CA Nîmes, 2e ch. A, 6 novembre 2025, n° 24/00195
NÎMES
Arrêt
Autre
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 24/00195 - N° Portalis DBVH-V-B7I-JB4R
NA
TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP D'[Localité 6]
14 novembre 2023
RG:22/01093
S.C.I. SCI DE BEAU PRE
C/
[R]
Copie exécutoire délivrée
le
à : Selarl Martinez
SCP Fortunet...
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
2ème chambre section A
ARRÊT DU 06 NOVEMBRE 2025
Décision déférée à la cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'[Localité 6] en date du 14 Novembre 2023, N°22/01093
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Nathalie AZOUARD, Présidente de Chambre,
Madame Virginie HUET, Conseillère,
Mme Leila REMILI, Conseillère,
GREFFIER :
Mme Céline DELCOURT, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
A l'audience publique du 02 Septembre 2025, où l'affaire a été mise en délibéré au 06 Novembre 2025.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
APPELANTE :
S.C.I. DE BEAU PRE immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés d'AVIGNON sous le n°377 618 442 prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Anthony MARTINEZ de la SELARL ANTHONY MARTINEZ, Plaidant/Postulant, avocat au barreau d'AVIGNON
INTIMÉ :
M. [U] [R]
né le [Date naissance 1] 1948 à [Localité 8]
[Adresse 2]
[Localité 4] / FRANCE
Représenté par Me Jean-philippe DANIEL de la SCP FORTUNET ET ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau d'AVIGNON
Représenté par Me Corinne MANCHON, Plaidant, avocat au barreau de VERSAILLES
ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 21 Août 2025
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Nathalie AZOUARD, Présidente de Chambre, le 06 Novembre 2025,par mise à disposition au greffe de la cour
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
La SCI DE BEAU PRE a été constituée par acte sous seing privé du 14 mars 1990. A l'origine étaient membres de cette société M. [U] [K], son épouse, Mme [M] [K], et leurs deux enfants [C] et [T].
Le 10 octobre 1990, M. [U] [R] est entré au capital de la société.
M. [U] [R] a sollicité son retrait et en l'absence d'accord sur la valeur de rachat de ses parts, M. [S] [N], expert, a été désigné par ordonnance de référé du président du tribunal de grande instance d'Avignon du 11 décembre 2017.
L'expert judiciaire a déposé son rapport définitif le 17 juin 2020.
Par acte du 27 octobre 2020, M. [R] a assigné en référé devant le tribunal judiciaire d'Avignon la SCI DE BEAU PRE aux fins d'obtenir sa condamnation à lui payer à titre de provision la somme de 64 731 euros correspondant à la valeur de remboursement de ses parts dans le capital, outre la somme de 3 700 euros correspondant aux honoraires d'expertise avancés et la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles.
Par ordonnance du 8 mars 2021, le président du tribunal judiciaire d'Avignon a condamné à titre provisionnel la SCI DE BEAU PRE à payer à M. [R] la somme de 64 731 euros correspondant à la valeur de remboursement de ses parts dans le capital de la SCI DE BEAU PRE, 1 500 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens en ce compris les frais d'expertise.
Sur l'appel interjeté par la SCI DE BEAU PRE, par arrêt du 22 novembre 2021, la cour d'appel de Nîmes a notamment :
- confirmé l'ordonnance de référé rendue le 8 mars 2021 en toutes ses dispositions à l'exception de celle ayant mis les frais d'expertise à la charge de la SCI DE BEAU PRE, et statué à nouveau de ce chef,
- dit que les frais d'expertise seront pris en charge par moitié par chacune des parties,
- condamné en conséquence la SCI DE BEAU PRE et M. [U] [R] à supporter chacun la moitié des frais d'expertise.
Estimant que le rapport d'expertise judiciaire est affecté d'erreurs grossières et que l'expert a dépassé le cadre de ses pouvoirs et de sa mission, par acte du 22 avril 2022, la SCI DE BEAU PRE a assigné M. [U] [R] devant le tribunal judiciaire d'Avignon aux fins d'obtenir en l'état de ses dernières écritures notifiées le 4 avril 2023 notamment l'inopposabilité du rapport d'expertise judiciaire, la fixation de la valeur des parts sociales détenues par M. [U] [R] à la somme de 26 707 euros, et à titre subsidiaire, avant dire droit, la nomination d'un expert afin de déterminer la valeur des parts sociales appartenant à M. [U] [R].
Le tribunal judiciaire d'Avignon, par jugement contradictoire en date du 14 novembre 2023, a :
- Débouté la SCI DE BEAU PRE de sa demande d'inopposabilité du rapport d'expertise,
- Débouté la SCI DE BEAU PRE de sa demande de nomination d'un nouvel expert,
- Fixé la valeur des parts de M. [U] [R] à 64 731 euros,
- Condamné la SCI DE BEAU PRE à payer à M. [U] [R] avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision :
* 5 000 euros en réparation de son préjudice moral,
* 5 000 euros en réparation de son préjudice financier,
* 887,68 euros au titre de la facture du notaire,
- Condamné la SCI DE BEAU PRE à payer à M. [U] [R] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamné la SCI DE BEAU PRE aux dépens comprenant la moitié des frais d'expertise,
- Débouté les parties du surplus de leurs demandes.
Le jugement rappelle qu'en application de l'article 1843-4 code civil la fixation de la valeur des droits sociaux réalisée par l'expert a un caractère impératif qui s'impose aux parties sauf à démontrer une erreur grossière ou que l'expert a outrepassé son mandat.
Les premiers juges considèrent qu'en l'espèce le dépassement de pouvoir n'est pas démontré pas plus qu'une erreur grossière laquelle ne ressort pas du fait que l'expert aurait refusé d'appliquer une décote de la valeur des parts sociales ce d'autant que l'expert a bien tenu compte du nombre de parts détenues par M. [R] en proportion de la totalité du capital social.
Le tribunal fait donc droit à la demande de M. [R] de voir fixer la valeur de ses parts conformément au rapport d'expertise à la somme de 64 731 euros.
La SCI De Beau pré a interjeté appel de ce jugement par déclaration au greffe en date du 12 janvier 2024.
L'affaire a été enrôlée sous le numéro RG 24/00195.
Par ordonnance du 10 février 2025, la clôture de la procédure a été fixée au 21 août 2025.
L'affaire a été appelée à l'audience du 2 septembre 2025 et mise en délibéré par mise à disposition au greffe au 6 novembre 2025.
