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Décisions

CA Limoges, ch. soc., 6 novembre 2025, n° 24/00869

LIMOGES

Arrêt

Autre

CA Limoges n° 24/00869

6 novembre 2025

ARRET N° .

N° RG 24/00869 - N° Portalis DBV6-V-B7I-BIUIS

AFFAIRE :

M. [P] [E]

C/

S.A.S. [6] dont le siège social est [Adresse 11], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

social.

OJLG

Demande en révocation des dirigeants

Grosse délivrée à Me Raphaël SOLTNER, Me Anne DEBERNARD-DAURIAC, le 06-11-2025.

COUR D'APPEL DE LIMOGES

CHAMBRE ECONOMIQUE ET SOCIALE

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ARRÊT DU 06 NOVEMBRE 2025

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Le six Novembre deux mille vingt cinq la Chambre économique et sociale de la cour d'appel de LIMOGES a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à disposition du public au greffe :

ENTRE :

Monsieur [P] [E]

né le [Date naissance 1] 1965 à [Localité 9], demeurant [Adresse 4]

représenté par Me Anne DEBERNARD-DAURIAC de la SELARL SELARL LX LIMOGES, avocat au barreau de LIMOGES

APPELANT d'une décision rendue le 13 NOVEMBRE 2024 par le TRIBUNAL DE COMMERCE DE LIMOGES

ET :

S.A.S. [6] dont le siège social est [Adresse 11], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social, demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Raphaël SOLTNER de la SELARL SELARL SOLTNER-MARTIN, avocat au barreau de LIMOGES

INTIMEE

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Suivant avis de fixation du Président de chambre chargé de la mise en état, l'affaire a été fixée à l'audience du 16 Septembre 2025. L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 septembre 2025.

Conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile, Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Présidente de chambre, magistrat rapporteur, et Madame Johanne PERRIER, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, assistées de Mme Mandana SAFI, Greffier, ont tenu l'audience au cours de laquelle Madame Olivia JEORGER-LE GAC a été entendue en son rapport oral.

Les avocats sont intervenus au soutien des intérêts de leurs clients et ont donné leur accord à l'adoption de cette procédure.

Après quoi, Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Présidente de chambre, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 06 Novembre 2025 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.

Au cours de ce délibéré, Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Présidente de chambre, a rendu compte à la Cour, composée de Madame Magalie ARQUIE, Conseiller, de Madame Johanne PERRIER, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, et d'elle même. A l'issue de leur délibéré commun, à la date fixée, l'arrêt dont la teneur suit a été mis à disposition au greffe.

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LA COUR

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FAITS ET PROCÉDURE :

La société [6] (ci-après société [7]), créée en 1965 et immatriculée au RCS de [Localité 9], a pour objet 'Toute opérations industrielles et commerciales se rapportant à la fabrication et au négoce sous toutes ses formes de produits de beauté et d'articles de parfumerie'.

Elle est spécialisée dans la production de cire à épiler, vendue à la fois à des sociétés tierces en qualité de sous-traitant, ainsi que directement au public, au travers de ses marques déposées '[10]' et '[5]'.

L'entreprise a été créée par M. [W] [E], qui en a assuré la direction jusqu'au 02 mai 2005.

Son capital social est divisé en 1.911 actions, détenues par :

M. [W] [E] pour 386 actions,

Mme [B] [E], sa femme, pour 240 actions en usufruit,

ainsi que par leurs enfants, Mme [T] [E] et Messieurs [U], [X], [I] et [P] [E], chacun pour 257 actions en pleine propriété et 48 en nue-propriété.

A compter du 02 mai 2005, M. [P] [E] a été nommé en qualité de Directeur Général de la société [7].

Par contrat de travail à durée déterminée, qui s'est poursuivi en contrat à durée indéterminée, sa femme, Mme [V] [E], a été embauchée en qualité de manutentionnaire par la société [7] à compter du 09 juin 1992.

Elle a été promue Responsable commerciale à compter du 29 août 2019.

Au titre de plusieurs contrats de travail à durée déterminée, la fille de M. [P] [E], Mme [M] [E] (née le [Date naissance 2] 1993) a été embauchée par la société [7] en qualité d'ouvrière sur les mois d'été en 2012, 2014 et 2015.

