CA Limoges, ch. soc., 6 novembre 2025, n° 24/00821
LIMOGES
Arrêt
Autre
ARRET N° .
N° RG 24/00821 - N° Portalis DBV6-V-B7I-BIUA4
AFFAIRE :
M. [B] [M], M. [V] [M]
C/
S.A. CREDIT AGRICOLE CENTRE FRANCE RE FRANCE
OJLG
Cautionnement - Demande en paiement formée contre la caution seule
Grosse délivrée à Me Mélanie COUSIN, Me Aurélie PINARDON, le 06-11-25.
COUR D'APPEL DE LIMOGES
CHAMBRE ECONOMIQUE ET SOCIALE
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ARRÊT DU 06 NOVEMBRE 2025
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Le six Novembre deux mille vingt cinq la Chambre économique et sociale de la cour d'appel de LIMOGES a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à disposition du public au greffe :
ENTRE :
Monsieur [B] [M], demeurant [Adresse 4]
représenté par Me Mélanie COUSIN de la SELAS GOUT DIAS AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de TULLE
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 87085-2024-011559 du 11/12/2024 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Limoges)
Monsieur [V] [M], demeurant [Adresse 4]
représenté par Me Mélanie COUSIN de la SELAS GOUT DIAS AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de TULLE
APPELANTS d'une décision rendue le 25 OCTOBRE 2024 par le TRIBUNAL DE COMMERCE DE BRIVE LA GAILLARDE
ET :
S.A. CREDIT AGRICOLE CENTRE FRANCE RE FRANCE, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Aurélie PINARDON de la SELARL ACCENSE PROCEDURES, avocat au barreau de BRIVE
INTIMEE
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Suivant avis de fixation du Président de chambre chargé de la mise en état, l'affaire a été fixée à l'audience du 22 Septembre 2025. L'ordonnance de clôture a été rendue le 17 septembre 2025.
Conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile, Madame Géraldine VOISIN, Conseiller, magistrat rapporteur, assistée de Mme Sophie MAILLANT, Greffier, a tenu seule l'audience au cours de laquelle elle a été entendue en son rapport oral.
Les avocats sont intervenus au soutien des intérêts de leurs clients et ont donné leur accord à l'adoption de cette procédure.
Après quoi, Madame Géraldine VOISIN, Conseiller, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 06 Novembre 2025 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.
Au cours de ce délibéré, Madame Géraldine VOISIN, Conseiller, a rendu compte à la Cour, composée de Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Présidente de chambre, de Madame Johanne PERRIER, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, et d'elle même. A l'issue de leur délibéré commun, à la date fixée, l'arrêt dont la teneur suit a été mis à disposition au greffe.
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LA COUR
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FAITS ET PROCÉDURE :
La société Loft Conversion, immatriculée en 2019 au RCS de Brive, exerce une activité de commerce de détail de biens d'occasion.
Elle était co-gérée par M. [B] [M], et par M. [V] [M], fils de M. [B] [M].
Par contrat de prêt du 13 novembre 2019, la société Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Centre France (ci-après le Crédit Agricole) a consenti à la société Loft Conversion un prêt n° 00002836120 d'un montant de 68.000 € sur une durée de 84 mois au taux annuel de 0,60 %, pour des échéances mensuelles de 835,10 € .
La société Loft Conversion a bénéficié à titre de garanties :
d'une caution de la société France Active Garantie, à hauteur de 65% de l'emprunt bancaire souscrit, suite à une décision notifiée à M. [V] [M] le 21 octobre 2019, ainsi qu'au Crédit Agricole le 09 décembre 2019,
du cautionnement solidaire de Messieurs [B] et [V] [M], chacun à hauteur de 22.100 € et pour une durée de 144 mois.
Le 13 novembre 2019, Messieurs [B] et [V] [M] ont chacun signé une fiche de renseignements, comportant :
pour M. [V] [M], un revenu disponible annuel de 11.100 € (soit 16800 € de revenus prévisionnels et 5.700 € d'annuités de crédit immobilier), ainsi qu'un patrimoine d'une valeur nette de 23.321 €, correspondant à la valeur de sa résidence principale située à [Localité 2] diminuée du montant restant dû au titre de son crédit immobilier (91.679 €),
pour M. [B] [M], un revenu disponible annuel de 17.720 € (soit 19.200 € de revenus prévisionnels, et 1.480 € d'annuités de crédit à la consommation).
Le 02 janvier 2020, la société Crédit Agricole a accordé un prêt n°00002836113 à la société Loft Conversion d'un montant de 20.000 euros remboursable en 67 échéances.
Le 20 mars 2020, la société Crédit Agricole a notifié le report de six échéances des prêts souscrits les 13 novembre 2019 et 02 janvier 2020.
Le 30 juin 2021, la société France Activ Limousin a cessé toute activité et fermé son établissement situé à [Localité 3].
Par jugement du 05 mai 2023, le tribunal de commerce de Brive a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Loft Conversion, convertie en liquidation judiciaire par jugement du 09 juin 2023.
La SCP BTSG2 a été désignée es qualité de liquidateur.
Par courrier du 15 mai 2023, la société Crédit Agricole a déclaré au passif de la procédure de redressement de la société Loft Conversion un montant échu de 443,45 € au titre du solde négatif du compte courant professionnel de la société, et d'un montant à échoir de 89.466,22 € composé de :
41.125,43 € au titre du solde du prêt n° 00002836120 objet des engagements de caution,
9.314,48 au titre du solde du prêt n° 00002836113 du 02 janvier 2020 ;
13.902,40 € au titre du solde d'un prêt garanti par l'état n°00003043707 souscrit le 20 avril 2020 ;
25.013,65 € au titre du solde d'un prêt garanti par l'état n°00003536506 souscrit le 30 avril 2021.
Par courriers séparés datés du 13 juin 2023, distribué le 17 juin 2023, la société Crédit Agricole a informé les consorts [M] de la déchéance du terme du prêt n° 00002836120, et les a mis en demeure de s'acquitter chacun de 22.100 € au titre de leurs engagements de caution, pour un solde dû par la société Loft Conversion de 40.654,17 €. .
