CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 6 novembre 2025, n° 25/01545
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Holdoz (SARL)
Défendeur :
Ebo En Bande Organisee (SASU)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Renard
Conseiller :
Mme Ranoux-Julien
Avocats :
Me Meynard, Me Mercier, Me Kilinc
EXPOSÉ DU LITIGE
La société EBO en Bande Organisée (ci-après dénommée " EBO ") est une agence d'architecture d'intérieur, dirigée par Mme [F] [V], spécialisée dans la fourniture de prestations de design d'intérieur et de scénographie aux hôtels, boutiques et restaurants.
La société Holdoz est la holding de tête d'un groupe qui exploite plusieurs établissements de restauration dans la région de [Localité 6].
Le 23 février 2023, la société EBO a adressé à la société Holdoz un devis portant sur des prestations de design et de décoration d'intérieur du restaurant " Studyo " situé à [Localité 6]. Le 27 septembre 2023, le devis a été accepté et signé par la société Holdoz.
Par lettre recommandée en date du 7 mai 2024 avec demande d'avis de réception, la société Holdoz, par l'intermédiaire de son conseil, a notifié à la société EBO, la résolution du contrat au motif de divers manquements.
Par acte du 8 août 2024, la société EBO a assigné la société Holdoz devant le tribunal de commerce de Paris en paiement de factures et en indemnisation de la rupture des relations commerciales.
La société Holdoz a soulevé l'incompétence du tribunal de commerce de Paris au profit du tribunal de commerce de Rennes.
Par jugement du 13 janvier 2025, le tribunal de commerce de Paris a :
- Jugé recevable mais mal fondée l'exception d'incompétence soulevée par la société Holdoz ;
- Retenu sa compétence pour juger l'intégralité des demandes formulées dans le cadre de la présente instance par la société En Bande Organisée " EBO " ;
- Rejeté l'exception d'incompétence, soulevée par la société Holdoz, à l'encontre de la juridiction de céans, concernant les demandes présentées par la société En Bande Organisée " EBO " ;
- S'est déclaré compétent ;
- Invité les parties à conclure au fond et à se mettre en état de plaider ;
- Condamné la société Holdoz à payer à la société En Bande Organisée " EBO " la somme de 1500 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, déboutant pour le surplus ;
- Condamné la société Holdoz aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 92,31 euros dont 15,17 euros de TVA.
Par déclaration du 24 janvier 2025, la société Holdoz a interjeté appel du jugement sur tous les chefs du dispositif sauf en ce qu'il a jugé recevable mais mal fondée l'exception d'incompétence soulevée par la société Holdoz.
Par ordonnance du 12 février 2025, la société Holdoz a été autorisée à faire assigner à jour fixe la société EBO pour l'audience du 3 juillet 2025 à 14H00.
Aux termes de l'assignation délivrée le 18 février 2025, la société Holdoz demande, au visa des articles L. 442-1 du code de commerce, 42, 46, 75 à 82 du code de procédure civile, de :
- Infirmer le jugement du 13 janvier 2025 en toute ses dispositions ;
- Faire droit à l'exception de procédure soulevée in limine litis par la société Holdoz ;
- Déclarer incompétent le tribunal de commerce de Paris au profit du tribunal de Commerce de Rennes, exclusivement compétent ;
- Désigner le tribunal de commerce de Rennes comme juridiction compétente en application de l'article 81 du code de procédure civile ;
- Dire et juger que l'entier litige doit être renvoyé au tribunal de commerce de Rennes ;
Et en tout état de cause,
- Condamner la société EBO à régler à la société Holdoz la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.
Par ses dernières conclusions notifiées le 23 juin 2025, la société EBO demande, au visa des articles 42, 46 et 559 du code procédure civile, L 442-1 II du code de commerce, de:
- Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 13 janvier 2025 en toutes ses dispositions ;
- Débouter la société Holdoz de l'exception de procédure qu'elle soulève avant toute défense au fond, à savoir l'exception d'incompétence territoriale du tribunal de commerce de Paris ;
En conséquence :
- Déclarer le tribunal de commerce de Paris compétent pour trancher l'entier litige opposant les sociétés EBO et Holdoz et pendante devant le tribunal de commerce de Paris sous le numéro de rôle général 2024057060 ;
- Condamner la société Holdoz à payer à la société EBO la somme de 10 000 euros en indemnisation du préjudice qu'elle lui a causé du fait de l'exercice abusif d'une voie de recours sur le fondement de l'article 559 du code de procédure civile, outre la condamnation à une amende civile dont le montant est laissé à la libre appréciation de la cour ;
En tout état de cause :
- Condamner la société Holdoz à payer à la société EBO la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la compétence territoriale en matière contractuelle
La société EBO soutient que :
- Au visa de l'article 42 du code de procédure civile, le tribunal territorialement compétent est en principe celui où se situe le défendeur ;
- Toutefois, en vertu de l'article 46 du code de procédure civile, en présence d'un contrat de prestations de service, le tribunal territorialement compétent peut être celui situé au lieu d'exécution de la prestation de service ;
- En l'espèce, il est incontestable que les parties étaient liées par un contrat de prestation de service et que par conséquent l'article 46 du code de procédure civile peut être mis en 'uvre ;
- Or, l'ensemble des prestations ont été, dans le cadre du contrat, effectuées à [Localité 5] ;
- En effet, la conception des plans ainsi que les réunions en visio-conférence avaient lieu depuis les bureaux parisiens de la société EBO, ce qui rend le tribunal de commerce de Paris compétent.