Elle a ensuite été embauchée en qualité d'employée administrative affectée à des tâches de nettoyage entre le 1er mars et le 30 juin 2018, puis promue au sein du service Recherche & Développement de la société.

Le 28 septembre 2020, M. [P] [E] a été nommé en qualité de Président de la société [7].

Le 14 janvier 2021, Mme [M] [E] a déposé la marque [12] et Lulu.

Par avenant à son contrat de travail du 22 février 2021, la rémunération de Mme [M] [E] a été modifiée afin d'y ajouter 1% brut du chiffre d'affaire encaissé sur les ventes de produits cosmétiques de toutes marques appartenant à [7], mensuellement, à la condition que la formulation de ces produits ait été entièrement réalisée par ses soins propres.

Le 31 mai 2021, la société [7] a déposé auprès de l'INPI une demande de brevet d'invention s'agissant d'une composition dépilatoire avec retrait sans bande de tissu.

L'inventeur a été renseigné comme étant Mme [M] [E], mais M. [W] [E] serait le créateur de cette composition, un prototype de machine permettant de fabriquer des pastilles de cire bicolore ayant été commandé par la société [7] dès le 29 juin 2020.

Un conflit est apparu à partir du début d'année 2023, après que la majorité des associés de la société [7] ait exprimé en assemblée générale leur volonté de vendre leurs parts sociales à la valorisation du marché.

Le 31 janvier 2023, Mme [M] [E] a créée la société [13], au capital de 5.500 euros, avec pour objet social 'la recherche et l'élaboration de formules cosmétiques, l'achat, la vente ou la distribution et la commercialisation, en gros et en détail, en ligne ou en magasins, de produits cosmétiques et de bien-être, maquillage, produits de beauté, de parfumerie, de produits textiles et plus généralement de tous produits ayant un rapport avec la beauté et l'hygiène corporelle ainsi que les produits ménagers, la vente à destination des particuliers et professionnels des produits mentionnés ci-dessus et l'exploitation de la marque française verbale 'Vava et Lulu''.

Le 01 février 2023, M. [P] [E] a ordonné la production par la société [7] de pastilles de cire à épiler bicolores destinée à être commercialisées sous la marque Vava et Lulu, à raison de 8.000 kg.

Le 30 mars 2023, les sociétés [13] et [7] ont conclu un contrat cadre de sous-traitance aux termes duquel la société [7], représentée par M. [P] [E], s'est engagée en tant que sous-traitante à réaliser des formules cosmétiques, à les produire et à les conditionner pour le compte de la société [13].

Entre le 22 et le 24 avril 2023, une discussion a eu lieu par courriel entre M. [P] [E] et ses parents, M. [W] [E] et Mme [B] [E], suite à la découverte par ces derniers de la création de la société [13].

Les époux [W] [E] ont considéré que la création de cette société concurrente par Mme [M] [E], outre qu'elle était incompatible avec ses fonctions de salariée, rendrait impossible la cession envisagée par les associés. .

Ils ont informellement demandé à M. [P] [E] de faire fermer la société [13], ce que ce dernier a refusé, estimant que cette société n'avait pas une activité concurrente à [7].

Par lettre recommandée du 16 mai 2023, Messieurs [W], [U], [I] et [X] [E], ainsi que Mme [T] [E], en leur qualité d'associés, ont mis en demeure M. [P] [E], en sa qualité de Président, de licencier Mme [M] [E] pour faute grave, et de faire cesser la situation de concurrence déloyale et parasitaire créée par la société [13].

A défaut, ils l'ont informé qu'il serait mis un terme à son mandat de Président.

Une copie de ce courrier a été adressé à Mme [M] [E].

Le 26 mai 2023, M. [P] [E] a répondu par courrier en refusant d'accéder à ces demandes, contestant que la société [13] concurrence la société [7].

Le 6 juin 2023, les associés de la société [7] ont constaté l'absence de démarches réalisées par M. [P] [E] afin 'de protéger l'objet social de la société [8], et l'ont mis en demeure de convoquer une assemblée générale extraordinaire dans les plus bref délais, 'qui prononcera à la majorité requise [sa] révocation en qualité de Président Directeur Général de la société [7], pour faute grave'.

