CA Aix-en-Provence, ch. 1-2, 6 novembre 2025, n° 24/14093
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-2
ARRÊT
DU 06 NOVEMBRE 2025
N° 2025/608
Rôle N° RG 24/14093 - N° Portalis DBVB-V-B7I-BN7YQ
[R] [T]
C/
Syndicat des copropriétaires DE LA RESIDENCE [Adresse 5]
S.A.S. SAIGON NEW
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Jean-Philippe FOURMEAUX
Me Isabelle FICI
Me Jean bernard GHRISTI
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance de référé rendue par le Président du TJ de DRAGUIGNAN en date du 23 Octobre 2024 enregistrée au répertoire général sous le n° 24/01386.
APPELANTE
Madame [R] [T]
née le 07 Février 1955 à [Localité 7]
demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Jean-Philippe FOURMEAUX de la SELARL CABINET FOURMEAUX-LAMBERT ASSOCIES, avocat au barreau de DRAGUIGNAN substitué par Me Jean-Baptiste FOURMEAUX de la SELARL CABINET FOURMEAUX-LAMBERT ASSOCIES, avocat au barreau de DRAGUIGNAN, plaidant
INTIMES
Syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5]
representé par son syndic en exercice la SARL CITYA FREJUS PLAGE,
dont le siège social est [Adresse 2]
représenté par Me Isabelle FICI de la SELARL CABINET LIBERAS-FICI & ASSOCIÉS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Magatte DIOP, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
assisté par Me Laura CUERVO de l'AARPI MASQUELIER-CUERVO, avocat au barreau de DRAGUIGNAN, plaidant
S.A.S. SAIGON NEW,
dont le siège social est [Adresse 1]
représentée par Me Jean-Bernard GHRISTI, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 30 Septembre 2025 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Séverine MOGILKA, Conseillère a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
M. Gilles PACAUD, Président
Mme Angélique NETO, Conseillère
Mme Séverine MOGILKA, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Caroline VAN-HULST.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 06 Novembre 2025.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 06 Novembre 2025,
Signé par M. Gilles PACAUD, Président et Mme Caroline VAN-HULST, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE :
Madame [R] [T] est propriétaire au sein de la résidence relevant du statut de la copropriété [Adresse 5] sise [Adresse 1], des lots n°2, 7, 8 et 9.
La société par actions simplifiée Saigon New loue auprès de madame [T] le lot n°7 correspondant à un local commercial.
Par acte de commissaire de justice en date du 8 février 2024, le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], représenté par son syndic en exercice la société Citya Fréjus Plage, a fait assigner Mme [T] et la société Saigon New, devant le président du tribunal judiciaire de Draguignan, statuant en référé, aux fins de voir condamner :
- la copropriétaire à supprimer la construction à usage de cellier avec remise en état d'origine réalisée sur les parties communes, sous astreinte ;
- la copropriétaire et sa locataire à cesser l'exploitation de toute activité de restaurant dans le lot n°7, sous astreinte.
Par ordonnance contradictoire en date du 23 octobre 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Draguignan a :
- rejeté les fins de non-recevoir présentées par Mme [T] et la société Saigon New relatives à l'action tendant à supprimer la construction édifiée sur les parties communes à usage de cellier et à remettre les parties communes dans leur état d'origine ;
- déclaré le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], représenté par son syndic en exercice la société Citya [Localité 4] Plage, recevable en son action de ce chef ;
- déclaré le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], représenté par son syndic en exercice la société Citya [Localité 4] Plage, irrecevable en son action tendant à faire cesser l'exploitation de toute activité de restaurant dans le lot n°7 ;
- dit n'y avoir lieu à référé de ce chef ;
- condamné Mme [T] à payer au syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], représenté par son syndic en exercice la société Citya [Localité 4] Plage, la somme de 5 000 euros afin de remédier au trouble manifestement illicite causé par la construction du cellier sur les parties communes ;
- condamné le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], représenté par son syndic en exercice la société Citya [Localité 4] Plage, aux dépens de l'instance ;
- condamné le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], représenté par son syndic en exercice la société Citya [Localité 4] Plage, à payer à Mme [T] et la société Saigon New, chacune, la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- rejeté le surplus des demandes.
Ce magistrat a, notamment, considéré que :
- l'action aux fins de démolition du cellier et de remise en état des parties communes était soumise à la prescription trentenaire ;
- Mme [T] ne démontrait pas que la prescription de l'action du syndicat était acquise à compter du 12 mai 2015, date à laquelle le syndicat requérant avait pu être en mesure d'agir ;
- l'action tendant à faire cesser l'activité de restauration était soumise à la prescription quinquennale ;
- le point de départ de cette prescription devait être la date à laquelle le syndicat requérant avait été en mesure d'agir, et ainsi de sa connaissance de l'activité illicite invoquée, qui pouvait être fixée au 19 mai 2009, date d'un procès-verbal d'assemblée générale, de sorte que l'action du syndicat des copropriétaires était prescrite ;
- le cellier ayant été construit sur une partie commune à jouissance exclusive sans autorisation du syndicat des copropriétaires, un trouble manifestement illicite était caractérisé ;
- eu égard au fait que le syndicat requérant avait attendu 9 années avant d'agir en justice, que Mme [T] n'était pas l'auteur de la construction et qu'il ne pouvait être prétendu tout à la fois une atteinte à l'harmonie de l'immeuble et l'absence de visibilité de la construction, les mesures de démolition et de remise en état de la partie commune apparaissaient disproportionnées et une condamnation pécuniaire était suffisante pour remédier au trouble manifestement illicite.
Par déclaration transmise le 22 novembre 2024, Mme [T] a interjeté appel de la décision, l'appel visant à la critiquer en ce qu'elle a :
- rejeté les fins de non-recevoir présentées par elle-même et la société Saigon New relatives à l'action tendant à supprimer la construction édifiée sur les parties communes à usage de cellier et à remettre les parties communes dans leur état d'origine ;
- déclaré le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], représenté par son syndic en exercice la société Citya [Localité 4] Plage, recevable en son action de ce chef ;
- condamné Mme [T] à payer au syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], représenté par son syndic en exercice la société Citya [Localité 4] Plage, la somme de 5 000 euros afin de remédier au trouble manifestement illicite causé par la construction du cellier sur les parties communes ;
- rejeté le surplus des demandes.
Par déclaration transmise le 27 novembre 2024, le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5] a interjeté appel de cette décision, l'appel visant à la critiquer en ce qu'elle :
- l'a déclaré irrecevable en son action tendant à faire cesser l'exploitation de toute activité de restaurant dans le lot n°7 ;
- a dit n'y avoir lieu à référé de ce chef ;
- a rejeté le surplus des demandes ;
- l' a condamné aux dépens de l'instance ;
- l'a condamné à payer à Mme [T] et la société Saigon New, chacune, la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance en date du 6 décembre 2024, les deux instances ont été jointes sous le n° 24/14093.