Par exploit du 06 octobre 2023, la société Crédit Agricole a saisi le tribunal de commerce de Brive la Gaillarde afin de faire condamner Messieurs [B] et [V] [M] à lui verser chacun solidairement avec la société Loft Conversion un montant de 41.125,43 € au titre du prêt susvisé.
Par jugement du 25 octobre 2024, le tribunal de commerce de Brive la Gaillarde a :
Condamné solidairement avec la SARL LOFT CONVERSION [V] [M] à payer au Crédit Agricole la somme de 22.100 € assortie des intérêts aux taux contractuels à compter de la mise en demeure;
Condamné solidairement avec la SARL LOFT CONVERSION [B] [M] à payer au Crédit Agricole la somme de 22.100 € assortis des intérêts au taux contractuels à compter de la mise en demeure;
Condamné solidairement les consorts [M] au paiement de la somme de 600 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Condamné solidairement les consorts [M] aux entiers dépens dont frais de greffe liquidés à la somme de 89.66 €.
Par déclaration du 19 novembre 2024, Messieurs [B] et [V] [M] ont fait appel de ce jugement.
Par ordonnance du 18 juin 2025, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande de radiation présentée par la société Crédit Agricole.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de leurs dernières écritures du 23 juin 2025, Messieurs [B] et [V] [M] demandent à la cour de :
Juger recevable et bien-fondé l'appel interjeté par Messieurs [M] à l'encontre du jugement rendu le 25 octobre 2024 par le Tribunal de BRIVE ;
Réformer le jugement rendu le 25 octobre 2024 par le Tribunal de commerce de BRIVE en ce qu'il a :
Condamné solidairement avec la SARL LOFT CONVERSION [V] [M] à payer au Crédit Agricole la somme de 22.100 € assortie des intérêts aux taux contractuels à compter de la mise en demeure;
Condamné solidairement avec la SARL LOFT CONVERSION [B] [M] à payer au Crédit Agricole la somme de 22.100 € assortis des intérêts au taux contractuels à compter de la mise en demeure;
Condamné solidairement les consorts [M] au paiement de la somme de 600 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Condamné solidairement les consorts [M] aux entiers dépens dont frais de greffe liquidés à la somme de 89.66 €.
En conséquence, et statuant à nouveau,
Juger que les engagements de cautions souscrits par Monsieur [V] [M] et Monsieur [B] [M] sont manifestement disproportionnés au sens de l'article L 332-1 du Code de la consommation dans sa rédaction applicable au litige ;
Juger en conséquence que le CREDIT AGRICOLE ne peut pas se prévaloir des actes de cautionnement dont s'agit ;
Débouter en conséquence le CREDIT AGRICOLE de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions formées à l'encontre de Monsieur [V] [M] et de Monsieur [B] [M] ;
A tout le moins et dans l'hypothèse où les cautionnements étaient jugés proportionnés,
Juger que le CREDIT AGRICOLE a manqué à son obligation de conseil et de mise en garde à l'égard de Monsieur [V] [M] et de Monsieur [B] [M] en violation de ses obligations contractuelles ;
Juger que le préjudice subi par Monsieur [V] [M] et Monsieur [B] [M] consiste en une perte de chance pour ces derniers de ne pas souscrire à l'engagement en cause ;
Juger que le CREDIT AGRICOLE a manqué à son obligation de loyauté et d'information à l'égard de Messieurs [M] en ne les informant pas de l'impossibilité de recourir à la garantie de SA France ACTIVE GARANTIE en cas de défaillance du débiteur principal du fait de sa cessation d'activité ;
Juger que le préjudice subi par Messieurs [M] consiste de ce chef en une perte de chance de se voir garantis par la SA France ACTIVE GARANTIE du fait de la défaillance du débiteur principal la SARL LOFT CONVERSION ;
Condamner en conséquence le CREDIT AGRICOLE à verser à Monsieur [V] [M] et Monsieur [B] [M] la somme de 41.125, 43 € correspondant à la somme qui leur est réclamé ;
Juger après compensation la créance du CREDIT AGRICOLE à l'égard de Monsieur [V] [M] et de Monsieur [B] [M] éteinte ;
Débouter après compensation le CREDIT AGRICOLE de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions formées à l'encontre de Monsieur [V] [M] et de Monsieur [B] [M] ;
A titre subsidiaire,
Juger y avoir lieu à octroi des plus larges délais de paiement au bénéfice de Monsieur [V] [M] et Monsieur [B] [M] si par impossible ces derniers étaient condamnés à verser quelque somme que ce soit au CREDIT AGRICOLE ;
En tout état de cause,
Condamner le CREDIT AGRICOLE à verser à Messieurs [M], et à chacun, une somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre de la procédure de première instance, et une somme de ce chef de 2.500 €, à chacun, au titre de la procédure d'appel ;
Condamner le CREDIT AGRICOLE aux entiers dépens ;
Les consorts [M] soutiennent que la société Crédit Agricole a manqué à ses obligations en leur faisant souscrire des engagements de caution manifestement disproportionnés.
En effet, au jour de leurs engagements, ils ne disposaient d'autres revenus que les allocations chômage dont ils bénéficiaient.
Par ailleurs, leurs revenus prévisionnels annuels ne s'élevaient qu'à 16.800 euros pour M. [V] [M] et 19.200 euros pour M. [B] [M], soit moindres que leurs engagements de caution (76% pour M. [V] [M] et 89% Pour M. [B] [M]).
Leur taux d'endettement était ainsi élevé, de 59,65 % pour M. [V] [M] et 52,19 % pour [B] [M], tandis que le patrimoine immobilier de M. [V] [M] était d'une valeur nette faible, et le compte courant d'associé possédé par M. [B] [M], outre qu'il n'était que prévisionnel, était d'un montant inférieur à son engagement de caution.
La société Crédit Agricole aurait dû être alertée par la faiblesse du revenu fiscal de référence des cautions, et l'absence de toutes charges renseignées sur les fiches de renseignement.