EXPOSE DES MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 23 juillet 2025, la SCI DE BEAU PRE demande à la cour de :
Vu l'article 488 du code de procédure civile,
Vu l'article 1843-4 du code civil,
Vu la jurisprudence,
Vu les pièces versées au débat,
Vu le jugement du 14 novembre 2023 rendu par le tribunal judiciaire d'Avignon,
Statuant sur l'appel principal formé par la SCI DE BEAU PRE à l'encontre de la décision rendue le 14 novembre 2023 par le tribunal judiciaire d'Avignon portant le numéro RG 22/01093,
Le déclarant recevable et bien fondé,
Y faisant droit,
- Infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire d'Avignon le 14 novembre 2023 en ce qu'il a :
* Débouté la SCI DE BEAU PRE de sa demande d'inopposabilité du rapport d'expertise,
* Débouté la SCI DE BEAU PRE de sa demande de nomination d'un nouvel expert,
* Fixé la valeur des parts de M. [U] [R] à 64 731 euros,
* Condamné la SCI DE BEAU PRE à payer à M. [U] [R] avec intérêts au taux légal à compter de la décision :
5 000 euros en réparation de son préjudice moral,
5 000 euros en réparation de son préjudice financier,
887,68 euros au titre de la facture du notaire,
* Condamné la SCI DE BEAU PRE à payer à M. [U] [R] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
* Condamné la SCI DE BEAU PRE aux dépens comprenant la moitié des frais d'expertise,
* Débouté les parties du surplus de leurs demandes et notamment en ce que la SCI DE BEAU PRE sollicitait qu'il soit dit et jugé que le rapport d'expertise de M. [N] est affecté d'erreurs grossières et dit et jugé que l'expert a dépassé le cadre de ses pouvoir et de sa mission, en conséquence, de condamner M. [U] [R] à rembourser à la SCI DE BEAU PRE la somme de 38 024 euros correspondant à la différence entre les sommes versées au titre du remboursement des parts sociales en application de l'ordonnance de référé rendue le 8 mars 2021 et de l'arrêt d'appel du 22 novembre 2021, soit 64 731 euros, et la somme de 26 707 euros, et ce, avec intérêt au taux légal à compter de la décision à intervenir,
- Confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire d'Avignon le 14 novembre 2023 pour le surplus,
Statuant à nouveau,
A titre principal,
- Dire et juger que le rapport d'expertise de M. [N] est affecté d'erreurs grossières,
- Dire et juger que l'expert a dépassé le cadre de ses pouvoirs et de sa mission,
En conséquence,
- Prononcer l'inopposabilité dudit rapport,
- Fixer la valeur des parts sociales détenues par M. [R] à la somme de 26 707 euros,
- Condamner M. [U] [R] à rembourser à la SCI DE BEAU PRE, la somme de 38 024 euros correspondant à la différence entre les sommes versées au titre du remboursement des parts sociales en application de l'ordonnance de référé rendue le 8 mars 2021 et de l'arrêt d'appel du 22 novembre 2021, soit 64 731 euros, et la somme de 26 707 euros, et ce avec intérêt au taux légal à compter de la décision à intervenir,
A titre subsidiaire,
- Dire et juger que le rapport d'expertise de M. [N] est affecté d'erreurs grossières,
- Dire et juger que l'expert a dépassé le cadre de ses pouvoirs et de sa mission,
En conséquence,
- Prononcer l'inopposabilité dudit rapport,
Avant dire droit,
- Nommer tel expert qu'il plaira à la juridiction avec pour mission habituelle en pareille matière et notamment celle de déterminer la valeur des treize parts sociales appartenant à M. [U] [R],
En tout état de cause,
- Débouter M. [U] [R] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- Condamner M. [U] [R] à verser à la SCI DE BEAU PRE la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner M. [U] [R] aux entiers dépens en ce compris les frais d'expertise que la SCI DE BEAU PRE a dû prendre en charge à hauteur de 1 850 euros.
La SCI BEAU DE PRE soutient tout d'abord que l'expert a dépassé ses pouvoirs car :
- il aurait dû se limiter au calcul de la valeur mathématique c'est-à-dire de l'actif net corrigé alors qu'il a ajouté une valeur supplémentaire au titre du retraitement de la société ( ce qui ne relevait ni de sa mission, ni de ses pouvoirs),
- il a considéré que pendant 27 ans le loyer de la maison payé par M. [K] ( 889 €/mois) est inférieur au loyer tel qu'évalué par les experts et que donc la SCI n'avait pas encaissé pendant cette durée environ 275 000 euros et ce faisant l'expert a réintégré cette somme et a rajouté environ 28 000 € à la valeur des parts de M. [R],
- c'est une appréciation subjective de l'expert ce qu'il ne peut pas faire, ce d'autant que chaque année les associés ont validé les comptes annuels avec le montant du loyer à 889 €/mois.
La SCI BEAU DE PRE soutient par ailleurs que l'expert a commis des erreurs grossières au nombre de 7 :
- n°1 absence d'application d'une décote pour situation minoritaire et s'agissant d'une SCI familiale
- n°2 absence injustifiée de prise en compte des loyers versées par la SCI ( loyer versé par M. [K] 600 €/mois)
- n°3 application d'un montant de loyer arbitraire non justifié et incohérent au regard du marché économique
- n°4 violation manifeste de la liberté contractuelle le loyer versé par M. [K] n'a jamais été contesté par l'AG des associés et en particulier par M. [R]
- n°5 méconnaissance manifeste des dispositions légales relatives à la prescription et des principes de comptabilité car l'expert ajoute la somme de 275 000 € alors que la SCI n'est absolument pas créancière de cette somme ( en raison de l'accord des parties sur le montant du bail et du délai de prescription des dettes locatives)
- n°6 incohérence et contradiction manifeste dans les termes même du rapport ( M. [K] a occupé à titre onéreux et pas gratuit)
- n°7 absence de prise en compte du contexte familial et du fait qu'il y a déjà eu des cessions de parts sociales à des prix complètement différents ( ex en 2003 600€/part et en 2017 4 979 €/part)
En l'état de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 7 août 2025, M. [U] [R] demande à la cour de :
Vu l'article 1843-4 du Code civil,
Vu l'article 1240 du Code civil,
Vu l'article 32-1 du code de procédure civile,
Vu les articles 699 et 700 du code de procédure civile,
- Débouter la SCI de Beau pré de son appel à l'encontre du jugement rendu le 14 novembre 2023 par le tribunal judiciaire d'Avignon (RG 22/01093) et de l'ensemble de ses demandes,
En conséquence de :
- Confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
- Juger que la SCI de Beau pré a commis un abus du droit d'agir en justice,
- Condamner la SCI de Beau pré au paiement d'une amende civile de 10 000 euros,
- Juger que la SCI de Beau pré a violé de façon répétée et chronique la confiance et les droits d'associé de M. [U] [R],
- Condamner la SCI de Beau pré au paiement de la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts de 5.000 euros au profit de M. [U] [R] en réparation de son préjudice au titre de la violation répétée de ses droits d'associés au profit du gérant de la SCI,
- Condamner la SCI de Beau pré au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens comprenant notamment la totalité des frais d'expertise.
M. [R] fait valoir essentiellement que:
- l'expert a procédant à un travail de retraitement des différents postes de bilan n'a pas dépassé ses pouvoirs et s'est conformé à la pratique des experts en la matière et aux méthodes d'évaluation des entreprises et titres de sociétés opérées par l'administration fiscale,
- l'expert n'a pas porté d'appréciation subjective sur la gestion de la SCI se fondant uniquement sur les méthodes en la matière et la pièces produites,
- la SCI de Beau pré n'est pas parvenue à démontrer le paiement réel de loyers correspondant aux pris du marché y compris durant les opérations des expertises, pas plus qu'en première instance et en appel,
- l'expert n'a pas commis d'erreur grossière affectant son rapport car
- sur la prétendue erreur n°1, il n'y a aucune obligation d'appliquer la décote de minorité, l'expert ayant valablement justifié de son refus,
- sur la prétendue erreur n°2, et n°3 l'expert n'a pas commis d'erreur grossière en appliquant un loyer qu'il a évalué en fonction du marché et la SCI n'ayant jamais rapporté la preuve d'un réel paiement de loyer,
- sur la prétendue erreur n°4, l'expert n'a pas remis en cause le principe de la liberté contractuelle, dans la mesure la question du loyer et de ses variations ne sont pas conformes à la volonté des parties, mais sont le résultat de décisions unilatérales de la part du gérant conformes à son seul intérêt personnel et non à ceux de la SCI,
- sur la prétendue erreur n°5, que la créance non comptabilisée de loyers ne concerne pas une action en recouvrement mais se rapporte uniquement à une question de retraitement des postes du bilan, si bien l'application des règles de prescription des actions en recouvrement des loyers est inopérante,
- sur la prétendue erreur n°6, qu'aucune des pièces produites : quittances communiquées, relevés de banque, et actes du secrétariat de la SCI ne démontre une erreur grossière de la part de l'expert mais fait au contraire apparaître des pratiques abusives et l'absence de paiement d'un loyer conforme au marché et au bail,
- sur la prétendue erreur n°7, l'expert n'a pas commis d'erreur grossière en ce se référant pas aux mutations de parts sociales antérieures et à la méthode de comparaison.