Par conclusions transmises le 19 mars 2025, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Mme [T] demande à la cour de :
- réformer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a :
- rejeté les fins de non-recevoir présentées par Mme [T] et la société Saigon New relatives à l'action tendant à supprimer la construction édifiée sur les parties communes à usage de cellier, et à remettre en état les parties communes dans leur état d'origine et déclaré le syndicat des copropriétaires de la Résidence [Adresse 5], représenté par son syndic en exercice la société Citya [Localité 4] Plage, recevable en son action de chef ;
- condamné Mme [T] à payer au syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], représentée par son syndic en exercice, la somme de 5 000 euros afin de remédier au trouble manifestement illicite causé par la construction du cellier sur les parties communes ;
- confirmer l'ordonnance de référé pour le surplus ;
Statuant à nouveau,
- déclarer irrecevables les demandes du syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], celles-ci étant prescrites, qu'il s'agisse tant de la demande de démolition du cellier édifié à l'arrière du lot n°7 que de la demande tendant à la cessation de l'activité de restauration au sein du lot n°7 de la copropriété [Adresse 5] ;
- déclarer en toute hypothèse l'obligation de Mme [T] sérieusement contestable, le syndicat des copropriétaires ne rapportant pas, en outre, la preuve de l'existence d'un trouble manifestement illicite ou d'un dommage imminent qu'il conviendrait de faire cesser ;
- débouter, par conséquent, le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], de l'ensemble de ses demandes ;
- débouter la société Saigon New de ses demandes reconventionnelles ;
- condamner le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5] à payer à Mme [T] la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, outre les entiers frais et dépens.
Au soutien de ses prétentions, Mme [T] expose, notamment, que :
- la demande de suppression de la construction prétendument illicite est irrecevable en raison de la prescription
- le cellier a été construit entre 1978 et 1990 ;
- le syndicat des copropriétaires ne démontre pas avoir eu connaissance de cette construction depuis moins de 30 ans avant son action ;
- la construction située à l'arrière de l'immeuble est parfaitement visible ;
- la demande de cessation d'activité est aussi irrecevable en raison de la prescription ;
- les locaux sont exploités à usage de restaurant depuis plus de 5 ans, a minima depuis 1990 ;
- s'agissant d'une infraction au règlement de copropriété, le délai de prescription court à compter de la commission de la première infraction ou dès sa connaissance par le titulaire de l'action ;
- en toute hypothèse, la demande de cessation d'activité se heurte à l'illicéité de la stipulation du règlement de copropriété qui ne peut comporter une clause de non-concurrence ;
- le règlement de copropriété est manifestement affecté d'une erreur matérielle en ce qu'il prévoit l'exercice d'une activité commerciale dans des locaux non commerciaux et a omis le lot n°7 dans la liste des locaux dans lesquels une activité commerciale est autorisée ;
- l'assemblée générale des copropriétaires l'a autorisé à équiper le local d'une gaine d'évacuation des fumées de cuisine de sorte qu'elle a autorisé l'activité dans les locaux ;
- la demande de provision présentée par la société Saigon New ne relève pas des pouvoirs du juge des référés en ce que l'action du syndicat des copropriétaires est irrecevable et mal fondée et que le quantum de la provision est sans rapport avec la valeur du fonds de commerce.
Par conclusions transmises le 12 mars 2025, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], représenté par son syndic en exercice la société Citya [Localité 4] Plage, demande à la cour de :
- infirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a :
- déclaré le syndicat des copropriétaires irrecevable en son action tendant à faire cesser l'exploitation de toute activité de restaurant dans le lot n° 7 ;
- dit n'y avoir lieu à référé de ce chef ;
- rejeté la demande formulée par le syndicat des copropriétaires visant à voir condamner Mme [T], sous astreinte de 300 euros par jour de retard au-delà d'un délai d'un mois à compter de la signification de la décision à intervenir, à supprimer la construction réalisée sur les parties communes à usage de cellier et à rétablir ces dernières dans leur état d'origine ;
- rejeté la demande formulée par le syndicat des copropriétaires visant à voir condamner in solidum Mme [T] et la société Saigon New à payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens ;
- condamné le syndicat des copropriétaires aux dépens de l'instance ;
- condamné le syndicat des copropriétaires à payer à Mme [T] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné le syndicat des copropriétaires à payer à la société Saigon New la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau,
- condamner Mme [T], sous astreinte de 300 euros par jour de retard passé le délai d'un mois à compter de la signification de la décision à intervenir, à supprimer la construction édifiée sur les parties communes à usage de cellier et à remettre les parties communes dans leur état d'origine ;
- condamner in solidum Mme [T] et la société Saigon New, sous astreinte de 300 euros par jour de retard passé le délai de deux mois à compter de la signification de la décision à intervenir, à cesser l'exploitation de toute activité de restaurant dans le lot n°7 ;
- débouter Mme [T] et la société Saigon New de toutes leurs demandes ;
- à titre subsidiaire concernant la construction illicite sur les parties communes : condamner Mme [T] au paiement d'une provision de 10 000 euros en réparation du trouble illicite subi ;
- en tout état de cause : condamner in solidum Mme [T] et la société Saigon New au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance et la même somme au titre de la procédure d'appel, outre les entiers dépens en ce compris le coût du constat d'huissier de justice.
A l'appui de ses demandes, le syndicat des copropriétaires fait, notamment, valoir que :
- un local à usage de cellier a été construit sans autorisation sur la partie commune à jouissance exclusive dont bénéficie Mme [T] ;
- cet ouvrage porte atteinte à l'aspect extérieur de l'immeuble ;
- cette situation crée un risque d'insécurité eu égard aux appareils électroménagers abrités dans le cellier alors que rien n'établit le respect des normes électrique, d'isolation et de sécurité incendie ;
- malgré plusieurs mises en demeure, Mme [T] n'a pas procédé à la suppression de la construction illicite ;
- s'il a agi après plusieurs années, il n'a pas pour autant acquiescé à cette construction ;
- la demande de démolition n'est pas disproportionnée compte tenu du trouble manifestement illicite ;
- son action n'est pas prescrite, les attestations et photographies produites par Mme [T] étant insuffisantes à établir l'existence de la construction depuis plus de 30 ans ;
- Mme [T] ne démontre pas que le syndicat des copropriétaires avait connaissance de l'existence de la construction depuis plus de 30 ans ;
- un restaurant est exploité dans le lot n°7 appartenant à Mme [T] en violation du règlement de copropriété qui autorise l'exercice d'une telle activité uniquement dans les lots n°4 et 9 ;
- son action de ce chef n'est pas prescrite s'agissant d'une violation continue du règlement de copropriété pour laquelle le point de départ du délai de prescription est reporté chaque jour tant que la situation perdure ;
- la clause du règlement de copropriété est licite ;
- cette clause a été rédigée dans le but de diversifier l'offre commerciale du bâtiment dans l'intérêt de l'ensemble des copropriétaires ;
- le règlement de copropriété ne comporte pas d'erreur matérielle, la clause visant à permettre l'exercice de cette activité dans un seul lot.
Par conclusions transmises le 28 janvier 2025, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la société Saigon New demande à la cour de :
* à titre principal :
- réformer l'ordonnance déférée en ce qu'elle déclaré l'action du syndicat des copropriétaires tendant à supprimer la construction édifiée sur les parties communes à usage de cellier, recevable et non prescrite ;
- juger irrecevables, les demandes du syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], celles-ci étant prescrites, qu'il s'agisse de la demande de démolition du cellier édifié à l'arrière du lot n°7 que de la demande tendant à la cessation de l'activité de restauration au sein du lot n°7 de la copropriété [Adresse 5] ;
- confirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a déclaré le syndicat des copropriétaires, irrecevable en son action tendant à faire cesser l'exploitation de toute activité de restaurant dans le lot n° 7 et dit n'y avoir lieu à référé de ce chef ;
- confirmer l'ordonnance déféré en ce qu'elle a condamné le syndicat des copropriétaires [Adresse 5] à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;
- juger infondées, les demandes du syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5] tendant à la cessation de l'activité de restauration au sein du lot n°7 de la copropriété [Adresse 5], la clause du règlement de copropriété invoquée devant être réputée irrégulière et non écrite ;
- juger, en toute hypothèse, que les demandes du syndicat des copropriétaires se heurtent à des contestations sérieuses que seul le juge du fond pourra trancher ;
- juger que le syndicat des copropriétaires ne rapporte pas, en outre, la preuve de l'existence d'un trouble manifestement illicite ou d'un dommage imminent qu'il conviendrait de faire cesser ;
- débouter, en conséquence, le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- dire n'y avoir lieu à référé ;
- condamner le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5] à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens d'appel ;
* à titre infiniment subsidiaire : pour le cas où, par extraordinaire, il serait fait droit aux demandes du syndicat des copropriétaires :
- condamner reconventionnellement Mme [T] à lui verser une provision de 100 000 euros à valoir sur l'indemnisation du préjudice qu'elle va subir du fait de l'impossibilité de poursuivre son activité commerciale et d'exploiter les lieux conformément à l'objet et à la destination prévue au bail ;
- condamner Mme [T] à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'instance.