En tout état de cause, la banque a manqué à son obligation de loyauté et d'information en ne les mettant pas en garde :
malgré leur caractère non averti et un risque d'endettement excessif ;
malgré l'inadaptation du concours financier aux capacités financières de la société Loft Conversion, qui ne disposait encore d'aucune activité ou trésorerie ;
ainsi qu'en ne les informant pas :
de la cessation d'activité ou restructuration de la SA France Active Limousin, qui s'était également portée caution à hauteur de 65 % de l'emprunt bancaire ;
de la nécessité en résultant de souscrire une garantie similaire auprès d'un organisme tiers.
Les consorts [M] soutiennent que s'ils avaient été correctement informés, ils auraient renoncé à leur engagement de caution, et demandent la condamnation de la banque à hauteur de la somme qui leur est réclamée, soit 41.125,43 euros.
A titre subsidiaire, ils demandent l'octroi de délais de paiement.
Aux termes de ses dernières écritures du 19 juin 2025, la société Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel du Centre demande à la cour de :
DEBOUTER M. [M] [V] et M. [M] [B] de leurs appel en tout point infondé ;
Par suite,
CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a fait droit à l'ensemble des demandes de la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE ;
Par conséquent :
CONDAMNER M. [M] [B], solidairement avec la Sté LOFT CONVERSION, au paiement, dans la limite de son engagement de caution, de la somme de 22 100 €, outre les intérêts au taux contractuel à compter de la mise en demeure en date du 13/06/1023,
CONDAMNER M. [M] [V], solidairement avec la Sté LOFT CONVERSION, au paiement, dans la limite de son engagement de caution, de la somme de 22 100 €, outre les intérêts au taux contractuel à compter de de la mise en demeure en date du 13/06/2023,
CONDAMNER M. [M] [B] et M. [M] [V], au paiement de la somme de 1 500 € au titre des dispositions de l'article 700 du CPC, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.
La société Crédit Agricole soutient que les engagements de caution pris par les consorts [M] n'étaient pas disproportionnés.
M. [V] [M] disposait d'un patrimoine immobilier d'une valeur nette de 23.321 euros, et M. [B] [M] faisait état d'un revenu net de 17.720 euros, outre un compte-courant d'associé à hauteur de 14.000 euros.
Les charges courantes des consorts [M] n'avaient pas à être prises en compte pour déterminer leur taux d'endettement, et ces derniers avaient pour seules charges exceptionnelles un crédit à la consommation pour M. [B] [M], et un crédit immobilier pour M. [V] [M].
La société Crédit Agricole soutient qu'elle n'était pas tenue à un devoir de mise en garde, les consorts [M] étant des cautions averties au vu de leur expérience professionnelle en gestion d'entreprise.
Le fait qu'un des gérants ait décidé de toucher le chômage en ne se rémunérant pas pour constituer la trésorerie de la société démontre leurs compétences sur le secteur d'activité projeté et dans la gestion des affaires.
En outre, les consorts [M] s'étaient entourés de nombreux professionnels.
En tout état de cause, il n'existait pas de risque d'endettement excessif des consorts [M].
La société Crédit Agricole conteste avoir manqué à son obligation de loyauté.
La garantie de France Active Limousin serait restée acquise malgré sa restructuration.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 17 septembre 2025.
MOTIFS DE LA DECISION:
Sur la disproportion:
L'article L 332-1 du code de la consommation, dans sa rédaction en vigueur du 1er juillet 2016 au 1er janvier 2022 et applicable en l'espèce, prévoit que le créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un cautionnement manifestement disproportionné :
Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
C'est sur la caution que pèse la charge d'établir cette éventuelle disproportion manifeste (Com, 22 janvier 2013, n°11-25.377).
La fiche de renseignements remplie par la caution lie cette dernière quant aux biens et revenus qu'elle y déclare, le créancier n'ayant pas, sauf anomalie apparente, à en vérifier l'exactitude.
Il ne doit toutefois pas être tenu compte, pour cette appréciation, des revenus attendus ou du succès escompté de l'opération principale.
Les parts sociales dont est titulaire la caution au sein de la société cautionnée font partie du patrimoine devant être pris en considération pour l'appréciation de ses capacités financières au jour de son engagement.
Ce n'est que lorsque le cautionnement est considéré comme manifestement disproportionné au moment de sa conclusion qu'il revient au créancier professionnel d'établir qu'au moment où il appelle la caution, le patrimoine de celle-ci lui permet à nouveau de faire face à son obligation.
M. [V] [M]:
M. [M] a souscrit le 13 novembre 2019 un engagement de caution à hauteur de 22.100 euros.
Le même jour, il avait rempli une fiche de renseignements dont il résultait une absence de revenus salariaux et des revenus prévisionnels liés à la création de l'entreprise pour laquelle le prêt cautionné était souscrit d'un montant annuel de 16.800 euros.
Il était précisé qu'il devait faire face à des remboursements de crédit immobilier de 5.700 euros.
Propriétaire d'un bien immobilier d'une valeur déclarée de 115.000 euros dont à déduire le capital restant dû du prêt immobilier pour 91.679 euros, son patrimoine net était évalué à 23.321 euros.
Ce patrimoine lui permettait ainsi, éventuellement, de faire face à l'engagement de caution qu'il souscrivait, lequel n'était donc pas manifestement disproportionné à ses revenus et à ses biens.
M. [B] [M]:
M. [B] [M] a souscrit le 13 novembre 2019 un engagement de caution à hauteur de 22.100 euros.
Le même jour, il a rempli une fiche de renseignement dont il résultait l'absence de tout patrimoine immobilier, l'absence de toute épargne mobilière.
Il était indiqué l'absence de revenus salariaux et des revenus prévisionnels liés à la création de l'entreprise pour laquelle le prêt cautionné était souscrit d'un montant annuel de 19.200 euros, sur lesquels devaient être prélevées les échéances d'un prêt à la consommation pour 1.480 euros annuels.
Le prévisionnel d'exploitation que les consorts [M] avaient fait réaliser et qu'ils avaient remis à la banque faisaient état d'un apport en capital de 6.000 euros et d'un apport en compte courant de 14.000 euros devant être versés par [B] [M] sans que la moindre pièce ne permette de savoir si cette éventualité s'est réalisée.
