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Décisions

CA Versailles, ch. civ. 1-5, 6 novembre 2025, n° 25/00150

VERSAILLES

Arrêt

Autre

CA Versailles n° 25/00150

6 novembre 2025

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 51A

Chambre civile 1-5

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 06 NOVEMBRE 2025

N° RG 25/00150 - N° Portalis DBV3-V-B7J-W6GK

AFFAIRE :

S.A.S. CABINET 14 IMMOBILIER

C/

S.C.I. [V]

Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 12 Décembre 2024 par le Président du TJ de [Localité 9]

N° RG : 24/00799

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 06.11.2025

à :

Me Fanny LE BUZULIER, avocat au barreau de VERSAILLES (588)

Me Victoire GUILLUY, avocat au barreau de VERSAILLES (446)

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SIX NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.A.S. CABINET 14 IMMOBILIER

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité.

N° SIRET : 878 388 933

[Adresse 6]

[Localité 7]

Représentant : Me Fanny LE BUZULIER, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 588 - N° du dossier 24055

Plaidant : Me Nicolas VENNER du barreau de Paris

APPELANTE

****************

S.C.I. [V]

prise en la personne de son représentant légal, domicilié es qualité audit siège

N° SIRET : 794 778 563

[Adresse 3]

[Localité 8]

Représentant : Me Victoire GUILLUY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 446 - N° du dossier E[Immatriculation 2]

Plaidant : Me Aurélien AUCHER du barreau de Paris

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 29 Septembre 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère faisant fonction de présidente,

M. Bertrand MAUMONT, Conseiller,

Monsieur Ulysse PARODI, Vice président placé,

Greffière lors des débats : Mme Elisabeth TODINI,

EXPOSE DU LITIGE

Par acte sous seing privé du 12 juillet 2022, la SCI [V] a donné à bail à la SAS Cabinet 14 Immobilier des locaux dépendant d'un immeuble situé [Adresse 5] à Viroflay (78220) à compter du 1er août 2022, pour une durée de neuf années, moyennant un loyer annuel d'un montant de 24 000 euros hors charges.

Des loyers et des charges sont demeurés impayés.

Par acte de commissaire de justice du 6 février 2024, la société [V] a fait signifier à la société Cabinet 14 Immobilier un commandement de payer visant la clause résolutoire pour la somme de 6 300 euros portant sur les loyers et charges impayés pour la période de décembre 2023 à février 2024. Celui-ci est demeuré infructueux.

Par acte de commissaire de justice délivré le 23 mai 2024, la société [V] a fait assigner en référé la société Cabinet 14 Immobilier aux fins d'obtenir principalement le constat de l'acquisition de la clause résolutoire, l'expulsion de la locataire et sa condamnation à lui payer à titre de provision la somme de 12 600 euros au titre de l'arriéré locatif, outre une indemnité d'occupation.

Par ordonnance contradictoire rendue le 12 décembre 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Versailles a :

- constaté l'acquisition de la clause résolutoire du bail du 12 juillet 2022 et la résiliation de ce bail à la date du 7 mars 2024 ;

- ordonné, si besoin avec le concours de la force publique, l'expulsion de la société Cabinet 14 Immobilier et celle de tous occupants de son chef des locaux loués situés [Adresse 3] à [Localité 11] ;

- dit n'y avoir lieu à prononcer une astreinte ;

- ordonné que les meubles se trouvant sur place soient déposés dans un lieu choisi par la bailleresse aux frais, risques et péril de la locataire conformément aux dispositions des articles L. 433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution ;

- condamné la société Cabinet 14 Immobilier à payer à la société [V] la somme provisionnelle de 11 300 euros correspondant aux loyers et indemnités d'occupation arrêtés à l'échéance de septembre 2024 incluse, augmentée des intérêts de retard au taux légal à compter de la signification de l'ordonnance ;

