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Décisions

CA Paris, Pôle 1 - ch. 2, 6 novembre 2025, n° 25/02654

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 25/02654

5 novembre 2025

EXPOSE DU LITIGE

Par acte sous seing privé en date du 5 novembre 2002, la société Serpaul a consenti à M. [J] un bail commercial sur des locaux situés [Adresse 1], stand n°11, allée 6, au sein du marché Serpette à [Localité 9].

Par acte du 26 février 2024, la société Serpaul a assigné en référé devant le président du tribunal judiciaire de Bobigny, M. [J] pour faire constater la résiliation du bail, obtenir son expulsion des lieux loués, le condamner à lui payer une somme provisionnelle au titre des impayés et une indemnité mensuelle d'occupation.

Par ordonnance du 12 septembre 2024, le juge des référés a constaté le désistement de la société Serpaul de l'ensemble de ses demandes principales.

Par acte du 13 septembre 2024, la société Serpaul a fait délivrer à M. [J] un commandement de payer visant la clause résolutoire pour un montant principal de 8.551,58 euros.

Par acte du 22 octobre 2024, la société Serpaul a fait assigner M. [J] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Bobigny aux fins de, notamment :

Constater l'acquisition de la clause résolutoire et la résiliation du bail ;

Ordonner l'expulsion si besoin avec le concours de la force publique et l'assistance d'un serrurier, de M. [J] et de tout occupant de son chef des lieux loués ;

Ordonner le transport et la séquestration des meubles garnissant les locaux ;

Fixer à titre provisionnel l'indemnité d'occupation, à compter de la résiliation du bail et jusqu'à libération effective des lieux, matérialisée par la remise des clés à un montant équivalent au dernier loyer en vigueur, outre les charges, taxes et accessoires et avec indexation qu'il aurait dû régler si le bail n'avait pas été résilié ;

Condamner M. [J] à lui payer à titre provisionnel une somme de 10.250,44 euros à valoir sur les loyers, charges, taxes et accessoires impayés augmentée des intérêts au taux légal à compter du commandement visant la clause résolutoire du 13 septembre 2024 sur la somme de 8.551,58 euros et pour le surplus à compter de l'assignation ;

Condamner M. [J] au paiement des indemnités d'occupation postérieures à compter du 1er novembre 2024 ;

Condamner M. [J] à lui payer la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner M. [J] aux entiers dépens qui comprendront le coût du commandement de payer visant la clause résolutoire à hauteur de 171,86 euros ;

Rappelé que la décision à intervenir est exécutoire à titre provisoire.

M. [J] n'a pas comparu.

Par ordonnance réputée contradictoire du 17 décembre 2024, le juge des référés, a :

Constaté la résiliation du bail par l'effet d'une clause résolutoire le 14 octobre 2024 ;

Ordonné, si besoin avec le concours de la force publique et l'assistance d'un serrurier, l'expulsion de Monsieur [I] [J] ou de tous occupants de son chef hors des locaux situés [Adresse 2], au sein du marché Serpette à [Localité 9] ;

Dit que les meubles et objets mobiliers se trouvant sur place donneront lieu à l'application des dispositions des articles L. 433-1 et L. 433-2 du code des procédures civiles d'exécution ;

Condamné M. [J] au paiement d'une indemnité d'occupation à compter de la résiliation du contrat et jusqu'à la libération effective des lieux, égale au montant du loyer, augmentée des charges et taxes afférentes qu'il aurait dû payer si le bail ne s'étant pas trouvé résilié ;

Condamné M. [J] à payer à la société Serpaul la somme provisionnelle de 9.152,85 euros, échéance de novembre 2024 incluse, augmentée des intérêts de retard au taux légal à compter du 13 septembre 2024 sur la somme de 8.551,58 euros et pour le surplus à compter de l'assignation ;

Condamné M. [J] à supporter la charge des dépens qui comprendront notamment le coût du commandement de payer du 13 septembre 2024 à hauteur de 171,86 euros ;

Condamné M. [J] à payer à la société Serpaul la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires ;

Rappelé que la présente décision est exécutoire par provision.

