CA Montpellier, 3e ch. soc., 6 novembre 2025, n° 24/05995
MONTPELLIER
Arrêt
Autre
ARRÊT n°
Grosse + copie
délivrées le
à
3e chambre sociale
ARRÊT DU 06 Novembre 2025
Numéro d'inscription au répertoire général : F N° RG 24/05995 - N° Portalis DBVK-V-B7I-QO3E
Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 MAI 2019 Pole Social du tribunal de grande instance de NIMES - N° RG 18/00918 - Arrêt cour d'appel de Nîmes du 15 février 2022 - Arrêt de cassation du 03 octobre 2024
Dont jonction venant du dossier RG n° 24/06074
APPELANTE : (Intimé dans le RG 24/6074)
SASU [21]
Agissant poursuites et diligences de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité au siège social, sis
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée sur l'audience par Me Pascale DELL'OVA de la SCP ELEOM MONTPELLIER, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMES : (respectivement appelant et intimé dans le RG 24/6074)
Monsieur [G] [M]
né le 30 décembre 1964 à [Localité 17] (53)
de nationalité française
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représenté sur l'audience par Me Alexia ROLAND de la SCP VINSONNEAU PALIES-NOY-GAUER & ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER
[11]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée sur l'audience par Madame [A] [T], représentante légale de la [12] en vertu d'un pouvoir daté du 18/08/2025
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 04 SEPTEMBRE 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre
Madame Anne MONNINI-MICHEL, Conseillère
Monsieur Patrick HIDALGO, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Madame Marie-Lydia VIGINIER
ARRÊT :
- contradictoire ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre, et par Madame Marie-Lydia VIGINIER, Greffier.
*
* *
PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Le 23 novembre 2016, la société [21], qui exploite un commerce à l'enseigne [16], situé à [Localité 19], a déclaré à la [10] l'accident du travail dont M. [G] [M], qui exerçait les fonctions de directeur de magasin, a été victime le 23 novembre 2016 à 5h, ainsi décrit : « à l'ouverture du magasin, agression à l'arme blanche et coups portés au dos - cutter et coups de poing ». Le certificat médical initial, établi le même jour par le Dr [U] mentionne « agression à l'arme blanche et contusion du rachis cervicodorsal, plaie visage et cou », complété par un certificat médical manuscrit décrivant les lésions et fixant une incapacité temporaire totale de 3 jours.
Cet accident a été pris en charge au titre de la législation relative aux risques professionnels et la [9] a fixé, sur avis de son médecin conseil, la date de guérison au 16 octobre 2017.
Après l'échec de la procédure de conciliation mise en oeuvre par la [10], constaté par procès-verbal de non conciliation en date du 30 août 2018, M. [G] [M] a saisi le Tribunal des affaires de sécurité sociale du Gard, suivant requête en date du 12 octobre 2018, aux fins d'entendre la juridiction sociale reconnaître la faute inexcusable de l'employeur au titre de cet accident du travail.
Par jugement du 29 mai 2019, le tribunal de grande instance de Nîmes - Contentieux de la protection sociale a statué comme suit :
Dit que l'accident du travail dont a été victime M. [G] [M] le 23 novembre 2016 est dû à la faute inexcusable de l'employeur, la société [21], ou de ceux qu'il s'est substitué dans la direction, et que la victime a droit à l'indemnisation complémentaire prévue par les articles L 452-1 et suivants du code de la sécurité sociale,
Constate que l'accident du travail n'a pas donné lieu à la reconnaissance d'un taux d'incapacité permanente partielle et que M. [G] [M] n'a bénéficié ni d'une rente, ni d'un capital,
Déboute M. [G] [M] de sa demande de majoration de la rente ou du capital selon les dispositions légales et réglementaires du code de la sécurité sociale,
Avant dire droit, ordonne sur la demande de réparation des préjudices, une expertise médicale judiciaire confiée au Dr [Z], (...)
Condamne la Société [21] à payer à M. [G] [M] la somme de 1 000 euros en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Sursoit à statuer sur les autres demandes,
[...]
Réserve les dépens.
Statuant sur l'appel formé par la société [21] , la Cour d'appel de Nîmes a, par arrêt rendu le 15 février 2022, après avoir écarté des débats écartées les pièces n°25 à n°32 de M. [G] [M], ainsi que les pièces 1 à 3 jointes à la note en délibéré de la Société [21], ainsi que les développements les concernant dans les notes en délibéré réceptionnées les 14 décembre 2021 et 24 décembre 2021, ainsi que la note en délibéré de M. [G] [M] réceptionnée le 3 janvier 2022, infirmé le jugement entrepris et, statuant à nouveau, dit que la Société [21] n'a pas commis de faute inexcusable à l'origine de l'accident du travail dont a été victime M. [G] [M] le 23 novembre 2016, dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, déclaré le présent arrêt commun et opposable à la [10], rejeté les demandes plus amples ou contraires et laissé les dépens à la charge de ceux qui les ont exposés.
Par arrêt du 3 octobre 2024, statuant sur le pourvoi formé par M. [M], la Cour de cassation a cassé et annulé toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 février 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes et remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier, pour les motifs suivants :
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. La victime fait grief à l'arrêt d'écarter des débats ses pièces n° 25 à n° 32, ainsi que les développements les concernant dans les notes en délibéré réceptionnées les 14 décembre 2021 et 24 décembre 2021, alors « qu'une note en délibéré, lorsqu'elle est recevable, peut être accompagnée de pièces justifiant ce qu'elle énonce, à condition que les parties soient en mesure d'en débattre contradictoirement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a jugé que les parties n'ayant pas été autorisées à produire de nouvelles pièces au soutien de leurs notes en délibéré, il convenait d'écarter les pièces n° 25 à 32 du salarié ainsi que les développements les concernant dans les notes en délibéré produites par celui-ci ; qu'en statuant ainsi, quand le président de la cour d'appel avait autorisé la victime ; a produire une note en délibéré avant le 15 décembre 2021, en vue de répondre aux dernières écritures déposées par la société le 12 novembre 2021, ce qui impliquait nécessairement la possibilité de produire des pièces nouvelles au soutien de cette argumentation en réponse, et tandis que les pièces en cause avaient pu être débattues contradictoirement par la société [21], qui avait elle-même été autorisée à présenter une note en délibéré en réponse à celle du salarié avant le 25 décembre 2021, la cour d'appel a violé les articles 16 et 445 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 16 et 445 du code de procédure civile :
4. Il résulte de la combinaison de ces textes, qu'une note en délibéré, lorsqu'elle est recevable, peut être accompagnée de pièces justifiant ce qu'elle énonce, à la condition que les parties soient mises en mesure d'en débattre contradictoirement.
