CA Paris, Pôle 4 - ch. 10, 6 novembre 2025, n° 21/22209
PARIS
Arrêt
Autre
RÉPUBLIQUE FRAN'AISE
AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 10
ARRÊT DU 6 NOVEMBRE 2025
(n° , 19 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/22209 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CE3YJ
Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Octobre 2021- Tribunal judiciaire de Bobigny- RG n° 19/14373
APPELANTE
S.C.I. JG, agissant poursuite et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège,
[Adresse 7]
[Localité 13]
N° SIRET : 484 330 030
Représentée par Me Pasquale BALBO, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : PB131
Ayant pour avocat plaidant : Me Olivier VIBERT de la SELARL KBESTAN, avocat au barreau de PARIS, toque : E372
INTIMÉS
Monsieur [I] [D]
[Adresse 1]
[Localité 12]
né le [Date naissance 3] 1971 à [Localité 15] (SRI LANKA)
ET
Madame [B] [U] épouse [D]
[Adresse 1]
[Localité 12]
née le [Date naissance 5] 1974 à [Localité 15] (SRI LANKA)
Représentés par Me Bruno REGNIER de la SCP CAROLINE REGNIER AUBERT - BRUNO REGNIER, AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050
Ayant pour avocat plaidant : Me Benoît DIETSCH de l'Association MALTERRE DIETSCH, avocat au barreau de PARIS, toque : R155, substitué à l'audience par Me Jean-Louis MALTERRE, avocat au barreau de PARIS
Madame [N] [C] épouse [K]
[Adresse 6],
[Localité 19] [Adresse 2] (ROYAUME UNI)
née le [Date naissance 11] 1970 à [Localité 20] (SRI LANKA)
Représentée par Me Vincent VILCHIEN de l'AARPI MERIDIAN, avocat au barreau de PARIS, toque : R120
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 04 Septembre 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Marie-Odile DEVILLERS, Présidente
Mme Valérie MORLET, Conseillère
Mme Anne ZYSMAN, Conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme Valérie MORLET dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Catherine SILVAN
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Odile DEVILLERS, Présidente et par Joëlle COULMANCE, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
***
Faits et procédure
La SCI JG a été constituée le 1er avril 2005 entre M. [W] [K] et Mme [N] [A], épouse [K] (sa gérante). Elle a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Bobigny le 26 septembre. Elle est propriétaire d'un local commercial situé à [Localité 18] (Seine [Localité 17]).
Les 200 parts sociales de la société JG ont le 23 octobre 2015 été vendues par adjudication à la SCI DJMF Immobilier, représentée par son gérant, M. [L] [T] [X] [Z], pour un prix de 54.402,96 euros. Les associés de la société DJMF ont en assemblée générale le 24 octobre 2015, par deux résolutions, voté le retrait des précédents associés, M. et Mme [K], et la révocation de l'ancienne gérante, Mme [K], M. [T] [X] étant désigné en qualité de nouveau gérant.
Le conseil de M. [I] [D] et Mme [B] [Y], épouse [D], a par courrier recommandé du 26 octobre 2018 indiqué à la société JG que celle-ci restait devoir à ses clients la somme principale de 79.397,76 euros, la mettant en demeure de répondre à son courrier et de payer la dite somme sous huitaine.
En l'absence de paiement, les époux [D] ont par actes des 13 et 22 novembre 2018 assigné la société JG devant le juge des référés en paiement de la somme provisionnelle de 79.397,76 euros en remboursement d'un prêt consenti au mois d'avril 2015, antérieurement à la vente précitée. En présence de contestations sérieuses opposées par la société JG, le magistrat a par ordonnance du 1er mars 2019 débouté les époux [D] de l'ensemble de leurs demandes et les a condamnés aux dépens et au paiement entre les mains de la société JG de la somme de 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Les époux [D] ont alors par acte du 6 décembre 2019 assigné la société JG et Mme [K] en remboursement de leur prêt devant le tribunal de grande instance de Bobigny.
* Le tribunal, devenu tribunal judiciaire, a par jugement du 12 octobre 2021 :
- déclaré Mme [K] irrecevable en toutes ses demandes dirigées contre les époux [X], qui ne sont pas dans la cause,
- déclaré les époux [D] recevables et partiellement bien-fondés en leurs demandes à l'encontre de la société JG,
- déclaré la société JG recevable mais partiellement mal-fondée en ses demandes reconventionnelles à l'égard des époux [D] et en ses demandes à l'égard de Mme [K],
- qualifié de reconnaissance de dette l'acte sous seing privé du 7 avril 2015 et l'a déclaré valide en ce qu'il constate la reconnaissance par la société JG qu'elle doit aux époux [D] la somme de 79.397,76 euros qu'ils lui ont prêtée,
- annulé la clause de l'acte sous seing privé du 7 avril 2015 prévoyant l'engagement de la société JG de céder aux époux [D] le bail et les murs de son local commercial situé [Adresse 9] aux créanciers pour un montant à déterminer entre les parties, duquel sera déduit le montant du prêt,
- débouté la société JG du surplus de sa demande d'annulation,
- condamné la société JG à payer aux époux [D] :
1°) la somme principale de 79.397,76 euros, assortie des intérêts de retard calculés au taux légal à compter du 26 octobre 2018, date de la mise en demeure d'avoir à régler cette somme sous huitaine, jusqu'à parfait paiement, avec capitalisation des intérêts dus pour une année entière en application de l'article 1343-2 du code civil,
2°) la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les époux [D] de leur demande de condamnation de la société JG à leur payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts,
- condamné la société JG aux entiers dépens de l'instance, avec distraction au profit du conseil des époux [D],
- ordonné l'exécution provisoire du jugement,
- débouté la société JG de sa demande de condamnation de Mme [K] à la garantir des condamnations prononcées à son encontre,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes plus amples ou contraires.
Le premier juge a repris les termes de l'acte sous seing privé signé le 7 avril 2015 par la société JG et les époux [D] et estimé qu'il constituait un acte unilatéral, sans caractère synallagmatique, caractéristique d'une reconnaissance de dette, dont la nullité ne pouvait être retenue ni pour absence de double, ni pour absence de cause et de remise des fonds (lesquels ont par ailleurs été effectifs), ni encore pour défaut d'enregistrement.
Il a en revanche constaté que l'engagement de cession du bail et du local commercial avait été consenti par la société JG en l'absence de toute autorisation de son assemblée générale et considéré que sa gérante, Mme [K], avait outrepassé ses pouvoirs au titre de cet engagement, qu'il a annulé.
Estimant que les époux [D] avaient bien prêté la somme de 79.398,76 euros à la société JG, à charge de remboursement, et que celui-ci n'était pas intervenu, le premier juge a condamné la société à payer la dite somme aux premiers, mais débouté ceux-ci de leur demande de dommages et intérêts, faute d'établir la réalité d'un préjudice distinct de celui qui était réparé par la condamnation principale.
Le premier juge n'a pas retenu de faute de la part de Mme [K] contre la société JG dont elle a préservé les intérêts en évitant, par l'obtention d'un prêt des époux [D], la vente par adjudication de son local commercial et n'a donc pas fait droit à la demande de dommages et intérêts présentée à son encontre par la dite société.
Il a enfin observé que la demande de Mme [K] tendant à voir ordonner la suppression d'un certain nombre de propos tenus par la société JG dans ses conclusions n'était pas reprise dans le dispositif de ses écritures, de sorte qu'il n'avait pas à statuer sur ce point. L'intéressée ne justifiant selon lui pas de son préjudice moral, elle a été déboutée de sa demande d'indemnisation de ce chef.
La société JG a par acte du 15 décembre 2021 interjeté appel de ce jugement, intimant les époux [D] et Mme [K] devant la Cour.
* La société JG, dans ses dernières conclusions signifiées le 10 mars 2025, demande à la Cour de :
- infirmer le jugement en ce qu'il :
. a déclaré les époux [D] recevables et partiellement bien-fondés en leurs demandes à de la société JG,
. l'a déclarée recevable mais partiellement mal-fondée en ses demandes reconventionnelles à l'égard des époux [D] et Mme [K],
. a qualifié de reconnaissance de dette l'acte sous seing privé du 7 avril 2015 et l'a déclaré valide en ce qu'il constate sa reconnaissance qu'elle doit aux époux [D] la somme de 79.397,76 euros qu'ils lui ont prêtée,
. a annulé la clause de l'acte du 7 avril 2015 prévoyant l'engagement de sa part de céder aux époux [D] le bail et les murs de son local commercial situé [Adresse 9] aux créanciers pour un montant à déterminer entre les parties, duquel sera déduit le montant du prêt,
. l'a déboutée du surplus de sa demande d'annulation,
. l'a condamnée à payer aux époux [D] :
1°) la somme principale de 79.397,76 euros, assortie des intérêts de retard calculés au taux légal à compter du 26 octobre 2018, date de la mise en demeure d'avoir à régler cette somme sous huitaine, jusqu'à parfait paiement, avec capitalisation des intérêts,
2°) la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
. l'a condamnée aux entiers dépens de l'instance, avec distraction au profit des conseils adverses,
. l'a déboutée de sa demande de condamnation de Mme [K] à la garantir des condamnations prononcées à son encontre,
. a débouté les parties du surplus de leurs demandes plus amples ou contraires,
Statuant à nouveau,
- juger nul et non avenu l'acte juridique dénommé « reconnaissance de dette » daté du 7 avril 2015 pour violation de la formalité du double,
- juger nul et non avenu l'acte juridique dénommé « reconnaissance de dette » daté du 7 avril 2015 pour absence de cause,
- juger inopposable la reconnaissance de dette de Mme [K],
- débouter les époux [D] de l'ensemble de leurs « demandes, fins, prétentions et conclusions »,
A titre subsidiaire,
- lui juger inopposable l'acte juridique dénommé « reconnaissance de dette » pour absence de date certaine,
- en conséquence, débouter les époux [D] de l'ensemble de « leurs demandes, fins, prétentions et conclusions »,
A titre infiniment subsidiaire,
- juger que le contrat de prêt allégué ainsi que la remise des fonds corrélative n'existant pas en [sic] et ne sont jamais intervenus,
- en conséquence, débouter les époux [D] de l'ensemble de leurs « demandes, fins, prétentions et conclusions »,
En tout état de cause,
- débouter Mme [K] de l'ensemble « de ses demandes, fins et conclusions »,
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les époux [D] [de leurs demandes],
- débouter les époux [D] de l'ensemble de « leurs demandes, fins et conclusions »,
- condamner Mme [K] à garantir toutes les condamnations qui seraient prononcées à son encontre en application des dispositions de l'acte daté du 7 avril 2015,
- condamner solidairement les époux [D] et Mme [K] au paiement des sommes de 6.000 euros au titre de la première instance et de 6.000 euros en cause d'appel,
- les condamner également aux entiers dépens, avec distraction au profit de Maître Pasquale.
M. et Mme [D], dans leurs dernières conclusions signifiées le 8 janvier 2025, demandent à la Cour de :
- les recevoir en toutes leurs « demandes fins et conclusions » et les dire bien-fondés en leurs demandes,
- les déclarer recevables en leur appel incident et y faire droit,
- débouter la société JG de l'ensemble de ses « demandes fins et conclusions »,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il :
. a qualifié de reconnaissance de dette l'acte sous seing privé en date du 7 avril 2015 et l'a déclaré valide en ce qu'il constate la reconnaissance par la société JG qu'elle leur devait la somme de 79.397.76 euros qu'ils lui ont prêtée,
. a condamné la société JG à leur payer :
1°) la somme principale de 79.397,76 euros assortie des intérêts de retard calculés au taux légal jusqu'à parfait paiement avec capitalisation des intérêts,
2°) la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
. a condamné la société JG aux entiers dépens,
. a ordonné l'exécution provisoire,
- infirmer la décision en ce qu'elle :
. a fixé le point de départ des intérêts de retard au 26 octobre 2018,
. les a déboutés de leur demande de dommages et intérêts,
Et statuant à nouveau,
- condamner la société JPG à leur verser :
. la somme principale de 79.397,76 euros assortie des intérêts de retard calculé au taux légal à compter du 19 février 2016 date de la première mise en demeure et jusqu'à parfait paiement avec capitalisation des intérêts,
. la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts,
. la somme de 10000 [euros] (première instance et appel) au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
A titre subsidiaire, si la Cour s'estimait insuffisamment informée et dans la mesure où les établissements bancaires se retranchent derrière le secret bancaire,
- ordonner aux banques concernées de produire sous astreinte de 50 euros par jour et par document les justificatifs de la destination des chèques de banque par elles émises à savoir :
. pour le Crédit agricole de Picardie situé [Adresse 10] à [Localité 16] (Seine et Marne) :
. chèque de 57.626,74 [euros] du 3 avril 2015 n°0531936 sur le compte n°88825000010,
. chèque du 7 avril 2015 n°0531938 sur le compte n°88825000010,
. pour la Caisse d'épargne d'Ile de France située [Adresse 4] (Seine [Localité 17]) :
. chèque du 3 avril 2015 n°0056470 sur le compte n°17515 00092 99 5240078 96 42 0000578,
. chèque du 3 avril 2005 n°0056472 sur le compte 17515 00092 99 5240078 96 42 0000578,
- condamner la société JPG aux entiers dépens.
