Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 4 - ch. 9 - b, 6 novembre 2025, n° 25/00057

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 25/00057

6 novembre 2025

République française

Au nom du Peuple français

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 9 - B

ARRÊT DU 06 NOVEMBRE 2025

(n° , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 25/00057 - N° Portalis 35L7-V-B7J-CK4C4

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 12 février 2025 par le tribunal judiciaire de Paris - RG n° 24/00240

APPELANTE

Madame [W] [S]

[Adresse 2]

[Localité 3]

comparante en personne, assistée de Me Laura DAVID de l'AARPI LDDA AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : R273

INTIMÉ

HOIST FINANCE

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 1]

non comparant

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 septembre 2025, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Muriel DURAND, présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Muriel DURAND, présidente

Madame Laurence ARBELLOT, conseillère

Madame Sophie COULIBEUF, conseillère

Greffière : Madame Apinajaa THEVARANJAN, lors des débats

ARRÊT :

- réputé contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Muriel DURAND, présidente et par Madame Apinajaa THEVARANJAN, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Mme [W] [S] a saisi une première fois la commission de surendettement de [Localité 9], laquelle par décision du 07 mai 2020, entrée en vigueur au plus tard le 30 juin 2020, a imposé une suspension de l'exigibilité de ses dettes pendant 24 mois, subordonnée à l'obligation de vendre son bien immobilier ainsi que sa moto.

Elle a saisi une deuxième fois la commission de surendettement de [Localité 9], laquelle par décision du 31 août 2022, entrée en vigueur au plus tard le 30 septembre 2022, a imposé une nouvelle suspension de l'exigibilité de ses dettes pendant 18 mois, assortie de nouveau de l'obligation de vendre son bien immobilier.

Mme [S] a saisi une troisième fois la commission de surendettement des particuliers de [Localité 9] le 02 février 2024, laquelle a déclaré recevable sa demande le 22 février 2024.

Par décision en date du 22 février 2024, la commission a décidé d'orienter le dossier de la débitrice vers une procédure de rétablissement personnel avec liquidation judiciaire et a transmis le dossier au juge le 19 avril 2024, précisant que l'accord de la débitrice avait été recueilli.

Par jugement réputé contradictoire du 12 février 2025 auquel il convient de se reporter, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Paris a constaté la mauvaise foi de Mme [S] et son irrecevabilité à bénéficier d'une procédure de surendettement. Il a laissé à chacune des parties la charge de ses dépens.

Le juge a d'abord relevé que la difficulté de procéder à la vente de son bien immobilier n'était pas contestée et qu'il ne lui était, par conséquent, pas fait grief de ne pas avoir procédé à la vente de son patrimoine au cours des deux précédentes mesures. Il a également constaté que son passif était demeuré inchangé depuis sa première saisine de la commission, étant constitué d'une seule dette, d'un montant de 129 010,18 euros, contractée pour l'acquisition de son bien immobilier à [Localité 6].

Le juge a ensuite observé que, sur la période du 1er juin 2023 au 29 novembre 2024, Mme [S] avait viré sur le compte bancaire de son fils la somme totale de 19 405,60 euros depuis son compte [8] et la somme de 2 110 euros depuis son compte [10], et reçu de sa part la somme de 12 225,65 euros, la différence s'élevant ainsi à 9 259,95 euros, alors qu'il se trouvait en capacité de subvenir à ses besoins.

Il a relevé qu'une partie des opérations correspondait au schéma décrit par la débitrice, à savoir un virement reçu de son fils sur son compte [8], suivi d'un virement de ce compte [8] vers son propre compte [10], puis d'un virement de ce compte [10] dont elle était titulaire vers le compte [10] de son fils. Néanmoins, il a constaté que l'autre partie des opérations correspondait à des sommes que la débitrice indiquait vouloir épargner sur le compte [8] de son fils, celles-ci avaient été immédiatement débitées, de sorte qu'elle n'en avait plus la libre disposition.

Il en a déduit que Mme [S], qui ne pouvait ignorer qu'en procédant de la sorte elle priverait son créancier de ressources susceptibles de le désintéresser, était de mauvaise foi et l'a, par conséquent, déclaré irrecevable au bénéfice de la procédure de surendettement.