- condamné la société Cabinet 14 Immobilier à payer à la société [V] à titre de provision, une indemnité d'occupation d'un montant mensuel égal à celui du dernier loyer facturé, soit 2 000 euros, à compter de l'échéance du mois d'octobre 2024 jusqu'à la libération effective des lieux loués ;

- dit n'y avoir lieu à référé s'agissant des demandes relatives à l'indemnité conventionnelle et à l'indexation du loyer ;

- rejeté la demande de délais et de suspension des effets de la clause résolutoire ;

- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de remise en état des locaux ;

- condamné la société Cabinet 14 Immobilier à payer à la société [V] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société Cabinet 14 Immobilier au paiement des dépens, comprenant le coût du commandement de payer ;

- rappelé que l'ordonnance est de droit exécutoire à titre provisoire.

Par déclaration reçue au greffe le 31 décembre 2024, la société Cabinet 14 Immobilier a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition, à l'exception de ce qu'elle a :

- dit n'y avoir lieu à prononcer une astreinte ;

- dit n'y avoir lieu à référé s'agissant des demandes relatives à l'indemnité conventionnelle et à l'indexation du loyer ;

- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de remise en état des locaux ;

- rappelé que l'ordonnance est de droit exécutoire à titre provisoire.

Dans ses dernières conclusions déposées le 22 septembre 2025 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Cabinet 14 Immobilier demande à la cour, au visa des articles L. 145-41 du code de commerce, 696 et 700 du code de procédure civile, de :

'- recevoir la société Cabinet 14 Immobilier en son appel,

- infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a :

- constaté l'acquisition de la clause résolutoire du bail du 12 juillet 2022 et la résiliation de ce bail à la date du 7 mars 2024 ;

- ordonné, si besoin avec le concours de la force publique, l'expulsion de la S.A.S Cabinet 14 Immobilier et celle de tous occupants de son chef des locaux loués situés [Adresse 4] [Localité 10] [Adresse 1] ;

- ordonné que les meubles se trouvant sur place soient déposés dans un lieu choisi par la bailleresse aux frais, risques et péril de la locataire conformément aux dispositions des articles L. 433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution ;

- condamné la S.A.S Cabinet 14 Immobilier à payer à la SCI [V] la somme provisionnelle de 11 300 euros correspondant aux loyers et indemnités d'occupation arrêtés à l'échéance de septembre 2024 incluse, augmentée des intérêts de retard au taux légal à compter de la signification de la présente ordonnance ;

- condamné la S.A.S Cabinet 14 Immobilier à payer à la SCI [V] à titre de provision, une indemnité d'occupation d'un montant mensuel égal à celui du dernier loyer facturé, soit 2 000 euros, à compter de l'échéance du mois d'octobre 2024 jusqu'à la libération effective des lieux loués ;

- rejeté la demande de délais et de suspension des effets de la clause résolutoire ;

- condamné la S.A.S Cabinet 14 Immobilier à payer à la SCI [V] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la S.A.S Cabinet 14 Immobilier au paiement des dépens, comprenant le coût du commandement de payer,

- confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a :

- dit n'y avoir lieu à prononcer une astreinte ;

- dit n'y avoir lieu à référé s'agissant des demandes relatives à l'indemnité conventionnelle et à l'indexation du loyer ;

- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de remise en état des locaux ;

statuant à nouveau,

- dire que les demandes de la société [V] se heurtent à des contestations sérieuses ;

- en conséquence, dire n'y avoir lieu à référé ;

- débouter la société [V] de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions,

subsidiairement,

- constater le règlement de l'intégralité des sommes dues,

- accorder un délai rétroactif de 6 mois à la société Cabinet 14 Immobilier,

- suspendre les effets de la clause résolutoire invoquée aux termes du commandement de payer délivré par la société [V] à la société Cabinet 14 Immobilier le 06 février 2024,

en tout état de cause,

- débouter la société [V] de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions,

En tout état de cause,

- condamner à titre provisionnel la société [V] à rembourser la somme de 5.110 euros correspondant aux frais d'Huissier indûment réglés par la société Cabinet 14 Immobilier,