5. Pour écarter des débats les pièces n° 25 à n° 32 produites par la victime ainsi que les développements les concernant dans les notes en délibéré, l'arrêt énonce que les parties n'ont pas été autorisées à produire de nouvelles pièces au soutien de leur note en délibéré.
6. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Par requêtes en date des 29 novembre et 2 décembre 2024, la société [21] et M. [M] ont respectivement saisi la cour de renvoi. L'affaire a été appelée et retenue à l'audience du 4 septembre 2025.
L'intérêt d'une bonne administration de la justice requiert d'ordonner la jonction de ces deux instances sous la référence RG n° 24/5995, et de statuer par un seul arrêt.
' Par conclusions écrites, déposées et soutenues à l'audience par son conseil, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la société [21] demande à la cour, après avoir ordonné la jonction des deux appels, de :
Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que l'accident dont a été victime M. [G] [M] le 23 novembre 2016 est dû à la faute inexcusable de l'employeur, ou de ceux qu'il s'est substitué dans la direction et que la victime a droit à l'indemnisation complémentaire prévue par les article L 452-1 et suivants du code de la sécurité sociale, et l'a condamnée à payer à M. [G] [M] la somme de mille euros en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ,
Le confirmer pour le surplus,
Statuant à nouveau :
Dire et juger que les conditions pour que sa faute inexcusable soit retenue ne sont pas remplies en l'espèce,
Débouter M. [G] [M] de l'ensemble de ses demandes,
Condamner M. [G] [M] à payer la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, et aux entiers dépens.
La société fait valoir que sa responsabilité sur le terrain de la faute inexcusable doit être écartée dès lors que l'accident du travail de M. [M] trouve son origine dans une agression commise par un tiers, 'non prévisible', sur laquelle elle n'avait aucune emprise, que la cause de l'accident réside dans la négligence de la victime qui n'avait pas respecté les consignes de sécurité, lesquelles prévoyaient que le magasin devait être ouvert à deux salariés, et considère que celui-ci ne rapporte pas la preuve d'une conscience du danger par l'employeur, ni d'une absence de mesure prise pour y faire face. Elle ajoute que M. [M] ne rapporte pas la preuve d'un sous-effectif en personnel du magasin, qui aurait eu pour conséquence une augmentation de l'accidentologie ou des arrêts de travail ou déclaration d'inaptitude.
La société appelante fait observer que M. [M] en sa qualité de directeur du magasin avait une délégation de compétence en matière de sécurité, et qu'il avait reçu comme consigne de ne pas ouvrir le magasin seul et de ne pas porter son cutter sur lui, et qu'il tente de lui imputer des manquements dont il est responsable. Elle estime que le dysfonctionnement des caméras de vidéo-surveillance, qui n'est pas contemporain de l'accident du travail, est indifférent dès lors que celles-ci étaient dirigées à l'intérieur du magasin pour prévenir les vols et n'auraient été d'aucune utilité, l'agression s'étant déroulée à l'extérieur de ce dernier et que seules les autorités publiques peuvent filmer la voie publique.
La Société [21] considère qu'il était de la responsabilité de M. [G] [M], en raison de cette délégation de compétence en matière de sécurité, de s'assurer de l'effectivité et de l'efficacité du système de vidéo-surveillance, et de recruter les personnels et notamment des vigiles ainsi que d'organiser les plannings. S'agissant de l'ouverture du magasin à 5H, elle indique qu'il ne ressort pas des messages échangés par le salarié
avec le manager régional que ce dernier lui aurait imposé d'ouvrir seul à 5H.
Elle retient encore que l'accident est intervenu alors que M. [G] [M] procédait seul, au mépris des consignes reçues, à l'ouverture du magasin et qu'il avait conservé dans sa poche arrière le cutter utilisé pour la mise en rayon, cutter utilisé par l'agresseur qui l'a retourné contre lui. Elle en déduit qu'aucune faute inexcusable ne peut lui être reprochée.
' Selon ses conclusions écrites, déposées et soutenues oralement lors de l'audience, M. [M] demande à la cour, après avoir ordonné la jonction, de :
Débouter la Société [21] de toutes ses demandes, fins et conclusions,
Déclarer que la délégation de pouvoirs en date du 1er juillet 2016 lui est inopposable ainsi que l'annexe descriptive de ses fonctions, car cette annexe a été signée le 1er décembre 2011 chez son précédent employeur, la société [20] à [Localité 8],
Confirmer le jugement rendu le 29 mai 2019 par le Tribunal de Grande Instance de Nîmes - Contentieux de la protection sociale,
Déclarer que la Société [21] a commis une faute inexcusable à l'origine de son accident du travail du 23 novembre 2016,
Ordonner la majoration de sa rente ou de son capital à son maximum,
Désigner un médecin expert, dont la mission sera de déterminer la nature et l'étendue de son préjudice corporel et psychologique,
Lui allouer une provision de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts à valoir sur la réparation de son préjudice,
Condamner la société [21] à lui porter et payer une indemnité de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens de première instance et d'appel.
Au soutien de ses demandes, M. [M] objecte que le danger auquel il était exposé résulte du sous-effectif et du manque de moyen affecté au magasin [16] pour lequel on lui avait demandé, pour des motifs économiques, de procéder, seul, à l'ouverture pour la période du 18 octobre au 23 novembre 2016 à 5h, au lieu d'une ouverture à 6h à deux personnes.