Ce jugement a été notifié par lettre recommandée avec avis de réception à Mme [S].

Par déclaration électronique remise au greffe de la cour d'appel de Paris le 27 février 2025, Mme [S] a relevé appel du jugement en ce qu'il l'avait déclarée de mauvaise foi et, par conséquent, irrecevable au bénéfice de la procédure de surendettement, et en ce qu'il avait dit que son dossier sera transmis à la commission de surendettement de Paris pour clôture de la procédure.

Les parties ont été convoquées à l'audience du 09 septembre 2025.

A l'audience, Mme [S] a comparu assistée de son conseil laquelle a indiqué qu'il n'y avait qu'un créancier à savoir la société [7] laquelle avait repris la créance de la [4].

Elle a expliqué que le bien n'était pas une indivision mais une copropriété avec 4 copropriétaires, qu'un acquéreur souhaitait racheter tout l'immeuble pour le détruire car il était en très mauvais état mais qu'un des copropriétaires ne voulait pas et qu'un rétablissement personnel avec liquidation judiciaire permettrait de forcer la vente.

Elle a contesté toute mauvaise foi et expliqué que fin 2023, Pôle emploi lui avait demandé un remboursement de sommes trop perçues et que depuis elle avait peur que les sommes qui lui étaient versées soient aussi des erreurs si bien qu'elle avait fait des virements à son fils pour épargner et éviter à nouveau cette situation car elle ne pouvait pas ouvrir de compte et qu'elle avait donc ouvert un compte [10].

Elle s'est expressément référée à ses écritures déposées à l'audience aux termes desquelles elle demande à la cour d'infirmer le jugement et statuant à nouveau de la déclarer de bonne foi et recevable au bénéfice de la procédure de surendettement et en conséquence d'ordonner l'ouverture d'une procédure de rétablissement personnel avec liquidation judiciaire, de dire que la procédure est sans frais ni dépens et qu'elle bénéficie de l'exécution provisoire.

Elle fait valoir qu'elle avait acquis le bien immobilier en 2011 dans le but de se procurer un complément de revenus lors de sa retraite, qu'il s'agissait de murs d'un fonds de commerce et que le crédit devait être remboursé grâce aux loyers mais que l'opération a généré une charge fiscale qu'elle n'avait pas anticipée puis que le locataire n'a plus payé ses loyers en 2012, qu'elle a en outre été gravement malade en 2016 et n'a plus eu de revenus suffisants, qu'un nouveau locataire arrivé en avril 2016 a rapidement cessé de payer les loyers, que le père de son enfant a cessé de régler la pension, et que ses démarches auprès de la banque pour obtenir des délais ont été vaines. Elle ajoute que l'immeuble a été frappé par un arrêté de péril en 2019, lequel n'est pas levé à ce jour, qu'il est donc difficilement vendable, que les démarches de vente n'ont pas abouti. Elle ajoute avoir été victime d'une erreur, Pôle emploi lui ayant versé un trop plein d'allocations qu'elle a dû rembourser.

Elle affirme être en situation de surendettement au sens où elle ne peut faire face à sa dette. Elle détaille ses revenus qu'elle évalue à 2 253, 58 euros par mois (salaires, pension d'invalidité et allocation de retour à l'emploi) et ses charges qu'elle évalue 2 298 euros par mois faisant valoir que son fils vit au domicile familial et que sa fille est à sa charge. Elle soutient que son état de santé et son âge font qu'elle n'a aucune perspective d'amélioration de sa situation.

Elle fait valoir qu'elle est de bonne foi, que le motif de ses virements était sa volonté d'épargner des sommes pouvant lui être réclamées par Pôle emploi comme cela s'est déjà produit et soutient que l'intégralité des flux démontre qu'elle a agi non dans le but de soustraire des sommes à ses créanciers mais dans une logique de prudence, de protection et de gestion familiale.

Elle précise avoir créé trois « enveloppes » pour la gestion du quotidien et des imprévus, disposer de deux comptes en ligne, dont l'un le N26 lui sert à transférer l'argent vers le second compte en ligne [10]. Elle explique que pour contourner la limitation imposée par la Banque de France, elle a été contrainte de passer par le compte de son fils qui lui servait de compte relais et qu'il s'agissait de la seule solution technique pour gérer ses fonds, son fils lui ayant donné procuration sur son compte pour l'aider à gérer son épargne. Elle conteste tout détournement de fonds et relève que les virements entre les différents comptes s'inscrivent dans le cadre d'un soutien familial mutuel et dans une logique de précaution.