A défaut de convocation, par courriers séparés du 15 juin 2023, les associés ont :

requis du commissaire au compte de la société [7] la convocation d'une assemblée générale extraordinaire,

notifié à M. [P] [E] leur décision majoritaire de faire mettre à l'ordre du jour de l'assemblée générale ordinaire du 27 juin 2023 la question du 'changement de PDG', suite à des manquements constatés dans ses devoirs, et à la perte de confiance des actionnaires.

L'assemblée générale ordinaire de la société [7] s'est tenue le 27 juin 2023.

Le procès-verbal de cette assemblée, établi et signé par M. [P] [E], a acté la révocation de son mandat de Président, et la nomination de son frère, M. [X] [E], en remplacement.

Par exploit du 10 août 2023, M. [E] a saisi le tribunal de commerce de Limoges aux fins d'obtenir des dommages et intérêts à raison de la rupture abusive de son mandat social.

Par jugement du 13 novembre 2024, le tribunal de commerce de Limoges a :

Débouté M. [E] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

En conséquence,

Déclaré valable la résolution n°4 prise par l'assemblée générale de la société [7] le 27/06/2023,

Condamné M. [E] à verser à la société [7] une indemnité de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens de l'instance, le coût de la présente décision, liquidé à la somme de 60.22 euros dont 10.04 euros de TVA.

Par déclaration du 13 décembre 2024, M. [E] a interjeté appel de ce jugement.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions du 12 mars 2025, M. [E] demande à la cour de :

Réformer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de LIMOGES du 13 novembre 2024 et notamment des chefs de jugement critiqués :

Débouté M. [E] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

Déclaré valable la résolution n°4 prise par l'assemblée générale de la société [7] le 27/06/2023,

Condamné M. [E] à verser à la société [7] une indemnité de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens de l'instance, le coût de la présente décision, liquidé à la somme de 60.22 euros dont 10.04 euros de TVA.

Statuant à nouveau :

Annuler la délibération n ° 4 prise par l'Assemblée Générale de la société [7] le 27juin 2023,

Subsidiairement :

Déclarer non fondée la délibération n ° 4 prise par l'Assemblée Générale de la société [7] le 27 juin 2023, en l'absence de motif grave,

Dans les deux cas :

Condamner la société [7] à lui payer la somme de 200 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice né de la résiliation abusive du mandat social ;

Condamner la société [7] à lui payer la somme de 50 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral distinct né de la brutalité de la rupture du mandat social ;

Condamner la société [7] à lui payer la somme de 36 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice patrimonial distinct né de la brutalité de la rupture du mandat social ;

Condamner la société [7] à verser à M. [E] la somme de 8 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'instance.

M. [E] soutient que la décision l'ayant révoqué de son mandat social de Président est irrégulière, et par suite nulle :

en ce qu'elle a été prise antérieurement à la tenue de l'assemblée générale,

en ce qu'il a été exclu du vote lors de cette assemblée.

Il affirme avoir été révoqué de manière injustifiée et abusive, à défaut de motif grave justifiant de sa révocation, survenue dans des conditions brutales.

En effet, la société créée par sa fille et salariée, Mme [M] [E], n'était pas source de concurrence pour la société [7], et lui était au contraire bénéfique. Mme [B] [E] était informée du projet de création de la société [13] dès novembre 2020 sans y faire opposition.

Ainsi, il n'a commis aucune faute en refusant de la licencier.

M. [E] soutient n'avoir commis aucune faute de gestion.

Aux termes de ses dernières conclusions du 15 avril 2025, la société [6] demande à la cour de :

Confirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de LIMOGES du 13.11.2024 en ce qu'il :

JUGE mal fondé Monsieur [P] [E] en toutes ses demandes.

DECLARE valable la résolution n°4 prise par l'assemblée générale de la société [7] le 27.06.2023.

ECARTE toutes les demandes de Monsieur [P] [E] à titre de dommages et intérêts.

CONDAMNE Monsieur [P] [E] à verser à la société [7] la somme de 5.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'instance.

Condamner M. [E] à verser à la société [7] la somme de 3.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens.

La société [7] soutient que la procédure de révocation de M. [P] [E] a été régulière.

D'une part, la décision de révocation a été prise lors de l'assemblée générale du 27 juin 2023, et la demande de mise à l'ordre du jour de la révocation du Président n'est qu'un acte préparatoire, ne s'analysant pas en une révocation. .

D'autre part, M. [P] [E] n'a pas été exclu du vote, mais a volontairement gardé le silence.