Il en résulte qu'à la date de souscription de son engagement, les revenus de M. [B] [M], qu'ils soient présents ou futurs, ne lui auraient pas permis de faire face à son engagement de caution, tandis qu'il était dénué de patrimoine.
La banque ne justifie pas qu'il ait été détenteur d'un patrimoine à la date à laquelle il a été appelé.
Par conséquent, son cautionnement était manifestement disproportionné à ses revenus et à ses biens et la banque ne peut s'en prévaloir.
Sur le manquement du Crédit Agricole à son devoir de mise en garde:
Seule la caution non avertie est créancière d'une obligation de mise en garde, laquelle consiste pour la banque à vérifier que son engagement était adapté à ses capacités financières personnelles ou qu'il existait un risque d'endettement né de l'octroi du prêt garanti en raison de son inadaptation aux capacités financières de l'emprunteur débiteur principal. (Com., 21 octobre 2021, n° 18-25.205).
M. [V] [M] s'est présenté, dans des documents qu'il a remis au Crédit Agricole, comme ayant dix années d'expérience dans le secteur de la vente de produits d'occasion, ayant été responsables de trois magasins de dépôt vente, ayant appris à manager une équipe, à la valoriser pour gagner en performance, à savoir gérer les stocks, les achats, faire des bons de calculs de prix, et à gérer le 'back off' et l'administratif de ce type de magasin. Il expliquait s'être vu proposer par son ancien employeur de racheter l'un de ses fonds de commerce mais qu'après réflexion avec son expert comptable, il avait refusé compte tenu de ses résultats et s'était dirigé vers le projet de créer son propre fonds.
Il en résulte que M. [V] [M], qui était à même d'évaluer la rentabilité ou l'absence de rentabilité future d'une entreprise, était une caution avertie envers laquelle aucun devoir de mise en garde n'était dû par le Crédit Agricole.
Pour sa part, M. [B] [M] s'était présenté comme ayant déjà été gérant de deux sociétés.
Il était donc une caution avertie et aucun devoir de conseil ne lui était dû.
Il en résulte l'absence de manquement du Crédit Agricole à son devoir de mise en garde.
Sur le manquement du Crédit Agricole à son obligation de loyauté:
Le contrat de prêt prévoyait que la SA France Active Garantie se portait caution de l'emprunteur principal à hauteur de 65% du capital emprunté.
Il prévoyait aussi qu'en cas de cautionnement multiples et partiels, les engagements souscrits étaient cumulatifs et non alternatifs et qu'ainsi le prêteur pouvait actionner chacune des cautions à hauteur de son engagement total tant que le prêt n'était pas totalement remboursé.
Les consorts [M] reprochent au Crédit Agricole de ne pas les avoir avertis de ce que la SA France Active Limousin avait cessé toute activité.
Toutefois, l'engagement de caution a été donné par la SA France Active Garantie, ce dont il résulte que la cessation d'activité de sa filiale limousine est sans incidence.
Le moyen n'est pas fondé et aucun manquement au devoir de loyauté n'est démontré.
Enfin, il doit être relevé que le montant de la créance du Crédit Agricole, régulièrement déclaré entre les mains du mandataire judiciaire, ne fait l'objet d'aucune contestation.
Consécutivement:
- le jugement est infirmé en ce qu'il a prononcé une condamnation contre M. [B] [M], la banque ne pouvant se prévaloir de son engagement de caution,
- le jugement est confirmé en ce qu'il a condamné M. [V] [M] à payer en sa qualité de caution solidaire de la SARL LOFT CONVERSION à payer au Crédit Agricole la somme de 22.100 € assortie des intérêts aux taux contractuels à compter de la mise en demeure, soit du 13 juin 2023.
Sur les délais de paiement:
M. [V] [M] travaille à l'heure actuelle en intérim pour un salaire annuel d'environ 18.000 euros , sur lequel il doit rembourser son prêt immobilier (480 euros par mois).
Il reste redevable de cotisations sociales.
Avant de créer son entreprise, il avait occupé des fonctions de responsable de magasin, et il est permis d'espérer qu'il retrouve un poste à responsabilités, avec un salaire augmenté.
Il est débiteur de bonne foi et malheureux et il lui est alloué un délai de 24 mois pour éteindre sa dette, dans des conditions qui seront précisées au dispositif de l'arrêt.
Sur les dépens et les frais irrépétibles:
M [V] [M] est condamné aux dépens de première instance et d'appel le concernant, tandis que les dépens relatifs à M. [B] [M] resteront à la charge du Crédit Agricole.
Les demandes formées sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile sont rejetées.
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PAR CES MOTIFS
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La Cour,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, par mise à disposition au greffe, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné M.[V] [M], en sa qualité de caution solidaire de la SARL LOFT CONVERSION, à payer au Crédit Agricole la somme de 22.100 € assortie des intérêts aux taux contractuels à compter du 13 juin 2023.
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté Messieurs [V] et [B] [M] de leurs demandes indemnitaires.
Infirme le jugement déféré en ce qu'il a:
- condamné solidairement avec la SARL LOFT CONVERSION [B] [M] à payer au Crédit Agricole la somme de 22.100 € assortis des intérêts au taux contractuel à compter de la mise en demeure,
- débouté M. [V] [M] de sa demande de délais de paiement,
- statué sur les frais irrépétibles et les dépens.
Statuant à nouveau:
Dit que la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Centre France ne peut se prévaloir de l'engagement de caution souscrit le 13 novembre 2019 par M. [B] [M].
Déboute la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Centre France de ses demandes contre M. [B] [M].
Dit que M. [V] [M] pourra s'acquitter de sa dette en 24 mensualités de 930 euros chacune, le 05 de chaque mois, la première mensualité intervenant le mois suivant la signification du présent arrêt, la dernière étant majorée du solde de la dette en principal, intérêts et frais.
Dit qu'à défaut de paiement à son échéance d'une seule des mensualités ainsi fixées, l'intégralité de la dette redeviendra immédiatement exigible.
Laisse à la charge de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Centre France les dépens relatifs à M. [B] [M].
Condamne M. [V] [M] au paiement des dépens de première instance et d'appel le concernant.