Mme [K], dans ses dernières conclusions signifiées le 3 mai 2022, demande à la Cour de :
- la recevoir en ses écritures, les disant bien fondées,
- la déclarer recevable en son appel incident et y faisant droit,
- débouter la société JG de l'ensemble de ses « demandes, fins et conclusions »,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il :
. a déclaré les époux [D] recevables et partiellement bien-fondés en leurs demandes à l'encontre de la société JG,
. a déclaré la société JG recevable mais partiellement mal-fondée en ses demandes reconventionnelles à l'égard des époux [D] et en ses demandes à son égard,
. a qualifié de reconnaissance de dette l'acte sous seing privé du 7 avril 2015 et l'a déclaré valide en ce qu'il constate la reconnaissance par la société JG qu'elle doit aux époux [D] la somme de 79.397,76 euros qu'ils lui ont prêtée,
. a annulé la clause de l'acte sous seing privé en date du 7 avril 2015 prévoyant l'engagement de la société JG de céder aux époux [D] le bail et les murs de son local commercial situé [Adresse 9] aux créanciers pour un montant à déterminer entre les parties, duquel sera déduit le montant du prêt,
. a débouté la société JG du surplus de sa demande d'annulation,
. a condamné la société JG à payer aux époux [D] :
1°) la somme principale de 79.397,76 euros, assortie des intérêts de retard calculés au taux légal à compter du 26 octobre 2018, date de la mise en demeure d'avoir à régler cette somme sous huitaine, jusqu'à parfait paiement, avec capitalisation des intérêts,
2°) la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
. a condamné la société JG aux entiers dépens de l'instance,
. a ordonné l'exécution provisoire du jugement,
. a débouté la société JG de sa demande de condamnation présentée à son égard à la garantir des condamnations prononcées à son encontre,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de condamnation de la société JG à lui payer la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts en raison du préjudice moral résultant des propos tenus par la société ayant porté atteinte à son honneur et à sa considération, au visa de l'article 41 de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881,
Et, statuant à nouveau,
- juger fautifs, au visa de l'article 41 de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, les propos tenus par la société JG au sein de ses conclusions de première instance et de celles signifiées par ses soins le 21 février 2022 dans le cadre de la présente procédure, alléguant :
. que les époux [K], « malgré leurs échecs, n'ont de cesse de harceler » ses associés en « intervenant maintenant par personnes interposées » (cf. conclusions de la société JG du 24 novembre 2021, p.3),
. que les époux [K] « qui n'ont jamais rien remboursé, n'ont eu de cesse que de harceler la famille [T] [X] en la personne des prêteurs initiaux qu'à l'égard des enfants, nouveaux associés de la société JG » (cf. conclusions d'appel de la société JG du 21 février 2022, p.3),
. que l'attestation de Mme [K] quant à la souscription du prêt litigieux serait « dénuée de toute crédibilité ne serait-ce que par l'exposé préalable figurant dans ses conclusions démontrant qu'elle est décidée à nuire, par tous moyens aux associés de la SCI JG » (Cf. conclusions de la société JG du 24 novembre 2021, p.9),
. que l'attestation de Mme [K] quant à la souscription du prêt litigieux serait « dénuée de toute crédibilité et ne sert qu'à une chose : nuire aux associés de la SCI JG. En effet, par ce biais, Madame [K] "se venge" d'avoir été évincée de la SCI JG » (cf. conclusions d'appel de la société JG du 21 février 2022, p.7),
. que « l'acrimonie dont fait preuve Madame [K] ruine toute crédibilité de son "attestation" » (cf. conclusions de la société JG du 24 novembre 2021, p.9 et conclusions d'appel de la société JG du 21 février 2022, p.7),
. qu'« à supposer que des fonds aient été versés par les époux [D] à la demande de Madame [K], il n'est pas démontré qu'ils n'ont pas profité à Madame [K] elle-même plutôt qu'à la SCI » (cf. conclusions de la SCI JG du 24 novembre 2021, p.10 et conclusions d'appel de la société JG du 21 février 2022, p.8),
. que « le fait que devant le Juge des Référés, les époux [D] s'étaient abstenus de mettre en cause la gérante de la SCI JG, (') laisse supposer une collusion frauduleuse » (cf. conclusions de la société JG du 24 novembre 2021, p.13),
. que « le fait que Madame [K] et ses déclarations n'ont aucune valeur probante, dans la mesure où cette femme a un intérêt personnel à faire peser sur la société JG cette dette plutôt que sur elle puisqu'elle est déjà fortement endettée » (cf. conclusions d'appel de la société JG du 21 février 2022, p.10),
- condamner en conséquence la société JG à lui verser la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en raison du préjudice moral résultant des propos de la société et de leur réitération en appel, ayant porté atteinte à son honneur et à sa considération,
En tout état de cause,
- condamner la société JG à lui payer la somme de 10.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société JG aux entiers dépens, avec distraction au profit de Me Vincent Vilchien.
* La clôture de la mise en état du dossier a été ordonnée le 11 juin 2025, l'affaire plaidée le 4 septembre 2025 et mise en délibéré au 6 novembre 2025.
Motifs
Les parties évoquent dans leurs écritures un conflit ayant opposé les époux [K], anciens associés de la société JG, à M. [G] [T] [X] et Mme [M] [T] [X], son épouse, ayant donné lieu à :
- une ordonnance du 21 décembre 2012 rendue par le juge des référés du tribunal de Bobigny, condamnant les époux [K], sur le fondement d'une reconnaissance de dette de leur part, à payer aux époux [T] [X], la somme principale de 82.000 euros,
- un nantissement provisoire le 2 juin 2015, à la demande des époux [T] [X], des parts sociales de la société JG en vertu de l'ordonnance précitée,
- un jugement du même tribunal du 18 mai 2017 déboutant notamment les époux [K] de leur demande tendant à voir prononcer la nullité de leur reconnaissance de dette (appel a été interjeté par les époux [K] contre ce jugement devant la cour d'appel de Paris, déclaré caduc selon ordonnance du conseiller de la mise en état du 28 février 2018).
Le conflit est distinct du présent litige, qui oppose la société JG, dont les époux [K] sont les anciens associés, Mme [K] en sa qualité d'ancienne gérante de la société JG et les époux [D].
Il est cependant constaté que ces derniers estiment que la vente par adjudication le 23 octobre 2015 des parts de la société JG au profit des époux [T] [X], porteurs de l'ordonnance de référé du 21 décembre 2012 précitée, est intervenue en méconnaissance de leurs droits.
Les époux [D] se prévalent, au soutien de leur demande en paiement dirigé contre la société JG, d'un acte signé 7 avril 2015 avec Mme [K], gérante de la société JG.
Sur la nature, la validité et les conséquences de l'acte du 7 avril 2015
L'acte litigieux est ainsi rédigé :
RECONNAISSANCE DE DETTE
ENTRE
La SCI JG représentée par sa gérante Madame [K]
ET
Madame et Monsieur [D] (')
Il a été convenu ce qui suit :
Madame et Monsieur [D] ont prêté à la SCI JG la somme de soixante dix neuf mille trois cents quatre vingt dix sept euros et soixante seize centimes, 79.397,76 euros.
En contrepartie, la SCI JG s'engage à céder le bail et les murs de son local commercial situé [Adresse 8] aux créanciers pour un montant à déterminer entre les partie [sic] duquel sera déduit le montant du prêt.
Fait à [Localité 18], le 07 avril 2015.
En trois (3) exemplaires.
Madame [K] [N] gérante de la SCI JG
Reconnais devoir à Monsieur et Madame [D] la somme de soixante dix neuf mille trois cents quatre vingt dix sept euros et soixante seize centimes, 79.397,76 euros [cette dernière mention manuscrite].
Suivent les signatures de Mme [K] et des époux [D].
1. sur la qualification de l'acte
La société JG estime que l'acte litigieux du 7 avril 2015 présente un caractère synallagmatique.
Les époux [D] considèrent que l'acte est un contrat unilatéral.
Sur ce,
Le juge tranche le litige conformément aux règles droit qui lui sont applicables et doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposé.
L'article 1102 du code civil, en sa version applicable en l'espèce, antérieure au 1er octobre 2016, date d'entrée en vigueur de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations, dispose que le contrat est synallagmatique ou bilatéral lorsque les contractants s'obligent réciproquement les uns envers les autres. L'article 1103 ancien suivant énonce que le contrat est unilatéral lorsqu'une ou plusieurs personnes sont obligées envers une ou plusieurs autres, sans que de la part de ces dernières il y ait engagement.
La reconnaissance de dette, quant à elle, est prévue par le code civil au titre des contrats ou obligations conventionnelles en général, dans le cadre des dispositions relatives à la preuve des obligations et du paiement, et plus particulièrement de la preuve littérale par acte sous seing privé (articles 1322 à 1332 anciens du code civil). Elle n'est pas un contrat, mais un acte juridique valant preuve.
Or si l'acte sous seing privé du 7 avril 2015 litigieux mentionne un prêt des époux [D] à la société JG, il ne contient pas ce prêt lui-même, alors qu'il n'y est pas fait état d'une obligation de remise de fonds. Ce prêt, qui est lui-même un contrat unilatéral par lequel seule la société JG, après remise des fonds entre ses mains, s'engage (à rembourser la somme prêtée), constitue la cause de l'acte sous seing privé, lequel contient deux obligations souscrites par la société JG, par l'intermédiaire de sa gérante : l'engagement de cession du bail et des murs de son local commercial et la reconnaissance qu'elle doit aux époux [D] la somme de 79.397,76 euros.
Aucun engagement n'est pris, aux termes de cet acte, par les époux [D]. La mention d'une « contrepartie » annonce en l'espèce l'engagement pris par la société JG de céder son bail et son local commercial selon un montant dont sera déduit le montant du prêt, et constitue une obligation pesant sur la société seule.
L'acte sous seing privé du 7 avril 2015 est en conséquence bien une reconnaissance de dette, acte unilatéral engageant la seule société JG, représentée par sa gérante Mme [K].
2. sur la validité de la reconnaissance de dette et la demande en paiement
La société JG fait en premier lieu valoir la nullité de l'acte pour défaut de formalité du double. Elle soutient ensuite que l'acte est nul pour absence de cause en l'absence de preuve de remise des fonds prêtés, soutenant ici qu'il est impossible de retenir l'attestation de Mme [K] comme preuve de cette remise, et concluant à l'infirmation du jugement qui a retenu à tort l'existence d'un prêt. Elle se prévaut ensuite de la nullité de l'acte pour défaut d'enregistrement. Elle ajoute enfin que Mme [K] s'est elle-même reconnue débitrice de la somme de 79.397,76 euros. Elle sollicite donc l'infirmation du jugement qui l'a condamnée à payer la dite somme entre les mains des époux [D]. Subsidiairement, elle argue de l'inopposabilité de la « reconnaissance de dette » pour absence de date certaine. A titre infiniment subsidiaire, elle se prévaut d'une absence de contrat en l'absence de remise des fonds. Elle rappelle que la Cour ne peut former une injonction destinée à des personnes (les banques) qui ne sont pas parties à l'instance.
Les époux [D] affirment que l'acte du 7 avril 2015 a été fait en autant d'exemplaires qu'il y a de parties ayant des intérêts distincts, leurs deux exemplaires étant communiqués et eux-mêmes n'étant pas en possession de celui de la société JG. Ils indiquent ensuite que la cause de l'acte est un prêt d'argent dont les motifs et l'utilisation n'intéressent pas le prêteur (qui en a cependant eu connaissance). L'acte litigieux est selon eux bien une reconnaissance de dette, à laquelle la société JG était partie, et non une promesse de vente, de sorte que son défaut d'enregistrement ne la rend pas nulle. Ils ajoutent que la remise des fonds, par chèques, n'est pas contestable. Aussi poursuivent-ils la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société JG à leur payer la somme de 79.397,76 euros.
Mme [K] estime valide la « reconnaissance de dette » du 7 avril 2015.