- condamner à titre provisionnel la société [V] à rembourser la somme de 2300euros au titre de charges indûment réglées par la société Cabinet 14 Immobilier depuis la prise d'effet du bail

- condamner à titre provisionnel la société [V] à la somme de 141 843,30euros au titre de l'indemnité d'éviction due à la société Cabinet 14 Immobilier en raison de la perte de son fonds de commerce,

- condamner à titre provisionnel la société [V] à verser à la société Cabinet 14 Immobilier la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner à titre provisionnel la société [V] aux entiers dépens de l'instance.'

Dans ses dernières conclusions déposées le 22 septembre 2025 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société [V] demande à la cour, au visa des articles 834, 835, 1730 et 1731 du code civil, de :

'- déclarer la SCI [V] recevable et bien fondée en ses demandes ;

Sur les demandes de provision soulevées par la SAS Cabinet 14 Immobilier :

- déclarer irrecevable la demande de provision formulée par l'appelante comme suit : condamner à titre provisionnel la société [V] à rembourser la somme de 5.110 euros correspondant aux frais d'Huissier indûment réglés par la société Cabinet 14 Immobilier;

- L'en débouter ;

sur l'appel incident

- infirmer l'ordonnance du 12 décembre 2024 rendue par le président du tribunal judiciaire de Versailles (RG N°24/00799) en ce qu'elle a notamment refusé de prendre en compte la provision pour charges dans la provision allouée à la SCI [V] et qu'elle a :

« condamné la S.A.S Cabinet 14 Immobilier à payer à la SCI [V] la somme provisionnelle de 11 300 euros correspondant aux loyers et indemnités d'occupation arrêtés à l'échéance de septembre 2024 incluse, augmentée des intérêts de retard au taux légal à compter de la signification de la présente ordonnance ;

condamné la S.A.S Cabinet 14 Immobilier à payer à la SCI [V] à titre de provision, une indemnité d'occupation d'un montant mensuel égal à celui du dernier loyer facturé, soit 2 000 euros, à compter de l'échéance du mois d'octobre 2024 jusqu'à la libération effective des lieux loués ; »

statuant à nouveau,

- condamner la SAS Cabinet 14 Immobilier à payer à la SCI [V] la somme provisionnelle de 12 500 euros correspondant aux loyers et indemnités d'occupation arrêtés à l'échéance de septembre 2024 incluse.

- condamner la SAS Cabinet 14 Immobilier à payer en outre à la SCI [V] la somme de 1 250 euros au titre de la majoration conventionnelle de 10 % des sommes impayées prévue par la clause résolutoire insérée dans le bail ;

- condamner la S.A.S Cabinet 14 Immobilier à payer à la SCI [V] à titre de provision, une indemnité d'occupation d'un montant mensuel égal à celui du dernier loyer facturé, soit 2.100 euros à compter du mois d'octobre 2024 jusqu'à la libération effective des lieux loués ;

- juger que l'indemnité d'occupation sera indexée selon les dispositions du contrat ayant lié les parties ;

pour le reste

- confirmer l'ordonnance du 12 décembre 2024 rendue par le président du tribunal judiciaire de Versailles (RG N°24/00799) en toute ses dispositions à l'exception des chefs susvisés ;

- juger y avoir lieu à référer ;

- constater l'acquisition de la clause résolutoire du bail du 12 juillet 2022 et la résiliation de ce bail à la date du 7 mars 2024 ;

- ordonner, si besoin avec le concours de la force publique, l'expulsion de la S.A.S Cabinet 14 Immobilier et celle de tous occupants de son chef des locaux loués situés [Adresse 4] [Localité 10] [Adresse 1] ;

- débouter la SAS Cabinet 14 Immobilier de toutes demandes plus amples ou contraire et notamment de toute demande de délai de paiement / suspension des effets de la clause résolutoire et de versement d'une indemnité d'éviction ;

- condamner la SAS Cabinet 14 Immobilier à payer à la SCI [V] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens qui comprendront notamment le coût du commandement de payer et de la sommation de faire délivrés le 6 février 2024.'