Il affirme qu'il ne disposait d'aucun moyen pour engager des travaux, assurer la maintenance des équipements ou procéder à des embauches de personnel et considère qu'il a été agressé non pas parce qu'il détenait un cutter dans sa poche mais en raison du manque de personnel dont il dit justifier par la production de plusieurs témoignages.
M. [M] dit justifier par ailleurs avoir informé son employeur, en mai et août 2016 du dysfonctionnement du système de vidéo-surveillance sans que cela amène une réaction de celui-ci.
M. [M] soutient que la délégation de pouvoirs daté du 1er juillet 2016 lui est inopposable puisqu'il ne disposait ni de l'autorité, ni de la compétence, ni des moyens nécessaires lui permettant d'assumer les obligations ainsi mises à sa charge. Il rappelle à ce titre qu'il n'a aucune compétence en matière de santé et de sécurité au travail et n'a jamais reçu de son employeur de formation en ce sens, qu'il n'avait aucun pouvoir disciplinaire, et qu'il n'avait aucun moyen financier pour appliquer la politique sociale et commerciale de l'entreprise, le compte d'exploitation faisant apparaître une forte baisse du chiffre d'affaires et une compression des frais de personnel et d'exploitation, et que le jour de son agression, il était occupé à faire seul, de nuit, de la manutention dans un centre-ville en travaux où règne l'insécurité. Il dit justifier que son employeur ne mettait à la disposition du magasin que 35 heures de présence de vigile par semaine, pour des horaires d'ouverture du magasin 7 jours/7 de 7h30 à 22h. M. [M] considère que l'annexe descriptive des fonctions de directeur ne lui est pas opposable car signée le 1er décembre 2011 chez son précédent employeur.
' Au terme de ses conclusions écrites, déposées et soutenues oralement lors de l'audience, la [10], après avoir rappelé qu'elle intervient en tant que partie, demande à la cour de lui donner acte de ce qu'elle déclare s'en remettre à justice sur le point de savoir si l'accident du travail en cause est dû à une faute inexcusable de l'employeur, et si elle retient la faute inexcusable de constater que M. [M] ne bénéficie d'aucun taux d'incapacité permanente partielle et de limiter l'éventuelle mission de l'expert à celle habituellement confiée en matière de faute inexcusable et mettre les frais d'expertise à la charge de l'employeur, et de condamner l'employeur à lui rembourser dans le délai de quinzaine les sommes dont elle aura fait l'avance, assorties des intérêts légaux en cas de retard.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des prétentions et moyens des parties, il convient de se référer à leurs écritures déposées et soutenues oralement à l'audience.
MOTIVATION :
Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
En l'espèce, il ressort des pièces versées aux débats que M. [M] a été victime d'un accident du travail le 23 novembre 2016 dans des circonstances qui ne font pas débat, et ainsi décrites :
- par l'employeur dans sa déclaration d'accident du travail du 23 novembre 2016 : « à l'ouverture du magasin, agression à l'arme blanche et coups portés au dos ».
- par la victime, dans la plainte qu'elle a déposée le 28 novembre au commissariat de police :
« Je suis directeur du magasin [16], [Adresse 7]. Le 23/11/2016 à 5H comme d'habitude, je me suis rendu au magasin pour l'ouverture. Sur place au moment où j'ouvrais la porte du magasin, un individu m'a interpellé verbalement. Je lui ai demandé de me laisser tranquille. Il a commencé à avoir des gestes violents sur ma personne en me donnant des coups et en me bousculant. Lorsqu'il a vu que j'avais mon cutter dans la poche arrière de mon pantalon, il l'a saisi et m'a agressé avec. Il m'a donné des coups de cutter au niveau du visage et de la gorge. Je me suis défendu en évitant comme je pouvais les coups. Comme je n'avais pas neutralisé l'alarme du magasin, cette dernière s'est déclenchée. L'individu surpris m'a donné un coup très violent dans le dos et m'a arraché la sacoche »,
Le certificat médical initial mentionne « agression à l'arme blanche et contusions du rachis cervico-dorsal, plaie visage et coups ».
Pour démontrer la faute inexcusable de l'employeur, M. [G] [M] soutient que le manque d'effectifs et de moyens de sécurité, en l'absence de système de vidéo-surveillance, est à l'origine de son agression. Il explique qu'il lui a été demandé de procéder seul à l'ouverture du magasin à 5h, pour la période du 18 octobre au 23 novembre 2016, alors que normalement cette ouverture se fait à deux personnes et pas avant 6H.
Pour remettre en cause ces éléments, la Société [21] rappelle que l'accident du travail trouve son origine dans une agression sur laquelle elle n'avait aucune prise, et que M. [G] [M] qui déplore le sous-effectif de son magasin n'apporte aucun élément probant au soutien de cette affirmation, ni ne démontre en quoi celui-ci aurait eu une incidence sur l'accidentologie ou l'absentéisme. La Société [21] affirme que les effectifs sur ce site ont été constants sur la période, et ce malgré une chute importante du chiffre d'affaires en raison des travaux de voirie.
À juste titre, l'employeur fait valoir que le signalement du dysfonctionnement ayant affecté en mai et août 2016 les caméras de vidéo-surveillance, auquel l'employeur ne justifie pas avoir donné une quelconque suite, la société objectant que ces dysfonctionnements ont simplement donné lieu à réparation commandée par le directeur du magasin, est inopérant.
En effet, il n'est utilement contredit par le salarié que ces caméras étant installées à l'intérieur du magasin, à supposer que ce dysfonctionnement persistait au jour de l'accident du travail, elles n'auraient pu exercer aucun rôle dissuasif vis-à-vis de l'auteur de l'agression, cette dernière s'étant produite sur la voie publique, alors que M. [M] ouvrait le magasin.