Sur ce,
Il n'est justifié d'aucune plainte pour faux, relative à la reconnaissance de dette du 7 avril 2015, déposée contre les époux [D] (la société JG justifie d'une seule plainte déposée le 8 décembre 2015 par sa gérante, Mme [K], pour abus de confiance de la part de M. et Mme [T] [X] [Z]).
Il est par ailleurs constaté qu'aucune des parties au litige ne critique le jugement qui a déclaré nulle la clause de l'acte du 7 avril 2015 par laquelle la société JG « s'engage à céder le bail et les murs de son local commercial situé [Adresse 8] aux créanciers pour un montant à déterminer entre les partie [sic] duquel sera déduit le montant du prêt ».
Sur le droit à agir
Si la société JG a en première instance conclu à l'irrecevabilité de l'action en justice et des prétentions émises par les époux [D] à son encontre, pour défaut de droit d'agir, force est de constater que cette fin de non-recevoir n'est plus évoquée en cause d'appel. Il en est pris acte.
Sur les mentions de l'acte
L'article 1326 du code civil, tel qu'en vigueur du 14 mars 2000 au 1er octobre 2016 et applicable à l'espèce, énonce que l'acte juridique par lequel une seule partie s'engage envers une autre à lui payer une somme d'argent ou à lui livrer un bien fongible doit être constaté dans un titre qui comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres.
Or l'acte du 7 avril 2015 constitue un titre comportant la signature de la représentante de la société JG (Mme [K], sa gérante) qui souscrit, au-delà de l'engagement de céder son bail et les murs de son local commercial, celui de rembourser la somme de 79.397,76 euros. La mention de la somme d'argent due, en chiffres et en toutes lettres, est écrite de la main de la gérante de la société JG qui s'engage.
Le tribunal a en conséquence à juste titre considéré que cet acte, portant reconnaissance de dette, était parfait.
Sur l'auteur de la reconnaissance de dette
Si Mme [K], dans l'acte litigieux, reconnaît devoir aux époux [D] la somme 79.397,76 euros, c'est en sa qualité de gérante de la société JG, partie mentionnée en tête de document.
Sur le nombre d'exemplaires de l'acte
L'article 1325 ancien du code civil prévoit que les actes sous seing privé qui contiennent des conventions synallagmatiques ne sont valables qu'autant qu'ils ont été faits en autant d'originaux qu'il y a de parties ayant un intérêt distinct, ajoutant qu'il suffit d'un original pour toutes les personnes ayant le même intérêt et que chaque original doit contenir la mention du nombre des originaux qui en ont été faits.
La reconnaissance de dette, étant un acte unilatéral et ne contenant aucune convention synallagmatique, n'a pas à être rédigée en plusieurs exemplaires. Le tribunal a donc justement estimé que l'acte du 7 avril 2015 n'était pas soumis à la formalité de l'article 1325 du code civil.
Il demeure cependant possible, dans un acte qui fait référence à la cause de la reconnaissance de dette, et ainsi, au prêt à l'origine de celle-ci, de prévoir plusieurs copies, comme cela a été prévu en l'espèce, l'acte mentionnant l'existence de trois exemplaires. Les époux [D] communiquent aux débats leurs deux exemplaires et ne peuvent produire l'exemplaire signé par la gérante de la société JG, que seule celle-ci peut verser aux débats. La société JG peut reprocher à Mme [K], son ancienne gérante, de ne pas lui avoir remis cet acte, mais ne peut le reprocher aux époux [D].
Sur l'enregistrement de l'acte
Aucune disposition n'impose l'enregistrement aux services fiscaux d'une reconnaissance de dette.
En revanche, l'article 1589-2 du code civil prévoit qu'est nulle et de nul effet toute promesse unilatérale de vente afférente à un immeuble, à un droit immobilier, à un fonds de commerce, à un droit à un bail portant sur tout ou partie d'un immeuble ou aux titres des sociétés, si elle n'est pas constatée par un acte authentique ou par un acte sous seing privé enregistré dans le délai de dix jours à compter de la date de son acceptation par le bénéficiaire.
L'acte litigieux du 7 avril 2015 contient certes une clause selon laquelle la société JG « s'engage à céder le bail et les murs de son local commercial situé [Adresse 8] aux créanciers pour un montant à déterminer entre les partie [sic] duquel sera déduit le montant du prêt ». Mais le tribunal a annulé cette clause, prise par Mme [K] en sa qualité de gérante de la société JG en l'absence d'autorisation votée par l'assemblée générale de ce faire, malgré les termes de l'article 19 des statuts de la société prévoyant une telle autorisation.
L'annulation de cette clause n'est pas remise en cause en l'espèce par la société JG, qui certes demande à la Cour d'infirmer le jugement sur ce point, mais n'évoque plus cette clause devant la Cour et conclut à la nullité de l'intégralité de l'acte litigieux, incluant celle-ci. Elle n'est pas non plus contestée par les époux [D], qui ne discutent pas l'annulation de la clause par le premier juge, ni encore par Mme [K], qui poursuit la confirmation du jugement de ce chef.
La clause ayant été annulée, les débats relatifs à l'enregistrement de l'acte, qui ne contient plus aucun engagement de cession d'un bien immobilier, sont sans objet.
Sur la date de l'acte
L'article 1328 ancien du code civil dispose que les actes sous seing privé n'ont de date contre les tiers que du jour où ils ont été enregistrés, du jour de la mort de celui ou de l'un de ceux qui les ont souscrits, ou du jour où leur substance est constatée dans les actes dressés par des officiers publics, tels que procès-verbaux de scellé ou d'inventaire.
Cependant, et ainsi que l'ont justement rappelé les premiers juges, la société JG, alors représentée par Mme [K], est partie à l'acte litigieux du 7 avril 2015 et n'y est donc pas tiers. La date de l'acte qu'elle a elle-même signé, par l'intermédiaire de sa gérante, lui est donc opposable. Elle est concomitante des versements allégués par les époux [D] et aucun élément du dossier ne vient la remettre en cause.
Sur la cause de l'acte
L'obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet (article 1131 ancien du code civil). La convention n'est pas moins valable, quoique la cause n'en soit pas exprimée (article 1132 du code civil).
La reconnaissance de dette est un acte juridique de preuve. Elle ne requiert pas la remise préalable, effective, d'une somme d'argent, le débiteur pouvant se reconnaître tel sans pour autant avoir reçu de l'argent. Aucune disposition n'oblige par ailleurs à mentionner la cause de la reconnaissance de dette sur celle-ci et elle reste donc valable, quoique sa cause n'y est pas exprimée.
Mais la mention de la cause de la reconnaissance de dette dans l'acte reste possible et a été reprise en l'espèce, l'acte litigieux du 7 avril 2015 faisant état du prêt accordé par les époux [D] à la société JG.
La reconnaissance de dette litigieuse implique des particuliers et vaut donc présomption de remise des fonds. Cette présomption est simple et il incombe à celui qui se désigne comme étant le débiteur mais qui conteste sa reconnaissance de dette, soit ici la société JG, de prouver ne pas avoir reçu les fonds.
M. et Mme [D] affirment que la somme de 79.397,76 euros dont ils demandent le remboursement correspond au cumul de sommes qu'ils ont prêtées à la société JG en 2015 pour lui permettre de désintéresser la société CIC, son créancier poursuivant la vente par adjudication de ses parts sociales.
Si en première instance les époux [D] se prévalaient d'une attestation de Mme [K] affirmant que les sommes qu'ils avaient prêtées avaient été libérées dans l'intérêt de la société JG afin d'éviter une vente judiciaire de son local commercial, celle-ci, qui émane d'une partie et perd ainsi son caractère probatoire, n'est plus produite aux débats en cause d'appel.
Les époux [D] versent aux débats un courriel du 2 avril 2015 adressé, pour ordre, par « [V] [F] », écrivant pour le compte de la société CIC, adressé à son « cher confrère » pour le compte de la société JG, accompagné d'un décompte de créance de la banque (synthèse détaillée, non datée) et faisant fait état d'une créance de celle-ci à hauteur de la somme principale de 64.626,74 euros (dont il est sollicité le paiement par chèque de banque à l'ordre de la société CIC) outre la somme de 14.771,02 euros (au titre des émoluments du conseil de la banque), précisant qu'à défaut de paiement (de la somme totale de 79.397,76 euros) « la vente sera requise ». Aucun de ces documents n'a cependant de date, d'auteur et de destinataire certains et n'a donc de valeur probante.
Il est cependant établi en l'espèce que la société CIC, selon commandement aux fins de saisie immobilière du 20 septembre 2013 publié aux services fiscaux, a poursuivi la vente du bien immobilier appartenant à la société JG. Par jugement du 16 décembre 2014 du tribunal de Bobigny, la vente sur adjudication a été prévue pour le 7 avril 2015.
Les époux [D] versent aux débats les copies de quatre chèques :
- un chèque de banque du Crédit Agricole du 3 avril 2015 d'un montant de 57.626,74 euros, émis à l'ordre de la société CIC et accompagné d'un bordereau montrant que la somme a bien été tirée sur leur compte,
- un chèque de banque de la Caisse d'Epargne du 3 avril 2015, d'un montant de 4.250 euros émis à l'ordre de la Carpa (Caisse des règlements pécuniaires des avocats) qui ne permet d'identifier ni le compte tiré ni son créancier final,
- un chèque de banque de la Caisse d'Epargne du 3 avril 2015, d'un montant de 7.000 euros, émis à l'ordre de la société CIC, dont le compte tiré n'est pas identifié,
- un chèque de banque du Crédit Agricole du 7 avril 2015, d'un montant de 10.521,02 euros émis à l'ordre de la Carpa, sans mention de son créancier final, accompagné d'un bordereau montrant que la somme a bien été tirée sur leur compte.
Les époux [D] démontrent ainsi que la société CIC a été destinataire, quelques jours avant la reconnaissance de dette litigieuse du 7 avril 2015, de la somme de 57.626,74 + 7.000 = 64.626,74 euros (montant réclamé par la banque selon décompte de créance précité) et qu'eux-mêmes sont avec certitude à l'origine du versement de la somme, a minima, de 57.626,74 + 10.521,02 = 68.147,76 euros. Ils n'établissent pas être les auteurs des paiements de la somme de 4.250 + 7.000 = 11.250 euros. Le montant total des quatre chèques est de 79.397,76 euros.
La vente du local commercial de la société JG n'a pas été poursuivie par la société CIC et le juge de l'exécution de [Localité 14] a par jugement du 7 avril 2015 déclaré le commandement de saisie caduc et en a ordonné la radiation. Ce jugement n'évoque pas la remise de fonds à la société JG lui permettant de s'acquitter de sa dette envers la banque (et encore moins la remise de fonds par les époux [D] directement au profit de la société CIC).
La concomitance des poursuites de la société CIC contre la société JG, de la remise de chèques au profit de la banque (ou d'un compte Carpa, alors qu'une vente judiciaire était prévue et que des avocats étaient nécessairement impliqués) et de la reconnaissance de dette du 7 avril 2015, ainsi que la corrélation entre le montant des sommes réclamées par la société CIC, celui des chèques que les époux [D] versent aux débats et la reconnaissance de dette de la société JG, et enfin l'arrêt des poursuites de la banque contre la dite société, constituent un faisceau d'indices confirmant la réalité du versement par les époux [D] de la somme totale de 79.397,76 euros au profit de la société JG (qui, sans transiter par celle-ci a permis de désintéresser, directement, son créancier la société CIC).
Ni la société JG, ni son ancienne gérante Mme [K], ne versent aux débats la comptabilité de l'entreprise susceptible de remettre en cause ces paiements. La société JG affirme, mais ne prouve pas, avoir transmis cette entière comptabilité à la société DJMF à laquelle ses 200 parts sociales ont le 23 octobre 2015 été vendues.
La société JG, ainsi, échoue à renverser la présomption de remise des fonds et le faisceau d'indices venant la confirmer, remise qui constitue la cause de sa reconnaissance de dette au profit des époux [D].
Elle peut donc se prévaloir ni d'une absence de cause de sa reconnaissance de dette, ni même de l'inexistence du contrat de prêt pour absence de remise des fonds.
Sur la demande d'injonction contre les banques
L'article 11 du code de procédure civile énonce que les parties sont tenues d'apporter leur concours aux mesures d'instruction sauf au juge à tirer toute conséquence d'une abstention ou d'un refus. Il ajoute que si une partie détient un élément de preuve, le juge peut, à la requête de l'autre partie, lui enjoindre de le produire, au besoin à peine d'astreinte et qu'il peut également, à la requête de l'une des parties, demander ou ordonner, au besoin sous la même peine, la production de tous documents détenus par des tiers s'il n'existe pas d'empêchement légitime.