Le fait qu'il n'ait pas mentionné son abstention sur le procès-verbal, alors que sa rédaction lui appartenait, ne rend pas la délibération irrégulière.

En tout état de cause, cette irrégularité ne constituerait pas une cause de nullité, puisque la mention de cette abstention n'aurait pas modifié l'issue du vote, la décision de révocation étant prise à la majorité. M. [P] [E] n'a en conséquence aucun intérêt à agir.

La révocation de M. [P] [E] était justifiée, en ce qu'il s'est rendu complice de la concurrence déloyale et parasitaire de sa fille et salariée, [M] [E], et a manqué à son obligation de loyauté, en :

permettant la création de la société [13] , dont l'objet social était identique à la société [7] et qui exploitait la marque '[12] et Lulu', qui aurait dû appartenir à la société [7],

faisant fabriquer des marchandises pour la société [13] sans régulariser de bons de commandes ou factures, pour plus de 70.000 euros,

signant un contrat de sous-traitance avec la société [13] sans en informer les actionnaires,

assurant le marketing et packaging de la marque Vava et Lulu pour le compte de la société [13],

refusant de licencier Mme [M] [E] pour faute grave suivant la mise en demeure des associés du 15 mai 2023,

Ainsi, la perte de confiance des associés à son égard était justifiée.

La société [7] conteste que le caractère prétendument bénéfique du partenariat avec la société [13], alors qu'elle aurait pu elle-même commercialiser ses produits à destination d'un public plus jeune.

Mme [B] [E], si elle était informée de l'intention de créer un produit 'Vava et Lulu', ne se doutait pas que ce serait dans le cadre d'une entreprise concurrente, et pensait que cette marque serait exploitée par la société [7].

L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 septembre 2025.

MOTIFS DE LA DECISION:

La société [7] est une société par actions simplifiée, ce dont il résulte que lui sont applicables les dispositions de l'article L227-6 du code de commerce, en vertu desquelles:

La société est représentée à l'égard des tiers par un président désigné dans les conditions prévues par les statuts.

Les statuts de la société [7] prévoient pour leur part, dans leur article 13, que la société est représentée, dirigée ou administrée par un président.

Selon l'article 17 in fine, la nomination, la révocation, et la rémunération du président ressortent de décisions collectives des associés, prise à la majorité absolue des voix des actionnaires.

Selon l'article 13 des statuts, le président ne peut être révoqué que pour motif grave et par décision collective prise à la majorité prévue par l'article 17, et ce, compris les droits de vote attachés aux actions détenues par le président.

En l'absence de motif grave établi, la révocation du président donnera lieu au versement d'une indemnisation équitable au profit du président.

Sur la régularité formelle de la quatrième délibération de l'assemblée générale du 27 juin 2023:

M. [P] [E] fait valoir que la délibération serait nulle en ce que:

- la décision de le démettre de ses fonctions était prise avant l'assemblée générale du 27 juin et qu'ainsi, aucun débat lui permettant d'exposer ses arguments et sa défense ne se serait tenu,

- il a été exclu du vote.

M. [E] allègue de l'absence de débats et de procédure contradictoire lui permettant d'exposer ses arguments lors de l'assemblée générale du 27 juin 2023.

Il en veut pour preuve que l'ordre du jour de l'assemblée générale avait été modifié à la demande des associés [W] [E], [T] [E], [X] [E], [U] [E], [I] [E], pour y insérer à la rubrique 'questions diverses' une délibération relative au 'changement de PDG' assortie du commentaire suivant:

'cette décision est prise à la suite de notre constat de plusieurs manquements de vos devoirs en tant que PDG de la société, principalement la confiance que les actionnaires avaient envers vous et qui mettent en péril à moyen-long terme son bon fonctionnement et sa rentabilité. N'ayant pas reçu de retour laissant à penser que vous preniez en considération nos courriers, nous estimons de ce fait qu'il est de notre devoir d'agir dans l'intérêt de la société et de ses actionnaires.

Le nouveau président deviendra à la fin de l'assemblée générale ordinaire l'actionnaire [X] [E].

Nous vous prions de prendre acte de cette décision majoritaire et vous prions d'accuser réception de cette lettre en signant et en retournant une copie à chacun des actionnaires mentionnés ci-dessous'.