Il est fait renvoi aux écritures des parties pour plus ample exposé des éléments de la cause, des prétentions et moyens des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
A titre liminaire, la cour rappelle tout d'abord qu'en application de l'article 954 du code de procédure civile elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières conclusions des parties, c'est à dire sur ce à quoi prétend une partie et que la formulation dans le dispositif des conclusions de voir « dire et juger » et/ou « constater » ne constitue pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile et que la cour n'est donc pas tenue d'y répondre.
Sur le rapport d'expertise judiciaire :
L'article 1843-4 du code civil applicable au présent litige dispose :
« I. ' Dans les cas où la loi renvoie au présent article pour fixer les conditions de prix d'une cession des droits sociaux d'un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d'accord entre elles, par jugement du président du tribunal judiciaire ou du tribunal de commerce compétent, statuant selon la procédure accélérée au fond et sans recours possible.
L'expert ainsi désigné est tenu d'appliquer, lorsqu'elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par les statuts de la société ou par toute convention liant les parties.
II. ' Dans les cas où les statuts prévoient la cession des droits sociaux d'un associé ou le rachat de ces droits par la société sans que leur valeur soit ni déterminée ni déterminable, celle-ci est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné dans les conditions du premier alinéa.
L'expert ainsi désigné est tenu d'appliquer, lorsqu'elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par toute convention liant les parties. »
La jurisprudence a précisé que cette absence de recours contre la désignation de l'expert, sauf excès de pouvoir, avait pour effet que l'évaluation faite par l'expert liait les parties sous réserve d'une erreur grossière, autorisant alors le juge à l'annuler.
Si la Cour de cassation a reconnu que cette situation constituait une ingérence dans l'exercice du droit d'accès à la justice, méconnaissant les dispositions de la CEDH, elle a cependant jugé cette ingérence comme justifiée par un objectif légitime à savoir : permettre à l'associé retrayant de connaître rapidement le montant du remboursement qui lui est dû, évitant ainsi les aléas d'une procédure judiciaire classique (susceptible de recours). De plus, elle a souligné que le droit d'accès à un tribunal n'était pas violé dans sa substance, en rappelant que la décision de désigner un expert peut être contestée en cas d'excès de pouvoir et que l'évaluation par l'expert est sous le contrôle du juge, qui peut annuler le rapport en cas d'erreur grossière ou de manquement à l'impartialité.
La jurisprudence a également précisé que si le juge ne peut pas contourner la procédure de recours à l'expert en fixant lui-même la valeur des parts, il appartient toutefois au juge d'interpréter la commune intention des parties, à partir des méthodes retenues par l'expert, ainsi si l'expert peut proposer différentes évaluations correspondant aux interprétations des parties, c'est alors au juge de déterminer laquelle s'applique.
En l'espèce le jugement rappelle qu'en application de l'article 1843-4 code civil la fixation de la valeur des droits sociaux réalisée par l'expert a un caractère impératif qui s'impose aux parties sauf à démontrer une erreur grossière ou que l'expert a outrepassé son mandat ce que soutient la SCI appelante.
Sur le dépassement par l'expert de son mandat :
En procédant à un retraitement de la valeur de l'actif pour tenir compte d'une somme de loyers à laquelle pouvait prétendre la SCI, l'expert n'a pas dépassé sa mission dans la mesure où il était chargé d'évaluer les parts de la dite SCI, qu'il existe pour cela plusieurs méthodes de valorisation comme cela ressort du rapport d'expertise et de l'analyse faite par le Groupement Vauclusien d'Expertise Notariale ( G.V.E.N) consulté par la SCI BEAU DE PRE elle-même en 2011, à savoir la méthode par sol plus construction, la méthode par capitalisation, et la méthode comparative, étant observé que la méthode par capitalisation qui consiste à assimiler le bien à un capital capable de produire des intérêts égaux à leur revenu locatif, prend en compte la valeur capitalisée de la partie du local à usage commercial et la valeur capitalisée du local à usage d'habitation en se fondant sur le lover mensuel possible au regard de l'emplacement, la qualité du bâtiment et la rareté du produit( voir pages 13 et 14 du rappot du G.V.E.N.).
En outre les statuts de la SCI BEAU DE PRE ne contiennent aucune disposition sur les méthodes d'évaluation ou de valorisation des parts sociales et il n'est justifié ni même allégué d'aucune convention contraire, le prix auquel un autre associé a pu céder ou donner ses parts sans concertation et accord de l'ensemble des associés ne pouvant être considéré comme une convention passée entre les associés.
Sur la commission par l'expert d'erreurs grossières :
- erreur n°1 :
Si appliquer une décote pour minorité est admis et pratiqué en matière de valorisation de parts sociale cette décote n'est pas une obligation.
L'expert judiciaire a répondu sur ce point au dire du conseil de la SCI BEAU DE PRE en expliquant que la décote pour minorité s'explique surtout quand il existe des risques d'alliance et qu'elle peut être neutralisée lorsque la vente des titres a pour effet de permettre la réunion des parts en une seule main ce qui correspond au cas présent.
L'expert judiciaire n'a donc pas commis d'erreur grossière en appliquant pas une décote pour minorité.
- erreurs n°2, n°3, n°4et n°5 :
Valoriser et réintégrer les loyers pouvant être perçus selon la nature du bien et le marché pour la partie habitation n'est pas contraire à l'une des méthodes de calcul, l'expert judiciaire qui a répondu sur ce point au dire du conseil de la SCI BEAU DE PRE a raisonné au vu d'une appréciation faite par un sapiteur expert en immobilier et la SCI SCI BEAU DE PRE ne démontre pas que l'analyse de l'expert sur la valeur du loyer serait erronée.
Par ailleurs il ne faut pas confondre comme le fait la SCI BEAU DE PRE valorisation de parts sociales et recouvrement d'une créance si bien que la question de l'impossibilité de recouvrer ces sommes pour prescription est indifférente.
En outre aucune pièce et en particulier aucun procès-verbal d'assemblée générale de la SCI BEAU DE PRE ne démontre un accord des associés sur ce point, le silence de l'un des associés devant une pratique ne pouvant s'analyser comme un accord non équivoque.
- erreur n°6 :
Sur l'incohérence et la contradiction manifeste entre les termes du rapport dues au fait que M. [K] aurait bien occupé les lieux à titre onéreux et non gratuit comme considéré par l'expert à tort, l'expert judiciaire a répondu également sur ce point au dire du conseil de la SCI BEAU DE PRE en observant que les quittances produites ne prouvent en rien le versement effectif de loyer étant observé par la cour que M. [U] [K] occupant de la partie habitation est également le gérant de la SCI et l'expert ayant ajouté que de tels versements invoqués sont contradictoires avec le fait que la SCI BEAU DE PRE n'a jamais versé depuis sa création aucun dividende à ses associés.
La cour ajoute que en tout état de cause cette discussion au sujet du fait qu'un loyer aurait bien été versé par M. [K] est sans incidence directe sur l'évaluation des parts sociales.
- erreur n°7 :
Enfin le fait de ne pas prendre en considération le prix auquel un autre associé a pu céder ou donner ses parts ne peut être considéré comme une erreur grossière dans la mesure où la cession par Mme [I] ex-épouse de M. [R] de ses 14 parts sociales au prix de 538,70 euros la part en 2003, soit il y a plus de 20 ans n'est pas ni une reconnaissance de la valeur à ce montant-là de la part sociale par l'ensemble des associés, ni un élément certain de la valeur des droits de chacun, pas plus que ne peut être suffisamment probant la valorisation qui a été faite de la nue-propriété de 100 parts sociales lors de la donation en 2012 par M. et Mme [U] [K] à leurs enfants en raison en particulier du contexte familial de cette donation.