Mais au vu des pièces versées aux débats et des éléments qui précèdent ainsi que de l'échec de la société JG à renverser la présomption d'une remise des fonds, une injonction, faite aux banques émettrices des chèques précités, apparaît inopportune, ce d'autant plus que deux de ces chèques sont déjà accompagnés d'un bordereau permettant d'identifier les titulaires du compte débité.
Il ne sera donc pas fait droit à la demande de la société JG aux fins d'injonction, d'ailleurs non reprise au dispositif de ses écritures.
***
Il résulte de ces développements que l'acte du 7 avril 2015 constitue une reconnaissance de dette de la part de la société JG au profit des époux [D], valide et opposable au débiteur.
Le tribunal a en conséquence justement condamné la société JG à respecter son engagement et à payer aux époux [D] la somme de 79.397,76 euros.
3. sur les intérêts
La société JG estime que les époux [D] ne justifient pas de l'envoi de leur courrier du 19 février 2016, lequel ne porte en outre aucune mise en demeure de payer à son égard. Les courriers des mois d'avril et juin 2018 ne comportent pas plus de demande de paiement et le tribunal a donc selon elle valablement retenu la lettre du mois d'octobre 2018 comme seule mise en demeure et point de départ des intérêts.
Les époux [D] reprochent au tribunal d'avoir fait courir les intérêts de leur créance à compter de leur quatrième mise en demeure de payer adressée à la société JG et demandent que ce point de départ soit fixé au 19 février 2016, première mise en demeure selon eux.
Sur ce,
L'article 1153 ancien du code civil, applicable en l'espèce, dispose que dans les obligations qui se bornent au paiement d'une certaine somme, les dommages-intérêts résultant du retard dans l'exécution ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal, sauf les règles particulières au commerce et au cautionnement.
Il résulte par ailleurs des dispositions de l'article 1146 ancien du même code qu'un courrier portant demande de paiement peut constituer une mise en demeure s'il en ressort une interpellation suffisante.
Par courrier recommandé du 19 février 2016, les époux [D] n'ont pas réclamé le paiement de leur créance à la société JG, mais ont déclaré à celle-ci qu'elle leur devait la somme de 79.397,76 euros et lui ont demandé de prendre connaissance de ses engagements pris à leur égard lorsqu'elle était représentée par son ancienne gérante. Ce courrier ne porte pas une interpellation suffisante d'avoir à payer. La copie de l'avis de réception telle que versée débats ne permet en outre pas de vérifier que le courrier a bien été envoyé et reçu.
Il en est de même du courrier recommandé du 20 avril 2018, par lequel les époux [D] visent un courrier du 22 décembre 2017 (non communiqué) dans lequel ils rappelaient à la société JG ses engagements, puis du courrier du 8 juin 2018, visant le courrier du 22 décembre 2017 non produit et le courrier précédant du 20 avril 2018, courriers qui ne portent pas d'interpellation suffisante adressée à la société de payer.
Par courrier recommandé du 26 octobre 2018 (avis de réception signé le 29 octobre), en revanche, le conseil des époux [D] a clairement mis en demeure la société JG de régler à ses clients la somme de 79.397,76 euros.
Le tribunal a donc justement assorti sa condamnation de la société JG à paiement au profit des époux [D] des intérêts au taux légal à compter du 26 octobre 2018, avec anatocisme. Le jugement sera confirmé de ce chef.
4. sur la demande de dommages et intérêts des époux [D]
Les époux [D] précisent que la somme prêtée devait servir à l'acquisition d'un fonds de commerce, impossible du fait de son immobilisation, laquelle constitue un préjudice dont ils demandent l'indemnisation à hauteur de 10.000 euros.
La société JG estime que le tribunal a à juste titre rejeté la demande de dommages et intérêts des époux [D], qui ne justifient pas de leur préjudice.
Sur ce,
Tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer (article 1240 nouveau - 1382 ancien - du code civil).
Or si l'absence de remboursement par la société JG de la somme prêtée par les époux [D], malgré sa reconnaissance de dette, est fautive, les créanciers ne justifient d'aucun préjudice distinct de celui qui est réparé par le cours des intérêts sur la somme due. Ils affirment en effet que la somme prêtée était destinée à l'acquisition d'un fonds de commerce, ce qui n'est confirmé par aucune pièce.
Aussi convient-il de confirmer le jugement qui a débouté les époux [D] de leur demande de dommages et intérêts.
Sur la garantie de Mme [K]
La société JG appelle la garantie de Mme [K], son ancienne gérante, qui a en cette qualité agi sans autorisation de l'assemblée générale pour l'engager à hauteur de 79.387,76 euros et a outrepassé ses pouvoirs.
Les époux [D] précisent ne pas être concernés par les relations de la société JG avec Mme [K].
Mme [K] se défend de toute faute de gestion en sa qualité de gérante de la société JG, faisant état de l'absence de preuve par cette dernière d'une faute de sa part séparable de ses fonctions et pouvant lui être personnellement imputée et arguant de son pouvoir pour engager la société. Elle fait ensuite valoir l'absence de tout préjudice de la société JG découlant de sa prétendue faute.
Sur ce,
L'article 1850 du code civil dispose que chaque gérant est responsable individuellement envers la société et envers les tiers, soit des infractions aux lois et règlements, soit de la violation des statuts, soit des fautes commises dans sa gestion.
L'article 19 des statuts de la société JG, applicables à l'époque de sa gestion par Mme [K], stipulait in fine, sans que cette clause puisse être opposée aux tiers, que le gérant ne pouvait « sans y être autorisé par une décision extraordinaire des associés, acheter, vendre ou échanger tous immeubles, contracter des emprunts pour le compte de la société (') ».
Or Mme [K] ne justifie d'aucune autorisation des associés, préalable à la reconnaissance de dette du 7 avril 2015 et aux fins de contracter un emprunt pour le compte de la société JG. Elle n'a pas non plus été autorisée à prendre des engagements pour la vente du bail de la société et des murs de son local commercial. Aucun procès-verbal des associés de la société, portant autorisation en ce sens, n'est versé aux débats.
La société JG était à l'époque des faits certes composée de deux seuls associés, Mme [K], sa gérante, et M. [K], son époux, et celui-ci certifie sur l'honneur, le 1er septembre 2020, avoir autorisé sa conjointe « à conclure un prêt d'un montant de 79397,76 euros auprès de M. [D] et de revendre la boutique à M. [D] ». Cette attestation, accompagnée de la copie de la pièce d'identité de son signataire, ne porte cependant pas les mentions requises par l'article 202 du code de procédure civile. En outre, émanant de l'époux d'une partie à l'instance, elle doit être lue avec circonspection.
Ensuite, si le prêt des époux [D] a permis à la société JG, dans son intérêt, d'apurer sa dette de 64.626,74 euros vis-à-vis de la société CIC et d'éviter la vente par adjudication de son local commercial poursuivie par la banque, il a engagé la société au remboursement d'une somme supérieure à cette dette, préjudiciable aux intérêts de la société.
Le tribunal a donc à tort écarté la responsabilité de Mme [K].
Statuant à nouveau, la Cour retient que l'intéressée a outrepassé les pouvoirs que lui donnaient les statuts de la société JG en sa qualité de gérante et a donc engagé sa responsabilité vis-à-vis de ladite société, autrement composée.
Mme [K] sera en conséquence condamnée à relever et garantir la société JG de la condamnation prononcée à son encontre au profit des époux [D], en principal et intérêts.
Sur la demande de dommages et intérêts de Mme [K]
Mme [K] argue d'un certain nombre de propos dénigrants à son encontre tenus par la société JG dans ses conclusions, propos qui portent atteinte à son honneur et sa dignité. Elle réclame donc la réparation d'un préjudice moral à hauteur de 10.000 euros.
La société JG estime que la demande de Mme [K] de ce chef se heurte aux principes essentiels garantissant les droits de la défense dans une instance judiciaire, ajoutant que les propos litigieux concernent des faits démontrés ou pouvant l'être.
Sur ce,
Tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer (article 1240 du code civil).
L'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, tel qu'en vigueur depuis le 19 novembre 2008, dispose que ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, notamment, les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux (alinéa 4), mais que les juges, saisis de la cause et statuant sur le fond, pourront néanmoins prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts (alinéa 5).
Le conseil de la société JG bénéficie ainsi d'une immunité pénale. Mais les propos inutilement blessants et sans lien avec le litige concernant Mme [K], dans ses conclusions, peuvent donner lieu à suppression (ici non sollicitée) et dommages et intérêts.
Mme [K] reproche à la société JG d'avoir affirmé qu'elle n'avait de cesse, avec son époux, de « harceler » les époux [X] alors qu'elle est étrangère à l'introduction du présent litige (conclusions d'appel du 24 novembre 2021), d'avoir émis une attestation « dénuée de toute crédibilité » aux fins de nuire aux associés de la société JG par souci de vengeance après avoir été évincée de celle-ci (conclusions d'appel du 21 février 2022), de faire état de son « acrimonie » (même conclusions), de ne pas démontrer que les fonds versés ne lui ont pas profité plutôt qu'à la société (idem) et de présenter des déclarations sans valeur probante (idem).
La Cour constate que l'attestation de Mme [K] que la société JG estime être dénuée d'effet probatoire et qui selon elle constituerait une « vengeance » de l'intéressée pour avoir été évincée de la société, n'est plus versée aux débats en cause d'appel, de sorte qu'il n'est pas possible de vérifier l'inexactitude des propos de la société JG la concernant.
La société JG verse par ailleurs aux débats un compromis signé le 7 octobre 2013 entre elle-même, alors sous la gestion de Mme [K], et la société DJMF pour la vente de son local commercial moyennant un prix de 120.000 euros. La société JG n'a pas donné suite à ce compromis, alors que la conclusion définitive de cette vente lui aurait permis de régler ses dettes vis-à-vis de la société CIC sans emprunter de l'argent aux époux [D]. Me [S] [E], notaire, devant le silence de la société JG et de sa gérante, a par acte du 24 juillet 2015 rappelé les termes de ce compromis ainsi que les nombreuses convocations adressées à la société JG aux fins de régularisation de l'acte authentique et lui a fait sommation de se présenter, dressant un procès-verbal de carence le même jour.
La responsabilité de Mme [K] a ensuite été retenue plus haut par la Cour de céans, pour non-respect des termes des statuts de la société JG alors qu'elle en était la gérante.
Il est enfin observé que si la société JG s'interroge sur le bénéficiaire réel des fonds prêtés par les époux [D], elle ne fait pas clairement état d'un détournement de ces fonds par Mme [K].
Il ne peut donc, au vu de ces éléments, être reproché à la société JG, composée de nouveaux associés, d'émettre un certain nombre de reproches personnels à Mme [K], son ancienne gérante, afin de démontrer sa gestion fautive. Les propos tenus par la société JG peuvent blesser Mme [K], mais ne sont pas étrangers au litige.
Aussi le jugement sera, par substitution de motifs, confirmé en ce qu'il a débouté Mme [K] de sa demande de dommages et intérêts dirigée contre la société JG.
Sur les dépens et frais irrépétibles
Le sens de l'arrêt conduit à l'infirmation du jugement en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles de première instance, mis à la seule charge de la société JG.
Statuant à nouveau et ajoutant au jugement, la Cour condamnera non seulement la société JG, mais également Mme [K], qui succombent toutes deux à l'instance, aux dépens de première instance et d'appel, chacune pour moitié, conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.
Tenue aux dépens, la société JG sera condamnée à payer aux époux [D], qui ne formulent de demande à ce titre qu'à son encontre, la somme équitable de 6.000 euros en indemnisation des frais exposés en première instance et en cause d'appel et non compris dans les dépens, en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Egalement tenue aux dépens, Mme [K] sera condamnée à payer à la société JG, sur le même fondement, la somme équitable de 3.000 euros en indemnisation de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.
Ces condamnations emportent le rejet des demandes de la société JG et de Mme [K] sur ces fondements.