A l'appui de ses prétentions, la société Saigon New soutient que :
- les demandes du syndicat des copropriétaires sont irrecevables et se heurtent à des contestations sérieuses dans la mesure où :
- le règlement de copropriété ne peut interdire, pour un seul local et sans motif particulier, l'exercice d'une activité déterminée alors que les autres locaux ont cette possibilité, ce qui est contraire au principe d'égalité entre copropriétaires de sorte que la clause est réputée non écrite ;
- l'action du syndicat des copropriétaires est prescrite, les faits datant de plus de 30 ans ;
- le syndicat des copropriétaires ne justifie d'aucune urgence ni d'un dommage imminent ou d'un trouble manifestement illicite ;
- s'il était fait droit aux demandes du syndicat des copropriétaires, elle devra cesser son activité immédiatement et définitivement, devra licencier son personnel et sera privée de toutes recette et revenus.
L'instruction de l'affaire a été close par ordonnance en date du 16 septembre 2025.
MOTIFS DE LA DECISION :
- Sur la suppression de la construction à usage de cellier édifiée sur les parties communes et la remise en état des lieux :
Aux termes de l'article 835 alinéa 1 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le trouble manifestement illicite visé par ce texte désigne toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit. Pour en apprécier la réalité, la cour d'appel, statuant en référé, doit se placer au jour où le premier juge a rendu sa décision et non au jour où elle statue.
Si l'existence de contestations sérieuses n'interdit pas au juge de prendre les mesures nécessaires pour faire cesser un dommage imminent ou un trouble manifestement illicite, il reste qu'une contestation réellement sérieuse sur l'existence même du trouble et sur son caractère manifestement illicite doit conduire le juge des référés à refuser de prescrire la mesure sollicitée
En vertu des dispositions de l'article 42 de la loi du 10 juillet 1965, les dispositions de l'article 2224 du code civil relatives au délai de prescription et à son point de départ sont applicables aux actions personnelles relatives à la copropriété entre copropriétaires ou entre un copropriétaire et le syndicat.
En application des dispositions de l'article 2227 du code civil, reprenant celles de l'ancien article 2262 du même code, les actions réelles immobilières se prescrivent par trente ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
A titre liminaire, il doit être rappelé qu'il n'entre pas dans les pouvoirs du juge des référés de déclarer une action ou des demandes prescrites et que la problématique de la prescription s'analyse, dans le cadre de l'instance en référé fondée sur le trouble manifestement illicite, sous l'angle de l'existence même du trouble et sur son caractère manifestement illicite.
En l'espèce, la construction d'un local à usage de cellier sur la cour arrière de l'immeuble en copropriété, partie commune à jouissance privative, sans autorisation de l'assemblée générale des copropriétaires, n'est nullement contestée.
Le syndicat des copropriétaires en sollicitant la démolition exerce une action réelle qui se prescrit par trente ans.
Or, Mme [T] produit aux débats les attestations de M. [Z] [L] et Mme [U] [N], qui ne font l'objet d'aucune inscription en faux, aux termes desquelles le cabanon à usage de cellier a été construit avant le 1er janvier 1990.
Suivant l'extrait de son titre de propriété, M. [L] est propriétaire de la parcelle [Cadastre 6] ayant une limite séparative avec celle de la copropriété, située précisément du côté de la construction litigieuse. Il atteste que M. [I] aux droits duquel vient Mme [T] a édifié le cabanon alors qu'il était exploitant du commerce entre 1978 et 1990.
Suivant l'extrait de l'avenant au bail commercial conclu avec M. [I], Mme [N] était la gérante de la société Cave [N] dont le siège social était situé au [Adresse 1], adresse de la copropriété. Elle atteste que le cabanon était déjà construit lorsqu'elle a débuté son exploitation au 1er janvier 1990.
Par ailleurs, il ressort du procès-verbal de constat dressé par commissaire de justice le 21 février 2025 à la demande de Mme [T] que le cellier a été construit à l'arrière de la copropriété, entre l'immeuble et la limite séparative du fonds voisin, qu'aucun portail n'empêche l'accès à cette zone, que l'immeuble comporte de nombreuses fenêtres donnant sur la cour arrière et que la construction est ainsi parfaitement visible depuis le trottoir et depuis les appartements disposant de fenêtres sur l'arrière de l'immeuble.
Le procès-verbal de constat produit par le syndicat des copropriétaires dressé le 30 novembre 2023 confirme la présence de nombreuses fenêtres et la visibilité du cellier depuis les appartements de la copropriété.
Si Mme [T] produit un courrier du syndicat des copropriétaires en date du 12 mai 2015 par lequel elle a été mise en demeure de procéder à la destruction du cellier, ce qui démontre qu'à cette date, celui-ci avait connaissance de l'existence de la construction, la visibilité du cabanon est telle qu'elle rend recevable la thèse d'une connaissance de l'existence du cellier dès sa construction.
S'il n'appartient pas au juge des référés de se prononcer sur la prescription d'une demande, les éléments laissant supposer qu'une prescription est susceptible d'être acquise doivent être pris en considération dans l'analyse de l'évidence du caractère illicite du trouble invoqué.
Force est de relever que les éléments produits aux débats par Mme [T] afférents à la prescription s'avèrent suffisants pour retenir que le caractère illicite de la construction du cellier sur une partie commune à jouissance exclusive ne relève pas de l'évidence et n'est donc pas manifeste.
Dès lors, il n'y a pas lieu à référé s'agissant de la demande présentée par le syndicat des copropriétaires tendant à voir condamner Mme [T], sous astreinte, à supprimer la construction édifiée sur les parties communes à usage de cellier et à remettre les parties communes dans leur état d'origine.
L'ordonnance déférée doit être infirmée en ce qu'elle a rejeté les fins de non-recevoir présentées par Mme [T] et par la société Saigon New relatives à l'action tendant à supprimer la construction édifiée sur les parties communes à usage de cellier et à remettre en état les parties communes dans leur état d'origine et condamné Mme [T] à payer au syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], représenté par son syndic en exercice la société Citya [Localité 4] Plage, la somme de 5 000 euros afin de remédier au trouble manifestement illicite causé par la construction du cellier sur les parties communes.
- Sur la cessation de l'activité de restauration dans le lot n°7 :
Aux termes de l'article 42 de la loi du 10 juillet 1965, dans sa version applicable à compter du 25 novembre 2018, les dispositions de l'article 2224 du code civil relatives au délai de prescription et à son point de départ sont applicables aux actions personnelles relatives à la copropriété entre copropriétaires ou entre un copropriétaire et le syndicat.
L'article 2224 du code civil dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Antérieurement au 25 novembre 2018, les actions personnelles relatives à la copropriété entre copropriétaires ou entre un copropriétaire et le syndicat se prescrivaient par dix ans.
