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Décisions

Cass. com., 13 novembre 2025, n° 24-10.672

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Circus Belgium (Sté)

Défendeur :

Institut national de la propriété industrielle, Rock en cirque

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneau

Rapporteur :

Mme Sabotier

Avocats :

SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier, Lassalle-Byhet

Paris, pôle 5, ch. 1, du 20 sept. 2023

20 septembre 2023

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 septembre 2023), la société Circus Belgium exploite une plateforme de jeux de casino et de paris sportifs en ligne sous la marque verbale de l'Union européenne « Circus » n° 015030927, déposée le 22 janvier 2016, et la marque semi-figurative de l'Union européenne « Circus » n° 018025773, déposée le 13 mai 2019, l'une et l'autre enregistrées pour désigner différents produits et services en classes 9, 28 et 41.

2. Le 30 juillet 2021, l'association Rock en Cirque a déposé auprès de l'Institut national de la propriété industrielle (l'INPI) une demande d'enregistrement du signe verbal « Circus Baobab » pour désigner des produits et services en classes 9, 28 et 41, notamment les « services de jeu proposés en ligne à partir d'un réseau informatique ; services de jeux d'argent » en classe 41.

3. Le 13 octobre 2021, la société Circus Belgium a, sur le fondement de ses marques antérieures « Circus », formé opposition à cette demande d'enregistrement.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

4. La société Circus Belgium fait grief à l'arrêt de rejeter son recours formé contre la décision du directeur général de l'INPI ayant rejeté son opposition, alors :

« 1°/ que la constatation de l'existence d'un risque de confusion n'est pas subordonnée à la condition que l'impression d'ensemble produite par le signe composé soit dominée par la partie de celui-ci constituée par la marque antérieure ; qu'un risque de confusion peut exister dans l'esprit du public, en cas d'identité ou de similitude des produits et services, lorsque la marque seconde reprend le signe constituant la marque antérieure et que celui-ci, sans créer à lui seul l'impression d'ensemble du signe composé, conserve au sein de cette marque seconde une position distinctive autonome ; qu'en relevant que "les signes en présence évoquent de la même façon un cirque du fait de la présence commune du terme Circus mais le signe contesté évoque également un baobab", que le terme Circus, sans conteste distinctif au regard des produits et services concernés, n'apparaît pas dominant au sein de la demande d'enregistrement, le terme second Baobab étant tout aussi distinctif et pas moins prépondérant que ce soit au plan visuel, au plan phonétique ou au plan intellectuel" et que, "dans le signe contesté, le consommateur, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, qui appréhende généralement un signe dans sa globalité, n'aura pas son attention davantage appelée sur le terme Circus que sur le terme Baobab", sans rechercher, comme elle y était invitée, si le terme Circus", constitutif de la marque de l'Union européenne Circus" n° 015030927, ne conservait pas au sein du signe contesté "Circus Baobab" une position distinctive autonome et si le public ne pouvait, en conséquence, être conduit à croire que les produits et services en cause proviennent, à tout le moins, d'entreprises liées économiquement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 711-3 du code de la propriété intellectuelle ;

2°/ qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le terme "Circus", constituant l'élément verbal de la marque de l'Union européenne "Circus" n° 018025773, ne conservait pas au sein du signe contesté Circus Baobab" une position distinctive autonome et si le public ne pouvait, en conséquence, être conduit à croire que les produits et services en cause proviennent, à tout le moins, d'entreprises liées économiquement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 711-3 du code de la propriété intellectuelle. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 711-3, 1°, b), du code de la propriété intellectuelle :

5. Selon ce texte, ne peut être valablement enregistrée et, si elle est enregistrée, est susceptible d'être déclarée nulle une marque portant atteinte à une marque antérieure lorsqu'elle est identique ou similaire à la marque antérieure et que les produits ou les services qu'elle désigne sont identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque antérieure est protégée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d'association avec la marque antérieure.

6. Ce texte réalise la transposition en droit interne de l'article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive (UE) 2015/2436 du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des États membres sur les marques.

7. Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, interprétant l'article 4, paragraphe 1, sous b), de la première directive 89/104/CEE du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, puis l'article 4, paragraphe 1, sous b), de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, dont les dispositions figurent désormais à l'article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive (UE) 2015/2436, que constitue un risque de confusion, au sens de ces textes, le risque que le public puisse croire que les produits ou les services en cause proviennent de la même entreprise ou, le cas échéant, d'entreprises liées économiquement (CJUE, arrêts du 29 septembre 1998, Canon, C-39/97, point 29, et du 12 juin 2019, Hansson, C-705/17, point 40).

8. L'existence d'un risque de confusion dans l'esprit du public doit être appréciée globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce (CJUE, arrêts du 11 novembre 1997, SABEL, C-251/95, point 22 ; Canon, précité, point 16 ; du 22 juin 1999, Lloyd Schuhfabrik Meyer, C-342/97, point 18 ; du 10 avril 2008, adidas et adidas Benelux, C-102/07, point 29 ; du 8 mai 2014, Bimbo/OHMI, C-591/12 P, point 20, et Hansson, précité, point 41).

9. L'appréciation globale du risque de confusion doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, auditive ou conceptuelle des marques en conflit, être fondée sur l'impression d'ensemble produite par celles-ci, en tenant compte en particulier de leurs éléments distinctifs et dominants. La perception des marques qu'a le consommateur moyen des produits ou des services en cause joue un rôle déterminant dans l'appréciation globale dudit risque. À cet égard, le consommateur moyen perçoit normalement une marque comme un tout et ne se livre pas à un examen de ses différents détails (CJUE, arrêts SABEL, précité, point 23 ; Bimbo/OHMI, précité, point 21, et du 22 octobre 2015, BGW, C-20/14, point 35).