Contrairement à ce qu'indique M. [P] [E], ce courrier ne témoigne pas d'une prise de décision avant l'assemblée générale ordinaire mais d'une décision majoritaire des associés de demander une délibération sur le changement de président et la nomination d'un nouveau président, les motifs de cette demande étant spécifiés afin de permettre à chacun, et notamment M. [P] [E], de prendre part utilement à la délibération.

D'autre part, M. [P] [E] avait eu la possibilité de connaître les griefs des associés et de faire valoir sa position puisque, le 16 mai 2023, le conseil des consorts [W], [U], [T], [I] et [X] [E] lui avait adressé un courrier recommandé dans lequel ces griefs étaient exposés (création de la société [13] par [M] [E], identité de l'objet social des deux sociétés, commercialisation par la société [13] de produits distribués par [7], situation de concurrence déloyale et parasitaire).

Dans ce courrier, M. [P] [E] était mis en demeure de licencier Mme [M] [E] et de mettre un terme à ces pratiques, à défaut de quoi seraient entreprises 'toutes démarches utiles pour mettre un terme à votre mandat de président'.

M. [P] [E], par courrier recommandé du 26 mai 2023 adressé au conseil mentionné ci-dessus a répondu sur trois pages en exposant les motifs pour lesquels il considérait que la société [13] ne concurrençait pas déloyalement la société [7] et pour lesquels il refusait de déférer à l'injonction de licencier Mme [M] [E].

A réception, le conseil des consorts [E], par courrier recommandé du 06 juin 2023 visant cette réponse, a mis en demeure M. [P] [E] de convoquer dans les plus brefs délais une assemblée générale extraordinaire afin qu'il soit statué sur sa révocation de ses fonctions de président directeur général pour faute grave.

En l'absence de toute réaction de M. [P] [E], le conseil des consorts [E] a demandé au commissaire aux comptes de convoquer ladite assemblée générale, ainsi que le permettaient les statuts.

Il en résulte que les termes du débats étaient posés et argumentés et que M. [P] [E] a été à même de les faire valoir avant l'assemblée générale, ainsi que pendant, puisqu'il avait connaissance de l'ordre du jour et des délibérations qui seraient proposées.

Le moyen n'est pas fondé.

Monsieur [P] [E] fait aussi valoir que son vote n'a pas été pris en considération alors que les statuts prévoient donc que le président ne peut être révoqué que pour motif grave et par décision collective prise à la majorité prévue par l'article 17, et ce, compris les droits de vote attachés aux actions détenues par le président.

L'examen du procès-verbal des délibérations de l'assemblée générale ordinaire du 27 juin 2023 démontre qu'elle était présidée par M. [P] [E], en sa qualité de président, et que l'ensemble des associés, représentant 1.911 actions sur les 1.911 actions ayant le droit de vote, était présent.

Les première (approbation des comptes annuels) , deuxième (affectation du bénéfice) et troisième (conventions de l'article L227-10) résolutions ont été adoptées à l'unanimité (1.911 voix) ainsi que les spécifient les mentions portées de la main de [P] [E].

La quatrième résolution (révocation du président et nomination de [Y] [E] comme président) comporte les mentions suivantes, rédigées de la main de M. [P] [E]:

- vote contre: 0

- vote pour: 1.606

- abstention: 0

et porte la mention 'cette résolution est adoptée à la majorité des voix'.

M. [P] [E] prétend que les autres associés ne l'ont pas laissé prendre part au vote tandis que ces derniers lui reprochent d'avoir volontairement mentionné qu'il n'avait pas voté contre la délibération et ne s'était pas non plus abstenu, pour faire croire à une irrégularité.

Au demeurant, l'irrégularité formelle alléguée, que M. [P] [E] n'a pas cru devoir préciser sur le procès-verbal, est sans incidence sur l'issue de la délibération, dans la mesure où la prise en considération de ses votes n'aurait pas été suffisante pour en modifier la teneur.

La délibération est valide et le jugement déféré est confirmé de ce chef.

Sur le motif de la révocation:

La société [13] ([M] [Z] [K]) a été immatriculée le 31 janvier 2023 par Mme [M] [E], fille de M. [P] [E] et salariée de la société [7].