L'ordonnance de clôture a été rendue le 29 septembre 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Invoquant l'existence de contestations sérieuses faisant obstacle à l'acquisition de la clause résolutoire, la société Cabinet 14 Immobilier indique en premier lieu que la bailleresse a fait preuve de mauvaise foi lors de la délivrance du commandement de payer.

Elle affirme que, même si le bail stipule une clause d'élection de domicile de la société dans les lieux loués, le commissaire de justice devait toutefois entreprendre toutes diligences lui permettant de lui signifier l'acte à personne, alors qu'en l'espèce, l'agence étant fermée, le commissaire de justice s'est contenté de procéder au dépôt de l'acte à l'étude, ce qui constitue selon elle des diligences insuffisantes. Elle souligne que le commissaire de justice n'a pas tenté de lui délivrer le commandement à l'adresse de son siège social.

La société Cabinet 14 Immobilier conteste ensuite les sommes sollicitées au titre du commandement de payer, aux motifs qu'aucun décompte n'était annexé à l'acte, qu'il lui était réclamé des sommes qu'elle avait déjà réglées, et que la somme réclamée était erronée, tous éléments attestant selon elle de la mauvaise foi de la bailleresse.

Elle affirme que le bail n'est pas conforme aux dispositions de l'article L. 145-40-2 du code de commerce en ne comprenant pas d'annexe ni de clés de répartition pour les charges, et elle en déduit que la clause du bail prévoyant le paiement de charges doit être réputé non écrite, ce qui constitue à ses dires une contestation sérieuse sur ce point.

L'appelante sollicite en conséquence la condamnation de la société [V] à lui rembourser les charges indûment payées depuis la prise d'effet du bail et précise que cette somme doit être déduite de l'arriéré locatif à la date du commandement de payer.

La locataire fait état de mention contradictoire dans le commandement de payer, exposant qu'il lui est d'abord fait injonction de payer la somme de 6 460,28 euros sans mention d'un quelconque délai, avant de préciser plus bas dans le texte que le bail serait résilié faute de paiement dans le délai d'un mois. Elle en déduit que ce commandement n'était pas de nature à lui permettre de saisir clairement le délai qui lui était réellement imparti pour s'acquitter de sa dette.

La société Cabinet 14 Immobilier indique que la bailleresse a fait preuve d'une mauvaise foi patente dans le cadre de la procédure, caractérisé par :

' la régularisation d'un bail sans l'informer de la réalisation certaine et proche de travaux de ravalement sur la façade de l'immeuble,

' le refus de lui octroyer une réduction de loyer malgré son préjudice de jouissance,

' la signification d'un commandement de payer à l'adresse des lieux loués alors que l'agence était fermée,

' la réclamation de sommes non justifiées ou déjà réglées.

Elle fait valoir ensuite que l'intimée a également fait preuve de mauvaise foi dans l'exécution de l'ordonnance de référé (signification de l'ordonnance la semaine de Noël, signification d'un commandement aux fins de saisie vente et d'un commandement de quitter les lieux le 10 janvier 2025 sans avertir son conseil, absence de réponse aux courriers officiels, saisie attribution sans avertissement).

Subsidiairement, la société Cabinet 14 Immobilier explique que les loyers impayés correspondent à une période où elle n'a pu exploiter son local en raison d'un échafaudage installé en façade de l'immeuble, que les loyers postérieurs ont été réglés à échéance sans difficulté et qu'elle a réglé l'arriéré en cours de procédure.

Elle expose que la société [V] a fait le choix d'exécuter l'ordonnance malgré l'appel et qu'elle a été contrainte de libérer les locaux le 15 juillet, mais sollicite l'octroi de délais de paiement rétroactifs et la suspension des effets de la clause résolutoire.