En tout état de cause il n'y a pas ici non plus de démonstration d'une erreur grossière commise par l'expert judiciaire.
Par conséquent au vu de ces éléments c'est à juste titre quand application de l'article 1843-4 du code civil et en l'absence de démonstration par la SCI BEAU DE PRE de ce que l'expert judiciaire a dépassé sa mission ou commis une erreur grossière que le jugement dont appel a débouté la SCI BEAU DE PRE de sa demande visant à lui voir déclarer inopposable le rapport d'expertise judiciaire.
Sur les demandes de M. [R] :
Sur la demande de fixation de la valeur des parts sociales de M. [R] :
Au vu des développements précédents la décision déférée ne pourra qu'être confirmée en ce qu'elle a fixé la valeur des parts de M. [R] selon l'évaluation expertale à la somme de 64 731 euros.
Sur les demandes en réparation d'un préjudice moral et d'un préjudice financier formées par M. [R] :
Le jugement de première instance a fait droit aux demandes de M. [R] de se voir allouer une somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral, et une somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice financier.
La SCI BEAU DE PRE au soutien de sa demande d'infirmation fait valoir qu'aucun document probant n'est produit à l'appui de ces demandes par M. [R] et que la SCI BEAU DE PRE n'a jamais voulu se soustraire au rachat des parts sociales de M. [R] mais a souhaité le faire dans des conditions financières et économiques cohérentes et réalistes.
M. [R] pour demander confirmation sur ces dispositions expose que pendant 12 ans la SCI BEAU DE PRE a refusé de lui payer la créance née de son retrait de la SCI BEAU DE PRE et a persisté à la contester y compris après l'arrêt du 22 novembre 2021si bien que les recours sont abusifs.
En raison de ce comportement il a subi un préjudice moral et s'est retrouvé privé de l'utilisation des sommes payées par la SCI BEAU DE PRE dans le cadre de l'exécution de l'arrêt du 22 novembre 2021, la SCI BEAU DE PRE ne cessant de remettre en question sa créance.
Il est établi au regard des pièces de la procédure que M. [R] a commencé à solliciter son retrait de la SCI BEAU DE PRE courant 2011 et qu'un désaccord est intervenu entre les parties sur l'évaluation des parts de M. [R] en vue de leur rachat par la SCI, et que M. [R] a saisi en 2017 le juge des référés pour voir ordonner une expertise judiciaire afin d'évaluer la valeur des parts sociales.
Pour autant il n'est pas démontré à ce stade un comportement fautif de la [7] laquelle ne peut se voir reprocher d'avoir été en désaccord avec M. [R] sur la valeur des parts sociales.
Il doit être ensuite relevé toujours au regard des pièces produites et des différentes procédures que même après le dépôt du rapport d'expertise et l'évaluation faite par l'expert judiciaire, évaluation à laquelle sont liées par principe les parties en application de l'article 1843-1 du code civil, la SCI BEAU DE PRE n'a pas entendu s'en remettre au rapport d'expertise et procéder au rachat sur cette base des parts de M. [R], critiquant le rapport d'expertise en échouant à démontrer l'erreur grossière.
Ainsi ce n'est qu'en mars 2022 en exécution de l'arrêt du 22 novembre 2021que la SCI BEAU DE PRE a rempli son obligation de rachat vis-à-vis de M. [R].
Si l'attitude de la SCI BEAU DE PRE et la multiplication des procédures ont été source de tracasseries pour M. [R] qui a dû avoir recours à un avocat avant toute action judiciaire, puis dans le cadre des procédures engagées en demande comme en défense, pour autant et contrairement à ce qui a été retenu en première instance il ne verse aucune pièce pour caractériser l'existence d'un préjudice moral.
De même si M. [R] a dû attendre pendant plusieurs années le paiement du rachat de ses parts sociales par la SCI BEAU DE PRE il ne produit pas le moindre élément pour caractériser le préjudice financier subi en dehors du retard de paiement et pour permettre à la cour d'évaluer sa réparation.
Par conséquent le jugement dont appel ne pourra être qu'infirmé en ce qu'il a condamné la SCI BEAU DE PRE à verser à M. [R] la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral et celle de 5 000 euros pour préjudice financier.
En revanche c'est à bon droit que le tribunal judiciaire a débouté M. [R] de sa demande de remboursement d'un préjudice moral en réparation de la violation répétée et chronique de sa confiance et de ses droits d'associés par la SCI BEAU DE PRE.
En effet contrairement à ce que soutient M. [R] qui demande l'infirmation de la décision dont appel sur ce point, la violation répétée et chronique de ses droits d'associés aux motifis de la fixation arbitraire d'un loyer non conforme au prix du marché et de son défaut de paiement, n'est pas démontré par le rapport d'expertise judiciaire, l'expert ayant pour seule mission de fixer la valeur des parts sociales et il ne peut être tiré au vu de ce seul rapport de conséquence sur le fait que l'expert judiciaire saisi de la seule mission qui vient d'être rappelée a considéré qu'il fallait retraiter le loyer de la partie habitation.
La cour ajoute que depuis son entrée dans la SCI en 1990 M. [R] en sa qualité d'associé a été convoqué aux assemblées générales de la SCI BEAU DE PRE, ce qu'il ne conteste pas, qu'il a participé à certaines de ses assemblées et qu'en tout état de cause il n'a jamais critiqué les décisions qui ont pu y être prise pendant plus de vingt ans.
En outre M. [R] ne justifie d'aucun préjudice en lien direct et certain avec les manquements allégués.
Sur la demande de remboursement de la somme de 887,68 euros :
La décision dont appel devra par ailleurs être confirmée en ce qu'elle a fait droit à la demande de M. [R] de voir la SCI BEAU DE PRE condamnée à lui payer la somme de 887, 68 euros qu'elle a déduit à tort des sommes réglées à M. [R] en exécution de l'arrêt du 22 novembre 2021.
En effet il ressort du courrier adressé le 22 mars 2022 par la SCI BEAU DE PRE à la SCP SIBUT [O] [Z] dans le cadre de l'exécution de l'arrêt du 22 novembre 2021 que la SCI a retenu une somme de 887,68 euros correspond aux honoraires du notaire et aux frais de greffe demandés en 2013 par Maître [B] [A] pour la régularisation des modifications statutaires relatives à l'augmentation de capital et à la mise à jour des statuts suite au divorce de M. [R] alors que la SCI BEAU DE PRE ne justifie pas sur quel fondement ce règlement incombe à M. [R].
Sur la demande de condamnation sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile :
C'est à juste titre que le jugement déféré a enfin débouté M. [R] de sa demande de condamnation de la SCI BEAU DE PRE au paiement d'une somme de 10 000 euros au titre d'une amende civile alors qu'une action et/ou un recours même mal fondés ne sont pas constitutifs d'un abus sauf si l'intention de nuire est démontrée, ce qui n'est pas caractérisé en l'espèce.
Sur les demandes accessoires :
Le jugement sera par ailleurs confirmé en ses dispositions au titre des frais irrépétibles et des dépens y compris en ce qui concerne le partage des frais d'expertise judiciaire ordonnée dans le cadre de l'article 1843-1 du code civil.
La SCI BEAU DE PRE succombant en outre au principal en son appel sera condamnée à payer à M. [R] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de la procédure d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par arrêt contradictoire et rendu par mise à disposition au greffe,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 14 novembre 2023 par le tribunal judiciaire d'Avignon, sauf en ce qu'il a condamné la SCI BEAU DE PRE à payer à M. [U] [R] la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral et la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice financier ;
S'y substituant sur ces points et y ajoutant,
Déboute M. [U] [R] de sa demande de condamnation de la SCI BEAU DE PRE au paiement de la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral et de la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice financier ;
Condamne la SCI BEAU DE PRE à payer à M. [U] [R] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SCI BEAU DE PRE aux dépens de la procédure d'appel.