Son objet social de 'recherches et élaboration de produits cosmétiques' et de commercialisation en gros et en détail de produits cosmétiques et de bien être est similaire à celui de la société [7], dont l'objet est 'Toute opérations industrielles et commerciales se rapportant à la fabrication et au négoce sous toutes ses formes de produits de beauté et d'articles de parfumerie'.

Le 31 mai 2021, Mme [M] [E] avait d'autre part déposé une demande de brevet pour 'une composition dépilatoire avec retrait sans bande de tissu ou de papier', dont M. [W] [E], à l'origine de tous les procédés exploités par la société [7], revendique la paternité en démontrant que la société [7] avait commandé en juin 2020 un prototype de machine pour assurer la fabrication en série de cette nouvelle cire.

Ainsi, la composition de la cire appartenait à la société [7], M. [W] [E] ayant toujours mis ses inventions à sa disposition et celles-ci étant à l'origine de l'activité de l'entreprise.

Ces opérations sont intervenues dans le cadre d'un projet de vente des parts sociales de la société [7] souhaité par la majorité des associés, qui allait se heurter à la concurrence opérée par la société [13], que n'accepterait aucun acquéreur potentiel, ce qui a été souligné par les autres associés lorsqu'ils ont écrit à M. [P] [E].

Le 30 mars 2023, la société [7], représentée par M. [P] [E], a conclu avec la société [13], représentée par Mme [M] [E] (toujours salariée de la société [7]), une convention par laquelle la société [7] acceptait de devenir sous-traitante de la société [13] et de fabriquer pour son compte des produits cosmétiques que la société [13] distribuerait.

L'argumentation de M. [P] [E] est de contester toute concurrence déloyale, au motif que le contrat de sous-traitance conclu avec la société [13] ne serait pas différent des contrats de sous-traitance passés avec d'autres distributeurs, tandis que les réseaux de distribution de la société [13] auraient été distincts de ceux de la société [13].

Une telle analyse ne peut être considérée comme fondée dans la mesure où Mme [M] [E] était salariée de la société [7] et à ce titre avait l'obligation de développer non pas les canaux de distribution d'une société dont elle était la gérante mais ceux de la société [7], tandis que cette dernière démontre qu'au demeurant, ces canaux étaient identiques, la société intimée vendant elle-même directement au consommateur par le biais de ses marques.

Ensuite, salariée de la société [7] et connaissant à ce titre ses secrets de fabrication ainsi que sa politique commerciale (clients et fournisseurs), elle ne pouvait développer une activité similaire sans commettre des actes de concurrence déloyale, les information détenues lui apportant un avantage certain obtenu sans effort ni financement.

En se prêtant au projet de sa fille et en lui permettant de le mettre en oeuvre en lui offrant les moyens de production de la société [7] puis en se refusant à déférer aux demandes des autres associés lui demandant de mettre fin à ces pratiques et de licencier Mme [M] [E], M. [P] [E] a cessé de protéger les intérêts de la société [7], ce qui constitue le motif grave justifiant sa révocation.

Le jugement est confirmé en ce qu'il l'a débouté de sa demande en indemnisation du préjudice né de la résiliation abusive de son mandat social.

Sur le caractère brutal de la révocation du mandat social:

Cette révocation ne peut être considérée comme brutale, dans la mesure où les parents et la soeur de M. [P] [E] ont en premier lieu tenté des démarches informelles, justifiées par les liens familiaux les unissant.

Ensuite, M. [P] [E] a reçu un courrier du conseil des autres associés de la société [7], rappelant les griefs et contenant mise en demeure, auquel il a pu répondre.

Enfin, l'assemblée générale a dû être convoquée par le commissaire aux comptes après qu'il s'y soit refusé.

La décision de révocation a donc été prise aux termes d'un processus décisionnel progressif auquel il a été associé.

Ses demandes indemnitaires, infondées, sont rejetées.

Le jugement déféré est ainsi confirmé dans toutes ses dispositions.

Sur les dépens et les frais irrépétibles:

M. [P] [E], qui succombe, supportera la charge des dépens d'appel et paiera à la société [7], la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

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PAR CES MOTIFS

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La Cour,

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, par mise à disposition au greffe, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement déféré.

Condamne M. [P] [E] aux dépens d'appel.

Condamne M. [P] [E] à payer à la société [7] la somme de 3.000 euros de frais irrépétibles d'appel.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,

[T] MAILLANT. Olivia JEORGER-LE GAC.

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