Rejette les demandes formées sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,
Sophie MAILLANT. Olivia JEORGER-LE GAC.
N° RG 24/00821 - N° Portalis DBV6-V-B7I-BIUA4
AFFAIRE :
M. [B] [M], M. [V] [M]
C/
S.A. CREDIT AGRICOLE CENTRE FRANCE RE FRANCE
OJLG
Cautionnement - Demande en paiement formée contre la caution seule
Grosse délivrée à Me Mélanie COUSIN, Me Aurélie PINARDON, le 06-11-25.
COUR D'APPEL DE LIMOGES
CHAMBRE ECONOMIQUE ET SOCIALE
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ARRÊT DU 06 NOVEMBRE 2025
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Le six Novembre deux mille vingt cinq la Chambre économique et sociale de la cour d'appel de LIMOGES a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à disposition du public au greffe :
ENTRE :
Monsieur [B] [M], demeurant [Adresse 4]
représenté par Me Mélanie COUSIN de la SELAS GOUT DIAS AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de TULLE
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 87085-2024-011559 du 11/12/2024 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Limoges)
Monsieur [V] [M], demeurant [Adresse 4]
représenté par Me Mélanie COUSIN de la SELAS GOUT DIAS AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de TULLE
APPELANTS d'une décision rendue le 25 OCTOBRE 2024 par le TRIBUNAL DE COMMERCE DE BRIVE LA GAILLARDE
ET :
S.A. CREDIT AGRICOLE CENTRE FRANCE RE FRANCE, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Aurélie PINARDON de la SELARL ACCENSE PROCEDURES, avocat au barreau de BRIVE
INTIMEE
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Suivant avis de fixation du Président de chambre chargé de la mise en état, l'affaire a été fixée à l'audience du 22 Septembre 2025. L'ordonnance de clôture a été rendue le 17 septembre 2025.
Conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile, Madame Géraldine VOISIN, Conseiller, magistrat rapporteur, assistée de Mme Sophie MAILLANT, Greffier, a tenu seule l'audience au cours de laquelle elle a été entendue en son rapport oral.
Les avocats sont intervenus au soutien des intérêts de leurs clients et ont donné leur accord à l'adoption de cette procédure.
Après quoi, Madame Géraldine VOISIN, Conseiller, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 06 Novembre 2025 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.
Au cours de ce délibéré, Madame Géraldine VOISIN, Conseiller, a rendu compte à la Cour, composée de Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Présidente de chambre, de Madame Johanne PERRIER, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, et d'elle même. A l'issue de leur délibéré commun, à la date fixée, l'arrêt dont la teneur suit a été mis à disposition au greffe.
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LA COUR
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FAITS ET PROCÉDURE :
La société Loft Conversion, immatriculée en 2019 au RCS de Brive, exerce une activité de commerce de détail de biens d'occasion.
Elle était co-gérée par M. [B] [M], et par M. [V] [M], fils de M. [B] [M].
Par contrat de prêt du 13 novembre 2019, la société Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Centre France (ci-après le Crédit Agricole) a consenti à la société Loft Conversion un prêt n° 00002836120 d'un montant de 68.000 € sur une durée de 84 mois au taux annuel de 0,60 %, pour des échéances mensuelles de 835,10 € .
La société Loft Conversion a bénéficié à titre de garanties :
d'une caution de la société France Active Garantie, à hauteur de 65% de l'emprunt bancaire souscrit, suite à une décision notifiée à M. [V] [M] le 21 octobre 2019, ainsi qu'au Crédit Agricole le 09 décembre 2019,
du cautionnement solidaire de Messieurs [B] et [V] [M], chacun à hauteur de 22.100 € et pour une durée de 144 mois.
Le 13 novembre 2019, Messieurs [B] et [V] [M] ont chacun signé une fiche de renseignements, comportant :
pour M. [V] [M], un revenu disponible annuel de 11.100 € (soit 16800 € de revenus prévisionnels et 5.700 € d'annuités de crédit immobilier), ainsi qu'un patrimoine d'une valeur nette de 23.321 €, correspondant à la valeur de sa résidence principale située à [Localité 2] diminuée du montant restant dû au titre de son crédit immobilier (91.679 €),
pour M. [B] [M], un revenu disponible annuel de 17.720 € (soit 19.200 € de revenus prévisionnels, et 1.480 € d'annuités de crédit à la consommation).
Le 02 janvier 2020, la société Crédit Agricole a accordé un prêt n°00002836113 à la société Loft Conversion d'un montant de 20.000 euros remboursable en 67 échéances.
Le 20 mars 2020, la société Crédit Agricole a notifié le report de six échéances des prêts souscrits les 13 novembre 2019 et 02 janvier 2020.
Le 30 juin 2021, la société France Activ Limousin a cessé toute activité et fermé son établissement situé à [Localité 3].
Par jugement du 05 mai 2023, le tribunal de commerce de Brive a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Loft Conversion, convertie en liquidation judiciaire par jugement du 09 juin 2023.
La SCP BTSG2 a été désignée es qualité de liquidateur.
Par courrier du 15 mai 2023, la société Crédit Agricole a déclaré au passif de la procédure de redressement de la société Loft Conversion un montant échu de 443,45 € au titre du solde négatif du compte courant professionnel de la société, et d'un montant à échoir de 89.466,22 € composé de :
41.125,43 € au titre du solde du prêt n° 00002836120 objet des engagements de caution,
9.314,48 au titre du solde du prêt n° 00002836113 du 02 janvier 2020 ;
13.902,40 € au titre du solde d'un prêt garanti par l'état n°00003043707 souscrit le 20 avril 2020 ;
25.013,65 € au titre du solde d'un prêt garanti par l'état n°00003536506 souscrit le 30 avril 2021.
Par courriers séparés datés du 13 juin 2023, distribué le 17 juin 2023, la société Crédit Agricole a informé les consorts [M] de la déchéance du terme du prêt n° 00002836120, et les a mis en demeure de s'acquitter chacun de 22.100 € au titre de leurs engagements de caution, pour un solde dû par la société Loft Conversion de 40.654,17 €. .
