CA Versailles, ch. civ. 1-5, 6 novembre 2025, n° 24/07840
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Aux Temps Gourmands (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme de Rocquigny du Fayel
Vice-président :
M. Parodi
Conseiller :
M. Maumont
Avocats :
Me Teriitehau, Me Boulan, Me Gérard, Me Perrot-Bielecki
EXPOSÉ DU LITIGE :
Par acte sous seing privé en date du 2 avril 1990, M. [K] [B] et M. [W] [S] ont donné à bail à M. et Mme [U] un local à usage de commerce et d'habitation, situé [Adresse 7].
Les lieux loués étaient destinés à l'usage de " Boulangerie, Pâtisserie, Confiserie, Traiteur et Chocolatier ".
Le 28 février 1996, M. et Mme [U] ont cédé leur fonds de commerce à M. et Mme [X], lesquels ont ensuite cédé celui-ci à la SARL Aux Temps Gourmands.
Des loyers et des charges sont demeurés impayés.
Par acte du 25 janvier 2023, MM. [B] et [S] ont fait délivrer au preneur un commandement, visant la clause de résiliation de plein droit insérée dans le contrat de bail, de payer la somme de 22 185,96 euros au titre de l'arriéré locatif.
Par acte de commissaire de justice délivré le 27 février 2023, la société Aux Temps Gourmands a fait assigner MM. [B] et [S] devant le tribunal judiciaire de Nanterre pour former opposition à ce commandement de payer.
Arguant que le commandement serait demeuré infructueux, MM. [B] et [S] ont, par acte du 12 avril 2023, fait assigner en référé la société Aux Temps Gourmands aux fins d'obtenir principalement :
- le constat de la résiliation de plein droit de la location consentie sur le local commercial situé [Adresse 7], à la date du 25 février 2023,
- l'expulsion de la société Aux Temps Gourmands des lieux loués, ainsi que celle de tous occupants de son chef, et ce au besoin, avec l'appui de la force publique et l'assistance d'un serrurier,
- la condamnation de la société Aux Temps Gourmands au paiement à titre provisionnel de la somme provisionnelle de 22 399,32 euros au titre des loyers et charges impayés et indemnités d'occupation, avec intérêts de retard jusqu'à complet paiement,
- la condamnation de la société Aux Temps Gourmands au paiement d'une somme de 2 374,66 euros au titre de l'indemnité d'occupation, outre le paiement des charges depuis le 26 février 2023 jusqu'à justification de la libération totale des lieux et remise des clés,
- la condamnation de la société Aux Temps Gourmands à payer une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamnation de la société Aux Temps Gourmands aux dépens.
Par ordonnance contradictoire rendue le 14 octobre 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre a :
- renvoyé les parties à se pourvoir ainsi qu'elles aviseront, et dès à présent, vu l'urgence :
- rejeté l'exception de litispendance soulevée par la société Aux Temps Gourmands ;
- constaté l'acquisition de la clause de résiliation de plein droit au bénéfice des bailleurs, à la date du 26 février 2023 ;
- condamné la société Aux Temps Gourmands à quitter les lieux loués situés [Adresse 7] ;
- autorisé, à défaut pour la société Aux Temps Gourmands d'avoir volontairement libéré les lieux, qu'il soit procédé à son expulsion ainsi qu'à celle de tous occupants de son chef avec si nécessaire le concours de la force publique ;
- dit qu'en ce qui concerne le sort des meubles, il sera procédé selon les dispositions des articles L. 433-1 et L. 433-2 du code des procédures civiles d'exécution ;
- fixé une indemnité d'occupation égale au montant du loyer, révisable selon les dispositions contractuelles, et de la provision sur charges (2 374,66 euros par mois à la date de l'audience), augmentée de la régularisation au titre des charges dûment justifiées ;
- condamné la société Aux Temps Gourmands à payer à MM. [B] et [S] la somme de 22 185,96 euros à titre d'indemnité provisionnelle pour l'arriéré de loyers et charges locatives à la date du 31 mars 2023 (échéance du troisième trimestre incluse), avec intérêts au taux légal à compter du 25 janvier 2023 ;
- condamné la société Aux Temps Gourmands à payer à MM. [B] et [S] la somme de 668 euros à titre d'indemnité provisionnelle pour la taxe d'ordures ménagères pour l'année 2023 ;