Faisant valoir que l'exécution de la décision de première instance s'est effectuée aux risques de la bailleresse, l'appelante affirme qu'elle doit être indemnisée de la perte résultant de son départ forcé du local. Elle sollicite en conséquence l'octroi de la somme de 141'843,30 euros au titre de l'indemnité d'éviction.

En réponse, la société [V] fait valoir que la société Cabinet 14 Immobilier a cessé de sa propre initiative de payer les loyers et charges à compter du mois de décembre 2023, alors que les travaux de ravalement ne l'empêchaient pas de continuer à utiliser son local, et elle en déduit que la clause résolutoire est manifestement acquise, la dette n'ayant pas été réglée dans le mois suivant la délivrance du commandement de payer.

Concernant les charges locatives, l'intimée fait valoir que c'est l'agence immobilière, professionnelle du secteur, qui a rédigé le bail commercial et elle affirme que celle-ci ne peut donc prétendre être exemptée des charges qu'elle a payées pendant 23 mois en invoquant un défaut rédactionnel relevant de son propre fait.

Elle sollicite en conséquence l'infirmation de l'ordonnance querellée en ce que celle-ci a considéré qu'il existait une contestation sérieuse relative au paiement des provisions sur charges.

S'agissant du commandement de payer, la société [V] expose que le bail contient une clause d'élection de domicile et que le commissaire de justice n'avait donc pas à se présenter au siège social.

Elle affirme que la signification à l'adresse de l'agence était parfaitement régulière, la circonstance que l'agence ait été momentanément fermée lors du passage du commissaire de justice étant sans incidence dès lors que l'adresse est certaine et non contestée, et fait valoir que les diligences du commissaire de justice étaient suffisantes.

La société Cabinet 14 Immobilier affirme que le commandement de payer était précis, que les sommes dues étaient clairement mentionnées et que la locataire ne justifie en tout état de cause d'aucun grief.

Elle rappelle que le commandement de payer est en tout état de cause valable pour la partie non contestable de la dette et souligne que le délai d'un mois pour s'en acquitter était bien mentionné de manière lisible à 2 reprises dans le texte.

L'intimée conclut au rejet de la demande de suspension des effets de la clause résolutoire et de l'octroi de délais de paiement, expliquant que le bien loué a été acquis au moyen d'un emprunt qui doit être remboursé chaque mois grâce aux loyers perçus, et soulignant le préjudice résultant pour elle de l'existence de loyers impayés.

Sur ce,

Sur l'acquisition de la clause résolutoire et la résiliation du bail

L'article L. 145-41 du code de commerce dispose que toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit à peine de nullité mentionner ce délai.

S'il n'entre pas dans les pouvoirs du juge des référés, juge de l'évidence, de prononcer la nullité d'un commandement de payer, un tel moyen peut cependant être examiné sur le point de savoir s'il constitue une contestation suffisamment sérieuse sur les effets de cet acte, notamment quant à la constatation de l'acquisition de la clause résolutoire.

En l'espèce, le contrat de bail contient bien une clause résolutoire.

Le commandement de payer doit permettre au débiteur de connaître la nature et le détail des sommes qui lui sont réclamées. Il doit être suffisamment précis pour permettre à son destinataire d'en vérifier le bien-fondé.

Or en l'espèce, il ressort de la pièce n°6 de l'intimée, que le commandement de payer du 6 février 2024 comprenait les mentions légales et notamment la reproduction de l'article L. 145-41 susvisé indiquant clairement le délai pour s'acquitter de sa dette.

Le décompte de la dette locative était lui aussi parfaitement explicite en ce qu'étaient réclamés 3 mois de loyer (décembre 2023, janvier 2024 et février 2024), outre le coût de l'acte, soit un total de 6 460, 28 euros, la locataire étant donc parfaitement en mesure de comprendre les sommes qui lui étaient demandées.