Par exploit du 06 octobre 2023, la société Crédit Agricole a saisi le tribunal de commerce de Brive la Gaillarde afin de faire condamner Messieurs [B] et [V] [M] à lui verser chacun solidairement avec la société Loft Conversion un montant de 41.125,43 € au titre du prêt susvisé.
Par jugement du 25 octobre 2024, le tribunal de commerce de Brive la Gaillarde a :
Condamné solidairement avec la SARL LOFT CONVERSION [V] [M] à payer au Crédit Agricole la somme de 22.100 € assortie des intérêts aux taux contractuels à compter de la mise en demeure;
Condamné solidairement avec la SARL LOFT CONVERSION [B] [M] à payer au Crédit Agricole la somme de 22.100 € assortis des intérêts au taux contractuels à compter de la mise en demeure;
Condamné solidairement les consorts [M] au paiement de la somme de 600 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Condamné solidairement les consorts [M] aux entiers dépens dont frais de greffe liquidés à la somme de 89.66 €.
Par déclaration du 19 novembre 2024, Messieurs [B] et [V] [M] ont fait appel de ce jugement.
Par ordonnance du 18 juin 2025, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande de radiation présentée par la société Crédit Agricole.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de leurs dernières écritures du 23 juin 2025, Messieurs [B] et [V] [M] demandent à la cour de :
Juger recevable et bien-fondé l'appel interjeté par Messieurs [M] à l'encontre du jugement rendu le 25 octobre 2024 par le Tribunal de BRIVE ;
Réformer le jugement rendu le 25 octobre 2024 par le Tribunal de commerce de BRIVE en ce qu'il a :
Condamné solidairement avec la SARL LOFT CONVERSION [V] [M] à payer au Crédit Agricole la somme de 22.100 € assortie des intérêts aux taux contractuels à compter de la mise en demeure;
Condamné solidairement avec la SARL LOFT CONVERSION [B] [M] à payer au Crédit Agricole la somme de 22.100 € assortis des intérêts au taux contractuels à compter de la mise en demeure;
Condamné solidairement les consorts [M] au paiement de la somme de 600 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Condamné solidairement les consorts [M] aux entiers dépens dont frais de greffe liquidés à la somme de 89.66 €.
En conséquence, et statuant à nouveau,
Juger que les engagements de cautions souscrits par Monsieur [V] [M] et Monsieur [B] [M] sont manifestement disproportionnés au sens de l'article L 332-1 du Code de la consommation dans sa rédaction applicable au litige ;
Juger en conséquence que le CREDIT AGRICOLE ne peut pas se prévaloir des actes de cautionnement dont s'agit ;
Débouter en conséquence le CREDIT AGRICOLE de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions formées à l'encontre de Monsieur [V] [M] et de Monsieur [B] [M] ;
A tout le moins et dans l'hypothèse où les cautionnements étaient jugés proportionnés,
Juger que le CREDIT AGRICOLE a manqué à son obligation de conseil et de mise en garde à l'égard de Monsieur [V] [M] et de Monsieur [B] [M] en violation de ses obligations contractuelles ;
Juger que le préjudice subi par Monsieur [V] [M] et Monsieur [B] [M] consiste en une perte de chance pour ces derniers de ne pas souscrire à l'engagement en cause ;
Juger que le CREDIT AGRICOLE a manqué à son obligation de loyauté et d'information à l'égard de Messieurs [M] en ne les informant pas de l'impossibilité de recourir à la garantie de SA France ACTIVE GARANTIE en cas de défaillance du débiteur principal du fait de sa cessation d'activité ;
Juger que le préjudice subi par Messieurs [M] consiste de ce chef en une perte de chance de se voir garantis par la SA France ACTIVE GARANTIE du fait de la défaillance du débiteur principal la SARL LOFT CONVERSION ;
Condamner en conséquence le CREDIT AGRICOLE à verser à Monsieur [V] [M] et Monsieur [B] [M] la somme de 41.125, 43 € correspondant à la somme qui leur est réclamé ;
Juger après compensation la créance du CREDIT AGRICOLE à l'égard de Monsieur [V] [M] et de Monsieur [B] [M] éteinte ;
Débouter après compensation le CREDIT AGRICOLE de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions formées à l'encontre de Monsieur [V] [M] et de Monsieur [B] [M] ;
A titre subsidiaire,
Juger y avoir lieu à octroi des plus larges délais de paiement au bénéfice de Monsieur [V] [M] et Monsieur [B] [M] si par impossible ces derniers étaient condamnés à verser quelque somme que ce soit au CREDIT AGRICOLE ;
En tout état de cause,
Condamner le CREDIT AGRICOLE à verser à Messieurs [M], et à chacun, une somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre de la procédure de première instance, et une somme de ce chef de 2.500 €, à chacun, au titre de la procédure d'appel ;
Condamner le CREDIT AGRICOLE aux entiers dépens ;
Les consorts [M] soutiennent que la société Crédit Agricole a manqué à ses obligations en leur faisant souscrire des engagements de caution manifestement disproportionnés.
En effet, au jour de leurs engagements, ils ne disposaient d'autres revenus que les allocations chômage dont ils bénéficiaient.
Par ailleurs, leurs revenus prévisionnels annuels ne s'élevaient qu'à 16.800 euros pour M. [V] [M] et 19.200 euros pour M. [B] [M], soit moindres que leurs engagements de caution (76% pour M. [V] [M] et 89% Pour M. [B] [M]).
Leur taux d'endettement était ainsi élevé, de 59,65 % pour M. [V] [M] et 52,19 % pour [B] [M], tandis que le patrimoine immobilier de M. [V] [M] était d'une valeur nette faible, et le compte courant d'associé possédé par M. [B] [M], outre qu'il n'était que prévisionnel, était d'un montant inférieur à son engagement de caution.
La société Crédit Agricole aurait dû être alertée par la faiblesse du revenu fiscal de référence des cautions, et l'absence de toutes charges renseignées sur les fiches de renseignement.