La société Holdoz réplique que :
- Les demandes de la société EBO sont fondées principalement sur les règles de responsabilité contractuelle, en lien avec l'exécution d'un contrat conclu avec la société Holdoz prévoyant des prestations d'architecture intérieure pour l'implantation d'un restaurant situé à [Localité 6] ;
- En l'espèce, le siège social de la société défenderesse Holdoz est situé dans le ressort du tribunal de commerce de Rennes ;
- La compétence de principe prévue par l'article 42 du code de procédure civile est donc celle du tribunal de commerce de Rennes ;
- Si l'article 46 du code de procédure civile prévoit que le demandeur puisse saisir la juridiction du lieu de l'exécution de la prestation de service, cette exception est d'interprétation stricte ;
- En l'espèce, le contrat indique clairement " l'agencement d'un restaurant à [Localité 6] " et
" un suivi du chantier " à [Localité 6] ;
- L'objet et la finalité du contrat conclu entre les parties concernant l'élaboration de l'aménagement intérieur d'un restaurant à Rennes, le tribunal territorialement compétent est celui de Rennes.
Selon l'article 46 du code de procédure civile, le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur :
- En matière contractuelle, la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l'exécution de la prestation de service ;
- En matière délictuelle, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi'
Ainsi, en matière contractuelle, le demandeur peut saisir, au choix le tribunal du lieu où demeure le défendeur ou du lieu de l'exécution de la prestation de services. Les parties ne contestent pas que l'objet du litige est le contrat de prestations de service. En conséquence, le demandeur pouvait saisir le tribunal du lieu de l'exécution de la prestation de services.
Pour les contrats de fourniture de prestations intellectuelles, le tribunal compétent est celui du lieu où les prestations ont été ou auraient dû être reçues par le client, et non celui du lieu où elles ont été conçues ou élaborées par le prestataire.
En l'espèce, il résulte du devis en date du 23 février 2023 établi par la société EBO que le projet porte sur l'architecture d'intérieur du restaurant " Studio " situé dans la [Adresse 7] à [Localité 6] comprenant le rez-de-chaussée et deux étages et se décomposant comme suit :
- phase 1 : direction artistique et concept de l'espace
- phase 2 : conception, développement et application du concept
- phrase 3 : AO, suivi de fabrication et installation sur site.
La société Holdoz a accepté ce devis le 27 septembre 2023. Le litige est relatif au paiement de factures et à la résiliation de ce contrat.
Les prestations étaient destinées à être réalisées pour un restaurant situé à [Localité 6], peu important que leur élaboration ait pu avoir lieu en partie dans les bureaux du prestataire.
Le lieu de réception des prestations étant un restaurant situé à Rennes, le tribunal compétent est le tribunal de commerce de Rennes.
Sur la compétence territoriale en matière de rupture brutale des relations commerciales établies
Il est également invoqué la compétence territoriale en matière de rupture brutale des relations commerciales établies.
L'article D.442-2 du code de commerce désigne le tribunal de Paris et celui de Rennes comme une des juridictions compétentes pour statuer sur les litiges relatifs à l'article L.442-1 du code commerce.
La règle de compétence prévue en cette matière est une règle de compétence d'attribution exclusive.
La société HOLDOZ fait valoir qu'elle n'entretenait aucune relation commerciale établie avec la société EBO. Cependant, ce moyen, qui relève de l'examen des pièces au fond, est inopérant sur l'appréciation de la juridiction compétente.
En l'espèce, le tribunal de commerce de Rennes est désigné par l'article D.442-2 du code de commerce comme une des juridictions compétentes pour statuer sur les litiges relatifs à l'article L442-1 du code commerce ce qui n'est donc pas en contradiction avec la compétence retenue sur le fondement de l'article 46 du code de procédure civile, invoquée en premier lieu par les parties alors que retenir la compétence du tribunal de Paris reviendrait à ne pas appliquer les dispositions sur la compétence en matière contractuelle ce que n'exige pas en l'espèce la règle de compétence d'attribution exclusive en matière de rupture brutale des relations commerciales.
Le jugement sera en conséquence infirmé en ce que le tribunal de commerce de Paris s'est déclaré compétent et l'affaire sera renvoyée devant le tribunal de commerce de Rennes.
Sur la demande de la société EBO de dommages-intérêts et d'amende civile pour appel abusif et dilatoire
L'article 32-1 du code de procédure civile dispose : " Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés. "
L'article 559 du code de procédure civile énonce que : " En cas d'appel principal dilatoire ou abusif, l'appelant peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui lui seraient réclamés ".
La société Holdoz ayant été déclarée fondée, au stade de l'appel, en son exception d'incompétence, la demande la société EBO de dommages-intérêts pour procédure abusive sera rejetée. Il n'y a pas lieu au prononcé d'une amende civile.
Sur les demandes accessoires
Les dispositions de première instance relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront infirmées.
L'instance se poursuivant devant le tribunal compétent, les dépens seront réservés.
La société EBO sera condamnée à verser à la société Holdoz la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour, dans les limites de l'appel,
Infirme le jugement du tribunal de commerce de Paris du 13 janvier 2025 ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Dit que le tribunal de commerce de Paris est incompétent pour connaître du litige au profit du tribunal de commerce de Rennes ;
Renvoie la présente affaire devant le tribunal de commerce de Rennes ;
Ordonne la transmission dans les meilleurs délais du dossier de la présente affaire au greffe du tribunal de commerce de Rennes ;
Dit qu'en vertu de l'article 87 du code de procédure civile, le greffier de la cour notifiera aussitôt l'arrêt aux parties par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ;
Rejette la demande de la société EBO en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Dit n'y avoir lieu au prononcé d'une amende civile ;
Condamne la société EBO à verser à la société Holdoz la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Réserve les dépens.