En l'espèce, l'exercice d'une activité de restauration dans le lot n° 7 de la copropriété n'est nullement contestée dans les débats.
Suivant la page 28 du règlement de copropriété, les locaux du rez-de-chaussée peuvent être utilisés pour l'exercice d'un commerce. Il peut être exploité dans les lots n°4, 5 et 9 un commerce de bar, restaurant, salon de thé, glacier, boulangerie, pâtisserie et il ne peut être exercé dans les locaux commerciaux qu'un seul commerce de même nature, cette même nature étant tranchée par le syndic.
Le lot n° 7 ne figure donc pas dans la liste de ceux autorisés à exercer une activité de restaurant.
Si la clause est libellée clairement, Mme [T] souligne, à juste titre, que les lots n° 4 et 5 ne correspondent pas à des locaux commerciaux. Suivant le règlement de copropriété, ces deux lots correspondent à des caves situées au sous-sol où par définition, il ne peut être exercé une activité commerciale. Les lots définis comme étant des locaux à usage commercial dans le règlement de copropriété sont numérotés 6, 7, 8 et 9. Or, la clause figurant en page 28 ne vise que le lot n° 9, ce qui rend inutile la mention afférente à l'exercice d'un seul commerce de même nature.
Aussi, cette clause présente une ambiguïté manifeste.
Au surplus, le syndicat des copropriétaires sollicitant la cessation de l'activité de restaurant exerce une action personnelle qui se prescrit par cinq ans depuis le 25 novembre 2018 et précédemment, par dix ans.
Or, Mme [T] verse aux débats :
- l'avenant au bail commercial consenti à la société Cave [N] à effet du 1er janvier 1990, le bail autorisant l'exploitation d'un fonds de commerce de salon de thé, glacier, crêperie, vente à emporter, avec l'attestation précitée de Mme [N] ;
- le bail précaire du 30 juin 1997 consenti à M. [B] [G] qui exerçait une activité de snack, saladerie, crêperie, glaces et boissons à emporter ;
- le bail consenti à M. [G] le 1er avril 1999 ;
- le bail commercial consenti à la société BAPST du 2 janvier 2007 qui exerçait une activité de bar, snack, restaurant ;
- l'acte de cession de fonds de commerce du 16 juillet 2009 ;
- le bail dérogatoire consenti à M. [Y] du 13 juin 2013 qui exerçait une activité de snack, bar, restauration et activités diverses ;
- le bail dérogatoire consenti à M. [M] du 8 décembre 2014 qui exerçait une activité de snack, restauration, pizzeria sur place et à emporter ;
- le bail dérogatoire consenti à M. [A] du 23 octobre 2018 qui a exploité les locaux à usage de pizzeria, restaurant ;
- le bail commercial consenti à la société SAIGON NEW à effet du 27 février 2020 et dont la destination est celle de restaurant.
Ces pièces établissent que les locaux constituant le lot n°7 sont exploités à usage de restaurant depuis 1990.
Suivant le procès-verbal de l'assemblée générale des copropriétaires en date du 19 mai 2009, Mme [T] a été autorisée à procéder à l'installation, au niveau du local commercial n° 7 et le long de la façade arrière de l'immeuble, d'une gaine d'évacuation des fumées de cuisine. Une telle autorisation démontre que l'exercice de l'activité de restaurant dans le lot n° 7 était connu, depuis a minima cette date, des copropriétaires et subséquemment, du syndicat des copropriétaires.
Le trouble invoqué étant une violation du règlement de copropriété, le syndicat des copropriétaires soutient que la prescription n'a pas couru, l'infraction se renouvelant tous les jours. Cependant, une telle analyse ne saurait être retenue en ce qu'elle rend imprescriptible toute violation au règlement de copropriété et n'est pas conforme aux dispositions de l'article 2224 du code civil qui vise le jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer l'action.
En tout état de cause, comme indiqué précédemment, il n'appartient pas au juge des référés de se prononcer sur la prescription d'une demande et les éléments laissant supposer qu'une prescription est susceptible d'être acquise doivent être pris en considération dans l'analyse de l'évidence du caractère illicite du trouble invoqué.
Eu égard à ces éléments, le trouble invoqué par le syndicat des copropriétaires en lien avec la violation du règlement de copropriété n'est pas établi avec l'évidence requise en référé, la clause étant ambiguë et en tout état de cause, l'illicéité de l'exercice de l'activité de restaurant n'est pas manifeste en raison des éléments laissant supposer la prescription de la demande.
Dès lors, il n'y a pas lieu à référé s'agissant de la demande présentée par le syndicat des copropriétaires tendant à voir condamner in solidum Mme [T] et la société Saigon New, sous astreinte, à cesser l'exploitation de toute activité de restaurant dans le lot n°7.
L'ordonnance déférée doit donc être confirmé en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur ce chef de demande.
Par contre, elle doit être infirmée en ce qu'elle a déclaré le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], représenté par son syndic en exercice la société Citya [Localité 4] Plage, irrecevable en son action tendant à cesser l'exploitation de toute activité de restaurant dans le lot n°7, le juge des référés ne disposant pas de ce pouvoir.
- Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :
L'ordonnance déférée doit être confirmée en ce qu'elle a condamné le syndicat des copropriétaires aux dépens de l'instance et à payer à Mme [T] et à la société Saigon New la somme de 2 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le syndicat des copropriétaires, succombant à l'instance, doit être débouté de sa demande présentée sur le fondement de ce texte. Il serait en revanche inéquitable de laisser à la charge de Mme [T] et la société Saigon New les frais non compris dans les dépens, qu'elles ont exposés. Il leur sera donc alloué, à chacune, une somme de 2 000 euros en cause d'appel.
Le syndicat des copropriétaires supportera, en outre, les dépens de la procédure d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Infirme l'ordonnance déférée en ce qu'elle a :
- rejeté les fins de non-recevoir présentées par Mme [T] et la société Saigon New relatives à l'action tendant à supprimer la construction édifiée sur les parties communes à usage de cellier et à remettre en état les parties communes dans leur état d'origine ;
- condamné Mme [T] à payer au syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], représenté par son syndic en exercice la société Citya [Localité 4] Plage, la somme de 5 000 euros afin de remédier au trouble manifestement illicite causé par la construction du cellier sur les parties communes ;
- déclaré le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], représenté par son syndic en exercice la société Citya [Localité 4] Plage, irrecevable en son action tendant à faire cesser l'exploitation de toute activité de restaurant dans le lot n°7 ;
Confirme l'ordonnance déférée en toutes ses autres dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à référé s'agissant de la demande présentée par le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], représenté par son syndic en exercice la société Citya [Localité 4] Plage, tendant à voir condamner Mme [T], sous astreinte, à supprimer la construction édifiée sur les parties communes à usage de cellier et à remettre les parties communes dans leur état d'origine ;
Dit n'y avoir lieu à référé s'agissant de la demande présentée par le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], représenté par son syndic en exercice la société Citya [Localité 4] Plage, tendant à voir condamner in solidum Mme [T] et la société Saigon New, sous astreinte, à cesser l'exploitation de toute activité de restaurant dans le lot n°7 ;
Condamne le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], représenté par son syndic en exercice la société Citya [Localité 4] Plage, à payer à Mme [T] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], représenté par son syndic en exercice la société Citya [Localité 4] Plage, à payer à la société Saigon New la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], représenté par son syndic en exercice la société Citya [Localité 4] Plage, de sa demande présentée sur ce même fondement ;
Condamne le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], représenté par son syndic en exercice la société Citya [Localité 4] Plage, aux dépens d'appel.