Par ces motifs,
La Cour, dans les limites de sa saisine,
Confirme le jugement par substitution de motifs, sauf en ce qu'il a débouté la SCI JG de sa demande de condamnation de Mme [N] [A], épouse [K], à la garantir des condamnations prononcées à son encontre et en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles de première instance,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et ajoutant au jugement,
Condamne Mme [N] [A], épouse [K], à relever et garantir la SCI JG de la condamnation prononcée contre elle au profit de M. [I] [D] et Mme [B] [Y], épouse [D], en principal et intérêts,
Condamne la SCI JG et Mme [N] [A], épouse [K], chacune pour moitié, aux dépens de première instance et d'appel,
Condamne la SCI JG à payer à M. [I] [D] et Mme [B] [Y], épouse [D], la somme de 6.000 euros en indemnisation de leurs frais irrépétibles de première instance et d'appel,
Condamne Mme [N] [A], épouse [K], à payer à la SCI JG la somme de 3.000 euros en indemnisation de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,
AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 10
ARRÊT DU 6 NOVEMBRE 2025
(n° , 19 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/22209 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CE3YJ
Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Octobre 2021- Tribunal judiciaire de Bobigny- RG n° 19/14373
APPELANTE
S.C.I. JG, agissant poursuite et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège,
[Adresse 7]
[Localité 13]
N° SIRET : 484 330 030
Représentée par Me Pasquale BALBO, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : PB131
Ayant pour avocat plaidant : Me Olivier VIBERT de la SELARL KBESTAN, avocat au barreau de PARIS, toque : E372
INTIMÉS
Monsieur [I] [D]
[Adresse 1]
[Localité 12]
né le [Date naissance 3] 1971 à [Localité 15] (SRI LANKA)
ET
Madame [B] [U] épouse [D]
[Adresse 1]
[Localité 12]
née le [Date naissance 5] 1974 à [Localité 15] (SRI LANKA)
Représentés par Me Bruno REGNIER de la SCP CAROLINE REGNIER AUBERT - BRUNO REGNIER, AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050
Ayant pour avocat plaidant : Me Benoît DIETSCH de l'Association MALTERRE DIETSCH, avocat au barreau de PARIS, toque : R155, substitué à l'audience par Me Jean-Louis MALTERRE, avocat au barreau de PARIS
Madame [N] [C] épouse [K]
[Adresse 6],
[Localité 19] [Adresse 2] (ROYAUME UNI)
née le [Date naissance 11] 1970 à [Localité 20] (SRI LANKA)
Représentée par Me Vincent VILCHIEN de l'AARPI MERIDIAN, avocat au barreau de PARIS, toque : R120
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 04 Septembre 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Marie-Odile DEVILLERS, Présidente
Mme Valérie MORLET, Conseillère
Mme Anne ZYSMAN, Conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme Valérie MORLET dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Catherine SILVAN
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Odile DEVILLERS, Présidente et par Joëlle COULMANCE, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
***
Faits et procédure
La SCI JG a été constituée le 1er avril 2005 entre M. [W] [K] et Mme [N] [A], épouse [K] (sa gérante). Elle a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Bobigny le 26 septembre. Elle est propriétaire d'un local commercial situé à [Localité 18] (Seine [Localité 17]).
Les 200 parts sociales de la société JG ont le 23 octobre 2015 été vendues par adjudication à la SCI DJMF Immobilier, représentée par son gérant, M. [L] [T] [X] [Z], pour un prix de 54.402,96 euros. Les associés de la société DJMF ont en assemblée générale le 24 octobre 2015, par deux résolutions, voté le retrait des précédents associés, M. et Mme [K], et la révocation de l'ancienne gérante, Mme [K], M. [T] [X] étant désigné en qualité de nouveau gérant.
Le conseil de M. [I] [D] et Mme [B] [Y], épouse [D], a par courrier recommandé du 26 octobre 2018 indiqué à la société JG que celle-ci restait devoir à ses clients la somme principale de 79.397,76 euros, la mettant en demeure de répondre à son courrier et de payer la dite somme sous huitaine.
En l'absence de paiement, les époux [D] ont par actes des 13 et 22 novembre 2018 assigné la société JG devant le juge des référés en paiement de la somme provisionnelle de 79.397,76 euros en remboursement d'un prêt consenti au mois d'avril 2015, antérieurement à la vente précitée. En présence de contestations sérieuses opposées par la société JG, le magistrat a par ordonnance du 1er mars 2019 débouté les époux [D] de l'ensemble de leurs demandes et les a condamnés aux dépens et au paiement entre les mains de la société JG de la somme de 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Les époux [D] ont alors par acte du 6 décembre 2019 assigné la société JG et Mme [K] en remboursement de leur prêt devant le tribunal de grande instance de Bobigny.
* Le tribunal, devenu tribunal judiciaire, a par jugement du 12 octobre 2021 :
- déclaré Mme [K] irrecevable en toutes ses demandes dirigées contre les époux [X], qui ne sont pas dans la cause,
- déclaré les époux [D] recevables et partiellement bien-fondés en leurs demandes à l'encontre de la société JG,
- déclaré la société JG recevable mais partiellement mal-fondée en ses demandes reconventionnelles à l'égard des époux [D] et en ses demandes à l'égard de Mme [K],
- qualifié de reconnaissance de dette l'acte sous seing privé du 7 avril 2015 et l'a déclaré valide en ce qu'il constate la reconnaissance par la société JG qu'elle doit aux époux [D] la somme de 79.397,76 euros qu'ils lui ont prêtée,
- annulé la clause de l'acte sous seing privé du 7 avril 2015 prévoyant l'engagement de la société JG de céder aux époux [D] le bail et les murs de son local commercial situé [Adresse 9] aux créanciers pour un montant à déterminer entre les parties, duquel sera déduit le montant du prêt,
- débouté la société JG du surplus de sa demande d'annulation,
- condamné la société JG à payer aux époux [D] :
1°) la somme principale de 79.397,76 euros, assortie des intérêts de retard calculés au taux légal à compter du 26 octobre 2018, date de la mise en demeure d'avoir à régler cette somme sous huitaine, jusqu'à parfait paiement, avec capitalisation des intérêts dus pour une année entière en application de l'article 1343-2 du code civil,
2°) la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les époux [D] de leur demande de condamnation de la société JG à leur payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts,
- condamné la société JG aux entiers dépens de l'instance, avec distraction au profit du conseil des époux [D],
- ordonné l'exécution provisoire du jugement,
- débouté la société JG de sa demande de condamnation de Mme [K] à la garantir des condamnations prononcées à son encontre,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes plus amples ou contraires.
Le premier juge a repris les termes de l'acte sous seing privé signé le 7 avril 2015 par la société JG et les époux [D] et estimé qu'il constituait un acte unilatéral, sans caractère synallagmatique, caractéristique d'une reconnaissance de dette, dont la nullité ne pouvait être retenue ni pour absence de double, ni pour absence de cause et de remise des fonds (lesquels ont par ailleurs été effectifs), ni encore pour défaut d'enregistrement.
Il a en revanche constaté que l'engagement de cession du bail et du local commercial avait été consenti par la société JG en l'absence de toute autorisation de son assemblée générale et considéré que sa gérante, Mme [K], avait outrepassé ses pouvoirs au titre de cet engagement, qu'il a annulé.
Estimant que les époux [D] avaient bien prêté la somme de 79.398,76 euros à la société JG, à charge de remboursement, et que celui-ci n'était pas intervenu, le premier juge a condamné la société à payer la dite somme aux premiers, mais débouté ceux-ci de leur demande de dommages et intérêts, faute d'établir la réalité d'un préjudice distinct de celui qui était réparé par la condamnation principale.
Le premier juge n'a pas retenu de faute de la part de Mme [K] contre la société JG dont elle a préservé les intérêts en évitant, par l'obtention d'un prêt des époux [D], la vente par adjudication de son local commercial et n'a donc pas fait droit à la demande de dommages et intérêts présentée à son encontre par la dite société.
Il a enfin observé que la demande de Mme [K] tendant à voir ordonner la suppression d'un certain nombre de propos tenus par la société JG dans ses conclusions n'était pas reprise dans le dispositif de ses écritures, de sorte qu'il n'avait pas à statuer sur ce point. L'intéressée ne justifiant selon lui pas de son préjudice moral, elle a été déboutée de sa demande d'indemnisation de ce chef.
La société JG a par acte du 15 décembre 2021 interjeté appel de ce jugement, intimant les époux [D] et Mme [K] devant la Cour.
* La société JG, dans ses dernières conclusions signifiées le 10 mars 2025, demande à la Cour de :
- infirmer le jugement en ce qu'il :
. a déclaré les époux [D] recevables et partiellement bien-fondés en leurs demandes à de la société JG,
. l'a déclarée recevable mais partiellement mal-fondée en ses demandes reconventionnelles à l'égard des époux [D] et Mme [K],
. a qualifié de reconnaissance de dette l'acte sous seing privé du 7 avril 2015 et l'a déclaré valide en ce qu'il constate sa reconnaissance qu'elle doit aux époux [D] la somme de 79.397,76 euros qu'ils lui ont prêtée,
. a annulé la clause de l'acte du 7 avril 2015 prévoyant l'engagement de sa part de céder aux époux [D] le bail et les murs de son local commercial situé [Adresse 9] aux créanciers pour un montant à déterminer entre les parties, duquel sera déduit le montant du prêt,
. l'a déboutée du surplus de sa demande d'annulation,
. l'a condamnée à payer aux époux [D] :
1°) la somme principale de 79.397,76 euros, assortie des intérêts de retard calculés au taux légal à compter du 26 octobre 2018, date de la mise en demeure d'avoir à régler cette somme sous huitaine, jusqu'à parfait paiement, avec capitalisation des intérêts,
2°) la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
. l'a condamnée aux entiers dépens de l'instance, avec distraction au profit des conseils adverses,
. l'a déboutée de sa demande de condamnation de Mme [K] à la garantir des condamnations prononcées à son encontre,
. a débouté les parties du surplus de leurs demandes plus amples ou contraires,
Statuant à nouveau,
- juger nul et non avenu l'acte juridique dénommé « reconnaissance de dette » daté du 7 avril 2015 pour violation de la formalité du double,
- juger nul et non avenu l'acte juridique dénommé « reconnaissance de dette » daté du 7 avril 2015 pour absence de cause,
- juger inopposable la reconnaissance de dette de Mme [K],
- débouter les époux [D] de l'ensemble de leurs « demandes, fins, prétentions et conclusions »,
A titre subsidiaire,
- lui juger inopposable l'acte juridique dénommé « reconnaissance de dette » pour absence de date certaine,
- en conséquence, débouter les époux [D] de l'ensemble de « leurs demandes, fins, prétentions et conclusions »,
A titre infiniment subsidiaire,
- juger que le contrat de prêt allégué ainsi que la remise des fonds corrélative n'existant pas en [sic] et ne sont jamais intervenus,
- en conséquence, débouter les époux [D] de l'ensemble de leurs « demandes, fins, prétentions et conclusions »,
En tout état de cause,
- débouter Mme [K] de l'ensemble « de ses demandes, fins et conclusions »,
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les époux [D] [de leurs demandes],
- débouter les époux [D] de l'ensemble de « leurs demandes, fins et conclusions »,
- condamner Mme [K] à garantir toutes les condamnations qui seraient prononcées à son encontre en application des dispositions de l'acte daté du 7 avril 2015,
- condamner solidairement les époux [D] et Mme [K] au paiement des sommes de 6.000 euros au titre de la première instance et de 6.000 euros en cause d'appel,
- les condamner également aux entiers dépens, avec distraction au profit de Maître Pasquale.
M. et Mme [D], dans leurs dernières conclusions signifiées le 8 janvier 2025, demandent à la Cour de :
- les recevoir en toutes leurs « demandes fins et conclusions » et les dire bien-fondés en leurs demandes,
- les déclarer recevables en leur appel incident et y faire droit,
- débouter la société JG de l'ensemble de ses « demandes fins et conclusions »,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il :
. a qualifié de reconnaissance de dette l'acte sous seing privé en date du 7 avril 2015 et l'a déclaré valide en ce qu'il constate la reconnaissance par la société JG qu'elle leur devait la somme de 79.397.76 euros qu'ils lui ont prêtée,
. a condamné la société JG à leur payer :
1°) la somme principale de 79.397,76 euros assortie des intérêts de retard calculés au taux légal jusqu'à parfait paiement avec capitalisation des intérêts,
2°) la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
. a condamné la société JG aux entiers dépens,
. a ordonné l'exécution provisoire,
- infirmer la décision en ce qu'elle :
. a fixé le point de départ des intérêts de retard au 26 octobre 2018,
. les a déboutés de leur demande de dommages et intérêts,
Et statuant à nouveau,
- condamner la société JPG à leur verser :
. la somme principale de 79.397,76 euros assortie des intérêts de retard calculé au taux légal à compter du 19 février 2016 date de la première mise en demeure et jusqu'à parfait paiement avec capitalisation des intérêts,
. la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts,
. la somme de 10000 [euros] (première instance et appel) au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
A titre subsidiaire, si la Cour s'estimait insuffisamment informée et dans la mesure où les établissements bancaires se retranchent derrière le secret bancaire,
- ordonner aux banques concernées de produire sous astreinte de 50 euros par jour et par document les justificatifs de la destination des chèques de banque par elles émises à savoir :
. pour le Crédit agricole de Picardie situé [Adresse 10] à [Localité 16] (Seine et Marne) :
. chèque de 57.626,74 [euros] du 3 avril 2015 n°0531936 sur le compte n°88825000010,
. chèque du 7 avril 2015 n°0531938 sur le compte n°88825000010,
. pour la Caisse d'épargne d'Ile de France située [Adresse 4] (Seine [Localité 17]) :
. chèque du 3 avril 2015 n°0056470 sur le compte n°17515 00092 99 5240078 96 42 0000578,
. chèque du 3 avril 2005 n°0056472 sur le compte 17515 00092 99 5240078 96 42 0000578,
- condamner la société JPG aux entiers dépens.