Par déclaration du 29 janvier 2025, M. [J] a relevé appel de cette décision de l'ensemble des chefs du dispositif.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 22 avril 2025, il demande à la cour, sur le fondement de l'article L.145-41 du code de commerce et de l'article 1343-5 du code civil, de :

Infirmer l'ordonnance du président du tribunal judiciaire de Bobigny du 17 décembre 2024 ;

Statuant à nouveau :

Ordonner la suspension des effets de la clause résolutoire du bail commercial conclu sur le local situé [Adresse 2], au sein du marché Serpette à [Localité 9] ;

Ordonner l'octroi de délais de paiement de deux années à M. [J].

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 3 septembre 2025, la société Serpaul demande à la cour de :

Débouter M. [J] de ses demandes de suspension des effets de la clause résolutoire et d'octroi de délais de paiement ;

Confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance du 17 décembre 2024 rendue par le tribunal judiciaire de Bobigny ;

A titre subsidiaire :

En cas de suspension des effets de la clause résolutoire et d'octroi de délais de paiement, subordonner ces derniers au paiement à date exacte du loyer courant le temps des délais accordés ;

Ordonner qu'en cas de non-respect d'une seule mensualité visant à apurer l'arriéré ou d'un terme de loyer à son terme exact, l'intégralité de la dette deviendra immédiatement exigible et la clause résolutoire reprendra immédiatement tous ses effets au jour du manquement ;

En tout état de cause, et y ajoutant :

Condamner M. [J] à payer à la société Serpaul la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'appel dont distraction pour ceux le concernant au profit de Me Abadie.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 9 septembre 2025.

SUR CE,

La pièce nouvelle adressée par M. [J] en cours de délibéré sera écartée des débats sur le fondement de l'article 445 du code de procédure civile, aucune note en délibéré n'ayant été autorisée.

L'article L. 145-41 du code de commerce dispose que toute clause insérée dans le bail commercial prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement de payer demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.

L'expulsion d'un locataire commercial devenu occupant sans droit ni titre en vertu du jeu d'une clause résolutoire de plein droit peut être demandée au juge des référés du tribunal judiciaire en application des dispositions de l'article 835 du code de procédure civile, dès lors que le maintien dans les lieux de cet occupant constitue un trouble manifestement illicite ou qu'à tout le moins l'obligation de libérer les lieux correspond dans cette hypothèse à une obligation non sérieusement contestable.

L'article 1343-5 du code civil précise que le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

Aux termes des dispositions de l'article L.145-41 du code de commerce, les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.

En l'espèce, la régularité du commandement de payer n'est pas contestée. M. [J] reconnait que l'acquisition de la clause résolutoire est intervenue dès lors que le commandement de payer est resté infructueux plus d'un mois après sa délivrance.

L'ordonnance entreprise sera confirmée en ce qu'elle a constaté la résiliation du bail par l'effet de la clause résolutoire le 14 octobre 2024.

M. [J] demande que des délais lui soient alloués, avec suspension des effets de la clause résolutoire. Il expose qu'il exerce la profession d'antiquaire au sein du marché Serpette depuis 1974 et qu'il est âgé de 72 ans. Il soutient que s'il était expulsé les chances de trouver un nouveau local sont quasi nulles. Il fait état de problèmes de santé nombreux. Il fait valoir que les causes de l'ordonnance entreprise ont été réglées mais que les versements n'ont pas suffi à régler l'intégralité des appels de loyers postérieurs, ses ressources étant fluctuantes. Il argue d'une particulière bonne foi.

La société Serpaul s'oppose à l'octroi de délais. Elle allègue que les problèmes de santé de M. [J] peuvent interroger sur sa capacité à continuer à exploiter le fonds de commerce ; qu'il est au demeurant taisant sur une éventuelle liquidation de sa retraite. Elle fait état d'une précédente instance avec une dette apurée avant l'audience et de ce que les problèmes de trésorerie de M. [J] sont récurrents. Elle soutient que la dette en principal au 3 septembre 2025 est de 6 349,08 euros et que les loyers ne sont pas payés à échéance, ce qui exclut la bonne foi alléguée.

Sur ce,

Le bailleur produit un décompte en date du 3 septembre 2025 à hauteur de 8.734,67 euros.

