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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 6 novembre 2025, n° 24/19934

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Maisons Du Monde France (SAS)

Défendeur :

Guisnel Distribution (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Renard

Conseiller :

Mme Ranoux-Julien

Avocats :

Me Olivier, Me Le Gallou, Me Bonaldi, Me Cressard

T. com. Rennes, du 19 nov. 2024, n° 2024…

19 novembre 2024

EXPOSÉ DU LITIGE

La société Guisnel Distribution (la société Guisnel) est spécialisée dans le transport de meubles.

La société Maisons du Monde France (la société Maisons du Monde) exerce l'activité de confection et vente de meubles et de décorations.

A partir de 2000, la société Maisons du Monde a confié à la société Guisnel des prestations de transport et de livraison de meubles.

Par lettre recommandée du 30 mars 2022, la société Maisons du Monde a notifié à la société Guisnel la rupture de leurs relations commerciales au 30 septembre 2023.

Le 22 décembre 2022, la société Maisons du Monde a demandé de réduire de 4 mois le préavis initialement octroyé, ce que la société Guisnel a refusé.

La société Maisons du Monde a confirmé le 1er mars 2023 la rupture totale des relations commerciales à effet au 30 septembre 2023.

Par acte du 22 décembre 2023, la société Guisnel a assigné la société Maisons du Monde devant le tribunal de commerce de Rennes en indemnisation pour rupture brutale de la relation commerciale.

Par jugement du 19 novembre 2024, le tribunal de commerce de Rennes a :

- Jugé recevable la demande de la société Maisons du Monde sur l'exception d'incompétence ;

- S'est déclaré compétent pour examiner le litige sur la rupture des relations opposant la société Maisons du Monde et la société Guisnel ;

- Débouté la société Maisons du Monde de sa demande de renvoi du dossier devant le tribunal de commerce de Nantes ;

- Laissé les dépens à la charge de la société Guisnel.

Par déclaration du 9 décembre 2024, la société Maisons du Monde a interjeté appel du jugement en ce qu'il :

- S'est déclaré compétent pour examiner le litige sur la rupture des relations opposant la société Maisons du Monde et la société Guisnel ;

- L'a déboutée de sa demande de renvoi du dossier devant le tribunal de commerce de Nantes.

En vertu d'une ordonnance du 9 décembre 2024, la société Maisons du Monde a assigné à jour fixe la société Guisnel.

Par ses dernières conclusions notifiées le 1er juillet 2025, la société Maisons du Monde demande, au visa des articles 12 et 42 du code de procédure civile, L. 1432-4 et L. 1432-12 du code des transports et du contrat-type applicable aux transports publics routiers de marchandises pour lesquels il n'existe pas de contrat-type spécifique institué par le décret n°2017-461 du 31 mars 2017, de :

- Infirmer le jugement en ce qu'il :

* S'est déclaré compétent pour examiner le litige sur la rupture des relations opposant la société Maisons du Monde et la société Guisnel ;

* A débouté la société Maisons du Monde de sa demande de renvoi du dossier devant le tribunal de commerce de Nantes ;

Statuant à nouveau,

- Déclarer le tribunal de commerce de Rennes incompétent pour connaître du litige à raison de l'inapplicabilité des articles L. 442-1, II et L. 442-4, III du code de commerce ;

- Renvoyer le litige devant le tribunal de commerce de Nantes ;

En tout état de cause,

- Débouter la société Guisnel de toutes demandes, fins ou conclusions plus amples ou contraires ;

- Condamner la société Guisnel à verser la somme de 5 000 euros à la société Maisons du Monde au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société Guisnel aux entiers dépens de l'instance.

Par ses dernières conclusions notifiées le 16 juin 2025, la société Guisnel demande de:

- Juger irrecevable la demande d'incompétence formulée par la société Maisons du Monde en raison de son acceptation de la proposition de conciliation par le tribunal de commerce de Rennes ;

- Juger irrecevable la demande d'incompétence soulevée pour manquement au principe de cohérence;

A titre principal,

- Infirmer le jugement en ce qu'il a considéré recevable la demande d'irrecevabilité ;

- Confirmer le jugement en ce qu'il a retenu sa compétence ;

- Renvoyer le litige devant le tribunal de commerce de Rennes pour statuer au fond ;

- Débouter la société Maisons du Monde de ses demandes, fins et conclusions ;

- Condamner la société Maisons du Monde à régler à la société Guisnel la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société Maisons du Monde aux dépens.

La cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la compétence

La société Maisons du Monde prétend qu'elle n'a pas reconnu implicitement la compétence du tribunal de commerce de Rennes en acceptant de participer à une procédure de conciliation qui a été imposée par le tribunal dès sa saisine et qu'elle n'a pas renoncé à l'application des dispositions spéciales du droit des transports excluant celles de l'article L.442-1 II du code de commerce, aucun accord exprès n'ayant été donné par les parties pour déroger au droit applicable. Elle conteste l'opposabilité des conditions générales de vente invoquées par la société Guisnel.

La société Guisnel soulève l'irrecevabilité de l'exception d'incompétence aux motifs que la société Maisons de Monde a violé les principes de loyauté et de cohérence.

Elle soutient que les parties ont expressément soumis le préavis de rupture aux dispositions de l'article L. 442-1 du code de commerce et que le tribunal de commerce de Rennes est dès lors compétent.

Elle invoque ses conditions générales de vente.

Sur la recevabilité de l'exception d'incompétence

Aux termes de l'article 74, alinéa 1, du code de procédure civile, « les exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir. Il en est ainsi alors même que les règles invoquées au soutien de l'exception seraient d'ordre public. »

L'article 122 du code de procédure civile dispose que 'constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.'

La fin de non-recevoir de l'estoppel vise à sanctionner le comportement procédural d'une partie lorsqu'il est constitutif d'un changement de position, en droit, de nature à induire son adversaire en erreur sur ses intentions.

Le principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui suppose une véritable contradiction entre deux positions adoptées successivement et un avantage effectif retiré du changement de position.

En l'espèce, dès ses premières conclusions, la société Maisons du Monde a soulevé l'incompétence du tribunal de commerce de Rennes au profit du tribunal de commerce de Nantes aux motifs de « l'inapplicabilité des articles L.442-1, II et L.442-4, III du code de commerce, et de l'application de « l'article 26 du contrat-type défini par le décret n°2017-461 du 31 mars 2017 », sans contradiction.

Par ailleurs, il n'est pas démontré une renonciation non équivoque de la société Maisons du Monde à invoquer l'exception d'incompétence par sa participation à la phase de conciliation initiée par le tribunal de commerce de Rennes.

L'exception d'incompétence soulevée avant toute défense au fond devant le tribunal de commerce de Rennes, après la phase de conciliation qui n'a pas abouti sur un accord, est recevable.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la compétence

L'action de la société Guisnel est fondée sur la responsabilité civile délictuelle de l'article L. 442-1 II du code de commerce.

Elle a assigné la société Maisons du Monde devant le tribunal de commerce de Rennes, compétent en application des dispositions de l'article L. 442-4 du code de commerce.

L'article L. 442-1 II du code commerce dispose :

« Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels.

En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois.

Les dispositions du présent II ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. »

Si le visa de l'article L. 442-1 du code commerce dans la lettre de rupture du 30 mars 2022 et les échanges précontentieux ultérieurs des parties, avant l'engagement de l'action en justice par la société Guisnel, n'établissent pas un accord exprès des parties de soumettre au juge leur litige relatif à la rupture de leur relation sous l'empire de l'article L. 442-1 II du code de commerce, à l'exclusion de tout autre fondement juridique applicable, il est relevé que la société Guisnel a assigné la société Maisons du Monde devant le tribunal de commerce de Rennes en indemnisation pour rupture brutale de la relation commerciale à la suite de la rupture notifiée par la société Maisons du Monde à effet au 30 septembre 2023.

Sans qu'il y ait lieu de statuer sur le bien-fondé de la demande au regard du fondement invoqué au stade de la compétence, le jugement du tribunal de commerce de Rennes, qui est compétent pour statuer sur l'action en indemnisation fondée sur l'article L. 442-1 II du code de commerce, sera en conséquence confirmé.

Sur les demandes accessoires

L'instance se poursuivant devant le tribunal compétent, les dépens seront réservés.

Les dispositions du jugement relatives aux dépens seront dès lors infirmées.

Il n'apparaît pas inéquitable, à ce stade de la procédure, de laisser à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles exposés. Les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

- Confirme le jugement du 19 novembre 2024 du tribunal de commerce de Rennes sauf en ce qu'il a mis les dépens à la charge de la société Guisnel ;

Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,

- Dit qu'en vertu de l'article 87 du code de procédure civile, le greffier de la cour notifiera aussitôt l'arrêt aux parties par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ;

- Rejette les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Réserve les dépens.

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