La greffière Le président
Chambre 1-2
ARRÊT
DU 06 NOVEMBRE 2025
N° 2025/608
Rôle N° RG 24/14093 - N° Portalis DBVB-V-B7I-BN7YQ
[R] [T]
C/
Syndicat des copropriétaires DE LA RESIDENCE [Adresse 5]
S.A.S. SAIGON NEW
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Jean-Philippe FOURMEAUX
Me Isabelle FICI
Me Jean bernard GHRISTI
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance de référé rendue par le Président du TJ de DRAGUIGNAN en date du 23 Octobre 2024 enregistrée au répertoire général sous le n° 24/01386.
APPELANTE
Madame [R] [T]
née le 07 Février 1955 à [Localité 7]
demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Jean-Philippe FOURMEAUX de la SELARL CABINET FOURMEAUX-LAMBERT ASSOCIES, avocat au barreau de DRAGUIGNAN substitué par Me Jean-Baptiste FOURMEAUX de la SELARL CABINET FOURMEAUX-LAMBERT ASSOCIES, avocat au barreau de DRAGUIGNAN, plaidant
INTIMES
Syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5]
representé par son syndic en exercice la SARL CITYA FREJUS PLAGE,
dont le siège social est [Adresse 2]
représenté par Me Isabelle FICI de la SELARL CABINET LIBERAS-FICI & ASSOCIÉS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Magatte DIOP, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
assisté par Me Laura CUERVO de l'AARPI MASQUELIER-CUERVO, avocat au barreau de DRAGUIGNAN, plaidant
S.A.S. SAIGON NEW,
dont le siège social est [Adresse 1]
représentée par Me Jean-Bernard GHRISTI, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 30 Septembre 2025 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Séverine MOGILKA, Conseillère a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
M. Gilles PACAUD, Président
Mme Angélique NETO, Conseillère
Mme Séverine MOGILKA, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Caroline VAN-HULST.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 06 Novembre 2025.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 06 Novembre 2025,
Signé par M. Gilles PACAUD, Président et Mme Caroline VAN-HULST, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE :
Madame [R] [T] est propriétaire au sein de la résidence relevant du statut de la copropriété [Adresse 5] sise [Adresse 1], des lots n°2, 7, 8 et 9.
La société par actions simplifiée Saigon New loue auprès de madame [T] le lot n°7 correspondant à un local commercial.
Par acte de commissaire de justice en date du 8 février 2024, le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], représenté par son syndic en exercice la société Citya Fréjus Plage, a fait assigner Mme [T] et la société Saigon New, devant le président du tribunal judiciaire de Draguignan, statuant en référé, aux fins de voir condamner :
- la copropriétaire à supprimer la construction à usage de cellier avec remise en état d'origine réalisée sur les parties communes, sous astreinte ;
- la copropriétaire et sa locataire à cesser l'exploitation de toute activité de restaurant dans le lot n°7, sous astreinte.
Par ordonnance contradictoire en date du 23 octobre 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Draguignan a :
- rejeté les fins de non-recevoir présentées par Mme [T] et la société Saigon New relatives à l'action tendant à supprimer la construction édifiée sur les parties communes à usage de cellier et à remettre les parties communes dans leur état d'origine ;
- déclaré le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], représenté par son syndic en exercice la société Citya [Localité 4] Plage, recevable en son action de ce chef ;
- déclaré le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], représenté par son syndic en exercice la société Citya [Localité 4] Plage, irrecevable en son action tendant à faire cesser l'exploitation de toute activité de restaurant dans le lot n°7 ;
- dit n'y avoir lieu à référé de ce chef ;
- condamné Mme [T] à payer au syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], représenté par son syndic en exercice la société Citya [Localité 4] Plage, la somme de 5 000 euros afin de remédier au trouble manifestement illicite causé par la construction du cellier sur les parties communes ;
- condamné le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], représenté par son syndic en exercice la société Citya [Localité 4] Plage, aux dépens de l'instance ;
- condamné le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], représenté par son syndic en exercice la société Citya [Localité 4] Plage, à payer à Mme [T] et la société Saigon New, chacune, la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- rejeté le surplus des demandes.
Ce magistrat a, notamment, considéré que :
- l'action aux fins de démolition du cellier et de remise en état des parties communes était soumise à la prescription trentenaire ;
- Mme [T] ne démontrait pas que la prescription de l'action du syndicat était acquise à compter du 12 mai 2015, date à laquelle le syndicat requérant avait pu être en mesure d'agir ;
- l'action tendant à faire cesser l'activité de restauration était soumise à la prescription quinquennale ;
- le point de départ de cette prescription devait être la date à laquelle le syndicat requérant avait été en mesure d'agir, et ainsi de sa connaissance de l'activité illicite invoquée, qui pouvait être fixée au 19 mai 2009, date d'un procès-verbal d'assemblée générale, de sorte que l'action du syndicat des copropriétaires était prescrite ;
- le cellier ayant été construit sur une partie commune à jouissance exclusive sans autorisation du syndicat des copropriétaires, un trouble manifestement illicite était caractérisé ;
- eu égard au fait que le syndicat requérant avait attendu 9 années avant d'agir en justice, que Mme [T] n'était pas l'auteur de la construction et qu'il ne pouvait être prétendu tout à la fois une atteinte à l'harmonie de l'immeuble et l'absence de visibilité de la construction, les mesures de démolition et de remise en état de la partie commune apparaissaient disproportionnées et une condamnation pécuniaire était suffisante pour remédier au trouble manifestement illicite.
Par déclaration transmise le 22 novembre 2024, Mme [T] a interjeté appel de la décision, l'appel visant à la critiquer en ce qu'elle a :
- rejeté les fins de non-recevoir présentées par elle-même et la société Saigon New relatives à l'action tendant à supprimer la construction édifiée sur les parties communes à usage de cellier et à remettre les parties communes dans leur état d'origine ;
- déclaré le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], représenté par son syndic en exercice la société Citya [Localité 4] Plage, recevable en son action de ce chef ;
- condamné Mme [T] à payer au syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], représenté par son syndic en exercice la société Citya [Localité 4] Plage, la somme de 5 000 euros afin de remédier au trouble manifestement illicite causé par la construction du cellier sur les parties communes ;
- rejeté le surplus des demandes.
Par déclaration transmise le 27 novembre 2024, le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5] a interjeté appel de cette décision, l'appel visant à la critiquer en ce qu'elle :
- l'a déclaré irrecevable en son action tendant à faire cesser l'exploitation de toute activité de restaurant dans le lot n°7 ;
- a dit n'y avoir lieu à référé de ce chef ;
- a rejeté le surplus des demandes ;
- l' a condamné aux dépens de l'instance ;
- l'a condamné à payer à Mme [T] et la société Saigon New, chacune, la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance en date du 6 décembre 2024, les deux instances ont été jointes sous le n° 24/14093.