En revanche, il ressort des échanges d'emails entre M. [M] et la manager régional et entre ce dernier et la société de transport gérant les livraisons du magasin, en date des 13 et 18 octobre 2016 qu'à l'occasion des travaux réalisés sur la voie publique devant l'entrée du magasin, M. [M] a alerté M. [E], son manager régional, relativement aux difficultés rencontrées à l'occasion des livraisons (blocage de la voie publique, mécontentement des usagers) ; le manager interrogeait le responsable de la société de transports pour faire une proposition de solution ('livraison en taxi colis ou si ça coûte trop cher, avancer l'heure de livraison'), M. [E] indiquant à son interlocuteur 'avoir vu avec le directeur du magasin qui pourrait avancer l'heure d'arrivée de l'équipe à 5H', message qu'il concluait ainsi : 'une livraison vers 5H est-elle envisageable en attendant l'arrêt des travaux '').
Une fois obtenu l'accord de la société de transport pour avancer l'heure de livraison, M. [E] en a informé M. [M] le 18 octobre en lui demandant de 'voir avec son équipe pour garantir l'ouverture du magasin à 5H', ce à quoi le salarié lui répondait comme suit :
« tu sais très bien que ce n'est pas possible d'ouvrir a minimum 2' Nous sommes à peine 7 dans le magasin et si je demande à quelqu'un d'ouvrir avec moi à 5H00 du mat, il devra partir une heure plus tôt (car normalement il commence à 6H avec moi). J'aurais donc des problèmes avec les plannings pour être minimum 2 au cours de la journée et il me manquera 1 heure dans la journée, les jours de livraison. Comme le service RH, refuse les heures supplémentaires ou l'embauche de quelqu'un à cause de notre baisse de chiffre d'affaires, je vais être obligé d'ouvrir seul, je n'ai pas le choix !!! ». (pièces salarié n°23 et 28)
Non seulement, il n'est pas justifié que le manager régional ait répliqué à ce message du 18 octobre 2016, sur les contraintes de personnel et de planning exposés par le directeur, et au fait qu'il serait contraint d'ouvrir seul, mais la société [21] ne communique aucun élément en cause d'appel de nature à remettre en question les éléments invoqués par le salarié sur l'insuffisance de personnel pour lui permettre de respecter les consignes prescrivant l'ouverture à deux.
La problématique d'un effectif en nombre insuffisant est corroboré par les témoignages communiqués par M. [M] :
- une attestation de M. [H] [F], agent de sécurité : 'en tant que vigile employé par la société [13]. Sécurité, j'ai été principalement présent sur les plannings de janvier 2016 jusqu'à l'accident du travail de M. [M]. Pour faute de budget, le magasin n'avait pas vigile toute la journée. Je faisais régulièrement les après-midis du lundi au samedi 16h45-21h15, et le dimanche de 12h15 à 20h45. Tout au long de sa période de directeur dans le magasin, M. [M] n'a eu de cesse de faire son travail remarquablement et en étroite collaboration, nous avons été à même de constater des vols de la part de M. [K], l'adjoint, et de [Localité 18] [N], caissière. Malheureusement, le système de vidéo-surveillance était régulièrement en panne et ne nous permettait pas de capter des preuves. Toutefois, M. [M] a fait en sorte que ces personnes soient sanctionnées et a fait le nécessaire auprès de la direction pour faire réparer les caméras. Je me souviens du jour où M. [M] s'est fait voler son portable dans le bureau ainsi que l'argent dans le coffre. Bien qu'un soupçon se soit porté sur quelqu'un, la vidéo-surveillance aurait été utile, de même que pour les vols de M. [K] et de [Localité 18] [N]. M. [M] a subi une agression de la part d'un salarié en juillet 2016 et là encore la vidéo-surveillance était défectueuse. Pour cause de travaux de voirie et de tramway, les conditions de travail étaient déplorables et le magasin mal tenu ( manque de personnel). Il m'arrivait d'aider pour mettre en rayon. Enfin, j'ai régulièrement échangé avec M. [M] sur les risques d'ouvrir seul à 5h du matin et je me souviens qu'il me disait que si j'ouvre à deux il me manquera des heures dans la journée et à un autre moment je me retrouverai seul faute de personnel',
- un courrier manuscrit intitulé 'attestation' au nom de Mme [W] [S], qui indique avoir travaillé comme caissière de janvier 2016 à l'accident du travail de M. [M] et précise 'j'ai pu m'apercevoir que le chiffre d'affaire du magasin a considérablement chuté du fait des travaux de voirie et du tramway. La direction, représentée dans un premier temps par Mme [L], puis par M. [E], estimait les frais de personnel en fonction du chiffre d'affairez. Comme ce dernier était faible, nous étions régulièrement 6 à 7, par manque de personnel. La femme de M. [M] venait régulièrement tôt le matin pour aider à la mise en rayon de la marchandise, tant notre effectif était bas, de plus le magasin était ouvert 7 jours sur 7, y compris le dimanche après-midi, jusqu'à 20h30 sans autorisation. En tant que simple caissière, j'ai été amenée à fermer très régulièrement le magasin, M. [E] m'octroyait une prime de 150 euros. (...) Les conditions de travail étaient très difficiles et le magasin n'était pas bien tenu par manque de personnel, ainsi que la sécurité du magasin qui était assurée par un vigile seulement les après-midi de 17h à la fermeture, y compris les dimanches après-midi. Je peux attester que le matériel de vidéo-surveillance était régulièrement en panne, ce qui posait des problèmes au vigile pour pouvoir visionner des scènes de vols signalées par une caissière ou interpeller des individus.'
Il ressort encore d'un échange d'emails, de novembre 2019, que M. [V], directeur d'exploitation de la société [14] confirmait à M. [M] que le budget de sécurité n'était pas géré par le directeur du magasin, mais par la société [16]. M. [V] indiquait que 'le budget alloué était de 151 heures par mois, et qu'ils ont été revus à la hausse suite à l'agression (du 23 novembre 2016) et sont de nouveau repassés sur la base du budget alloué (151 heures) à compter du 6 décembre 2016". Ce message étaye ainsi les dires du salarié exposant que durant les travaux et en raison de la chute du chiffre d'affaires induit par ces derniers la direction avait décidé de réduire le nombre d'heures de présence du vigile.