- condamné la société Aux Temps Gourmands à payer MM. [B] et [S], à compter du 1er avril 2023 l'indemnité d'occupation mensuelle ci-dessus fixée, jusqu'à libération effective des lieux ;
- rejeté le surplus des demandes émanant de MM. [B] et [S] ;
- débouté la société Aux Temps Gourmands de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
- débouté la société Aux Temps Gourmands de sa demande de mesure d'expertise ;
- condamné la société Aux Temps Gourmands aux dépens qui comprendront notamment le coût du commandement de payer et de l'assignation ;
- condamné la société Aux Temps Gourmands à payer à MM. [B] et [S] une indemnité de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté la société Aux Temps Gourmands de sa demande en paiement émise de ce chef ;
- rappelé que l'ordonnance est exécutoire de plein droit par provision.
Par déclaration reçue au greffe le 17 décembre 2024, la société Aux Temps Gourmands a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition, sauf en ce qu'elle a :
- renvoyé les parties à se pourvoir ainsi qu'elles aviseront ;
- rejeté le surplus des demandes émanant de MM. [B] et [S] ;
- débouté la société Aux Temps Gourmands de sa demande de mesure d'expertise.
Dans ses dernières conclusions déposées le 16 septembre 2025 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Aux Temps Gourmands demande à la cour, au visa des articles 1104 du code civil, 100, 455, 789 et 834 du code de procédure civile, de :
' - juger recevable l'appel formé contre l'ordonnance déférée en ce qu'elle a :
- rejeté l'exception de litispendance soulevée par la société Aux Temps Gourmands,
- constaté l'acquisition de la clause de résiliation de plein droit au bénéfice des bailleurs, à la date du 26 février 2023,
- condamné la société SARL Aux Temps Gourmands à quitter les lieux loués situés [Adresse 6],
- autorisé, à défaut pour la société SARL Aux Temps Gourmands d'avoir volontairement libéré les lieux, qu'il soit procédé à son expulsion ainsi qu'à celle de tous occupants de son chef avec si nécessaire le concours de la force publique,
- dit qu'en ce qui concerne le sort des meubles, il sera procédé selon les dispositions des articles L. 433-1 et L. 433-2 du code des procédures civiles d'exécution,
- fixé une indemnité d'occupation égale au montant du loyer, révisable selon les dispositions contractuelles, et de la provision sur charges (2 374,66 euros par mois à la date de l'audience), augmentée de la régularisation au titre des charges dûment justifiées,
- condamné la société SARL Aux Temps Gourmands à payer à Monsieur [K] [B] et Monsieur [W] [S] la somme de 22 185,96 euros à titre d'indemnité provisionnelle pour l'arriéré de loyers et charges locatives à la date du 31 mars 2023 (échéance du troisième trimestre incluse), avec intérêts au taux légal à compter du 25 janvier 2023,
- condamné la société SARL Aux Temps Gourmands à payer à Monsieur [K] [B] et Monsieur [W] [S] la somme de 668 euros à titre d'indemnité provisionnelle pour la taxe d'ordures ménagères pour l'année 2023,
- condamné la société SARL Aux Temps Gourmands à payer à Monsieur [K] [B] et Monsieur [W] [S], à compter du 1er avril 2023 l'indemnité d'occupation mensuelle ci-dessus fixée, jusqu'à libération effective des lieux,
- débouté la société SARL Aux Temps Gourmands de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- condamné la société SARL Aux Temps Gourmands aux dépens qui comprendront notamment le coût du commandement de payer et de l'assignation,
- condamné la société SARL Aux Temps Gourmands à payer à Monsieur [K] [B] et Monsieur [W] [S] une indemnité de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du cpc,
- débouté la société SARL Aux Temps Gourmands de sa demande en paiement émise de ce chef,
- rappelé que la présente ordonnance est exécutoire de plein droit par provision,
et statuant à nouveau,
- juger n'y avoir lieu à référé et mettre à néant l'ordonnance du 24 octobre 2024 en ce qu'elle a violé les dispositions des articles sus-visés,
- juger encore, si nécessaire, le commandement du 25 janvier 2023 de nul effet,
- débouter au surplus les intimés de toutes leurs fins et conclusions,
- condamner les intimés au paiement de la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du cpc, outre aux entiers dépens en ce compris ceux de première instance.