Mme [K], dans ses dernières conclusions signifiées le 3 mai 2022, demande à la Cour de :
- la recevoir en ses écritures, les disant bien fondées,
- la déclarer recevable en son appel incident et y faisant droit,
- débouter la société JG de l'ensemble de ses « demandes, fins et conclusions »,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il :
. a déclaré les époux [D] recevables et partiellement bien-fondés en leurs demandes à l'encontre de la société JG,
. a déclaré la société JG recevable mais partiellement mal-fondée en ses demandes reconventionnelles à l'égard des époux [D] et en ses demandes à son égard,
. a qualifié de reconnaissance de dette l'acte sous seing privé du 7 avril 2015 et l'a déclaré valide en ce qu'il constate la reconnaissance par la société JG qu'elle doit aux époux [D] la somme de 79.397,76 euros qu'ils lui ont prêtée,
. a annulé la clause de l'acte sous seing privé en date du 7 avril 2015 prévoyant l'engagement de la société JG de céder aux époux [D] le bail et les murs de son local commercial situé [Adresse 9] aux créanciers pour un montant à déterminer entre les parties, duquel sera déduit le montant du prêt,
. a débouté la société JG du surplus de sa demande d'annulation,
. a condamné la société JG à payer aux époux [D] :
1°) la somme principale de 79.397,76 euros, assortie des intérêts de retard calculés au taux légal à compter du 26 octobre 2018, date de la mise en demeure d'avoir à régler cette somme sous huitaine, jusqu'à parfait paiement, avec capitalisation des intérêts,
2°) la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
. a condamné la société JG aux entiers dépens de l'instance,
. a ordonné l'exécution provisoire du jugement,
. a débouté la société JG de sa demande de condamnation présentée à son égard à la garantir des condamnations prononcées à son encontre,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de condamnation de la société JG à lui payer la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts en raison du préjudice moral résultant des propos tenus par la société ayant porté atteinte à son honneur et à sa considération, au visa de l'article 41 de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881,
Et, statuant à nouveau,
- juger fautifs, au visa de l'article 41 de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, les propos tenus par la société JG au sein de ses conclusions de première instance et de celles signifiées par ses soins le 21 février 2022 dans le cadre de la présente procédure, alléguant :
. que les époux [K], « malgré leurs échecs, n'ont de cesse de harceler » ses associés en « intervenant maintenant par personnes interposées » (cf. conclusions de la société JG du 24 novembre 2021, p.3),
. que les époux [K] « qui n'ont jamais rien remboursé, n'ont eu de cesse que de harceler la famille [T] [X] en la personne des prêteurs initiaux qu'à l'égard des enfants, nouveaux associés de la société JG » (cf. conclusions d'appel de la société JG du 21 février 2022, p.3),
. que l'attestation de Mme [K] quant à la souscription du prêt litigieux serait « dénuée de toute crédibilité ne serait-ce que par l'exposé préalable figurant dans ses conclusions démontrant qu'elle est décidée à nuire, par tous moyens aux associés de la SCI JG » (Cf. conclusions de la société JG du 24 novembre 2021, p.9),
. que l'attestation de Mme [K] quant à la souscription du prêt litigieux serait « dénuée de toute crédibilité et ne sert qu'à une chose : nuire aux associés de la SCI JG. En effet, par ce biais, Madame [K] "se venge" d'avoir été évincée de la SCI JG » (cf. conclusions d'appel de la société JG du 21 février 2022, p.7),
. que « l'acrimonie dont fait preuve Madame [K] ruine toute crédibilité de son "attestation" » (cf. conclusions de la société JG du 24 novembre 2021, p.9 et conclusions d'appel de la société JG du 21 février 2022, p.7),
. qu'« à supposer que des fonds aient été versés par les époux [D] à la demande de Madame [K], il n'est pas démontré qu'ils n'ont pas profité à Madame [K] elle-même plutôt qu'à la SCI » (cf. conclusions de la SCI JG du 24 novembre 2021, p.10 et conclusions d'appel de la société JG du 21 février 2022, p.8),
. que « le fait que devant le Juge des Référés, les époux [D] s'étaient abstenus de mettre en cause la gérante de la SCI JG, (') laisse supposer une collusion frauduleuse » (cf. conclusions de la société JG du 24 novembre 2021, p.13),
. que « le fait que Madame [K] et ses déclarations n'ont aucune valeur probante, dans la mesure où cette femme a un intérêt personnel à faire peser sur la société JG cette dette plutôt que sur elle puisqu'elle est déjà fortement endettée » (cf. conclusions d'appel de la société JG du 21 février 2022, p.10),
- condamner en conséquence la société JG à lui verser la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en raison du préjudice moral résultant des propos de la société et de leur réitération en appel, ayant porté atteinte à son honneur et à sa considération,
En tout état de cause,
- condamner la société JG à lui payer la somme de 10.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société JG aux entiers dépens, avec distraction au profit de Me Vincent Vilchien.
* La clôture de la mise en état du dossier a été ordonnée le 11 juin 2025, l'affaire plaidée le 4 septembre 2025 et mise en délibéré au 6 novembre 2025.
Motifs
Les parties évoquent dans leurs écritures un conflit ayant opposé les époux [K], anciens associés de la société JG, à M. [G] [T] [X] et Mme [M] [T] [X], son épouse, ayant donné lieu à :
- une ordonnance du 21 décembre 2012 rendue par le juge des référés du tribunal de Bobigny, condamnant les époux [K], sur le fondement d'une reconnaissance de dette de leur part, à payer aux époux [T] [X], la somme principale de 82.000 euros,
- un nantissement provisoire le 2 juin 2015, à la demande des époux [T] [X], des parts sociales de la société JG en vertu de l'ordonnance précitée,
- un jugement du même tribunal du 18 mai 2017 déboutant notamment les époux [K] de leur demande tendant à voir prononcer la nullité de leur reconnaissance de dette (appel a été interjeté par les époux [K] contre ce jugement devant la cour d'appel de Paris, déclaré caduc selon ordonnance du conseiller de la mise en état du 28 février 2018).
Le conflit est distinct du présent litige, qui oppose la société JG, dont les époux [K] sont les anciens associés, Mme [K] en sa qualité d'ancienne gérante de la société JG et les époux [D].
Il est cependant constaté que ces derniers estiment que la vente par adjudication le 23 octobre 2015 des parts de la société JG au profit des époux [T] [X], porteurs de l'ordonnance de référé du 21 décembre 2012 précitée, est intervenue en méconnaissance de leurs droits.
Les époux [D] se prévalent, au soutien de leur demande en paiement dirigé contre la société JG, d'un acte signé 7 avril 2015 avec Mme [K], gérante de la société JG.
Sur la nature, la validité et les conséquences de l'acte du 7 avril 2015
L'acte litigieux est ainsi rédigé :
RECONNAISSANCE DE DETTE
ENTRE
La SCI JG représentée par sa gérante Madame [K]
ET
Madame et Monsieur [D] (')
Il a été convenu ce qui suit :
Madame et Monsieur [D] ont prêté à la SCI JG la somme de soixante dix neuf mille trois cents quatre vingt dix sept euros et soixante seize centimes, 79.397,76 euros.
En contrepartie, la SCI JG s'engage à céder le bail et les murs de son local commercial situé [Adresse 8] aux créanciers pour un montant à déterminer entre les partie [sic] duquel sera déduit le montant du prêt.
Fait à [Localité 18], le 07 avril 2015.
En trois (3) exemplaires.
Madame [K] [N] gérante de la SCI JG
Reconnais devoir à Monsieur et Madame [D] la somme de soixante dix neuf mille trois cents quatre vingt dix sept euros et soixante seize centimes, 79.397,76 euros [cette dernière mention manuscrite].
Suivent les signatures de Mme [K] et des époux [D].
1. sur la qualification de l'acte
La société JG estime que l'acte litigieux du 7 avril 2015 présente un caractère synallagmatique.
Les époux [D] considèrent que l'acte est un contrat unilatéral.
Sur ce,
Le juge tranche le litige conformément aux règles droit qui lui sont applicables et doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposé.
L'article 1102 du code civil, en sa version applicable en l'espèce, antérieure au 1er octobre 2016, date d'entrée en vigueur de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations, dispose que le contrat est synallagmatique ou bilatéral lorsque les contractants s'obligent réciproquement les uns envers les autres. L'article 1103 ancien suivant énonce que le contrat est unilatéral lorsqu'une ou plusieurs personnes sont obligées envers une ou plusieurs autres, sans que de la part de ces dernières il y ait engagement.
La reconnaissance de dette, quant à elle, est prévue par le code civil au titre des contrats ou obligations conventionnelles en général, dans le cadre des dispositions relatives à la preuve des obligations et du paiement, et plus particulièrement de la preuve littérale par acte sous seing privé (articles 1322 à 1332 anciens du code civil). Elle n'est pas un contrat, mais un acte juridique valant preuve.
Or si l'acte sous seing privé du 7 avril 2015 litigieux mentionne un prêt des époux [D] à la société JG, il ne contient pas ce prêt lui-même, alors qu'il n'y est pas fait état d'une obligation de remise de fonds. Ce prêt, qui est lui-même un contrat unilatéral par lequel seule la société JG, après remise des fonds entre ses mains, s'engage (à rembourser la somme prêtée), constitue la cause de l'acte sous seing privé, lequel contient deux obligations souscrites par la société JG, par l'intermédiaire de sa gérante : l'engagement de cession du bail et des murs de son local commercial et la reconnaissance qu'elle doit aux époux [D] la somme de 79.397,76 euros.
Aucun engagement n'est pris, aux termes de cet acte, par les époux [D]. La mention d'une « contrepartie » annonce en l'espèce l'engagement pris par la société JG de céder son bail et son local commercial selon un montant dont sera déduit le montant du prêt, et constitue une obligation pesant sur la société seule.
L'acte sous seing privé du 7 avril 2015 est en conséquence bien une reconnaissance de dette, acte unilatéral engageant la seule société JG, représentée par sa gérante Mme [K].
2. sur la validité de la reconnaissance de dette et la demande en paiement
La société JG fait en premier lieu valoir la nullité de l'acte pour défaut de formalité du double. Elle soutient ensuite que l'acte est nul pour absence de cause en l'absence de preuve de remise des fonds prêtés, soutenant ici qu'il est impossible de retenir l'attestation de Mme [K] comme preuve de cette remise, et concluant à l'infirmation du jugement qui a retenu à tort l'existence d'un prêt. Elle se prévaut ensuite de la nullité de l'acte pour défaut d'enregistrement. Elle ajoute enfin que Mme [K] s'est elle-même reconnue débitrice de la somme de 79.397,76 euros. Elle sollicite donc l'infirmation du jugement qui l'a condamnée à payer la dite somme entre les mains des époux [D]. Subsidiairement, elle argue de l'inopposabilité de la « reconnaissance de dette » pour absence de date certaine. A titre infiniment subsidiaire, elle se prévaut d'une absence de contrat en l'absence de remise des fonds. Elle rappelle que la Cour ne peut former une injonction destinée à des personnes (les banques) qui ne sont pas parties à l'instance.
Les époux [D] affirment que l'acte du 7 avril 2015 a été fait en autant d'exemplaires qu'il y a de parties ayant des intérêts distincts, leurs deux exemplaires étant communiqués et eux-mêmes n'étant pas en possession de celui de la société JG. Ils indiquent ensuite que la cause de l'acte est un prêt d'argent dont les motifs et l'utilisation n'intéressent pas le prêteur (qui en a cependant eu connaissance). L'acte litigieux est selon eux bien une reconnaissance de dette, à laquelle la société JG était partie, et non une promesse de vente, de sorte que son défaut d'enregistrement ne la rend pas nulle. Ils ajoutent que la remise des fonds, par chèques, n'est pas contestable. Aussi poursuivent-ils la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société JG à leur payer la somme de 79.397,76 euros.
Mme [K] estime valide la « reconnaissance de dette » du 7 avril 2015.
Sur ce,
Il n'est justifié d'aucune plainte pour faux, relative à la reconnaissance de dette du 7 avril 2015, déposée contre les époux [D] (la société JG justifie d'une seule plainte déposée le 8 décembre 2015 par sa gérante, Mme [K], pour abus de confiance de la part de M. et Mme [T] [X] [Z]).