Enfin, la société [21] ne critique pas utilement les dires du salarié selon lesquelles il ne disposait en réalité d'aucune manoeuvre budgétaire pour exercer réellement la délégation de pouvoirs relativement à l'engagement du personnel et en terme de sécurité, de sorte que cette délégation lui est inopposable.
Dans ces conditions, eu égard à l'amplitude d'ouverture du magasin (7H/22H, 7/7jours), de l'effectif limité dont il disposait pour faire tourner ce magasin et au fait que la contrat de sécurité du magasin était géré par la société, la direction qui a décidé d'avancer la livraison par la société de transport d'une heure et été informée par M. [M] qu'en l'absence de personnel suffisant ou de possibilité d'embauche pour un magasin dont l'activité était impactée négativement par la réalisation des travaux, il serait contraint, le temps des travaux, d'ouvrir seul le magasin, a été informé de la situation de danger à laquelle le directeur serait exposé durant cette période.
La société qui ne pouvait qu'avoir conscience du danger auquel M. [M] serait exposé durant ces quelques semaines, en ouvrant seul le magasin, n'a pris aucune mesure corrective, soit pour modifier les conditions de livraison du magasin, soit pour l'autoriser à engager un salarié de manière temporaire afin de compléter les plannings ou de prévoir la présence du vigile, pour l'en préserver. M. [M] rapporte la preuve de la faute inexcusable de l'employeur en lien avec l'accident du travail dont il a été victime le 23 novembre 2016.
La hiérarchie ayant été expressément alertée sur la contrainte alléguée par le salarié et argumentée (effectif limité/l'amplitude d'ouverture du magasin accrue par l'heure des livraisons avancées à 5H) de devoir ouvrir le magasin seul à 5H, la société ne peut opposer au salarié la violation de la règle rappelée à son contrat de travail de n'ouvrir le magasin qu'à deux salariés pour s'exonérer de sa responsabilité civile qu'elle a engagée au titre de la faute inexcusable, dont les conditions sont réunies.
Aucune incapacité permanente n'ayant été attribuée au salarié sa demande de majoration de la rente est sans objet.
C'est à bon droit que les premiers juges ont ordonné une mesure d'expertise dont la mission sera réformée et complétée.
Sous réserve de la mission d'expertise, le jugement entrepris sera confirmé de ces chefs.
En revanche, il sera infirmé en ce qu'il a débouté M. [M] de sa demande de provision, laquelle sera fixée au vu des éléments médicaux initiaux, à la somme de 3 000 euros.
La réparation des préjudices, comprenant la provision, sera également avancée par la caisse qui pourra en récupérer le montant auprès de la société, en application de l'article L. 452-3, alinéa 3, du même code.
De même, les frais d'expertise seront avancés par la caisse qui pourra, dans les mêmes conditions, en obtenir le remboursement auprès de la société.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, la société, qui succombe, sera condamnée à verser à la victime la somme de 3 000 euros.
La société appelante sera condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Ordonne la jonction des instances référencées RG n °24/5995 et 24/6074,
Vu l'arrêt rendu le 03 octobre 2024 par a deuxième chambre civile de la Cour de cassation,
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a :
- Dit que l'accident du travail dont a été victime M. [G] [M] le 23 novembre 2016 est dû à la faute inexcusable de l'employeur, la société [21], ou de ceux qu'il s'est substitué dans la direction, et que la victime a droit à l'indemnisation complémentaire prévue par les articles
L 452-1 et suivants du code de la sécurité sociale,
- Constaté que l'accident du travail n'a pas donné lieu à la reconnaissance d'un taux d'incapacité permanente partielle et que M. [G] [M] n'a bénéficié ni d'une rente, ni d'un capital,
- Débouté M. [G] [M] de sa demande de majoration de la rente ou du capital selon les dispositions légales et réglementaires du code de la sécurité sociale,
- Avant dire droit, ordonné sur la demande de réparation des préjudices, une expertise médicale judiciaire confiée au Dr [Z], expert près la cour d'appel de Nîmes
[Adresse 6]
Email : [Courriel 15]
- Condamné la Société [21] à payer à M. [G] [M] la somme de 1 000 euros en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Le réforme pour le surplus,
Statuant à nouveau sur les points réformés et y ajoutant,
Avant dire droit, sur l'évaluation des préjudices subis par M. [M] :
Dit que l'expert médical aura pour mission, après avoir examiné la victime et entendu ses doléances, étudié l'ensemble des documents médicaux transmis par les parties et convoqué ces dernières,
DIT que l'expert devra :
- décrire les lésions occasionnées par l'accident du travail ;
- en tenant compte de la date de consolidation fixée par la caisse, et au regard des lésions imputables à cet accident du travail :
- indiquer les périodes pendant lesquelles la victime a été, du fait de son déficit fonctionnel temporaire, dans l'incapacité totale ou partielle de poursuivre ses activités personnelles habituelles ; en cas d'incapacité partielle, préciser le taux et la durée ;
- indiquer le cas échéant si l'assistance constante ou occasionnelle d'une tierce personne (étrangère ou non à la famille) a été nécessaire avant la consolidation pour effectuer les démarches et plus généralement pour accomplir les actes de la vie quotidienne ; préciser la nature de l'aide à prodiguer et sa durée quotidienne ;
- décrire les souffrances physiques, psychiques ou morales découlant des blessures subies avant consolidation ; les évaluer distinctement dans une échelle de 1 à 7 ;
- donner un avis sur l'existence, la nature et l'importance du préjudice esthétique, en distinguant éventuellement le préjudice temporaire et le préjudice définitif ; évaluer distinctement les préjudices temporaire et définitif dans une échelle de 1 à 7 ;
- indiquer si, après la consolidation, la victime subit un déficit fonctionnel permanent défini comme une altération permanente d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles ou mentales, ainsi que des douleurs permanentes ou tout autre trouble de santé, entraînant une limitation d'activité ou une restriction de participation à la vie en société subie au quotidien par la victime dans son environnement ; en évaluer l'importance et en chiffrer le taux ; dans l'hypothèse d'un état antérieur préciser en quoi l'accident a eu une incidence sur cet état antérieur et décrire les conséquences ;