Elle indique avoir procédé entre décembre 2023 et juillet 2024 à des virements de son propre compte [8] à celui de son fils pour un total de 7 528 euros et que les 1 853 euros restant étaient le fruit d'une épargne volontaire réalisée dans un contexte de grande précarité témoignant de sa volonté d'assainir ses finances, qu'elle sont restées sur le compte de son fils et sont accessibles à tout moment. Elle affirme que le fait de placer des sommes sur le compte d'un enfant ne témoigne pas d'une volonté de fraude mais relève d'une logique familiale prudente.

La société [7] qui a signé l'accusé de réception de sa convocation n'a pas comparu.

Sur ce, il a été indiqué aux parties présentes que l'arrêt serait rendu le 06 novembre 2025 par mise à disposition au greffe.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la bonne ou la mauvaise foi

Il résulte de l'article L.711-1 du code de la consommation que la recevabilité de la demande de traitement de la situation de surendettement est subordonnée à la bonne foi du débiteur, conçue comme une absence de mauvaise foi.

Il convient de rappeler que la bonne foi est présumée et qu'il appartient au créancier d'apporter la preuve de la mauvaise foi du débiteur. La simple imprudence ou imprévoyance n'est pas constitutive de mauvaise foi. De même, la négligence du débiteur ne suffit pas à caractériser la mauvaise foi en l'absence de conscience de créer ou d'aggraver l'endettement en fraude des droits des créanciers. Les faits constitutifs de mauvaise foi doivent de surcroît être en rapport direct avec la situation de surendettement.

En application de l'article L.761-1 du code de la consommation, la mauvaise foi procédurale est également sanctionnée en ce qu'est déchue du bénéfice des mesures de traitement des situations de surendettement toute personne :

1° ayant sciemment fait de fausses déclarations ou remis des documents inexacts,

2° ayant détourné ou dissimulé, ou tenté de détourner ou de dissimuler, tout ou partie de ses biens,

3° ayant, sans l'accord de ses créanciers, de la commission ou du juge, aggravé son endettement en souscrivant de nouveaux emprunts ou ayant procédé à des actes de disposition de son patrimoine pendant le déroulement de la procédure de traitement de la situation de surendettement ou de rétablissement personnel, ou pendant l'exécution du plan ou des mesures de traitement.

Le débiteur doit donc être de bonne foi pendant la phase d'endettement mais aussi au moment où il saisit la commission de surendettement, ce qui implique sa sincérité, et tout au long du déroulement de la procédure.

Le juge doit se déterminer au jour où il statue.

Il résulte des explications données par Mme [S] qu' elle a versé des sommes sur le compte de son fils dans le but de ne plus les avoir sur le sien. Si elle peut légitimement souhaiter épargner des sommes, rien ne justifie qu'elle ne conserve pas ses montants sur un compte à son propre nom et le premier juge a en outre constaté une certaine évaporation des sommes. La crainte de devoir rembourser des sommes à Pôle emploi ne peut justifier que ces sommes soient transférée à un tiers fut-ce un de ses enfants. Mme [S] lorsqu'elle a procédé à ces opérations allait bénéficier d'une procédure de rétablissement personnel avec liquidation judiciaire ce qui impliquait que ses comptes soient examinés par le mandataire qui allait être nommé. Epargner sur le compte d'un de ses enfants et non sur le ou les siens était donc de nature à faire échapper ces sommes à tout contrôle du mandataire et à toute utilisation au profit de son créancier. Elle n'établit pas ne pas avoir été en mesure d'ouvrir un simple livret A à son nom. Ceci suffit à établir la mauvaise foi et le jugement doit donc être confirmé en toute ses dispositions.

Mme [S] qui succombe doit être condamnée aux éventuels dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et rendu en dernier ressort par mise à disposition au greffe :

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Condamne Mme [W] [S] aux éventuels dépens d'appel,

Dit que le présent arrêt sera notifié par lettre simple à la commission de surendettement et aux parties par lettre recommandée avec avis de réception.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site