Faute d'avoir payé ou contesté les sommes visées au commandement dans le délai imparti, la locataire ne peut remettre en cause l'acquisition de la clause résolutoire figurant au bail sauf à démontrer la mauvaise foi du bailleur lors de la délivrance du commandement ; l'existence de cette mauvaise foi doit s'apprécier lors de la délivrance de l'acte ou à une période contemporaine à celle-ci.

En l'espèce, le commandement de payer a été délivré le 6 février 2024, un mardi, à 14h45, soit un jour d'ouverture de l'agence, étant souligné que la société Cabinet 14 Immobilier ne démontre pas qu'elle aurait indiqué préalablement à sa bailleresse qu'elle avait cessé son exploitation.

La signification à l'adresse du local loué est régulière, le contrat de bail contenant une clause d'élection de domicile.

La société Cabinet 14 Immobilier ne justifie donc d'aucune mauvaise foi du bailleur.

La dette locative visée dans le commandement de payer du 6 février 2024 n'ayant pas été intégralement réglée dans le délai d'un mois l'ayant suivi, il est ainsi acquis que le bail s'est retrouvé résilié à compter du 6 mars 2024 par le jeu de l'acquisition de la clause résolutoire visée au commandement. L'ordonnance querellée sera confirmée de ce chef. Les dispositions subséquentes relatives à l'expulsion et au sort des biens meubles et objets mobiliers seront également confirmées.

Sur les demandes de provision

Aux termes de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire, statuant en référé, peut, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

Ce texte impose donc au juge une condition essentielle avant de pouvoir accorder une provision : celle de rechercher si l'obligation n'est pas sérieusement contestable.

Une contestation sérieuse survient lorsque l'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.

Le montant de la provision qui peut être allouée en référé n'a alors d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.

Selon l'article 1353 du code civil, c'est à celui qui réclame l'exécution d'une obligation de la prouver et à celui qui se prétend libéré de justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

sur la demande au titre du loyer

Le contrat de bail prévoyait un loyer mensuel de 2 000 euros et une provision sur charges mensuelle de 100 euros.

Il n'est pas démontré que les travaux sur la façade auraient gêné l'accès au local commercial, ce qui est contredit par le constat de commissaire de justice qu'a fait réaliser la société [V].

Au surplus, il est établi que la société Cabinet 14 Immobilier contestait en réalité depuis plusieurs mois, soit bien avant le début des travaux, le montant de son loyer, affirmant que celui-ci était surévalué 'au regard des prix habituellement pratiqués dans la rue' et l'argument tenant à l'existence de travaux relèvait donc du prétexte et non d'une réalité.

Il convient en conséquence de dire que le paiement du loyer par la société Cabinet 14 Immobilier jusqu'à son départ des lieux est dû avec l'évidence requise et qu'il n'existe aucune contestation sérieuse à ce titre.

En revanche, l'application de la clause pénale telle que formulée étant susceptible d'être modérée par le juge du fond, son application échappe en l'espèce aux pouvoirs du juge des référés et de la cour statuant à sa suite. L'ordonnance querellée sera confirmée en ce qu'elle a rejeté la demande formée à ce titre.

sur la demande au titre des charges

En vertu des dispositions de l'article L. 145-40-2 du code de commerce, qui est d'ordre public :

'Tout contrat de location comporte un inventaire précis et limitatif des catégories de charges, impôts, taxes et redevances liés à ce bail, comportant l'indication de leur répartition entre le bailleur et le locataire. Cet inventaire donne lieu à un état récapitulatif annuel adressé par le bailleur au locataire dans un délai fixé par voie réglementaire. En cours de bail, le bailleur informe le locataire des charges, impôts, taxes et redevances nouveaux.

Lors de la conclusion du contrat de location, puis tous les trois ans, le bailleur communique à chaque locataire :

1° Un état prévisionnel des travaux qu'il envisage de réaliser dans les trois années suivantes, assorti d'un budget prévisionnel ;

2° Un état récapitulatif des travaux qu'il a réalisés dans les trois années précédentes, précisant leur coût.