Arrêt signé par la présidente et par la greffière.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 24/00195 - N° Portalis DBVH-V-B7I-JB4R
NA
TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP D'[Localité 6]
14 novembre 2023
RG:22/01093
S.C.I. SCI DE BEAU PRE
C/
[R]
Copie exécutoire délivrée
le
à : Selarl Martinez
SCP Fortunet...
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
2ème chambre section A
ARRÊT DU 06 NOVEMBRE 2025
Décision déférée à la cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'[Localité 6] en date du 14 Novembre 2023, N°22/01093
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Nathalie AZOUARD, Présidente de Chambre,
Madame Virginie HUET, Conseillère,
Mme Leila REMILI, Conseillère,
GREFFIER :
Mme Céline DELCOURT, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
A l'audience publique du 02 Septembre 2025, où l'affaire a été mise en délibéré au 06 Novembre 2025.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
APPELANTE :
S.C.I. DE BEAU PRE immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés d'AVIGNON sous le n°377 618 442 prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Anthony MARTINEZ de la SELARL ANTHONY MARTINEZ, Plaidant/Postulant, avocat au barreau d'AVIGNON
INTIMÉ :
M. [U] [R]
né le [Date naissance 1] 1948 à [Localité 8]
[Adresse 2]
[Localité 4] / FRANCE
Représenté par Me Jean-philippe DANIEL de la SCP FORTUNET ET ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau d'AVIGNON
Représenté par Me Corinne MANCHON, Plaidant, avocat au barreau de VERSAILLES
ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 21 Août 2025
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Nathalie AZOUARD, Présidente de Chambre, le 06 Novembre 2025,par mise à disposition au greffe de la cour
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
La SCI DE BEAU PRE a été constituée par acte sous seing privé du 14 mars 1990. A l'origine étaient membres de cette société M. [U] [K], son épouse, Mme [M] [K], et leurs deux enfants [C] et [T].
Le 10 octobre 1990, M. [U] [R] est entré au capital de la société.
M. [U] [R] a sollicité son retrait et en l'absence d'accord sur la valeur de rachat de ses parts, M. [S] [N], expert, a été désigné par ordonnance de référé du président du tribunal de grande instance d'Avignon du 11 décembre 2017.
L'expert judiciaire a déposé son rapport définitif le 17 juin 2020.
Par acte du 27 octobre 2020, M. [R] a assigné en référé devant le tribunal judiciaire d'Avignon la SCI DE BEAU PRE aux fins d'obtenir sa condamnation à lui payer à titre de provision la somme de 64 731 euros correspondant à la valeur de remboursement de ses parts dans le capital, outre la somme de 3 700 euros correspondant aux honoraires d'expertise avancés et la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles.
Par ordonnance du 8 mars 2021, le président du tribunal judiciaire d'Avignon a condamné à titre provisionnel la SCI DE BEAU PRE à payer à M. [R] la somme de 64 731 euros correspondant à la valeur de remboursement de ses parts dans le capital de la SCI DE BEAU PRE, 1 500 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens en ce compris les frais d'expertise.
Sur l'appel interjeté par la SCI DE BEAU PRE, par arrêt du 22 novembre 2021, la cour d'appel de Nîmes a notamment :
- confirmé l'ordonnance de référé rendue le 8 mars 2021 en toutes ses dispositions à l'exception de celle ayant mis les frais d'expertise à la charge de la SCI DE BEAU PRE, et statué à nouveau de ce chef,
- dit que les frais d'expertise seront pris en charge par moitié par chacune des parties,
- condamné en conséquence la SCI DE BEAU PRE et M. [U] [R] à supporter chacun la moitié des frais d'expertise.
Estimant que le rapport d'expertise judiciaire est affecté d'erreurs grossières et que l'expert a dépassé le cadre de ses pouvoirs et de sa mission, par acte du 22 avril 2022, la SCI DE BEAU PRE a assigné M. [U] [R] devant le tribunal judiciaire d'Avignon aux fins d'obtenir en l'état de ses dernières écritures notifiées le 4 avril 2023 notamment l'inopposabilité du rapport d'expertise judiciaire, la fixation de la valeur des parts sociales détenues par M. [U] [R] à la somme de 26 707 euros, et à titre subsidiaire, avant dire droit, la nomination d'un expert afin de déterminer la valeur des parts sociales appartenant à M. [U] [R].
Le tribunal judiciaire d'Avignon, par jugement contradictoire en date du 14 novembre 2023, a :
- Débouté la SCI DE BEAU PRE de sa demande d'inopposabilité du rapport d'expertise,
- Débouté la SCI DE BEAU PRE de sa demande de nomination d'un nouvel expert,
- Fixé la valeur des parts de M. [U] [R] à 64 731 euros,
- Condamné la SCI DE BEAU PRE à payer à M. [U] [R] avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision :
* 5 000 euros en réparation de son préjudice moral,
* 5 000 euros en réparation de son préjudice financier,
* 887,68 euros au titre de la facture du notaire,
- Condamné la SCI DE BEAU PRE à payer à M. [U] [R] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamné la SCI DE BEAU PRE aux dépens comprenant la moitié des frais d'expertise,
- Débouté les parties du surplus de leurs demandes.
Le jugement rappelle qu'en application de l'article 1843-4 code civil la fixation de la valeur des droits sociaux réalisée par l'expert a un caractère impératif qui s'impose aux parties sauf à démontrer une erreur grossière ou que l'expert a outrepassé son mandat.
Les premiers juges considèrent qu'en l'espèce le dépassement de pouvoir n'est pas démontré pas plus qu'une erreur grossière laquelle ne ressort pas du fait que l'expert aurait refusé d'appliquer une décote de la valeur des parts sociales ce d'autant que l'expert a bien tenu compte du nombre de parts détenues par M. [R] en proportion de la totalité du capital social.
Le tribunal fait donc droit à la demande de M. [R] de voir fixer la valeur de ses parts conformément au rapport d'expertise à la somme de 64 731 euros.
La SCI De Beau pré a interjeté appel de ce jugement par déclaration au greffe en date du 12 janvier 2024.
L'affaire a été enrôlée sous le numéro RG 24/00195.
Par ordonnance du 10 février 2025, la clôture de la procédure a été fixée au 21 août 2025.
L'affaire a été appelée à l'audience du 2 septembre 2025 et mise en délibéré par mise à disposition au greffe au 6 novembre 2025.