Il est par ailleurs constaté qu'aucune des parties au litige ne critique le jugement qui a déclaré nulle la clause de l'acte du 7 avril 2015 par laquelle la société JG « s'engage à céder le bail et les murs de son local commercial situé [Adresse 8] aux créanciers pour un montant à déterminer entre les partie [sic] duquel sera déduit le montant du prêt ».
Sur le droit à agir
Si la société JG a en première instance conclu à l'irrecevabilité de l'action en justice et des prétentions émises par les époux [D] à son encontre, pour défaut de droit d'agir, force est de constater que cette fin de non-recevoir n'est plus évoquée en cause d'appel. Il en est pris acte.
Sur les mentions de l'acte
L'article 1326 du code civil, tel qu'en vigueur du 14 mars 2000 au 1er octobre 2016 et applicable à l'espèce, énonce que l'acte juridique par lequel une seule partie s'engage envers une autre à lui payer une somme d'argent ou à lui livrer un bien fongible doit être constaté dans un titre qui comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres.
Or l'acte du 7 avril 2015 constitue un titre comportant la signature de la représentante de la société JG (Mme [K], sa gérante) qui souscrit, au-delà de l'engagement de céder son bail et les murs de son local commercial, celui de rembourser la somme de 79.397,76 euros. La mention de la somme d'argent due, en chiffres et en toutes lettres, est écrite de la main de la gérante de la société JG qui s'engage.
Le tribunal a en conséquence à juste titre considéré que cet acte, portant reconnaissance de dette, était parfait.
Sur l'auteur de la reconnaissance de dette
Si Mme [K], dans l'acte litigieux, reconnaît devoir aux époux [D] la somme 79.397,76 euros, c'est en sa qualité de gérante de la société JG, partie mentionnée en tête de document.
Sur le nombre d'exemplaires de l'acte
L'article 1325 ancien du code civil prévoit que les actes sous seing privé qui contiennent des conventions synallagmatiques ne sont valables qu'autant qu'ils ont été faits en autant d'originaux qu'il y a de parties ayant un intérêt distinct, ajoutant qu'il suffit d'un original pour toutes les personnes ayant le même intérêt et que chaque original doit contenir la mention du nombre des originaux qui en ont été faits.
La reconnaissance de dette, étant un acte unilatéral et ne contenant aucune convention synallagmatique, n'a pas à être rédigée en plusieurs exemplaires. Le tribunal a donc justement estimé que l'acte du 7 avril 2015 n'était pas soumis à la formalité de l'article 1325 du code civil.
Il demeure cependant possible, dans un acte qui fait référence à la cause de la reconnaissance de dette, et ainsi, au prêt à l'origine de celle-ci, de prévoir plusieurs copies, comme cela a été prévu en l'espèce, l'acte mentionnant l'existence de trois exemplaires. Les époux [D] communiquent aux débats leurs deux exemplaires et ne peuvent produire l'exemplaire signé par la gérante de la société JG, que seule celle-ci peut verser aux débats. La société JG peut reprocher à Mme [K], son ancienne gérante, de ne pas lui avoir remis cet acte, mais ne peut le reprocher aux époux [D].
Sur l'enregistrement de l'acte
Aucune disposition n'impose l'enregistrement aux services fiscaux d'une reconnaissance de dette.
En revanche, l'article 1589-2 du code civil prévoit qu'est nulle et de nul effet toute promesse unilatérale de vente afférente à un immeuble, à un droit immobilier, à un fonds de commerce, à un droit à un bail portant sur tout ou partie d'un immeuble ou aux titres des sociétés, si elle n'est pas constatée par un acte authentique ou par un acte sous seing privé enregistré dans le délai de dix jours à compter de la date de son acceptation par le bénéficiaire.
L'acte litigieux du 7 avril 2015 contient certes une clause selon laquelle la société JG « s'engage à céder le bail et les murs de son local commercial situé [Adresse 8] aux créanciers pour un montant à déterminer entre les partie [sic] duquel sera déduit le montant du prêt ». Mais le tribunal a annulé cette clause, prise par Mme [K] en sa qualité de gérante de la société JG en l'absence d'autorisation votée par l'assemblée générale de ce faire, malgré les termes de l'article 19 des statuts de la société prévoyant une telle autorisation.
L'annulation de cette clause n'est pas remise en cause en l'espèce par la société JG, qui certes demande à la Cour d'infirmer le jugement sur ce point, mais n'évoque plus cette clause devant la Cour et conclut à la nullité de l'intégralité de l'acte litigieux, incluant celle-ci. Elle n'est pas non plus contestée par les époux [D], qui ne discutent pas l'annulation de la clause par le premier juge, ni encore par Mme [K], qui poursuit la confirmation du jugement de ce chef.
La clause ayant été annulée, les débats relatifs à l'enregistrement de l'acte, qui ne contient plus aucun engagement de cession d'un bien immobilier, sont sans objet.
Sur la date de l'acte
L'article 1328 ancien du code civil dispose que les actes sous seing privé n'ont de date contre les tiers que du jour où ils ont été enregistrés, du jour de la mort de celui ou de l'un de ceux qui les ont souscrits, ou du jour où leur substance est constatée dans les actes dressés par des officiers publics, tels que procès-verbaux de scellé ou d'inventaire.
Cependant, et ainsi que l'ont justement rappelé les premiers juges, la société JG, alors représentée par Mme [K], est partie à l'acte litigieux du 7 avril 2015 et n'y est donc pas tiers. La date de l'acte qu'elle a elle-même signé, par l'intermédiaire de sa gérante, lui est donc opposable. Elle est concomitante des versements allégués par les époux [D] et aucun élément du dossier ne vient la remettre en cause.
Sur la cause de l'acte
L'obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet (article 1131 ancien du code civil). La convention n'est pas moins valable, quoique la cause n'en soit pas exprimée (article 1132 du code civil).
La reconnaissance de dette est un acte juridique de preuve. Elle ne requiert pas la remise préalable, effective, d'une somme d'argent, le débiteur pouvant se reconnaître tel sans pour autant avoir reçu de l'argent. Aucune disposition n'oblige par ailleurs à mentionner la cause de la reconnaissance de dette sur celle-ci et elle reste donc valable, quoique sa cause n'y est pas exprimée.
Mais la mention de la cause de la reconnaissance de dette dans l'acte reste possible et a été reprise en l'espèce, l'acte litigieux du 7 avril 2015 faisant état du prêt accordé par les époux [D] à la société JG.
La reconnaissance de dette litigieuse implique des particuliers et vaut donc présomption de remise des fonds. Cette présomption est simple et il incombe à celui qui se désigne comme étant le débiteur mais qui conteste sa reconnaissance de dette, soit ici la société JG, de prouver ne pas avoir reçu les fonds.
M. et Mme [D] affirment que la somme de 79.397,76 euros dont ils demandent le remboursement correspond au cumul de sommes qu'ils ont prêtées à la société JG en 2015 pour lui permettre de désintéresser la société CIC, son créancier poursuivant la vente par adjudication de ses parts sociales.
Si en première instance les époux [D] se prévalaient d'une attestation de Mme [K] affirmant que les sommes qu'ils avaient prêtées avaient été libérées dans l'intérêt de la société JG afin d'éviter une vente judiciaire de son local commercial, celle-ci, qui émane d'une partie et perd ainsi son caractère probatoire, n'est plus produite aux débats en cause d'appel.
Les époux [D] versent aux débats un courriel du 2 avril 2015 adressé, pour ordre, par « [V] [F] », écrivant pour le compte de la société CIC, adressé à son « cher confrère » pour le compte de la société JG, accompagné d'un décompte de créance de la banque (synthèse détaillée, non datée) et faisant fait état d'une créance de celle-ci à hauteur de la somme principale de 64.626,74 euros (dont il est sollicité le paiement par chèque de banque à l'ordre de la société CIC) outre la somme de 14.771,02 euros (au titre des émoluments du conseil de la banque), précisant qu'à défaut de paiement (de la somme totale de 79.397,76 euros) « la vente sera requise ». Aucun de ces documents n'a cependant de date, d'auteur et de destinataire certains et n'a donc de valeur probante.
Il est cependant établi en l'espèce que la société CIC, selon commandement aux fins de saisie immobilière du 20 septembre 2013 publié aux services fiscaux, a poursuivi la vente du bien immobilier appartenant à la société JG. Par jugement du 16 décembre 2014 du tribunal de Bobigny, la vente sur adjudication a été prévue pour le 7 avril 2015.
Les époux [D] versent aux débats les copies de quatre chèques :
- un chèque de banque du Crédit Agricole du 3 avril 2015 d'un montant de 57.626,74 euros, émis à l'ordre de la société CIC et accompagné d'un bordereau montrant que la somme a bien été tirée sur leur compte,
- un chèque de banque de la Caisse d'Epargne du 3 avril 2015, d'un montant de 4.250 euros émis à l'ordre de la Carpa (Caisse des règlements pécuniaires des avocats) qui ne permet d'identifier ni le compte tiré ni son créancier final,
- un chèque de banque de la Caisse d'Epargne du 3 avril 2015, d'un montant de 7.000 euros, émis à l'ordre de la société CIC, dont le compte tiré n'est pas identifié,
- un chèque de banque du Crédit Agricole du 7 avril 2015, d'un montant de 10.521,02 euros émis à l'ordre de la Carpa, sans mention de son créancier final, accompagné d'un bordereau montrant que la somme a bien été tirée sur leur compte.
Les époux [D] démontrent ainsi que la société CIC a été destinataire, quelques jours avant la reconnaissance de dette litigieuse du 7 avril 2015, de la somme de 57.626,74 + 7.000 = 64.626,74 euros (montant réclamé par la banque selon décompte de créance précité) et qu'eux-mêmes sont avec certitude à l'origine du versement de la somme, a minima, de 57.626,74 + 10.521,02 = 68.147,76 euros. Ils n'établissent pas être les auteurs des paiements de la somme de 4.250 + 7.000 = 11.250 euros. Le montant total des quatre chèques est de 79.397,76 euros.
La vente du local commercial de la société JG n'a pas été poursuivie par la société CIC et le juge de l'exécution de [Localité 14] a par jugement du 7 avril 2015 déclaré le commandement de saisie caduc et en a ordonné la radiation. Ce jugement n'évoque pas la remise de fonds à la société JG lui permettant de s'acquitter de sa dette envers la banque (et encore moins la remise de fonds par les époux [D] directement au profit de la société CIC).
La concomitance des poursuites de la société CIC contre la société JG, de la remise de chèques au profit de la banque (ou d'un compte Carpa, alors qu'une vente judiciaire était prévue et que des avocats étaient nécessairement impliqués) et de la reconnaissance de dette du 7 avril 2015, ainsi que la corrélation entre le montant des sommes réclamées par la société CIC, celui des chèques que les époux [D] versent aux débats et la reconnaissance de dette de la société JG, et enfin l'arrêt des poursuites de la banque contre la dite société, constituent un faisceau d'indices confirmant la réalité du versement par les époux [D] de la somme totale de 79.397,76 euros au profit de la société JG (qui, sans transiter par celle-ci a permis de désintéresser, directement, son créancier la société CIC).
Ni la société JG, ni son ancienne gérante Mme [K], ne versent aux débats la comptabilité de l'entreprise susceptible de remettre en cause ces paiements. La société JG affirme, mais ne prouve pas, avoir transmis cette entière comptabilité à la société DJMF à laquelle ses 200 parts sociales ont le 23 octobre 2015 été vendues.
La société JG, ainsi, échoue à renverser la présomption de remise des fonds et le faisceau d'indices venant la confirmer, remise qui constitue la cause de sa reconnaissance de dette au profit des époux [D].
Elle peut donc se prévaloir ni d'une absence de cause de sa reconnaissance de dette, ni même de l'inexistence du contrat de prêt pour absence de remise des fonds.
Sur la demande d'injonction contre les banques
L'article 11 du code de procédure civile énonce que les parties sont tenues d'apporter leur concours aux mesures d'instruction sauf au juge à tirer toute conséquence d'une abstention ou d'un refus. Il ajoute que si une partie détient un élément de preuve, le juge peut, à la requête de l'autre partie, lui enjoindre de le produire, au besoin à peine d'astreinte et qu'il peut également, à la requête de l'une des parties, demander ou ordonner, au besoin sous la même peine, la production de tous documents détenus par des tiers s'il n'existe pas d'empêchement légitime.
Mais au vu des pièces versées aux débats et des éléments qui précèdent ainsi que de l'échec de la société JG à renverser la présomption d'une remise des fonds, une injonction, faite aux banques émettrices des chèques précités, apparaît inopportune, ce d'autant plus que deux de ces chèques sont déjà accompagnés d'un bordereau permettant d'identifier les titulaires du compte débité.