Dans un ensemble immobilier comportant plusieurs locataires, le contrat de location précise la répartition des charges ou du coût des travaux entre les différents locataires occupant cet ensemble. Cette répartition est fonction de la surface exploitée. Le montant des impôts, taxes et redevances pouvant être imputés au locataire correspond strictement au local occupé par chaque locataire et à la quote-part des parties communes nécessaires à l'exploitation de la chose louée. En cours de bail, le bailleur est tenu d'informer les locataires de tout élément susceptible de modifier la répartition des charges entre locataires.'

Il en découle qu'il est imposé d'insérer dans le bail commercial ou dans une annexe au bail, un inventaire précis et limitatif des catégories de charges, impôts, taxes et redevances liés au bail commercial. Cet inventaire doit indiquer la répartition entre le bailleur et le locataire. Si les parties n'ont pas prévu d'inventaire précis et limitatif des charges et des taxes, le bailleur ne peut pas facturer de charges au locataire.

En l'espèce, le contrat de bail prévoit au titre des charges locatives :

'Le PRENEUR paiera directement aux fournisseurs ses consommations d'eau, de gaz, d'électricité et plus généralement de tous fluides suivant les indications des compteurs ainsi que la location desdits compteurs et les abonnements correspondants.

Répartition des charges entre les parties

Liste des catégories de charges supportées parle PRENEUR :

Il est précisé ci-après la liste des charges imputables limitativement et précisément au preneur si les équipements énumérés existent : Les frais d'électricité, d'éclairage, de chauffage, de climatisation et/ou ventilation (cassette de climatisation, système de ventilation mécanique, VMC double flux - hors groupes restant à la charge du bailleur, et autre système de traitement de l'air sauf s'ils rentrent dans le cadre de I'activité du PRENEUR), de chauffage ou de refroidissement et de nettoyage, d'eau, de gaz.

Liste des catégories de charges supportées par le BAILLEUR :

A compter de la date d'effet du Bail, les charges et accessoires suivants ne pourront pas être imputées au PRENEUR, à savoir:

- les dépenses relatives aux grosses réparations mentionnées à l'article 606 du Code civil ainsi que, le cas échéant, les honoraires liées à la réalisation de ces travaux.

- les dépenses relatives aux travaux ayant pour objet de remédier à la vétusté ou de mettre en conformité avec la réglementation dès lors qu'il s'agit de grosses réparations au sens de l'article 606 du Code civil;

- les honoraires du BAILLEUR liés à la gestion des loyers du local ou de l'immeuble faisant l'objet du Bail'.

Il convient de constater que cette rédaction n'est pas conforme aux dispositions de l'article L. 145-40-2 susvisé, ce qui n'est pas en tant que tel contesté par la société civile immobilière [V]. L'argument tenant à ce que le bail ait été rédigé par la société Cabinet 14 Immobilier et qu'elle serait une professionnelle de l'immobilier est sans incidence, s'agissant d'une réglementation d'ordre public.

L'ordonnance querellée sera donc confirmée en ce qu'elle a condamné la locataire au paiement provisionnel du loyer de 2 000 euros, et fixé le montant de l'indemnité d'occupation à 2 000 euros, aucune somme n'étant mise à la charge de la locataire au titre des charges.

En revanche, le premier juge avant déjà déduit les provisions sur charge de la dette de la société Cabinet 14 Immobilier, il n'y a pas lieu à condamner la société [V] au versement d'une provision au titre de la restitution des provisions sur charge indûment versées. Il sera dit n'y avoir lieu à référé de ce chef.

Sur l'arriéré locatif

Au regard des éléments rappelés plus haut, sur la base d'un loyer mensel de 2000 euros par mois, la dette de la société Cabinet 14 Immobilier s'établissait à la somme de 11 300 euros à la date du 30 septembre 2024 et l'ordonnance querellée sera confirmée en ce qu'elle a statué de ce chef.