- indiquer s'il existe ou s'il existera un préjudice sexuel (perte ou diminution de la libido, impuissance ou frigidité, perte de fertilité) ;
- dire si la victime subit une perte d'espoir ou de chance de normalement réaliser un projet de vie familiale ;
- indiquer, notamment au vu des justificatifs produits, si la victime est empêchée en tout ou partie de se livrer à des activités spécifiques de sport ou de loisir ;
- donner son avis sur d'éventuels aménagements nécessaires pour permettre, le cas échéant, à la victime d'adapter son logement et/ou son véhicule à son handicap ;
- fournir tous éléments utiles de nature médicale à la solution du litige ;
Dit que les parties devront communiquer tout document utile à l'expert dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt ;
Dit que l'expert devra adresser un projet de rapport aux parties, leur donner un délai pour lui transmettre leurs dires et y répondre avant de déposer son rapport définitif et de l'adresser à chacune des parties pour le 30 mai 2026 ;
Dit qu'en cas de refus ou d'empêchement de l'expert de remplir sa mission, il sera pourvu à son remplacement par ordonnance du Président de chambre ou du magistrat délégué ;
Fixe à la somme de 1 200 euros le montant de la consignation qui devra être versée par la [10] auprès du service des expertises du Pôle social du tribunal judiciaire de Nîmes, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, à peine de caducité de la mesure d'instruction ;
Alloue à M. [M] une provision de 3 000 euros ;
Dit que la réparation des préjudices alloués à M. [M], comprenant l'indemnité provisionnelle ci-dessus visée, sera avancée par la [10] qui pourra en récupérer le montant auprès de la société [21] ;
Dit que la [10] pourra récupérer le montant des frais d'expertise dont elle aura fait l'avance auprès de la société [21] ;
Renvoie les parties devant le Pôle social du tribunal judiciaire de Nîmes pour la liquidation des préjudices ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société [21] à verser à M. [M] la somme de 3 000 euros ;
Condamne la société [21] aux dépens.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
Grosse + copie
délivrées le
à
3e chambre sociale
ARRÊT DU 06 Novembre 2025
Numéro d'inscription au répertoire général : F N° RG 24/05995 - N° Portalis DBVK-V-B7I-QO3E
Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 MAI 2019 Pole Social du tribunal de grande instance de NIMES - N° RG 18/00918 - Arrêt cour d'appel de Nîmes du 15 février 2022 - Arrêt de cassation du 03 octobre 2024
Dont jonction venant du dossier RG n° 24/06074
APPELANTE : (Intimé dans le RG 24/6074)
SASU [21]
Agissant poursuites et diligences de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité au siège social, sis
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée sur l'audience par Me Pascale DELL'OVA de la SCP ELEOM MONTPELLIER, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMES : (respectivement appelant et intimé dans le RG 24/6074)
Monsieur [G] [M]
né le 30 décembre 1964 à [Localité 17] (53)
de nationalité française
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représenté sur l'audience par Me Alexia ROLAND de la SCP VINSONNEAU PALIES-NOY-GAUER & ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER
[11]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée sur l'audience par Madame [A] [T], représentante légale de la [12] en vertu d'un pouvoir daté du 18/08/2025
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 04 SEPTEMBRE 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre
Madame Anne MONNINI-MICHEL, Conseillère
Monsieur Patrick HIDALGO, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Madame Marie-Lydia VIGINIER
ARRÊT :
- contradictoire ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre, et par Madame Marie-Lydia VIGINIER, Greffier.
*
* *
PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Le 23 novembre 2016, la société [21], qui exploite un commerce à l'enseigne [16], situé à [Localité 19], a déclaré à la [10] l'accident du travail dont M. [G] [M], qui exerçait les fonctions de directeur de magasin, a été victime le 23 novembre 2016 à 5h, ainsi décrit : « à l'ouverture du magasin, agression à l'arme blanche et coups portés au dos - cutter et coups de poing ». Le certificat médical initial, établi le même jour par le Dr [U] mentionne « agression à l'arme blanche et contusion du rachis cervicodorsal, plaie visage et cou », complété par un certificat médical manuscrit décrivant les lésions et fixant une incapacité temporaire totale de 3 jours.
Cet accident a été pris en charge au titre de la législation relative aux risques professionnels et la [9] a fixé, sur avis de son médecin conseil, la date de guérison au 16 octobre 2017.
Après l'échec de la procédure de conciliation mise en oeuvre par la [10], constaté par procès-verbal de non conciliation en date du 30 août 2018, M. [G] [M] a saisi le Tribunal des affaires de sécurité sociale du Gard, suivant requête en date du 12 octobre 2018, aux fins d'entendre la juridiction sociale reconnaître la faute inexcusable de l'employeur au titre de cet accident du travail.
Par jugement du 29 mai 2019, le tribunal de grande instance de Nîmes - Contentieux de la protection sociale a statué comme suit :
Dit que l'accident du travail dont a été victime M. [G] [M] le 23 novembre 2016 est dû à la faute inexcusable de l'employeur, la société [21], ou de ceux qu'il s'est substitué dans la direction, et que la victime a droit à l'indemnisation complémentaire prévue par les articles L 452-1 et suivants du code de la sécurité sociale,
Constate que l'accident du travail n'a pas donné lieu à la reconnaissance d'un taux d'incapacité permanente partielle et que M. [G] [M] n'a bénéficié ni d'une rente, ni d'un capital,
Déboute M. [G] [M] de sa demande de majoration de la rente ou du capital selon les dispositions légales et réglementaires du code de la sécurité sociale,
Avant dire droit, ordonne sur la demande de réparation des préjudices, une expertise médicale judiciaire confiée au Dr [Z], (...)