Dans leurs dernières conclusions déposées le 16 septembre 2025 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, MM. [B] et [S] demandent à la cour, au visa des articles L. 145-41 du code de commerce et 834 du code de procédure civile, de :
' - déclarer la SARL Aux Temps Gourmands irrecevable et mal fondée en toutes ses demandes, et l'en débouter ;
- confirmer dans son intégralité l'ordonnance du 24 octobre 2024 rendue par le juge de référé du tribunal judiciaire de Nanterre ;
- condamner la SARL Aux Temps Gourmands à payer la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la SARL Aux Temps Gourmands aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 septembre 2025, et l'affaire a été appelée à l'audience rapporteur du 24 septembre 2025.
Par message RPVA du 10 octobre la cour a sollicité les observations des parties sur les conséquences à tirer, au regard des dispositions des articles 542 et 954 du code de procédure civile, telles qu'éclairées par la jurisprudence de la Cour de cassation, de :
- l'absence de mention dans le dispositif des conclusions de l'appelante de demande expresse d'infirmation ou d'annulation de l'ordonnance déférée ;
- l'absence de formulation de prétentions, dans le dispositif des conclusions d'appelant, relatives à la litispendance et à "l'incompétence du juge des référés" invoquées dans la partie discussion desdites conclusions.
Les parties ont été autorisées à communiquer leurs observations par notes en délibéré dans un délai de 10 jours.
L'appelante a répondu par note en délibéré du 17 octobre 2025, accompagnée de nouvelles conclusions comportant un dispositif modifié.
MM. [B] et [S] n'ont pas répondu.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le périmètre de la saisine de la cour
Dans sa note en délibéré, l'appelante fait valoir que la demande d'infirmation de la décision déférée figurait dans le dispositif des premières conclusions signifiées le 13 mars 2025 et que ce n'est qu'en raison d'une erreur de manipulation informatique que cette mention ne figure plus dans ses dernières conclusions. Elle estime que cette erreur purement matérielle ne saurait la priver de son recours.
S'agissant de ses autres prétentions, elle explique qu'il a été utilisé une formule synthétique, à savoir " juger n'y air lieu à référé et mettre à néant l'ordonnance du 24 octobre 2024 en ce qu'elle a violé les dispositions des articles sus-visés " étant entendu que les articles visés explicitement étaient les articles 100, 455, 789 et 834 du code de procédure civile. Elle considère que cette formule suffit à saisir la cour notamment de demandes relatives à la litispendance et à l'incompétence du premier juge.
Sur ce,
Il résulte des articles 542 et 954 du code de procédure civile que lorsque l'appelant ne demande, dans le dispositif de ses conclusions, ni l'infirmation ni l'annulation de la décision, la cour d'appel ne peut que confirmer celle-ci (Civ. 2e, 17 sept. 2020, n° 18-23.626 ; Civ. 2e, 11 sept. 2025, n° 23-10.426).
En application de ces textes, dénués d'ambiguïté, le dispositif des conclusions de l'appelant doit comporter, en vue de l'infirmation ou de l'annulation du jugement frappé d'appel, des prétentions sur le litige, sans lesquelles la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement frappé d'appel.