Il convient cependant de déduire de ce décompte les sommes suivantes qui ne correspondent pas aux seuls loyers et charges, ce que le bailleur ne conteste pas :

- 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- 58,01 euros au titre des frais d'assignation ;

- 73,18 euros au titre des frais de signification ;

- 754,40 euros au titre des dépens.

Il est dû la somme de 6.349,08 euros, échéance de septembre 2025 incluse.

La dette locative a diminué par rapport à celle retenue par le premier juge (9.152,85 euros, novembre 2024), ce qui démontre la reprise du paiement du loyer courant et des efforts pour apurer l'arriéré, au-delà du seul montant de la saisie-attribution, et témoigne de sa bonne foi. M. [J] loue les lieux depuis quatre décennies, ce dont il y a également lieu de tenir compte.

Les problèmes médicaux de l'appelant sont par ailleurs démontrés par un certificat médical du 18 avril 2025 (sa pièce 9) qui fait état d'un AVC en 2019 avec la persistance de troubles cognitifs et des épisodes dépressifs récurrents. Il est par ailleurs incontestable que l'activité de M. [J] génère des revenus variables ce qui explique certaines difficultés pour régler les échéances à bonne date et la précédente procédure, sans remettre en cause sa bonne foi.

En considération de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de lui allouer des délais dans les conditions précisées dans le dispositif de la présente décision (sur 20 mois), avec suspension des effets de la clause résolutoire.

L'octroi de cet échéancier commande que la cour actualise le montant de la dette en considération de laquelle des délais sont alloués, M. [J] sera condamné, à titre provisionnel à payer la somme de 6.349,08 euros au titre de l'arriéré locatif arrêté au 3 septembre 2025.

Le sort des dépens et des frais irrépétibles a été exactement tranché par le premier juge.

Eu égard à la solution du litige, M. [J] restant redevable de loyers et les délais étant alloués dans son seul intérêt, il sera condamné aux dépens d'appel.

Il y a lieu de laisser en revanche, à chacune des parties, la charge de ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

Ecarte des débats la pièce adressée par M. [J] par message du 9 octobre 2025 ;

Infirme l'ordonnance rendue, sauf en ce qu'elle a constaté que les conditions d'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail étaient réunies et sur les dépens et les frais irrépétibles ;

Statuant à nouveau, et y ajoutant,

Condamne M. [J] à payer à la société Serpaul la somme provisionnelle de 6.349,08 euros au titre des loyers et charges dus et arrêtés au 3 septembre 2025, échéance de septembre 2025 incluse ;

Dit que M. [J] pourra s'acquitter de cette somme, en plus des loyers courants, en 19 mensualités successives de 315 euros et une vingtième réglant le solde en principal et intérêts, le premier versement devant intervenir avant le 15 du mois suivant la signification du présent arrêt et les versements suivants avant le 15 de chaque mois ;

Suspend les effets de la clause résolutoire pendant le cours de ce délai, laquelle sera réputée n'avoir jamais joué si M. [J] se libère de sa dette dans ce délai et si les loyers courants augmentés des charges, taxes et accessoires afférents sont payés pendant le cours de ce délai dans les conditions fixées par le bail commercial ;

Dit qu'à défaut de paiement d'une seule des mensualités à bonne date dans les conditions ci-dessus fixées ou du loyer courant augmenté des charges, taxes et accessoires afférents à leur échéance, et huit jours après l'envoi d'une simple mise en demeure adressée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception :

la totalité de la somme restant due deviendra immédiatement exigible ;

la clause résolutoire reprendra son plein effet ;

faute de départ volontaire des lieux loués, il pourra être procédé à l'expulsion de M. [J] de tous occupants de son chef des locaux loués, avec le concours de la force publique si nécessaire ;

le sort des meubles trouvés sur place sera régi par les articles L. 433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution ;

M. [J] sera condamné, jusqu'à la libération effective des lieux, à payer à la société Serpaul une indemnité provisionnelle d'occupation égale au montant du loyer, augmenté des charges, taxes et accessoires, qui aurait été dû si le bail s'était poursuivi ;

Rejette la demande au titre des frais irrépétibles ;

Condamne M. [J] aux dépens d'appel.

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