Condamne la Société [21] à payer à M. [G] [M] la somme de 1 000 euros en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Sursoit à statuer sur les autres demandes,
[...]
Réserve les dépens.
Statuant sur l'appel formé par la société [21] , la Cour d'appel de Nîmes a, par arrêt rendu le 15 février 2022, après avoir écarté des débats écartées les pièces n°25 à n°32 de M. [G] [M], ainsi que les pièces 1 à 3 jointes à la note en délibéré de la Société [21], ainsi que les développements les concernant dans les notes en délibéré réceptionnées les 14 décembre 2021 et 24 décembre 2021, ainsi que la note en délibéré de M. [G] [M] réceptionnée le 3 janvier 2022, infirmé le jugement entrepris et, statuant à nouveau, dit que la Société [21] n'a pas commis de faute inexcusable à l'origine de l'accident du travail dont a été victime M. [G] [M] le 23 novembre 2016, dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, déclaré le présent arrêt commun et opposable à la [10], rejeté les demandes plus amples ou contraires et laissé les dépens à la charge de ceux qui les ont exposés.
Par arrêt du 3 octobre 2024, statuant sur le pourvoi formé par M. [M], la Cour de cassation a cassé et annulé toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 février 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes et remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier, pour les motifs suivants :
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. La victime fait grief à l'arrêt d'écarter des débats ses pièces n° 25 à n° 32, ainsi que les développements les concernant dans les notes en délibéré réceptionnées les 14 décembre 2021 et 24 décembre 2021, alors « qu'une note en délibéré, lorsqu'elle est recevable, peut être accompagnée de pièces justifiant ce qu'elle énonce, à condition que les parties soient en mesure d'en débattre contradictoirement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a jugé que les parties n'ayant pas été autorisées à produire de nouvelles pièces au soutien de leurs notes en délibéré, il convenait d'écarter les pièces n° 25 à 32 du salarié ainsi que les développements les concernant dans les notes en délibéré produites par celui-ci ; qu'en statuant ainsi, quand le président de la cour d'appel avait autorisé la victime ; a produire une note en délibéré avant le 15 décembre 2021, en vue de répondre aux dernières écritures déposées par la société le 12 novembre 2021, ce qui impliquait nécessairement la possibilité de produire des pièces nouvelles au soutien de cette argumentation en réponse, et tandis que les pièces en cause avaient pu être débattues contradictoirement par la société [21], qui avait elle-même été autorisée à présenter une note en délibéré en réponse à celle du salarié avant le 25 décembre 2021, la cour d'appel a violé les articles 16 et 445 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 16 et 445 du code de procédure civile :
4. Il résulte de la combinaison de ces textes, qu'une note en délibéré, lorsqu'elle est recevable, peut être accompagnée de pièces justifiant ce qu'elle énonce, à la condition que les parties soient mises en mesure d'en débattre contradictoirement.
5. Pour écarter des débats les pièces n° 25 à n° 32 produites par la victime ainsi que les développements les concernant dans les notes en délibéré, l'arrêt énonce que les parties n'ont pas été autorisées à produire de nouvelles pièces au soutien de leur note en délibéré.
6. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Par requêtes en date des 29 novembre et 2 décembre 2024, la société [21] et M. [M] ont respectivement saisi la cour de renvoi. L'affaire a été appelée et retenue à l'audience du 4 septembre 2025.
L'intérêt d'une bonne administration de la justice requiert d'ordonner la jonction de ces deux instances sous la référence RG n° 24/5995, et de statuer par un seul arrêt.
' Par conclusions écrites, déposées et soutenues à l'audience par son conseil, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la société [21] demande à la cour, après avoir ordonné la jonction des deux appels, de :
Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que l'accident dont a été victime M. [G] [M] le 23 novembre 2016 est dû à la faute inexcusable de l'employeur, ou de ceux qu'il s'est substitué dans la direction et que la victime a droit à l'indemnisation complémentaire prévue par les article L 452-1 et suivants du code de la sécurité sociale, et l'a condamnée à payer à M. [G] [M] la somme de mille euros en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ,
Le confirmer pour le surplus,
Statuant à nouveau :
Dire et juger que les conditions pour que sa faute inexcusable soit retenue ne sont pas remplies en l'espèce,
Débouter M. [G] [M] de l'ensemble de ses demandes,
Condamner M. [G] [M] à payer la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, et aux entiers dépens.
La société fait valoir que sa responsabilité sur le terrain de la faute inexcusable doit être écartée dès lors que l'accident du travail de M. [M] trouve son origine dans une agression commise par un tiers, 'non prévisible', sur laquelle elle n'avait aucune emprise, que la cause de l'accident réside dans la négligence de la victime qui n'avait pas respecté les consignes de sécurité, lesquelles prévoyaient que le magasin devait être ouvert à deux salariés, et considère que celui-ci ne rapporte pas la preuve d'une conscience du danger par l'employeur, ni d'une absence de mesure prise pour y faire face. Elle ajoute que M. [M] ne rapporte pas la preuve d'un sous-effectif en personnel du magasin, qui aurait eu pour conséquence une augmentation de l'accidentologie ou des arrêts de travail ou déclaration d'inaptitude.
La société appelante fait observer que M. [M] en sa qualité de directeur du magasin avait une délégation de compétence en matière de sécurité, et qu'il avait reçu comme consigne de ne pas ouvrir le magasin seul et de ne pas porter son cutter sur lui, et qu'il tente de lui imputer des manquements dont il est responsable. Elle estime que le dysfonctionnement des caméras de vidéo-surveillance, qui n'est pas contemporain de l'accident du travail, est indifférent dès lors que celles-ci étaient dirigées à l'intérieur du magasin pour prévenir les vols et n'auraient été d'aucune utilité, l'agression s'étant déroulée à l'extérieur de ce dernier et que seules les autorités publiques peuvent filmer la voie publique.