EXPOSE DES MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 23 juillet 2025, la SCI DE BEAU PRE demande à la cour de :
Vu l'article 488 du code de procédure civile,
Vu l'article 1843-4 du code civil,
Vu la jurisprudence,
Vu les pièces versées au débat,
Vu le jugement du 14 novembre 2023 rendu par le tribunal judiciaire d'Avignon,
Statuant sur l'appel principal formé par la SCI DE BEAU PRE à l'encontre de la décision rendue le 14 novembre 2023 par le tribunal judiciaire d'Avignon portant le numéro RG 22/01093,
Le déclarant recevable et bien fondé,
Y faisant droit,
- Infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire d'Avignon le 14 novembre 2023 en ce qu'il a :
* Débouté la SCI DE BEAU PRE de sa demande d'inopposabilité du rapport d'expertise,
* Débouté la SCI DE BEAU PRE de sa demande de nomination d'un nouvel expert,
* Fixé la valeur des parts de M. [U] [R] à 64 731 euros,
* Condamné la SCI DE BEAU PRE à payer à M. [U] [R] avec intérêts au taux légal à compter de la décision :
5 000 euros en réparation de son préjudice moral,
5 000 euros en réparation de son préjudice financier,
887,68 euros au titre de la facture du notaire,
* Condamné la SCI DE BEAU PRE à payer à M. [U] [R] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
* Condamné la SCI DE BEAU PRE aux dépens comprenant la moitié des frais d'expertise,
* Débouté les parties du surplus de leurs demandes et notamment en ce que la SCI DE BEAU PRE sollicitait qu'il soit dit et jugé que le rapport d'expertise de M. [N] est affecté d'erreurs grossières et dit et jugé que l'expert a dépassé le cadre de ses pouvoir et de sa mission, en conséquence, de condamner M. [U] [R] à rembourser à la SCI DE BEAU PRE la somme de 38 024 euros correspondant à la différence entre les sommes versées au titre du remboursement des parts sociales en application de l'ordonnance de référé rendue le 8 mars 2021 et de l'arrêt d'appel du 22 novembre 2021, soit 64 731 euros, et la somme de 26 707 euros, et ce, avec intérêt au taux légal à compter de la décision à intervenir,
- Confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire d'Avignon le 14 novembre 2023 pour le surplus,
Statuant à nouveau,
A titre principal,
- Dire et juger que le rapport d'expertise de M. [N] est affecté d'erreurs grossières,
- Dire et juger que l'expert a dépassé le cadre de ses pouvoirs et de sa mission,
En conséquence,
- Prononcer l'inopposabilité dudit rapport,
- Fixer la valeur des parts sociales détenues par M. [R] à la somme de 26 707 euros,
- Condamner M. [U] [R] à rembourser à la SCI DE BEAU PRE, la somme de 38 024 euros correspondant à la différence entre les sommes versées au titre du remboursement des parts sociales en application de l'ordonnance de référé rendue le 8 mars 2021 et de l'arrêt d'appel du 22 novembre 2021, soit 64 731 euros, et la somme de 26 707 euros, et ce avec intérêt au taux légal à compter de la décision à intervenir,
A titre subsidiaire,
- Dire et juger que le rapport d'expertise de M. [N] est affecté d'erreurs grossières,
- Dire et juger que l'expert a dépassé le cadre de ses pouvoirs et de sa mission,
En conséquence,
- Prononcer l'inopposabilité dudit rapport,
Avant dire droit,
- Nommer tel expert qu'il plaira à la juridiction avec pour mission habituelle en pareille matière et notamment celle de déterminer la valeur des treize parts sociales appartenant à M. [U] [R],
En tout état de cause,
- Débouter M. [U] [R] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- Condamner M. [U] [R] à verser à la SCI DE BEAU PRE la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner M. [U] [R] aux entiers dépens en ce compris les frais d'expertise que la SCI DE BEAU PRE a dû prendre en charge à hauteur de 1 850 euros.
La SCI BEAU DE PRE soutient tout d'abord que l'expert a dépassé ses pouvoirs car :
- il aurait dû se limiter au calcul de la valeur mathématique c'est-à-dire de l'actif net corrigé alors qu'il a ajouté une valeur supplémentaire au titre du retraitement de la société ( ce qui ne relevait ni de sa mission, ni de ses pouvoirs),
- il a considéré que pendant 27 ans le loyer de la maison payé par M. [K] ( 889 €/mois) est inférieur au loyer tel qu'évalué par les experts et que donc la SCI n'avait pas encaissé pendant cette durée environ 275 000 euros et ce faisant l'expert a réintégré cette somme et a rajouté environ 28 000 € à la valeur des parts de M. [R],
- c'est une appréciation subjective de l'expert ce qu'il ne peut pas faire, ce d'autant que chaque année les associés ont validé les comptes annuels avec le montant du loyer à 889 €/mois.
La SCI BEAU DE PRE soutient par ailleurs que l'expert a commis des erreurs grossières au nombre de 7 :
- n°1 absence d'application d'une décote pour situation minoritaire et s'agissant d'une SCI familiale
- n°2 absence injustifiée de prise en compte des loyers versées par la SCI ( loyer versé par M. [K] 600 €/mois)
- n°3 application d'un montant de loyer arbitraire non justifié et incohérent au regard du marché économique
- n°4 violation manifeste de la liberté contractuelle le loyer versé par M. [K] n'a jamais été contesté par l'AG des associés et en particulier par M. [R]
- n°5 méconnaissance manifeste des dispositions légales relatives à la prescription et des principes de comptabilité car l'expert ajoute la somme de 275 000 € alors que la SCI n'est absolument pas créancière de cette somme ( en raison de l'accord des parties sur le montant du bail et du délai de prescription des dettes locatives)
- n°6 incohérence et contradiction manifeste dans les termes même du rapport ( M. [K] a occupé à titre onéreux et pas gratuit)
- n°7 absence de prise en compte du contexte familial et du fait qu'il y a déjà eu des cessions de parts sociales à des prix complètement différents ( ex en 2003 600€/part et en 2017 4 979 €/part)
En l'état de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 7 août 2025, M. [U] [R] demande à la cour de :
Vu l'article 1843-4 du Code civil,
Vu l'article 1240 du Code civil,
Vu l'article 32-1 du code de procédure civile,
Vu les articles 699 et 700 du code de procédure civile,
- Débouter la SCI de Beau pré de son appel à l'encontre du jugement rendu le 14 novembre 2023 par le tribunal judiciaire d'Avignon (RG 22/01093) et de l'ensemble de ses demandes,
En conséquence de :
- Confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
- Juger que la SCI de Beau pré a commis un abus du droit d'agir en justice,
- Condamner la SCI de Beau pré au paiement d'une amende civile de 10 000 euros,
- Juger que la SCI de Beau pré a violé de façon répétée et chronique la confiance et les droits d'associé de M. [U] [R],
- Condamner la SCI de Beau pré au paiement de la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts de 5.000 euros au profit de M. [U] [R] en réparation de son préjudice au titre de la violation répétée de ses droits d'associés au profit du gérant de la SCI,
- Condamner la SCI de Beau pré au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens comprenant notamment la totalité des frais d'expertise.
M. [R] fait valoir essentiellement que:
- l'expert a procédant à un travail de retraitement des différents postes de bilan n'a pas dépassé ses pouvoirs et s'est conformé à la pratique des experts en la matière et aux méthodes d'évaluation des entreprises et titres de sociétés opérées par l'administration fiscale,
- l'expert n'a pas porté d'appréciation subjective sur la gestion de la SCI se fondant uniquement sur les méthodes en la matière et la pièces produites,
- la SCI de Beau pré n'est pas parvenue à démontrer le paiement réel de loyers correspondant aux pris du marché y compris durant les opérations des expertises, pas plus qu'en première instance et en appel,
- l'expert n'a pas commis d'erreur grossière affectant son rapport car
- sur la prétendue erreur n°1, il n'y a aucune obligation d'appliquer la décote de minorité, l'expert ayant valablement justifié de son refus,
- sur la prétendue erreur n°2, et n°3 l'expert n'a pas commis d'erreur grossière en appliquant un loyer qu'il a évalué en fonction du marché et la SCI n'ayant jamais rapporté la preuve d'un réel paiement de loyer,
- sur la prétendue erreur n°4, l'expert n'a pas remis en cause le principe de la liberté contractuelle, dans la mesure la question du loyer et de ses variations ne sont pas conformes à la volonté des parties, mais sont le résultat de décisions unilatérales de la part du gérant conformes à son seul intérêt personnel et non à ceux de la SCI,
- sur la prétendue erreur n°5, que la créance non comptabilisée de loyers ne concerne pas une action en recouvrement mais se rapporte uniquement à une question de retraitement des postes du bilan, si bien l'application des règles de prescription des actions en recouvrement des loyers est inopérante,
- sur la prétendue erreur n°6, qu'aucune des pièces produites : quittances communiquées, relevés de banque, et actes du secrétariat de la SCI ne démontre une erreur grossière de la part de l'expert mais fait au contraire apparaître des pratiques abusives et l'absence de paiement d'un loyer conforme au marché et au bail,
- sur la prétendue erreur n°7, l'expert n'a pas commis d'erreur grossière en ce se référant pas aux mutations de parts sociales antérieures et à la méthode de comparaison.