Cette règle poursuit un but légitime, tenant au respect des droits de la défense et à la bonne administration de la justice (2e Civ., 30 septembre 2021, pourvoi n° 20-16.746).
En l'espèce, aux termes du dispositif de ses dernières conclusions, la société Aux Temps Gourmands demande à la cour de " juger recevable " son appel et " statuant à nouveau " de " juger n'y avoir lieu à référé et mettre à néant l'ordonnance du 24 octobre 2024 en ce qu'elle a violé les dispositions des articles susvisés [articles 100, 455, 789 et 834 du code de procédure civile, article 1104 du code civil] ".
Les expressions " statuant à nouveau " ou " mettre à néant ", contenues dans le dispositif des conclusions de l'appelante, ne se confondent pas avec une demande d'annulation ou d'infirmation du jugement, et ne peuvent donc suffire en elles-mêmes à définir l'objet de l'appel.
Toutefois, comme le relève l'appelante dans sa note en délibéré, ses premières conclusions datées du 13 mars 2025 comportaient bien une demande expresse d'infirmation de l'ordonnance, puisqu'aux termes du dispositif de celles-ci, il était demandé à la cour d' " infirmer l'ordonnance de référé ".
Or, aucun élément du dossier ne permet d'inférer une renonciation, même seulement tacite, à cette prétention. La comparaison formelle des dispositifs des premières et des dernières conclusions, telle qu'éclairée par le contenu des dernières conclusions, suggère l'existence d'une simple erreur matérielle, ayant consisté à retirer par inadvertance du dispositif des conclusions la formule " infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a " pour lui substituer la formule suivante : " juger recevable l'appel formé contre l'ordonnance en ce qu'elle a ".
Cette erreur matérielle n'a manifestement causé aucun grief aux intimés qui n'ont d'ailleurs pas déféré à la demande d'observations. De fait, ils ont pu conclure au vu de conclusions ne contenant pas d'équivoque quant à la finalité de l'appel, en sorte qu'aucune atteinte aux droits de la défense n'est caractérisée. Dans ces conditions, nonobstant le but légitime de bonne administration de la justice poursuivi par la règle sus énoncée, il apparaîtrait excessif, en l'espèce, de priver l'appelante de son droit à voir son affaire réexaminée par la cour d'appel, conformément au droit à un recours effectif qu'elle tient de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme.
Cependant, il est rappelé qu'aux termes de l'article 954 du code civil, alinéa 3, du code de procédure civile la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.
Or, si la formule " juger qu'il n'y a lieu à référé ", contenue dans le dispositif des conclusions de l'appelante, peut renvoyer à l'ensemble des fins de non-recevoir tirées du défaut de pouvoir juridictionnel du juge des référés, quels que soient les moyens développés au soutien de celles-ci, elle n'inclut pas, en revanche, la prétention d'une autre nature, constitutive d'une exception de procédure, tirée de l'existence d'une situation de litispendance.
L'appelante développe à cet égard, dans la partie discussion de ses écritures un moyen fondé sur l'article 100 du code de procédure civile. Toutefois, la seule mention du fondement textuel au visa des conclusions ne remplace pas la formulation d'une prétention. Or, le moyen développé ne consiste pas en un moyen de défense au fond : constitutif d'une exception de procédure, il a la nature d'une véritable prétention visant, en l'occurrence, à remettre en cause le droit des intimés à agir, non pas en ce qu' " il n'y a lieu à référé ", mais parce que le même litige serait prétendument pendant devant deux juridictions également compétentes pour en connaître.
A défaut de figurer au dispositif des conclusions de l'appelante, cette prétention ne sera pas examinée. De même, bien que le chef de dispositif de l'ordonnance déboutant la société Aux Temps Gourmands de sa demande de dommages et intérêts soit visée dans le dispositif des conclusions, la demande n'est pas réitérée à hauteur d'appel, de sorte que la cour n'en est pas saisie.
