phases 2 et 3 et, à défaut, s'agissant de ces deux dernières phases, des coûts exposés avant la signature du contrat.

En réponse, la FFR fait valoir qu'elle n'a pas commis de faute et encore moins dolosive, de sorte que la réparation du préjudice de la société Ibelys est encadrée par l'article 69 du contrat.

Elle indique que la société Ibelys, qui savait parfaitement en s'engageant que la réalisation du [Localité 8] Stade était aléatoire, ne peut venir prétendre à l'indemnisation des études préalables à la conclusion du contrat au motif que celui-ci aura été postérieurement été résilié.

Elle ajoute que, en toute hypothèse, la société Ibelys ne justifie pas de l'existence de son préjudice dès lors que les décomptes produits par elle se heurte au principe selon lequel nul ne peut se constituer de preuve à soi-même.

Réponse de la cour

Aux termes de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

Selon l'article 1149 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé.

A titre liminaire, la cour observe que l'article 69 du contrat précité n'est pas applicable pour déterminer le montant de l'indemnisation dès lors que la résiliation est intervenue au 3 janvier 2017 hors du champ des prévisions contractuelles.

Partant, la société Ibelys a donc, peu important le caractère dolosif ou non de la faute commise par la FFR, droit à la réparation intégrale de son préjudice.

A cet égard, la FFR doit être condamnée à lui payer la somme de 150 000 HT correspondant à l'état d'avancement des prestations de la société Ibelys au 26 décembre 2016.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

La résiliation du contrat antérieurement au terme de la phase 1 a nécessairement et directement causé une perte de marge bénéficiaire.

La FFR contestant la caractère probatoire des décomptes produits par la société Ibelys, la cour rappellera que le principe selon lequel nul ne peut se constituer de preuve à soi-même est inapplicable à la preuve d'un fait juridique, notamment par un décompte, dont le juge apprécie souverainement la valeur et la portée (2e Civ., 10 février 2005, pourvoi n° 02-20.495, Bull n° 31 ; 1re Civ., 28 mars 2008, pourvoi n° 07- 11.064 ; Com., 19 Juin 2012, n° 11-17.015 ; 1re Civ., 1er octobre 2014, pourvoi n° 13-24.699 ; 3e Civ., 10 mars 2016, pourvoi n° 15-13.942 ; 3e Civ., 27 avril 2017, pourvoi n° 16-15.958, Bull n° 51).

Partant, il résulte de l'ensemble des pièces produites au débat et, notamment de l'échéancier annexé au contrat (Annexe IX a.), que le prix des phases 0 et 1 était fixé à 1 315 359 euros et que sur ce montant, la société Ibelys a perçu une somme de 607 678 euros correspondant aux quatre premiers paiements prévus par l'échéancier, à laquelle s'ajoute la somme de 150 000 euros qui lui a été allouée par le jugement que la cour confirmera, soit un total de 757 678 euros.

Ainsi, du fait de la résiliation anticipée du contrat, la société Ibelys n'a pas pu percevoir le solde du prix afférent aux phases 0 et 1, soit la somme de 557 682 euros.

A cette somme, il y a lieu de retirer le coût des honoraires dus à la maîtrise d''uvre si la phase 1 avait été menée jusqu'à son terme, soit la somme de 187 383 euros.

En tenant compte de ces coûts, la perte de marge subie par la société Ibelys au titre de la phase 1 s'élève donc à la somme de 370 299 euros.

Par suite, la FFR sera condamnée au paiement de cette somme et le jugement sera infirmé de ce chef.

S'agissant de la perte de marge du fait de la non-réalisation des phases 2 et 3, la société Ibelys ne peut se prévaloir de l'existence d'un préjudice en lien de causalité direct et nécessaire avec la faute commise par la FFR dès lors que celle-ci disposait de la faculté discrétionnaire de décider de l'engagement de la phase 2, phase à laquelle elle avait expressément renoncé dans sa lettre du 3 janvier 2017.

De même, les coûts exposés en vue de la conclusion du contrat ne sont pas en lien de causalité directe et nécessaire avec la résiliation intervenue postérieurement à sa conclusion ; les parties étant convenues de conférer un caractère aléatoire à l'achèvement du marché.

Par suite, les demandes formées à ces titres seront rejetées.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la perte d'image de la société Ibelys

En l'absence d'élément nouveau soumis à son appréciation, la cour estime que le premier juge, par des motifs pertinents qu'elle approuve, a fait une exacte appréciation des faits de la cause et des droits des parties ; il convient en conséquence de confirmer la décision déférée sur ce point.

Sur les frais du procès

Le sens de l'arrêt conduit à confirmer le jugement sur la condamnation aux dépens et sur celle au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

En cause d'appel, la FFR, partie succombante, sera condamnée aux dépens et à payer à la société Ibelys somme de 8 000 euros, au titre des frais irrépétibles.

Le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile sera accordé aux avocats en ayant fait la demande et pouvant y prétendre.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Déclare irrecevable la demande de la société Ibelys tendant à voir réputer non écrit l'article 4.2.3 du contrat de conception, construction, entretien et maintenance du [Localité 8] Stade du 27 juillet 2016 ;

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour sauf en ce qu'il rejette la demande de la société Ibelys en réparation de la perte de marge subie au titre de la phase 1 du contrat,

L'infirme sur ce point et statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne l'association la Fédération française de rugby à payer à la société Ibelys la somme de 370 299 euros en réparation de la perte de marge subie au titre de la phase 1 du contrat ;

Condamne l'association la Fédération française de rugby aux dépens d'appel ;

Admet les avocats qui en ont fait la demande et peuvent y prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de l'association la Fédération française de rugby et la condamne à payer à la société Ibelys la somme de 8 000 euros.

La greffière, Le président de chambre,

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