Il est fait renvoi aux écritures des parties pour plus ample exposé des éléments de la cause, des prétentions et moyens des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
A titre liminaire, la cour rappelle tout d'abord qu'en application de l'article 954 du code de procédure civile elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières conclusions des parties, c'est à dire sur ce à quoi prétend une partie et que la formulation dans le dispositif des conclusions de voir « dire et juger » et/ou « constater » ne constitue pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile et que la cour n'est donc pas tenue d'y répondre.
Sur le rapport d'expertise judiciaire :
L'article 1843-4 du code civil applicable au présent litige dispose :
« I. ' Dans les cas où la loi renvoie au présent article pour fixer les conditions de prix d'une cession des droits sociaux d'un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d'accord entre elles, par jugement du président du tribunal judiciaire ou du tribunal de commerce compétent, statuant selon la procédure accélérée au fond et sans recours possible.
L'expert ainsi désigné est tenu d'appliquer, lorsqu'elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par les statuts de la société ou par toute convention liant les parties.
II. ' Dans les cas où les statuts prévoient la cession des droits sociaux d'un associé ou le rachat de ces droits par la société sans que leur valeur soit ni déterminée ni déterminable, celle-ci est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné dans les conditions du premier alinéa.
L'expert ainsi désigné est tenu d'appliquer, lorsqu'elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par toute convention liant les parties. »
La jurisprudence a précisé que cette absence de recours contre la désignation de l'expert, sauf excès de pouvoir, avait pour effet que l'évaluation faite par l'expert liait les parties sous réserve d'une erreur grossière, autorisant alors le juge à l'annuler.
Si la Cour de cassation a reconnu que cette situation constituait une ingérence dans l'exercice du droit d'accès à la justice, méconnaissant les dispositions de la CEDH, elle a cependant jugé cette ingérence comme justifiée par un objectif légitime à savoir : permettre à l'associé retrayant de connaître rapidement le montant du remboursement qui lui est dû, évitant ainsi les aléas d'une procédure judiciaire classique (susceptible de recours). De plus, elle a souligné que le droit d'accès à un tribunal n'était pas violé dans sa substance, en rappelant que la décision de désigner un expert peut être contestée en cas d'excès de pouvoir et que l'évaluation par l'expert est sous le contrôle du juge, qui peut annuler le rapport en cas d'erreur grossière ou de manquement à l'impartialité.
La jurisprudence a également précisé que si le juge ne peut pas contourner la procédure de recours à l'expert en fixant lui-même la valeur des parts, il appartient toutefois au juge d'interpréter la commune intention des parties, à partir des méthodes retenues par l'expert, ainsi si l'expert peut proposer différentes évaluations correspondant aux interprétations des parties, c'est alors au juge de déterminer laquelle s'applique.
En l'espèce le jugement rappelle qu'en application de l'article 1843-4 code civil la fixation de la valeur des droits sociaux réalisée par l'expert a un caractère impératif qui s'impose aux parties sauf à démontrer une erreur grossière ou que l'expert a outrepassé son mandat ce que soutient la SCI appelante.
Sur le dépassement par l'expert de son mandat :
En procédant à un retraitement de la valeur de l'actif pour tenir compte d'une somme de loyers à laquelle pouvait prétendre la SCI, l'expert n'a pas dépassé sa mission dans la mesure où il était chargé d'évaluer les parts de la dite SCI, qu'il existe pour cela plusieurs méthodes de valorisation comme cela ressort du rapport d'expertise et de l'analyse faite par le Groupement Vauclusien d'Expertise Notariale ( G.V.E.N) consulté par la SCI BEAU DE PRE elle-même en 2011, à savoir la méthode par sol plus construction, la méthode par capitalisation, et la méthode comparative, étant observé que la méthode par capitalisation qui consiste à assimiler le bien à un capital capable de produire des intérêts égaux à leur revenu locatif, prend en compte la valeur capitalisée de la partie du local à usage commercial et la valeur capitalisée du local à usage d'habitation en se fondant sur le lover mensuel possible au regard de l'emplacement, la qualité du bâtiment et la rareté du produit( voir pages 13 et 14 du rappot du G.V.E.N.).
En outre les statuts de la SCI BEAU DE PRE ne contiennent aucune disposition sur les méthodes d'évaluation ou de valorisation des parts sociales et il n'est justifié ni même allégué d'aucune convention contraire, le prix auquel un autre associé a pu céder ou donner ses parts sans concertation et accord de l'ensemble des associés ne pouvant être considéré comme une convention passée entre les associés.
Sur la commission par l'expert d'erreurs grossières :
- erreur n°1 :
Si appliquer une décote pour minorité est admis et pratiqué en matière de valorisation de parts sociale cette décote n'est pas une obligation.
L'expert judiciaire a répondu sur ce point au dire du conseil de la SCI BEAU DE PRE en expliquant que la décote pour minorité s'explique surtout quand il existe des risques d'alliance et qu'elle peut être neutralisée lorsque la vente des titres a pour effet de permettre la réunion des parts en une seule main ce qui correspond au cas présent.
L'expert judiciaire n'a donc pas commis d'erreur grossière en appliquant pas une décote pour minorité.
- erreurs n°2, n°3, n°4et n°5 :
Valoriser et réintégrer les loyers pouvant être perçus selon la nature du bien et le marché pour la partie habitation n'est pas contraire à l'une des méthodes de calcul, l'expert judiciaire qui a répondu sur ce point au dire du conseil de la SCI BEAU DE PRE a raisonné au vu d'une appréciation faite par un sapiteur expert en immobilier et la SCI SCI BEAU DE PRE ne démontre pas que l'analyse de l'expert sur la valeur du loyer serait erronée.
Par ailleurs il ne faut pas confondre comme le fait la SCI BEAU DE PRE valorisation de parts sociales et recouvrement d'une créance si bien que la question de l'impossibilité de recouvrer ces sommes pour prescription est indifférente.
En outre aucune pièce et en particulier aucun procès-verbal d'assemblée générale de la SCI BEAU DE PRE ne démontre un accord des associés sur ce point, le silence de l'un des associés devant une pratique ne pouvant s'analyser comme un accord non équivoque.
- erreur n°6 :
Sur l'incohérence et la contradiction manifeste entre les termes du rapport dues au fait que M. [K] aurait bien occupé les lieux à titre onéreux et non gratuit comme considéré par l'expert à tort, l'expert judiciaire a répondu également sur ce point au dire du conseil de la SCI BEAU DE PRE en observant que les quittances produites ne prouvent en rien le versement effectif de loyer étant observé par la cour que M. [U] [K] occupant de la partie habitation est également le gérant de la SCI et l'expert ayant ajouté que de tels versements invoqués sont contradictoires avec le fait que la SCI BEAU DE PRE n'a jamais versé depuis sa création aucun dividende à ses associés.
La cour ajoute que en tout état de cause cette discussion au sujet du fait qu'un loyer aurait bien été versé par M. [K] est sans incidence directe sur l'évaluation des parts sociales.
- erreur n°7 :
Enfin le fait de ne pas prendre en considération le prix auquel un autre associé a pu céder ou donner ses parts ne peut être considéré comme une erreur grossière dans la mesure où la cession par Mme [I] ex-épouse de M. [R] de ses 14 parts sociales au prix de 538,70 euros la part en 2003, soit il y a plus de 20 ans n'est pas ni une reconnaissance de la valeur à ce montant-là de la part sociale par l'ensemble des associés, ni un élément certain de la valeur des droits de chacun, pas plus que ne peut être suffisamment probant la valorisation qui a été faite de la nue-propriété de 100 parts sociales lors de la donation en 2012 par M. et Mme [U] [K] à leurs enfants en raison en particulier du contexte familial de cette donation.
En tout état de cause il n'y a pas ici non plus de démonstration d'une erreur grossière commise par l'expert judiciaire.