Sur la résiliation du contrat de bail et l'expulsion
Pour voir juger qu'il n'y a lieu à référé, la société Aux Temps Gourmands excipe de " l'incompétence " du juge des référés, faisant valoir qu'une procédure au fond a été engagée antérieurement à l'assignation en référé et qu'il résulte d'une jurisprudence constante qu'à partir de la désignation du juge de la mise en état, le juge des référés est incompétent pour statuer sur le fondement de l'article 834 du Code de procédure civile.
Elle se prévaut en outre de " difficultés réelles et sérieuses ", soutenant que l'existence d'une procédure au fond et donc d'un litige non purgé, est en elle-même révélatrice de l'existence d'une contestation sérieuse ; que l'état de vétusté de l'immeuble, qui perdure depuis plusieurs années, relève de la responsabilité du bailleur, nonobstant toute clause contraire du bail, et que cette situation justifie que le paiement des loyers soit suspendu par le jeu de l'exception d'inexécution ; que le commandement de payer est nul pour avoir été délivré par un bailleur de mauvaise foi ne cherchant qu'à obtenir le départ de son locataire, afin de se soustraire aux travaux lui incombant et de vendre l'immeuble vide de tout occupant.
MM. [B] et [S] contestent l'incompétence du juge des référés, soulignant qu'au contraire le juge des référés dispose d'une compétence spéciale pour constater l'acquisition de la clause résolutoire et suspendre ses effets, indépendamment de l'existence d'une procédure au fond. Ils estiment que sa compétence ne cesse que lorsqu'une autre formation de jugement est spécialement investie de fonctions identiques, ce qui n'est pas le cas du juge de la mise en état, lequel n'est compétent que pour les mesures d'administration de la procédure et non pour statuer sur la clause résolutoire.
En réponse aux autres moyens soulevés, ils font observer que la société Aux Temps Gourmands n'a jamais fait état d'un quelconque défaut de délivrance pour des travaux non réalisés par le bailleur avant la procédure en résiliation du bail pour défaut de paiement ; qu'il n'en est pas même fait mention dans les motifs de son opposition à commandement de payer ; qu'à aucun moment les locaux n'ont été considérés dans un état de vétusté tel qu'il aurait empêché la locataire d'en jouir et d'y exercer son activité ; que le mauvais état de l'immeuble a manifestement été provoqué par un défaut indéniable d'entretien et de réparation à la charge du locataire.
Sur ce,
En application des dispositions de l'article 834 du code de procédure civile, la juridiction des référés, sans nécessité de caractériser l'urgence, peut constater l'acquisition de la clause résolutoire insérée au contrat de bail, en l'absence de contestation sérieuse.
Une contestation sérieuse survient lorsque l'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.
L'article L. 145-41 du code de commerce dispose que " toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux ".
Alors qu'il est constant que le bail litigieux comporte une telle clause, l'appelante excipe tout d'abord du défaut de pouvoir juridictionnel du juge des référés, saisi sur le fondement de l'article 834 du code de procédure civile, pour constater l'acquisition de la clause résolutoire dès lors que le juge de la mise en état a été préalablement désigné dans le cadre d'une procédure au fond, en opposition à commandement de payer.
Cependant, l'article 789 du code de procédure civile qui définit les prérogatives du juge de la mise en état, ne lui confère pas le pouvoir de constater la résiliation de plein droit du bail. Il s'ensuit que même à considérer, en l'espèce, que le juge de la mise en état a été désigné en premier lieu, celui-ci ne pouvait en tout état de cause avoir à connaître de la difficulté soumise au juge des référés, tenant à la mise en 'uvre de la clause résolutoire. Il entrait donc uniquement dans les attributions du juge des référés de se prononcer sur l'acquisition de la clause résolutoire, étant relevé qu'à la date de l'assignation en référé, le 12 avril 2023, la société Aux Temps Gourmands occupait bien les lieux loués.