En tout état de cause, la banque a manqué à son obligation de loyauté et d'information en ne les mettant pas en garde :
malgré leur caractère non averti et un risque d'endettement excessif ;
malgré l'inadaptation du concours financier aux capacités financières de la société Loft Conversion, qui ne disposait encore d'aucune activité ou trésorerie ;
ainsi qu'en ne les informant pas :
de la cessation d'activité ou restructuration de la SA France Active Limousin, qui s'était également portée caution à hauteur de 65 % de l'emprunt bancaire ;
de la nécessité en résultant de souscrire une garantie similaire auprès d'un organisme tiers.
Les consorts [M] soutiennent que s'ils avaient été correctement informés, ils auraient renoncé à leur engagement de caution, et demandent la condamnation de la banque à hauteur de la somme qui leur est réclamée, soit 41.125,43 euros.
A titre subsidiaire, ils demandent l'octroi de délais de paiement.
Aux termes de ses dernières écritures du 19 juin 2025, la société Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel du Centre demande à la cour de :
DEBOUTER M. [M] [V] et M. [M] [B] de leurs appel en tout point infondé ;
Par suite,
CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a fait droit à l'ensemble des demandes de la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE ;
Par conséquent :
CONDAMNER M. [M] [B], solidairement avec la Sté LOFT CONVERSION, au paiement, dans la limite de son engagement de caution, de la somme de 22 100 €, outre les intérêts au taux contractuel à compter de la mise en demeure en date du 13/06/1023,
CONDAMNER M. [M] [V], solidairement avec la Sté LOFT CONVERSION, au paiement, dans la limite de son engagement de caution, de la somme de 22 100 €, outre les intérêts au taux contractuel à compter de de la mise en demeure en date du 13/06/2023,
CONDAMNER M. [M] [B] et M. [M] [V], au paiement de la somme de 1 500 € au titre des dispositions de l'article 700 du CPC, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.
La société Crédit Agricole soutient que les engagements de caution pris par les consorts [M] n'étaient pas disproportionnés.
M. [V] [M] disposait d'un patrimoine immobilier d'une valeur nette de 23.321 euros, et M. [B] [M] faisait état d'un revenu net de 17.720 euros, outre un compte-courant d'associé à hauteur de 14.000 euros.
Les charges courantes des consorts [M] n'avaient pas à être prises en compte pour déterminer leur taux d'endettement, et ces derniers avaient pour seules charges exceptionnelles un crédit à la consommation pour M. [B] [M], et un crédit immobilier pour M. [V] [M].
La société Crédit Agricole soutient qu'elle n'était pas tenue à un devoir de mise en garde, les consorts [M] étant des cautions averties au vu de leur expérience professionnelle en gestion d'entreprise.
Le fait qu'un des gérants ait décidé de toucher le chômage en ne se rémunérant pas pour constituer la trésorerie de la société démontre leurs compétences sur le secteur d'activité projeté et dans la gestion des affaires.
En outre, les consorts [M] s'étaient entourés de nombreux professionnels.
En tout état de cause, il n'existait pas de risque d'endettement excessif des consorts [M].
La société Crédit Agricole conteste avoir manqué à son obligation de loyauté.
La garantie de France Active Limousin serait restée acquise malgré sa restructuration.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 17 septembre 2025.
MOTIFS DE LA DECISION:
Sur la disproportion:
L'article L 332-1 du code de la consommation, dans sa rédaction en vigueur du 1er juillet 2016 au 1er janvier 2022 et applicable en l'espèce, prévoit que le créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un cautionnement manifestement disproportionné :
Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
C'est sur la caution que pèse la charge d'établir cette éventuelle disproportion manifeste (Com, 22 janvier 2013, n°11-25.377).
La fiche de renseignements remplie par la caution lie cette dernière quant aux biens et revenus qu'elle y déclare, le créancier n'ayant pas, sauf anomalie apparente, à en vérifier l'exactitude.
Il ne doit toutefois pas être tenu compte, pour cette appréciation, des revenus attendus ou du succès escompté de l'opération principale.
Les parts sociales dont est titulaire la caution au sein de la société cautionnée font partie du patrimoine devant être pris en considération pour l'appréciation de ses capacités financières au jour de son engagement.
Ce n'est que lorsque le cautionnement est considéré comme manifestement disproportionné au moment de sa conclusion qu'il revient au créancier professionnel d'établir qu'au moment où il appelle la caution, le patrimoine de celle-ci lui permet à nouveau de faire face à son obligation.
M. [V] [M]:
M. [M] a souscrit le 13 novembre 2019 un engagement de caution à hauteur de 22.100 euros.
Le même jour, il avait rempli une fiche de renseignements dont il résultait une absence de revenus salariaux et des revenus prévisionnels liés à la création de l'entreprise pour laquelle le prêt cautionné était souscrit d'un montant annuel de 16.800 euros.
Il était précisé qu'il devait faire face à des remboursements de crédit immobilier de 5.700 euros.
Propriétaire d'un bien immobilier d'une valeur déclarée de 115.000 euros dont à déduire le capital restant dû du prêt immobilier pour 91.679 euros, son patrimoine net était évalué à 23.321 euros.
Ce patrimoine lui permettait ainsi, éventuellement, de faire face à l'engagement de caution qu'il souscrivait, lequel n'était donc pas manifestement disproportionné à ses revenus et à ses biens.
M. [B] [M]:
M. [B] [M] a souscrit le 13 novembre 2019 un engagement de caution à hauteur de 22.100 euros.
Le même jour, il a rempli une fiche de renseignement dont il résultait l'absence de tout patrimoine immobilier, l'absence de toute épargne mobilière.
Il était indiqué l'absence de revenus salariaux et des revenus prévisionnels liés à la création de l'entreprise pour laquelle le prêt cautionné était souscrit d'un montant annuel de 19.200 euros, sur lesquels devaient être prélevées les échéances d'un prêt à la consommation pour 1.480 euros annuels.
Le prévisionnel d'exploitation que les consorts [M] avaient fait réaliser et qu'ils avaient remis à la banque faisaient état d'un apport en capital de 6.000 euros et d'un apport en compte courant de 14.000 euros devant être versés par [B] [M] sans que la moindre pièce ne permette de savoir si cette éventualité s'est réalisée.
Il en résulte qu'à la date de souscription de son engagement, les revenus de M. [B] [M], qu'ils soient présents ou futurs, ne lui auraient pas permis de faire face à son engagement de caution, tandis qu'il était dénué de patrimoine.