10. L'appréciation de la similitude entre deux marques ne peut se limiter à prendre en considération uniquement un composant d'une marque complexe et à le comparer avec une autre marque. Il y a lieu, au contraire, d'opérer la comparaison en examinant les marques en cause considérées chacune dans son ensemble (CJUE, arrêts du 12 juin 2007, OHMI/Shaker, C-334/05, point 41 ; du 3 septembre 2009, Aceites del Sur-Coosur/Koipe, C-498/07, point 61 ; Bimbo/OHMI, précité, point 22, et BGW, précité, point 36).

11. L'impression d'ensemble produite dans la mémoire du public pertinent par une marque complexe peut, dans certaines circonstances, être dominée par un ou plusieurs de ses composants. Toutefois, ce n'est que si tous les autres composants de la marque sont négligeables que l'appréciation de la similitude pourra se faire sur la seule base de l'élément dominant (CJUE, arrêts OHMI/Shaker, précité, points 41 et 42 ; du 20 septembre 2007, Nestlé/OHMI, C-193/06 P, points 42 et 43 ; Bimbo/OHMI, précité, point 23, et BGW, précité, point 37), le fait qu'un élément ne soit pas négligeable ne signifiant pas qu'il soit dominant, de même que le fait qu'un élément ne soit pas dominant n'impliquant nullement qu'il soit négligeable (arrêt Nestlé/OHMI, précité, point 44).

12. La Cour de justice a précisé qu'il n'est cependant pas exclu qu'une marque antérieure, utilisée par un tiers dans un signe composé comprenant la dénomination renommée de l'entreprise de ce tiers, conserve une position distinctive autonome dans le signe composé et que le public attribue également au titulaire de cette marque l'origine des produits ou des services couverts par le signe composé (CJUE, arrêt Medion du 6 octobre 2005, C-120/04, points 30 et 36, et Bimbo/OHMI, précité, point 24) ou soit conduit à croire que les produits ou les services en cause proviennent, à tout le moins, d'entreprises liées économiquement (arrêt BGW, précité, point 38). Tel est le cas lorsque, en raison notamment de sa position dans le signe composé ou de sa dimension, la marque antérieure est susceptible de s'imposer à la perception du consommateur et d'être gardée en mémoire par celui-ci (arrêt BGW, précité, point 40).

13. A l'inverse, la marque antérieure ne conserve pas une position distinctive autonome dans le signe composé postérieur si elle en constitue un élément négligeable ou si elle forme avec le ou les autres éléments du signe, pris ensemble, une unité ayant un sens différent par rapport au sens desdits éléments pris séparément, excluant ainsi que le public pertinent la perçoive de manière autonome (arrêts précités Bimbo/OHMI, points 23 et 25, et BGW, points 39 et 40).

14. Pour confirmer la décision du directeur général de l'INPI ayant rejeté l'opposition de la société Circus Belgium, l'arrêt énonce que, visuellement, les signes ont en commun le terme « Circus », mais se distinguent par leur longueur et leur structure, outre leur présentation s'agissant du signe semi-figuratif, et que, phonétiquement, ils se distinguent par la sonorité finale « Baobab » dans le second signe, laquelle n'est pas moins prépondérante que le terme d'attaque « Circus ». L'arrêt ajoute que, conceptuellement, les signes en présence évoquent de la même façon un cirque du fait de la présence commune du terme « Circus », mais que le signe contesté évoque également un baobab, arbre que l'on trouve notamment en Afrique et qui se caractérise par son tronc très large, évocation qui ne se retrouve pas dans les marques antérieures. L'arrêt en déduit que les signes en présence offrent une physionomie nettement distincte, cette appréciation n'étant pas remise en cause par la prise en considération de leurs éléments distinctifs et dominants, dès lors que le terme « Circus », sans conteste distinctif au regard des produits et services concernés, n'apparaît pas dominant au sein de la demande d'enregistrement, le terme second « Baobab » étant tout aussi distinctif et pas moins prépondérant, que ce soit au plan visuel, au plan phonétique ou au plan intellectuel. L'arrêt conclut que, dans le signe contesté, le consommateur, qui appréhende généralement un signe dans sa globalité, n'aura pas son attention davantage appelée sur le terme « Circus » que sur le terme « Baobab », de sorte que, compte tenu des différences relevées entre les signes en présence, prépondérantes par rapport aux ressemblances, et malgré l'identité et la similarité d'une partie des produits et services, il n'existera pas de risque de confusion dans l'esprit du public entre le signe contesté et les marques antérieures de la société Circus Belgium.

15. En se déterminant ainsi, après avoir constaté que le terme « Circus », évoquant un cirque, avait le même sens dans les marques antérieures « Circus » et dans le signe composé « Circus Baobab », sans rechercher, ainsi qu'il lui incombait, si ce terme, qui est identique à la marque verbale « Circus » n° 015030927 et constitue l'élément verbal de la marque semi-figurative « Circus » n° 018025773, ne conservait pas, au sein du signe composé « Circus Baobab », une position distinctive autonome et, le cas échéant, si, compte tenu de cette position, le public n'attribuerait pas au titulaire des marques antérieures « Circus » l'origine des produits ou des services couverts par le signe composé ou ne serait pas conduit à croire que les produits et services en cause provenaient, à tout le moins, d'entreprises liées économiquement, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 septembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Laisse les dépens afférents au pourvoi dirigé contre le directeur général de
l'Institut national de la propriété industrielle à la charge du Trésor public et
condamne l'association Rock en cirque au surplus des dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande dirigée contre le directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle et condamne l'association Rock en cirque à payer à la société Circus Belgium la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le treize novembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

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