Le moyen improprement tiré de l'" incompétence " du juge des référés ne constitue donc pas une contestation sérieuse.
La société Aux Temps Gourmands se prévaut ensuite comme d'une contestation sérieuse, du fait que le bailleur aurait manqué à ses obligations en lui donnant à bail un immeuble vétuste, ce qui l'autoriserait à invoquer l'exception d'inexécution.
Toutefois, si l'article 1219 du code civil permet effectivement à une partie de refuser d'exécuter son obligation lorsque l'autre n'exécute pas la sienne, c'est à la condition que cette inexécution soit " suffisamment grave ", ce qui suppose, s'agissant d'un bail commercial, que le preneur ait été dans l'impossibilité d'exploiter les locaux.
Or, même si le procès-verbal du commissaire de justice versé aux débats peut témoigner de l'état dégradé de certaines pièces des locaux, force est de constater qu'il n'est pas établi, ni même allégué, que cette situation aurait empêché l'exploitation des lieux loués conformément à leur destination contractuelle.
Plus fondamentalement, l'inexécution par le bailleur de ses obligations n'est pas même établie avec l'évidence requise, dans la mesure où le bail signé le 2 avril 1990 et renouvelé le 27 janvier 2011 contient une clause obligeant le preneur à prendre les lieux en l'état " sans pouvoir exiger, même au cours du bail, aucune réparation de quelque nature que ce soit " y compris les grosses réparations définies à l'article 606 du code civil.
Or, contrairement à ce qui est affirmé par l'appelante, les dispositions de la loi Pinel, en particulier celles contenues à l'article R. 145-35 du code de commerce, qui excluent d'imputer au locataire les dépenses relatives aux grosses réparation ou aux travaux ayant pour objet de remédier à la vétusté, ne sont pas applicables à un bail qui, comme en l'espèce, a été renouvelé en 2011, soit antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi, l'article 8, alinéa 2 du décret n° 2014-1317 du 3 novembre 2014 faisant ici obstacle à l'application immédiate de la loi nouvelle aux contrats en cours.
Il n'y a pas lieu de retenir l'existence d'une contestation sérieuse sur ce point.
Enfin, l'appelante remet en cause la validité du commandement de payer au regard de la prétendue mauvaise foi des bailleurs.
S'il n'entre pas dans les pouvoirs du juge des référés, juge de l'évidence, de prononcer la nullité d'un commandement de payer, un tel moyen peut cependant être examiné sur le point de savoir s'il constitue une contestation suffisamment sérieuse quant aux effets de cet acte, étant acquis que la bonne foi doit présider à l'exécution du contrat de bail et notamment lorsqu'il s'agit de mettre en 'uvre la clause de résiliation de plein droit.
Toutefois, la preuve de la mauvaise foi incombe au preneur. Or, l'appelante procède par allégations sans verser aux débats d'éléments probants, propres à établir la déloyauté de ses bailleurs. Il est produit notamment la note d'un architecte ainsi qu'un courriel adressé à la société chargée de la gestion locative, faisant état de la nécessité de procéder à des réparations dans les lieux loués, mais ces documents sont particulièrement anciens puisqu'ils datent pour l'un de 2007, pour l'autre de 2009.
En réalité, il n'est rapporté aucun élément susceptible de démontrer qu'à une époque contemporaine du commandement de payer ou ne serait-ce qu'en cours d'exécution du bail renouvelé, la société Aux Temps Gourmands s'est plainte, auprès de ses bailleurs, de l'état dégradé du bien au point d'inciter ces derniers à mettre fin au bail. Rien ne vient non plus établir que la démarche de MM. [B] et [S] pourrait s'expliquer par leur volonté de voir les lieux libérés de leurs occupants, afin de vendre l'immeuble à un meilleur prix. Il est un fait avéré, en revanche, que la société Aux Temps Gourmands a cessé de régler ses loyers, situation qu'elle imputait non pas aux bailleurs, mais à des " difficultés de trésorerie passagères ", ainsi qu'elle l'a indiqué dans son assignation du 27 février 2023 en opposition à commandement de payer, laquelle est vierge de tous griefs à l'encontre des bailleurs.