De même, elle sera confirmée en ce qu'elle a condamné la société Cabinet 14 Immobilier à payer à la société [V] à titre de provision, une indemnité d'occupation d'un montant mensuel égal à celui du dernier loyer facturé, soit 2 000 euros, à compter de l'échéance du mois d'octobre 2024 jusqu'à la libération effective des lieux loués.

Il n'est justifié de mettre aucune autre somme à la charge de la locataire.

Sur la demande au titre de l'indemnité d'éviction

En vertu des dispositions de l'article L. 145-14 du code de commerce, 'le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement'.

Ces dispositions ne sont pas applicables en cas de résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers. Il sera donc dit n'y avoir lieu à référé de ce chef.

sur la demande au titre des frais de commissaire de justice

La société Cabinet 14 Immobilier demande la condamnation à titre provisionnel de la société [V] à lui rembourser la somme de 5 110 euros 'correspondant aux frais d'huissier indûment réglés', au motif que les frais de commissaire de justice qui lui sont imputés ne constituent pas des dépens, s'agissant des procès-verbaux de constat, ne correspondent pas aux actes réellement établis et n'ont fait l'objet d'aucune procédure de vérification de dépens. Elle conteste toute irrecevabilité de la demande.

La société civile immobilière [V] affirme que la contestation des dépens exposés lors de l'exécution forcée doit être portée devant le juge de l'exécution et que la demande provisionnelle de l'appelante à ce titre est totalement irrecevable. Sur le fond, elle conteste le montant de ces frais et conclut au bien-fondé de leur imputation au débiteur par le commissaire de justice.

En vertu de l'article 704 du code de procédure civile, 'Les parties peuvent, en cas de difficultés, demander, sans forme, au greffier de la juridiction compétente en application de l'article 52, de vérifier le montant des dépens mentionnés à l'article 695. Il en est de même de l'auxiliaire de justice qui entend recouvrer les dépens ; sa demande est alors accompagnée du compte détaillé qu'il est tenu de remettre aux parties en vertu de la réglementation tarifaire. Ce compte mentionne les provisions reçues', celui qui conteste cette vérification pouvant solliciter ensuite une ordonnance de taxe.

En conséquence, il n'entre pas dans les pouvoirs de la cour statant en appel du juge des référés de se prononcer sur le bien-fondé ou le montant des dépens réclamés par la bailleresse. Cette demande sera déclarée irrecevable.

Sur la demande de suspension des effets de la clause résolutoire et d'octroi de délais de paiement

L'article L. 145-41 alinéa 2 du code de commerce dispose que :

'Les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge'.

Selon le premier alinéa de l'article 1343-5 du code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

En l'espèce, l'expulsion de la société Cabinet 14 Immobilier ayant été réalisée en cours d'instance, et la dette locative étant réglée, la demande de suspension de la clause résolutoire et de délais de paiement est sans objet. Il sera dit n'y avoir lieu à référé de ce chef.

Sur les demandes accessoires

L'ordonnance sera confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.

Partie essentiellement perdante, la société Cabinet 14 Immobilier ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles. Elle devra en outre supporter les dépens de l'appel, qui comprendront le coût du commandement de payer mais non celui de la sommation du 6 février 2024.

Il serait par ailleurs inéquitable de laisser à la société [V] la charge des frais irrépétibles exposés en cause d'appel. L'appelante sera en conséquence condamnée à lui verser une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,

Confirme l'ordonnance querellée ;

Y ajoutant,

Déclare irrecevable la demande au titre des frais d'huissier ;

Dit n'y avoir lieu à référé sur les autres demandes de la société Cabinet 14 Immobilier ;

Dit n'y avoir lieu à référé sur les autres demandes de la société civile immobilière [V] ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Condamne la société Cabinet 14 Immobilier aux dépens d'appel ;

Condamne la société Cabinet 14 Immobilier à verser à la société civile immobilière [V] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère faisant fonction de Présidente et par Madame Elisabeth TODINI, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente

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