Par conclusions transmises le 19 mars 2025, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Mme [T] demande à la cour de :
- réformer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a :
- rejeté les fins de non-recevoir présentées par Mme [T] et la société Saigon New relatives à l'action tendant à supprimer la construction édifiée sur les parties communes à usage de cellier, et à remettre en état les parties communes dans leur état d'origine et déclaré le syndicat des copropriétaires de la Résidence [Adresse 5], représenté par son syndic en exercice la société Citya [Localité 4] Plage, recevable en son action de chef ;
- condamné Mme [T] à payer au syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], représentée par son syndic en exercice, la somme de 5 000 euros afin de remédier au trouble manifestement illicite causé par la construction du cellier sur les parties communes ;
- confirmer l'ordonnance de référé pour le surplus ;
Statuant à nouveau,
- déclarer irrecevables les demandes du syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], celles-ci étant prescrites, qu'il s'agisse tant de la demande de démolition du cellier édifié à l'arrière du lot n°7 que de la demande tendant à la cessation de l'activité de restauration au sein du lot n°7 de la copropriété [Adresse 5] ;
- déclarer en toute hypothèse l'obligation de Mme [T] sérieusement contestable, le syndicat des copropriétaires ne rapportant pas, en outre, la preuve de l'existence d'un trouble manifestement illicite ou d'un dommage imminent qu'il conviendrait de faire cesser ;
- débouter, par conséquent, le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], de l'ensemble de ses demandes ;
- débouter la société Saigon New de ses demandes reconventionnelles ;
- condamner le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5] à payer à Mme [T] la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, outre les entiers frais et dépens.
Au soutien de ses prétentions, Mme [T] expose, notamment, que :
- la demande de suppression de la construction prétendument illicite est irrecevable en raison de la prescription
- le cellier a été construit entre 1978 et 1990 ;
- le syndicat des copropriétaires ne démontre pas avoir eu connaissance de cette construction depuis moins de 30 ans avant son action ;
- la construction située à l'arrière de l'immeuble est parfaitement visible ;
- la demande de cessation d'activité est aussi irrecevable en raison de la prescription ;
- les locaux sont exploités à usage de restaurant depuis plus de 5 ans, a minima depuis 1990 ;
- s'agissant d'une infraction au règlement de copropriété, le délai de prescription court à compter de la commission de la première infraction ou dès sa connaissance par le titulaire de l'action ;
- en toute hypothèse, la demande de cessation d'activité se heurte à l'illicéité de la stipulation du règlement de copropriété qui ne peut comporter une clause de non-concurrence ;
- le règlement de copropriété est manifestement affecté d'une erreur matérielle en ce qu'il prévoit l'exercice d'une activité commerciale dans des locaux non commerciaux et a omis le lot n°7 dans la liste des locaux dans lesquels une activité commerciale est autorisée ;
- l'assemblée générale des copropriétaires l'a autorisé à équiper le local d'une gaine d'évacuation des fumées de cuisine de sorte qu'elle a autorisé l'activité dans les locaux ;
- la demande de provision présentée par la société Saigon New ne relève pas des pouvoirs du juge des référés en ce que l'action du syndicat des copropriétaires est irrecevable et mal fondée et que le quantum de la provision est sans rapport avec la valeur du fonds de commerce.
Par conclusions transmises le 12 mars 2025, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], représenté par son syndic en exercice la société Citya [Localité 4] Plage, demande à la cour de :
- infirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a :
- déclaré le syndicat des copropriétaires irrecevable en son action tendant à faire cesser l'exploitation de toute activité de restaurant dans le lot n° 7 ;
- dit n'y avoir lieu à référé de ce chef ;
- rejeté la demande formulée par le syndicat des copropriétaires visant à voir condamner Mme [T], sous astreinte de 300 euros par jour de retard au-delà d'un délai d'un mois à compter de la signification de la décision à intervenir, à supprimer la construction réalisée sur les parties communes à usage de cellier et à rétablir ces dernières dans leur état d'origine ;
- rejeté la demande formulée par le syndicat des copropriétaires visant à voir condamner in solidum Mme [T] et la société Saigon New à payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens ;
- condamné le syndicat des copropriétaires aux dépens de l'instance ;
- condamné le syndicat des copropriétaires à payer à Mme [T] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné le syndicat des copropriétaires à payer à la société Saigon New la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau,
- condamner Mme [T], sous astreinte de 300 euros par jour de retard passé le délai d'un mois à compter de la signification de la décision à intervenir, à supprimer la construction édifiée sur les parties communes à usage de cellier et à remettre les parties communes dans leur état d'origine ;
- condamner in solidum Mme [T] et la société Saigon New, sous astreinte de 300 euros par jour de retard passé le délai de deux mois à compter de la signification de la décision à intervenir, à cesser l'exploitation de toute activité de restaurant dans le lot n°7 ;
- débouter Mme [T] et la société Saigon New de toutes leurs demandes ;
- à titre subsidiaire concernant la construction illicite sur les parties communes : condamner Mme [T] au paiement d'une provision de 10 000 euros en réparation du trouble illicite subi ;
- en tout état de cause : condamner in solidum Mme [T] et la société Saigon New au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance et la même somme au titre de la procédure d'appel, outre les entiers dépens en ce compris le coût du constat d'huissier de justice.
A l'appui de ses demandes, le syndicat des copropriétaires fait, notamment, valoir que :
- un local à usage de cellier a été construit sans autorisation sur la partie commune à jouissance exclusive dont bénéficie Mme [T] ;
- cet ouvrage porte atteinte à l'aspect extérieur de l'immeuble ;
- cette situation crée un risque d'insécurité eu égard aux appareils électroménagers abrités dans le cellier alors que rien n'établit le respect des normes électrique, d'isolation et de sécurité incendie ;
- malgré plusieurs mises en demeure, Mme [T] n'a pas procédé à la suppression de la construction illicite ;
- s'il a agi après plusieurs années, il n'a pas pour autant acquiescé à cette construction ;
- la demande de démolition n'est pas disproportionnée compte tenu du trouble manifestement illicite ;
- son action n'est pas prescrite, les attestations et photographies produites par Mme [T] étant insuffisantes à établir l'existence de la construction depuis plus de 30 ans ;
- Mme [T] ne démontre pas que le syndicat des copropriétaires avait connaissance de l'existence de la construction depuis plus de 30 ans ;
- un restaurant est exploité dans le lot n°7 appartenant à Mme [T] en violation du règlement de copropriété qui autorise l'exercice d'une telle activité uniquement dans les lots n°4 et 9 ;
- son action de ce chef n'est pas prescrite s'agissant d'une violation continue du règlement de copropriété pour laquelle le point de départ du délai de prescription est reporté chaque jour tant que la situation perdure ;
- la clause du règlement de copropriété est licite ;
- cette clause a été rédigée dans le but de diversifier l'offre commerciale du bâtiment dans l'intérêt de l'ensemble des copropriétaires ;
- le règlement de copropriété ne comporte pas d'erreur matérielle, la clause visant à permettre l'exercice de cette activité dans un seul lot.
Par conclusions transmises le 28 janvier 2025, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la société Saigon New demande à la cour de :
* à titre principal :
- réformer l'ordonnance déférée en ce qu'elle déclaré l'action du syndicat des copropriétaires tendant à supprimer la construction édifiée sur les parties communes à usage de cellier, recevable et non prescrite ;
- juger irrecevables, les demandes du syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], celles-ci étant prescrites, qu'il s'agisse de la demande de démolition du cellier édifié à l'arrière du lot n°7 que de la demande tendant à la cessation de l'activité de restauration au sein du lot n°7 de la copropriété [Adresse 5] ;
- confirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a déclaré le syndicat des copropriétaires, irrecevable en son action tendant à faire cesser l'exploitation de toute activité de restaurant dans le lot n° 7 et dit n'y avoir lieu à référé de ce chef ;
- confirmer l'ordonnance déféré en ce qu'elle a condamné le syndicat des copropriétaires [Adresse 5] à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;
- juger infondées, les demandes du syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5] tendant à la cessation de l'activité de restauration au sein du lot n°7 de la copropriété [Adresse 5], la clause du règlement de copropriété invoquée devant être réputée irrégulière et non écrite ;
- juger, en toute hypothèse, que les demandes du syndicat des copropriétaires se heurtent à des contestations sérieuses que seul le juge du fond pourra trancher ;
- juger que le syndicat des copropriétaires ne rapporte pas, en outre, la preuve de l'existence d'un trouble manifestement illicite ou d'un dommage imminent qu'il conviendrait de faire cesser ;
- débouter, en conséquence, le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- dire n'y avoir lieu à référé ;
- condamner le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5] à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens d'appel ;
* à titre infiniment subsidiaire : pour le cas où, par extraordinaire, il serait fait droit aux demandes du syndicat des copropriétaires :
- condamner reconventionnellement Mme [T] à lui verser une provision de 100 000 euros à valoir sur l'indemnisation du préjudice qu'elle va subir du fait de l'impossibilité de poursuivre son activité commerciale et d'exploiter les lieux conformément à l'objet et à la destination prévue au bail ;
- condamner Mme [T] à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'instance.