Etant relevé que la somme visée dans le commandement de payer n'est pas contestée, que la mauvaise foi du bailleur n'est pas établie et que la mise en 'uvre de la clause résolutoire ne se heurte à aucune contestation sérieuse, il y a lieu de confirmer l'ordonnance entreprise en ses dispositions relatives à la clause résolutoire et aux mesures subséquentes.
Sur la provision et les indemnités d'occupation
La société Aux Temps Gourmands ne développe aucun moyen visant à remettre en cause l'analyse des premiers juges relative au montant des arriérés de loyers et de charges et à la fixation de l'indemnité d'occupation.
En l'absence d'élément nouveau soumis à son appréciation, la cour estime que le premier juge, par des motifs pertinents qu'elle approuve, a fait une exacte appréciation des faits de la cause et du droit des parties sur ces différents points.
Au surplus, il sera précisé que la désignation du juge de la mise en état dans une instance, en application de l'article 789 du code de procédure civile, ne fait pas obstacle à la saisine du juge des référés afin de statuer sur un litige lorsque l'objet de ce litige est différent de celui dont est saisi la juridiction du fond (cf. Civ. 2e, 16 janv. 2025, n° 22-19.719).
En l'espèce, la société Aux temps Gourmands a fait assigner MM. [B] et [S] devant le tribunal judiciaire de Nanterre pour former opposition au commandement de payer par acte de commissaire de justice du 27 février 2023, tandis que l'assignation en référé, délivrée par MM. [B] et [S], date du 12 avril 2023.
L'appelante verse à son dossier un bulletin de procédure daté du 19 janvier 2024 qui ne donne aucune information sur la date exacte à laquelle le juge de la mise en état a été désigné, en sorte qu'il n'est pas même établi que la saisine du juge des référés soit intervenue postérieurement à la désignation du juge de la mise en état dans le cadre de l'instance au fond.
Par ailleurs, en dépit du pouvoir dont dispose le juge de la mise en état d'accorder des provisions, les éléments aux débats ne permettent pas d'établir que celui-ci était concrètement amené à exercer cette prérogative. Il n'est en effet ni avéré, ni même allégué, que les bailleurs ont formulé, dans le cadre de l'instance au fond, une demande reconventionnelle visant à obtenir la condamnation de leur locataire au paiement d'arriérés de loyers. Il n'est donc pas démontré que MM. [B] et [S] seraient en position de saisir le juge de la mise en état d'une demande de provision.
Il n'est pas prouvé, en somme, que le juge des référés a été postérieurement saisi d'un litige identique à celui dont a été saisi la juridiction du fond, de sorte que c'est sans excéder ses pouvoirs que le juge des référés a accordé à MM. [S] et [B] une provision.
L'ordonnance entreprise est confirmée de ces chefs.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Eu égard au sens de la présente décision, les chefs de dispositif relatifs aux dépens et aux frais irrépétibles sont confirmés.
La société Aux Temps Goumands succombant, supportera les dépens d'appel. En équité, il convient en outre de la condamner à régler à MM. [S] et [B], sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la somme supplémentaire de 2 000 euros, au titre des frais irrépétibles que ces derniers ont nécessairement exposés pour assurer leur défense à hauteur d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme l'ordonnance entreprise en ses dispositions soumises à la cour,
Y ajoutant,
Condamne la société Aux Temps Gourmands aux dépens d'appel,
Condamne la société Aux Temps Gourmands à régler à M. [K] [B] et M. [W] [S] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, conseillère faisant fonction de Présidente et par Madame Elisabeth TODINI, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.