Par conséquent au vu de ces éléments c'est à juste titre quand application de l'article 1843-4 du code civil et en l'absence de démonstration par la SCI BEAU DE PRE de ce que l'expert judiciaire a dépassé sa mission ou commis une erreur grossière que le jugement dont appel a débouté la SCI BEAU DE PRE de sa demande visant à lui voir déclarer inopposable le rapport d'expertise judiciaire.
Sur les demandes de M. [R] :
Sur la demande de fixation de la valeur des parts sociales de M. [R] :
Au vu des développements précédents la décision déférée ne pourra qu'être confirmée en ce qu'elle a fixé la valeur des parts de M. [R] selon l'évaluation expertale à la somme de 64 731 euros.
Sur les demandes en réparation d'un préjudice moral et d'un préjudice financier formées par M. [R] :
Le jugement de première instance a fait droit aux demandes de M. [R] de se voir allouer une somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral, et une somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice financier.
La SCI BEAU DE PRE au soutien de sa demande d'infirmation fait valoir qu'aucun document probant n'est produit à l'appui de ces demandes par M. [R] et que la SCI BEAU DE PRE n'a jamais voulu se soustraire au rachat des parts sociales de M. [R] mais a souhaité le faire dans des conditions financières et économiques cohérentes et réalistes.
M. [R] pour demander confirmation sur ces dispositions expose que pendant 12 ans la SCI BEAU DE PRE a refusé de lui payer la créance née de son retrait de la SCI BEAU DE PRE et a persisté à la contester y compris après l'arrêt du 22 novembre 2021si bien que les recours sont abusifs.
En raison de ce comportement il a subi un préjudice moral et s'est retrouvé privé de l'utilisation des sommes payées par la SCI BEAU DE PRE dans le cadre de l'exécution de l'arrêt du 22 novembre 2021, la SCI BEAU DE PRE ne cessant de remettre en question sa créance.
Il est établi au regard des pièces de la procédure que M. [R] a commencé à solliciter son retrait de la SCI BEAU DE PRE courant 2011 et qu'un désaccord est intervenu entre les parties sur l'évaluation des parts de M. [R] en vue de leur rachat par la SCI, et que M. [R] a saisi en 2017 le juge des référés pour voir ordonner une expertise judiciaire afin d'évaluer la valeur des parts sociales.
Pour autant il n'est pas démontré à ce stade un comportement fautif de la [7] laquelle ne peut se voir reprocher d'avoir été en désaccord avec M. [R] sur la valeur des parts sociales.
Il doit être ensuite relevé toujours au regard des pièces produites et des différentes procédures que même après le dépôt du rapport d'expertise et l'évaluation faite par l'expert judiciaire, évaluation à laquelle sont liées par principe les parties en application de l'article 1843-1 du code civil, la SCI BEAU DE PRE n'a pas entendu s'en remettre au rapport d'expertise et procéder au rachat sur cette base des parts de M. [R], critiquant le rapport d'expertise en échouant à démontrer l'erreur grossière.
Ainsi ce n'est qu'en mars 2022 en exécution de l'arrêt du 22 novembre 2021que la SCI BEAU DE PRE a rempli son obligation de rachat vis-à-vis de M. [R].
Si l'attitude de la SCI BEAU DE PRE et la multiplication des procédures ont été source de tracasseries pour M. [R] qui a dû avoir recours à un avocat avant toute action judiciaire, puis dans le cadre des procédures engagées en demande comme en défense, pour autant et contrairement à ce qui a été retenu en première instance il ne verse aucune pièce pour caractériser l'existence d'un préjudice moral.
De même si M. [R] a dû attendre pendant plusieurs années le paiement du rachat de ses parts sociales par la SCI BEAU DE PRE il ne produit pas le moindre élément pour caractériser le préjudice financier subi en dehors du retard de paiement et pour permettre à la cour d'évaluer sa réparation.
Par conséquent le jugement dont appel ne pourra être qu'infirmé en ce qu'il a condamné la SCI BEAU DE PRE à verser à M. [R] la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral et celle de 5 000 euros pour préjudice financier.
En revanche c'est à bon droit que le tribunal judiciaire a débouté M. [R] de sa demande de remboursement d'un préjudice moral en réparation de la violation répétée et chronique de sa confiance et de ses droits d'associés par la SCI BEAU DE PRE.
En effet contrairement à ce que soutient M. [R] qui demande l'infirmation de la décision dont appel sur ce point, la violation répétée et chronique de ses droits d'associés aux motifis de la fixation arbitraire d'un loyer non conforme au prix du marché et de son défaut de paiement, n'est pas démontré par le rapport d'expertise judiciaire, l'expert ayant pour seule mission de fixer la valeur des parts sociales et il ne peut être tiré au vu de ce seul rapport de conséquence sur le fait que l'expert judiciaire saisi de la seule mission qui vient d'être rappelée a considéré qu'il fallait retraiter le loyer de la partie habitation.
La cour ajoute que depuis son entrée dans la SCI en 1990 M. [R] en sa qualité d'associé a été convoqué aux assemblées générales de la SCI BEAU DE PRE, ce qu'il ne conteste pas, qu'il a participé à certaines de ses assemblées et qu'en tout état de cause il n'a jamais critiqué les décisions qui ont pu y être prise pendant plus de vingt ans.
En outre M. [R] ne justifie d'aucun préjudice en lien direct et certain avec les manquements allégués.
Sur la demande de remboursement de la somme de 887,68 euros :
La décision dont appel devra par ailleurs être confirmée en ce qu'elle a fait droit à la demande de M. [R] de voir la SCI BEAU DE PRE condamnée à lui payer la somme de 887, 68 euros qu'elle a déduit à tort des sommes réglées à M. [R] en exécution de l'arrêt du 22 novembre 2021.
En effet il ressort du courrier adressé le 22 mars 2022 par la SCI BEAU DE PRE à la SCP SIBUT [O] [Z] dans le cadre de l'exécution de l'arrêt du 22 novembre 2021 que la SCI a retenu une somme de 887,68 euros correspond aux honoraires du notaire et aux frais de greffe demandés en 2013 par Maître [B] [A] pour la régularisation des modifications statutaires relatives à l'augmentation de capital et à la mise à jour des statuts suite au divorce de M. [R] alors que la SCI BEAU DE PRE ne justifie pas sur quel fondement ce règlement incombe à M. [R].
Sur la demande de condamnation sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile :
C'est à juste titre que le jugement déféré a enfin débouté M. [R] de sa demande de condamnation de la SCI BEAU DE PRE au paiement d'une somme de 10 000 euros au titre d'une amende civile alors qu'une action et/ou un recours même mal fondés ne sont pas constitutifs d'un abus sauf si l'intention de nuire est démontrée, ce qui n'est pas caractérisé en l'espèce.
Sur les demandes accessoires :
Le jugement sera par ailleurs confirmé en ses dispositions au titre des frais irrépétibles et des dépens y compris en ce qui concerne le partage des frais d'expertise judiciaire ordonnée dans le cadre de l'article 1843-1 du code civil.
La SCI BEAU DE PRE succombant en outre au principal en son appel sera condamnée à payer à M. [R] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de la procédure d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par arrêt contradictoire et rendu par mise à disposition au greffe,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 14 novembre 2023 par le tribunal judiciaire d'Avignon, sauf en ce qu'il a condamné la SCI BEAU DE PRE à payer à M. [U] [R] la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral et la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice financier ;
S'y substituant sur ces points et y ajoutant,
Déboute M. [U] [R] de sa demande de condamnation de la SCI BEAU DE PRE au paiement de la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral et de la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice financier ;
Condamne la SCI BEAU DE PRE à payer à M. [U] [R] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SCI BEAU DE PRE aux dépens de la procédure d'appel.
Arrêt signé par la présidente et par la greffière.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,