A l'appui de ses prétentions, la société Saigon New soutient que :
- les demandes du syndicat des copropriétaires sont irrecevables et se heurtent à des contestations sérieuses dans la mesure où :
- le règlement de copropriété ne peut interdire, pour un seul local et sans motif particulier, l'exercice d'une activité déterminée alors que les autres locaux ont cette possibilité, ce qui est contraire au principe d'égalité entre copropriétaires de sorte que la clause est réputée non écrite ;
- l'action du syndicat des copropriétaires est prescrite, les faits datant de plus de 30 ans ;
- le syndicat des copropriétaires ne justifie d'aucune urgence ni d'un dommage imminent ou d'un trouble manifestement illicite ;
- s'il était fait droit aux demandes du syndicat des copropriétaires, elle devra cesser son activité immédiatement et définitivement, devra licencier son personnel et sera privée de toutes recette et revenus.
L'instruction de l'affaire a été close par ordonnance en date du 16 septembre 2025.
MOTIFS DE LA DECISION :
- Sur la suppression de la construction à usage de cellier édifiée sur les parties communes et la remise en état des lieux :
Aux termes de l'article 835 alinéa 1 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le trouble manifestement illicite visé par ce texte désigne toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit. Pour en apprécier la réalité, la cour d'appel, statuant en référé, doit se placer au jour où le premier juge a rendu sa décision et non au jour où elle statue.
Si l'existence de contestations sérieuses n'interdit pas au juge de prendre les mesures nécessaires pour faire cesser un dommage imminent ou un trouble manifestement illicite, il reste qu'une contestation réellement sérieuse sur l'existence même du trouble et sur son caractère manifestement illicite doit conduire le juge des référés à refuser de prescrire la mesure sollicitée
En vertu des dispositions de l'article 42 de la loi du 10 juillet 1965, les dispositions de l'article 2224 du code civil relatives au délai de prescription et à son point de départ sont applicables aux actions personnelles relatives à la copropriété entre copropriétaires ou entre un copropriétaire et le syndicat.
En application des dispositions de l'article 2227 du code civil, reprenant celles de l'ancien article 2262 du même code, les actions réelles immobilières se prescrivent par trente ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
A titre liminaire, il doit être rappelé qu'il n'entre pas dans les pouvoirs du juge des référés de déclarer une action ou des demandes prescrites et que la problématique de la prescription s'analyse, dans le cadre de l'instance en référé fondée sur le trouble manifestement illicite, sous l'angle de l'existence même du trouble et sur son caractère manifestement illicite.
En l'espèce, la construction d'un local à usage de cellier sur la cour arrière de l'immeuble en copropriété, partie commune à jouissance privative, sans autorisation de l'assemblée générale des copropriétaires, n'est nullement contestée.
Le syndicat des copropriétaires en sollicitant la démolition exerce une action réelle qui se prescrit par trente ans.
Or, Mme [T] produit aux débats les attestations de M. [Z] [L] et Mme [U] [N], qui ne font l'objet d'aucune inscription en faux, aux termes desquelles le cabanon à usage de cellier a été construit avant le 1er janvier 1990.
Suivant l'extrait de son titre de propriété, M. [L] est propriétaire de la parcelle [Cadastre 6] ayant une limite séparative avec celle de la copropriété, située précisément du côté de la construction litigieuse. Il atteste que M. [I] aux droits duquel vient Mme [T] a édifié le cabanon alors qu'il était exploitant du commerce entre 1978 et 1990.
Suivant l'extrait de l'avenant au bail commercial conclu avec M. [I], Mme [N] était la gérante de la société Cave [N] dont le siège social était situé au [Adresse 1], adresse de la copropriété. Elle atteste que le cabanon était déjà construit lorsqu'elle a débuté son exploitation au 1er janvier 1990.
Par ailleurs, il ressort du procès-verbal de constat dressé par commissaire de justice le 21 février 2025 à la demande de Mme [T] que le cellier a été construit à l'arrière de la copropriété, entre l'immeuble et la limite séparative du fonds voisin, qu'aucun portail n'empêche l'accès à cette zone, que l'immeuble comporte de nombreuses fenêtres donnant sur la cour arrière et que la construction est ainsi parfaitement visible depuis le trottoir et depuis les appartements disposant de fenêtres sur l'arrière de l'immeuble.
Le procès-verbal de constat produit par le syndicat des copropriétaires dressé le 30 novembre 2023 confirme la présence de nombreuses fenêtres et la visibilité du cellier depuis les appartements de la copropriété.
Si Mme [T] produit un courrier du syndicat des copropriétaires en date du 12 mai 2015 par lequel elle a été mise en demeure de procéder à la destruction du cellier, ce qui démontre qu'à cette date, celui-ci avait connaissance de l'existence de la construction, la visibilité du cabanon est telle qu'elle rend recevable la thèse d'une connaissance de l'existence du cellier dès sa construction.
S'il n'appartient pas au juge des référés de se prononcer sur la prescription d'une demande, les éléments laissant supposer qu'une prescription est susceptible d'être acquise doivent être pris en considération dans l'analyse de l'évidence du caractère illicite du trouble invoqué.
Force est de relever que les éléments produits aux débats par Mme [T] afférents à la prescription s'avèrent suffisants pour retenir que le caractère illicite de la construction du cellier sur une partie commune à jouissance exclusive ne relève pas de l'évidence et n'est donc pas manifeste.
Dès lors, il n'y a pas lieu à référé s'agissant de la demande présentée par le syndicat des copropriétaires tendant à voir condamner Mme [T], sous astreinte, à supprimer la construction édifiée sur les parties communes à usage de cellier et à remettre les parties communes dans leur état d'origine.
L'ordonnance déférée doit être infirmée en ce qu'elle a rejeté les fins de non-recevoir présentées par Mme [T] et par la société Saigon New relatives à l'action tendant à supprimer la construction édifiée sur les parties communes à usage de cellier et à remettre en état les parties communes dans leur état d'origine et condamné Mme [T] à payer au syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], représenté par son syndic en exercice la société Citya [Localité 4] Plage, la somme de 5 000 euros afin de remédier au trouble manifestement illicite causé par la construction du cellier sur les parties communes.
- Sur la cessation de l'activité de restauration dans le lot n°7 :
Aux termes de l'article 42 de la loi du 10 juillet 1965, dans sa version applicable à compter du 25 novembre 2018, les dispositions de l'article 2224 du code civil relatives au délai de prescription et à son point de départ sont applicables aux actions personnelles relatives à la copropriété entre copropriétaires ou entre un copropriétaire et le syndicat.
L'article 2224 du code civil dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Antérieurement au 25 novembre 2018, les actions personnelles relatives à la copropriété entre copropriétaires ou entre un copropriétaire et le syndicat se prescrivaient par dix ans.