Il ne sera donc pas fait droit à la demande de la société JG aux fins d'injonction, d'ailleurs non reprise au dispositif de ses écritures.
***
Il résulte de ces développements que l'acte du 7 avril 2015 constitue une reconnaissance de dette de la part de la société JG au profit des époux [D], valide et opposable au débiteur.
Le tribunal a en conséquence justement condamné la société JG à respecter son engagement et à payer aux époux [D] la somme de 79.397,76 euros.
3. sur les intérêts
La société JG estime que les époux [D] ne justifient pas de l'envoi de leur courrier du 19 février 2016, lequel ne porte en outre aucune mise en demeure de payer à son égard. Les courriers des mois d'avril et juin 2018 ne comportent pas plus de demande de paiement et le tribunal a donc selon elle valablement retenu la lettre du mois d'octobre 2018 comme seule mise en demeure et point de départ des intérêts.
Les époux [D] reprochent au tribunal d'avoir fait courir les intérêts de leur créance à compter de leur quatrième mise en demeure de payer adressée à la société JG et demandent que ce point de départ soit fixé au 19 février 2016, première mise en demeure selon eux.
Sur ce,
L'article 1153 ancien du code civil, applicable en l'espèce, dispose que dans les obligations qui se bornent au paiement d'une certaine somme, les dommages-intérêts résultant du retard dans l'exécution ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal, sauf les règles particulières au commerce et au cautionnement.
Il résulte par ailleurs des dispositions de l'article 1146 ancien du même code qu'un courrier portant demande de paiement peut constituer une mise en demeure s'il en ressort une interpellation suffisante.
Par courrier recommandé du 19 février 2016, les époux [D] n'ont pas réclamé le paiement de leur créance à la société JG, mais ont déclaré à celle-ci qu'elle leur devait la somme de 79.397,76 euros et lui ont demandé de prendre connaissance de ses engagements pris à leur égard lorsqu'elle était représentée par son ancienne gérante. Ce courrier ne porte pas une interpellation suffisante d'avoir à payer. La copie de l'avis de réception telle que versée débats ne permet en outre pas de vérifier que le courrier a bien été envoyé et reçu.
Il en est de même du courrier recommandé du 20 avril 2018, par lequel les époux [D] visent un courrier du 22 décembre 2017 (non communiqué) dans lequel ils rappelaient à la société JG ses engagements, puis du courrier du 8 juin 2018, visant le courrier du 22 décembre 2017 non produit et le courrier précédant du 20 avril 2018, courriers qui ne portent pas d'interpellation suffisante adressée à la société de payer.
Par courrier recommandé du 26 octobre 2018 (avis de réception signé le 29 octobre), en revanche, le conseil des époux [D] a clairement mis en demeure la société JG de régler à ses clients la somme de 79.397,76 euros.
Le tribunal a donc justement assorti sa condamnation de la société JG à paiement au profit des époux [D] des intérêts au taux légal à compter du 26 octobre 2018, avec anatocisme. Le jugement sera confirmé de ce chef.
4. sur la demande de dommages et intérêts des époux [D]
Les époux [D] précisent que la somme prêtée devait servir à l'acquisition d'un fonds de commerce, impossible du fait de son immobilisation, laquelle constitue un préjudice dont ils demandent l'indemnisation à hauteur de 10.000 euros.
La société JG estime que le tribunal a à juste titre rejeté la demande de dommages et intérêts des époux [D], qui ne justifient pas de leur préjudice.
Sur ce,
Tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer (article 1240 nouveau - 1382 ancien - du code civil).
Or si l'absence de remboursement par la société JG de la somme prêtée par les époux [D], malgré sa reconnaissance de dette, est fautive, les créanciers ne justifient d'aucun préjudice distinct de celui qui est réparé par le cours des intérêts sur la somme due. Ils affirment en effet que la somme prêtée était destinée à l'acquisition d'un fonds de commerce, ce qui n'est confirmé par aucune pièce.
Aussi convient-il de confirmer le jugement qui a débouté les époux [D] de leur demande de dommages et intérêts.
Sur la garantie de Mme [K]
La société JG appelle la garantie de Mme [K], son ancienne gérante, qui a en cette qualité agi sans autorisation de l'assemblée générale pour l'engager à hauteur de 79.387,76 euros et a outrepassé ses pouvoirs.
Les époux [D] précisent ne pas être concernés par les relations de la société JG avec Mme [K].
Mme [K] se défend de toute faute de gestion en sa qualité de gérante de la société JG, faisant état de l'absence de preuve par cette dernière d'une faute de sa part séparable de ses fonctions et pouvant lui être personnellement imputée et arguant de son pouvoir pour engager la société. Elle fait ensuite valoir l'absence de tout préjudice de la société JG découlant de sa prétendue faute.
Sur ce,
L'article 1850 du code civil dispose que chaque gérant est responsable individuellement envers la société et envers les tiers, soit des infractions aux lois et règlements, soit de la violation des statuts, soit des fautes commises dans sa gestion.
L'article 19 des statuts de la société JG, applicables à l'époque de sa gestion par Mme [K], stipulait in fine, sans que cette clause puisse être opposée aux tiers, que le gérant ne pouvait « sans y être autorisé par une décision extraordinaire des associés, acheter, vendre ou échanger tous immeubles, contracter des emprunts pour le compte de la société (') ».
Or Mme [K] ne justifie d'aucune autorisation des associés, préalable à la reconnaissance de dette du 7 avril 2015 et aux fins de contracter un emprunt pour le compte de la société JG. Elle n'a pas non plus été autorisée à prendre des engagements pour la vente du bail de la société et des murs de son local commercial. Aucun procès-verbal des associés de la société, portant autorisation en ce sens, n'est versé aux débats.
La société JG était à l'époque des faits certes composée de deux seuls associés, Mme [K], sa gérante, et M. [K], son époux, et celui-ci certifie sur l'honneur, le 1er septembre 2020, avoir autorisé sa conjointe « à conclure un prêt d'un montant de 79397,76 euros auprès de M. [D] et de revendre la boutique à M. [D] ». Cette attestation, accompagnée de la copie de la pièce d'identité de son signataire, ne porte cependant pas les mentions requises par l'article 202 du code de procédure civile. En outre, émanant de l'époux d'une partie à l'instance, elle doit être lue avec circonspection.
Ensuite, si le prêt des époux [D] a permis à la société JG, dans son intérêt, d'apurer sa dette de 64.626,74 euros vis-à-vis de la société CIC et d'éviter la vente par adjudication de son local commercial poursuivie par la banque, il a engagé la société au remboursement d'une somme supérieure à cette dette, préjudiciable aux intérêts de la société.
Le tribunal a donc à tort écarté la responsabilité de Mme [K].
Statuant à nouveau, la Cour retient que l'intéressée a outrepassé les pouvoirs que lui donnaient les statuts de la société JG en sa qualité de gérante et a donc engagé sa responsabilité vis-à-vis de ladite société, autrement composée.
Mme [K] sera en conséquence condamnée à relever et garantir la société JG de la condamnation prononcée à son encontre au profit des époux [D], en principal et intérêts.
Sur la demande de dommages et intérêts de Mme [K]
Mme [K] argue d'un certain nombre de propos dénigrants à son encontre tenus par la société JG dans ses conclusions, propos qui portent atteinte à son honneur et sa dignité. Elle réclame donc la réparation d'un préjudice moral à hauteur de 10.000 euros.
La société JG estime que la demande de Mme [K] de ce chef se heurte aux principes essentiels garantissant les droits de la défense dans une instance judiciaire, ajoutant que les propos litigieux concernent des faits démontrés ou pouvant l'être.
Sur ce,
Tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer (article 1240 du code civil).
L'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, tel qu'en vigueur depuis le 19 novembre 2008, dispose que ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, notamment, les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux (alinéa 4), mais que les juges, saisis de la cause et statuant sur le fond, pourront néanmoins prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts (alinéa 5).
Le conseil de la société JG bénéficie ainsi d'une immunité pénale. Mais les propos inutilement blessants et sans lien avec le litige concernant Mme [K], dans ses conclusions, peuvent donner lieu à suppression (ici non sollicitée) et dommages et intérêts.
Mme [K] reproche à la société JG d'avoir affirmé qu'elle n'avait de cesse, avec son époux, de « harceler » les époux [X] alors qu'elle est étrangère à l'introduction du présent litige (conclusions d'appel du 24 novembre 2021), d'avoir émis une attestation « dénuée de toute crédibilité » aux fins de nuire aux associés de la société JG par souci de vengeance après avoir été évincée de celle-ci (conclusions d'appel du 21 février 2022), de faire état de son « acrimonie » (même conclusions), de ne pas démontrer que les fonds versés ne lui ont pas profité plutôt qu'à la société (idem) et de présenter des déclarations sans valeur probante (idem).
La Cour constate que l'attestation de Mme [K] que la société JG estime être dénuée d'effet probatoire et qui selon elle constituerait une « vengeance » de l'intéressée pour avoir été évincée de la société, n'est plus versée aux débats en cause d'appel, de sorte qu'il n'est pas possible de vérifier l'inexactitude des propos de la société JG la concernant.
La société JG verse par ailleurs aux débats un compromis signé le 7 octobre 2013 entre elle-même, alors sous la gestion de Mme [K], et la société DJMF pour la vente de son local commercial moyennant un prix de 120.000 euros. La société JG n'a pas donné suite à ce compromis, alors que la conclusion définitive de cette vente lui aurait permis de régler ses dettes vis-à-vis de la société CIC sans emprunter de l'argent aux époux [D]. Me [S] [E], notaire, devant le silence de la société JG et de sa gérante, a par acte du 24 juillet 2015 rappelé les termes de ce compromis ainsi que les nombreuses convocations adressées à la société JG aux fins de régularisation de l'acte authentique et lui a fait sommation de se présenter, dressant un procès-verbal de carence le même jour.
La responsabilité de Mme [K] a ensuite été retenue plus haut par la Cour de céans, pour non-respect des termes des statuts de la société JG alors qu'elle en était la gérante.
Il est enfin observé que si la société JG s'interroge sur le bénéficiaire réel des fonds prêtés par les époux [D], elle ne fait pas clairement état d'un détournement de ces fonds par Mme [K].
Il ne peut donc, au vu de ces éléments, être reproché à la société JG, composée de nouveaux associés, d'émettre un certain nombre de reproches personnels à Mme [K], son ancienne gérante, afin de démontrer sa gestion fautive. Les propos tenus par la société JG peuvent blesser Mme [K], mais ne sont pas étrangers au litige.
Aussi le jugement sera, par substitution de motifs, confirmé en ce qu'il a débouté Mme [K] de sa demande de dommages et intérêts dirigée contre la société JG.
Sur les dépens et frais irrépétibles
Le sens de l'arrêt conduit à l'infirmation du jugement en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles de première instance, mis à la seule charge de la société JG.
Statuant à nouveau et ajoutant au jugement, la Cour condamnera non seulement la société JG, mais également Mme [K], qui succombent toutes deux à l'instance, aux dépens de première instance et d'appel, chacune pour moitié, conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.
Tenue aux dépens, la société JG sera condamnée à payer aux époux [D], qui ne formulent de demande à ce titre qu'à son encontre, la somme équitable de 6.000 euros en indemnisation des frais exposés en première instance et en cause d'appel et non compris dans les dépens, en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Egalement tenue aux dépens, Mme [K] sera condamnée à payer à la société JG, sur le même fondement, la somme équitable de 3.000 euros en indemnisation de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.
Ces condamnations emportent le rejet des demandes de la société JG et de Mme [K] sur ces fondements.
Par ces motifs,
La Cour, dans les limites de sa saisine,
Confirme le jugement par substitution de motifs, sauf en ce qu'il a débouté la SCI JG de sa demande de condamnation de Mme [N] [A], épouse [K], à la garantir des condamnations prononcées à son encontre et en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles de première instance,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et ajoutant au jugement,
Condamne Mme [N] [A], épouse [K], à relever et garantir la SCI JG de la condamnation prononcée contre elle au profit de M. [I] [D] et Mme [B] [Y], épouse [D], en principal et intérêts,
Condamne la SCI JG et Mme [N] [A], épouse [K], chacune pour moitié, aux dépens de première instance et d'appel,
Condamne la SCI JG à payer à M. [I] [D] et Mme [B] [Y], épouse [D], la somme de 6.000 euros en indemnisation de leurs frais irrépétibles de première instance et d'appel,
Condamne Mme [N] [A], épouse [K], à payer à la SCI JG la somme de 3.000 euros en indemnisation de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,