La banque ne justifie pas qu'il ait été détenteur d'un patrimoine à la date à laquelle il a été appelé.
Par conséquent, son cautionnement était manifestement disproportionné à ses revenus et à ses biens et la banque ne peut s'en prévaloir.
Sur le manquement du Crédit Agricole à son devoir de mise en garde:
Seule la caution non avertie est créancière d'une obligation de mise en garde, laquelle consiste pour la banque à vérifier que son engagement était adapté à ses capacités financières personnelles ou qu'il existait un risque d'endettement né de l'octroi du prêt garanti en raison de son inadaptation aux capacités financières de l'emprunteur débiteur principal. (Com., 21 octobre 2021, n° 18-25.205).
M. [V] [M] s'est présenté, dans des documents qu'il a remis au Crédit Agricole, comme ayant dix années d'expérience dans le secteur de la vente de produits d'occasion, ayant été responsables de trois magasins de dépôt vente, ayant appris à manager une équipe, à la valoriser pour gagner en performance, à savoir gérer les stocks, les achats, faire des bons de calculs de prix, et à gérer le 'back off' et l'administratif de ce type de magasin. Il expliquait s'être vu proposer par son ancien employeur de racheter l'un de ses fonds de commerce mais qu'après réflexion avec son expert comptable, il avait refusé compte tenu de ses résultats et s'était dirigé vers le projet de créer son propre fonds.
Il en résulte que M. [V] [M], qui était à même d'évaluer la rentabilité ou l'absence de rentabilité future d'une entreprise, était une caution avertie envers laquelle aucun devoir de mise en garde n'était dû par le Crédit Agricole.
Pour sa part, M. [B] [M] s'était présenté comme ayant déjà été gérant de deux sociétés.
Il était donc une caution avertie et aucun devoir de conseil ne lui était dû.
Il en résulte l'absence de manquement du Crédit Agricole à son devoir de mise en garde.
Sur le manquement du Crédit Agricole à son obligation de loyauté:
Le contrat de prêt prévoyait que la SA France Active Garantie se portait caution de l'emprunteur principal à hauteur de 65% du capital emprunté.
Il prévoyait aussi qu'en cas de cautionnement multiples et partiels, les engagements souscrits étaient cumulatifs et non alternatifs et qu'ainsi le prêteur pouvait actionner chacune des cautions à hauteur de son engagement total tant que le prêt n'était pas totalement remboursé.
Les consorts [M] reprochent au Crédit Agricole de ne pas les avoir avertis de ce que la SA France Active Limousin avait cessé toute activité.
Toutefois, l'engagement de caution a été donné par la SA France Active Garantie, ce dont il résulte que la cessation d'activité de sa filiale limousine est sans incidence.
Le moyen n'est pas fondé et aucun manquement au devoir de loyauté n'est démontré.
Enfin, il doit être relevé que le montant de la créance du Crédit Agricole, régulièrement déclaré entre les mains du mandataire judiciaire, ne fait l'objet d'aucune contestation.
Consécutivement:
- le jugement est infirmé en ce qu'il a prononcé une condamnation contre M. [B] [M], la banque ne pouvant se prévaloir de son engagement de caution,
- le jugement est confirmé en ce qu'il a condamné M. [V] [M] à payer en sa qualité de caution solidaire de la SARL LOFT CONVERSION à payer au Crédit Agricole la somme de 22.100 € assortie des intérêts aux taux contractuels à compter de la mise en demeure, soit du 13 juin 2023.
Sur les délais de paiement:
M. [V] [M] travaille à l'heure actuelle en intérim pour un salaire annuel d'environ 18.000 euros , sur lequel il doit rembourser son prêt immobilier (480 euros par mois).
Il reste redevable de cotisations sociales.
Avant de créer son entreprise, il avait occupé des fonctions de responsable de magasin, et il est permis d'espérer qu'il retrouve un poste à responsabilités, avec un salaire augmenté.
Il est débiteur de bonne foi et malheureux et il lui est alloué un délai de 24 mois pour éteindre sa dette, dans des conditions qui seront précisées au dispositif de l'arrêt.
Sur les dépens et les frais irrépétibles:
M [V] [M] est condamné aux dépens de première instance et d'appel le concernant, tandis que les dépens relatifs à M. [B] [M] resteront à la charge du Crédit Agricole.
Les demandes formées sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile sont rejetées.
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PAR CES MOTIFS
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La Cour,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, par mise à disposition au greffe, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné M.[V] [M], en sa qualité de caution solidaire de la SARL LOFT CONVERSION, à payer au Crédit Agricole la somme de 22.100 € assortie des intérêts aux taux contractuels à compter du 13 juin 2023.
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté Messieurs [V] et [B] [M] de leurs demandes indemnitaires.
Infirme le jugement déféré en ce qu'il a:
- condamné solidairement avec la SARL LOFT CONVERSION [B] [M] à payer au Crédit Agricole la somme de 22.100 € assortis des intérêts au taux contractuel à compter de la mise en demeure,
- débouté M. [V] [M] de sa demande de délais de paiement,
- statué sur les frais irrépétibles et les dépens.
Statuant à nouveau:
Dit que la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Centre France ne peut se prévaloir de l'engagement de caution souscrit le 13 novembre 2019 par M. [B] [M].
Déboute la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Centre France de ses demandes contre M. [B] [M].
Dit que M. [V] [M] pourra s'acquitter de sa dette en 24 mensualités de 930 euros chacune, le 05 de chaque mois, la première mensualité intervenant le mois suivant la signification du présent arrêt, la dernière étant majorée du solde de la dette en principal, intérêts et frais.
Dit qu'à défaut de paiement à son échéance d'une seule des mensualités ainsi fixées, l'intégralité de la dette redeviendra immédiatement exigible.
Laisse à la charge de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Centre France les dépens relatifs à M. [B] [M].
Condamne M. [V] [M] au paiement des dépens de première instance et d'appel le concernant.
Rejette les demandes formées sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,
Sophie MAILLANT. Olivia JEORGER-LE GAC.