En l'espèce, l'exercice d'une activité de restauration dans le lot n° 7 de la copropriété n'est nullement contestée dans les débats.
Suivant la page 28 du règlement de copropriété, les locaux du rez-de-chaussée peuvent être utilisés pour l'exercice d'un commerce. Il peut être exploité dans les lots n°4, 5 et 9 un commerce de bar, restaurant, salon de thé, glacier, boulangerie, pâtisserie et il ne peut être exercé dans les locaux commerciaux qu'un seul commerce de même nature, cette même nature étant tranchée par le syndic.
Le lot n° 7 ne figure donc pas dans la liste de ceux autorisés à exercer une activité de restaurant.
Si la clause est libellée clairement, Mme [T] souligne, à juste titre, que les lots n° 4 et 5 ne correspondent pas à des locaux commerciaux. Suivant le règlement de copropriété, ces deux lots correspondent à des caves situées au sous-sol où par définition, il ne peut être exercé une activité commerciale. Les lots définis comme étant des locaux à usage commercial dans le règlement de copropriété sont numérotés 6, 7, 8 et 9. Or, la clause figurant en page 28 ne vise que le lot n° 9, ce qui rend inutile la mention afférente à l'exercice d'un seul commerce de même nature.
Aussi, cette clause présente une ambiguïté manifeste.
Au surplus, le syndicat des copropriétaires sollicitant la cessation de l'activité de restaurant exerce une action personnelle qui se prescrit par cinq ans depuis le 25 novembre 2018 et précédemment, par dix ans.
Or, Mme [T] verse aux débats :
- l'avenant au bail commercial consenti à la société Cave [N] à effet du 1er janvier 1990, le bail autorisant l'exploitation d'un fonds de commerce de salon de thé, glacier, crêperie, vente à emporter, avec l'attestation précitée de Mme [N] ;
- le bail précaire du 30 juin 1997 consenti à M. [B] [G] qui exerçait une activité de snack, saladerie, crêperie, glaces et boissons à emporter ;
- le bail consenti à M. [G] le 1er avril 1999 ;
- le bail commercial consenti à la société BAPST du 2 janvier 2007 qui exerçait une activité de bar, snack, restaurant ;
- l'acte de cession de fonds de commerce du 16 juillet 2009 ;
- le bail dérogatoire consenti à M. [Y] du 13 juin 2013 qui exerçait une activité de snack, bar, restauration et activités diverses ;
- le bail dérogatoire consenti à M. [M] du 8 décembre 2014 qui exerçait une activité de snack, restauration, pizzeria sur place et à emporter ;
- le bail dérogatoire consenti à M. [A] du 23 octobre 2018 qui a exploité les locaux à usage de pizzeria, restaurant ;
- le bail commercial consenti à la société SAIGON NEW à effet du 27 février 2020 et dont la destination est celle de restaurant.
Ces pièces établissent que les locaux constituant le lot n°7 sont exploités à usage de restaurant depuis 1990.
Suivant le procès-verbal de l'assemblée générale des copropriétaires en date du 19 mai 2009, Mme [T] a été autorisée à procéder à l'installation, au niveau du local commercial n° 7 et le long de la façade arrière de l'immeuble, d'une gaine d'évacuation des fumées de cuisine. Une telle autorisation démontre que l'exercice de l'activité de restaurant dans le lot n° 7 était connu, depuis a minima cette date, des copropriétaires et subséquemment, du syndicat des copropriétaires.
Le trouble invoqué étant une violation du règlement de copropriété, le syndicat des copropriétaires soutient que la prescription n'a pas couru, l'infraction se renouvelant tous les jours. Cependant, une telle analyse ne saurait être retenue en ce qu'elle rend imprescriptible toute violation au règlement de copropriété et n'est pas conforme aux dispositions de l'article 2224 du code civil qui vise le jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer l'action.
En tout état de cause, comme indiqué précédemment, il n'appartient pas au juge des référés de se prononcer sur la prescription d'une demande et les éléments laissant supposer qu'une prescription est susceptible d'être acquise doivent être pris en considération dans l'analyse de l'évidence du caractère illicite du trouble invoqué.
Eu égard à ces éléments, le trouble invoqué par le syndicat des copropriétaires en lien avec la violation du règlement de copropriété n'est pas établi avec l'évidence requise en référé, la clause étant ambiguë et en tout état de cause, l'illicéité de l'exercice de l'activité de restaurant n'est pas manifeste en raison des éléments laissant supposer la prescription de la demande.
Dès lors, il n'y a pas lieu à référé s'agissant de la demande présentée par le syndicat des copropriétaires tendant à voir condamner in solidum Mme [T] et la société Saigon New, sous astreinte, à cesser l'exploitation de toute activité de restaurant dans le lot n°7.
L'ordonnance déférée doit donc être confirmé en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur ce chef de demande.
Par contre, elle doit être infirmée en ce qu'elle a déclaré le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], représenté par son syndic en exercice la société Citya [Localité 4] Plage, irrecevable en son action tendant à cesser l'exploitation de toute activité de restaurant dans le lot n°7, le juge des référés ne disposant pas de ce pouvoir.
- Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :
L'ordonnance déférée doit être confirmée en ce qu'elle a condamné le syndicat des copropriétaires aux dépens de l'instance et à payer à Mme [T] et à la société Saigon New la somme de 2 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le syndicat des copropriétaires, succombant à l'instance, doit être débouté de sa demande présentée sur le fondement de ce texte. Il serait en revanche inéquitable de laisser à la charge de Mme [T] et la société Saigon New les frais non compris dans les dépens, qu'elles ont exposés. Il leur sera donc alloué, à chacune, une somme de 2 000 euros en cause d'appel.
Le syndicat des copropriétaires supportera, en outre, les dépens de la procédure d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Infirme l'ordonnance déférée en ce qu'elle a :
- rejeté les fins de non-recevoir présentées par Mme [T] et la société Saigon New relatives à l'action tendant à supprimer la construction édifiée sur les parties communes à usage de cellier et à remettre en état les parties communes dans leur état d'origine ;
- condamné Mme [T] à payer au syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], représenté par son syndic en exercice la société Citya [Localité 4] Plage, la somme de 5 000 euros afin de remédier au trouble manifestement illicite causé par la construction du cellier sur les parties communes ;
- déclaré le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], représenté par son syndic en exercice la société Citya [Localité 4] Plage, irrecevable en son action tendant à faire cesser l'exploitation de toute activité de restaurant dans le lot n°7 ;
Confirme l'ordonnance déférée en toutes ses autres dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à référé s'agissant de la demande présentée par le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], représenté par son syndic en exercice la société Citya [Localité 4] Plage, tendant à voir condamner Mme [T], sous astreinte, à supprimer la construction édifiée sur les parties communes à usage de cellier et à remettre les parties communes dans leur état d'origine ;
Dit n'y avoir lieu à référé s'agissant de la demande présentée par le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], représenté par son syndic en exercice la société Citya [Localité 4] Plage, tendant à voir condamner in solidum Mme [T] et la société Saigon New, sous astreinte, à cesser l'exploitation de toute activité de restaurant dans le lot n°7 ;
Condamne le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], représenté par son syndic en exercice la société Citya [Localité 4] Plage, à payer à Mme [T] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], représenté par son syndic en exercice la société Citya [Localité 4] Plage, à payer à la société Saigon New la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], représenté par son syndic en exercice la société Citya [Localité 4] Plage, de sa demande présentée sur ce même fondement ;
Condamne le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], représenté par son syndic en exercice la société Citya [Localité 4] Plage, aux dépens d'appel.
La greffière Le président