La Société [21] considère qu'il était de la responsabilité de M. [G] [M], en raison de cette délégation de compétence en matière de sécurité, de s'assurer de l'effectivité et de l'efficacité du système de vidéo-surveillance, et de recruter les personnels et notamment des vigiles ainsi que d'organiser les plannings. S'agissant de l'ouverture du magasin à 5H, elle indique qu'il ne ressort pas des messages échangés par le salarié
avec le manager régional que ce dernier lui aurait imposé d'ouvrir seul à 5H.
Elle retient encore que l'accident est intervenu alors que M. [G] [M] procédait seul, au mépris des consignes reçues, à l'ouverture du magasin et qu'il avait conservé dans sa poche arrière le cutter utilisé pour la mise en rayon, cutter utilisé par l'agresseur qui l'a retourné contre lui. Elle en déduit qu'aucune faute inexcusable ne peut lui être reprochée.
' Selon ses conclusions écrites, déposées et soutenues oralement lors de l'audience, M. [M] demande à la cour, après avoir ordonné la jonction, de :
Débouter la Société [21] de toutes ses demandes, fins et conclusions,
Déclarer que la délégation de pouvoirs en date du 1er juillet 2016 lui est inopposable ainsi que l'annexe descriptive de ses fonctions, car cette annexe a été signée le 1er décembre 2011 chez son précédent employeur, la société [20] à [Localité 8],
Confirmer le jugement rendu le 29 mai 2019 par le Tribunal de Grande Instance de Nîmes - Contentieux de la protection sociale,
Déclarer que la Société [21] a commis une faute inexcusable à l'origine de son accident du travail du 23 novembre 2016,
Ordonner la majoration de sa rente ou de son capital à son maximum,
Désigner un médecin expert, dont la mission sera de déterminer la nature et l'étendue de son préjudice corporel et psychologique,
Lui allouer une provision de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts à valoir sur la réparation de son préjudice,
Condamner la société [21] à lui porter et payer une indemnité de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens de première instance et d'appel.
Au soutien de ses demandes, M. [M] objecte que le danger auquel il était exposé résulte du sous-effectif et du manque de moyen affecté au magasin [16] pour lequel on lui avait demandé, pour des motifs économiques, de procéder, seul, à l'ouverture pour la période du 18 octobre au 23 novembre 2016 à 5h, au lieu d'une ouverture à 6h à deux personnes.
Il affirme qu'il ne disposait d'aucun moyen pour engager des travaux, assurer la maintenance des équipements ou procéder à des embauches de personnel et considère qu'il a été agressé non pas parce qu'il détenait un cutter dans sa poche mais en raison du manque de personnel dont il dit justifier par la production de plusieurs témoignages.
M. [M] dit justifier par ailleurs avoir informé son employeur, en mai et août 2016 du dysfonctionnement du système de vidéo-surveillance sans que cela amène une réaction de celui-ci.
M. [M] soutient que la délégation de pouvoirs daté du 1er juillet 2016 lui est inopposable puisqu'il ne disposait ni de l'autorité, ni de la compétence, ni des moyens nécessaires lui permettant d'assumer les obligations ainsi mises à sa charge. Il rappelle à ce titre qu'il n'a aucune compétence en matière de santé et de sécurité au travail et n'a jamais reçu de son employeur de formation en ce sens, qu'il n'avait aucun pouvoir disciplinaire, et qu'il n'avait aucun moyen financier pour appliquer la politique sociale et commerciale de l'entreprise, le compte d'exploitation faisant apparaître une forte baisse du chiffre d'affaires et une compression des frais de personnel et d'exploitation, et que le jour de son agression, il était occupé à faire seul, de nuit, de la manutention dans un centre-ville en travaux où règne l'insécurité. Il dit justifier que son employeur ne mettait à la disposition du magasin que 35 heures de présence de vigile par semaine, pour des horaires d'ouverture du magasin 7 jours/7 de 7h30 à 22h. M. [M] considère que l'annexe descriptive des fonctions de directeur ne lui est pas opposable car signée le 1er décembre 2011 chez son précédent employeur.
' Au terme de ses conclusions écrites, déposées et soutenues oralement lors de l'audience, la [10], après avoir rappelé qu'elle intervient en tant que partie, demande à la cour de lui donner acte de ce qu'elle déclare s'en remettre à justice sur le point de savoir si l'accident du travail en cause est dû à une faute inexcusable de l'employeur, et si elle retient la faute inexcusable de constater que M. [M] ne bénéficie d'aucun taux d'incapacité permanente partielle et de limiter l'éventuelle mission de l'expert à celle habituellement confiée en matière de faute inexcusable et mettre les frais d'expertise à la charge de l'employeur, et de condamner l'employeur à lui rembourser dans le délai de quinzaine les sommes dont elle aura fait l'avance, assorties des intérêts légaux en cas de retard.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des prétentions et moyens des parties, il convient de se référer à leurs écritures déposées et soutenues oralement à l'audience.
MOTIVATION :
Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
En l'espèce, il ressort des pièces versées aux débats que M. [M] a été victime d'un accident du travail le 23 novembre 2016 dans des circonstances qui ne font pas débat, et ainsi décrites :
- par l'employeur dans sa déclaration d'accident du travail du 23 novembre 2016 : « à l'ouverture du magasin, agression à l'arme blanche et coups portés au dos ».
- par la victime, dans la plainte qu'elle a déposée le 28 novembre au commissariat de police :
« Je suis directeur du magasin [16], [Adresse 7]. Le 23/11/2016 à 5H comme d'habitude, je me suis rendu au magasin pour l'ouverture. Sur place au moment où j'ouvrais la porte du magasin, un individu m'a interpellé verbalement. Je lui ai demandé de me laisser tranquille. Il a commencé à avoir des gestes violents sur ma personne en me donnant des coups et en me bousculant. Lorsqu'il a vu que j'avais mon cutter dans la poche arrière de mon pantalon, il l'a saisi et m'a agressé avec. Il m'a donné des coups de cutter au niveau du visage et de la gorge. Je me suis défendu en évitant comme je pouvais les coups. Comme je n'avais pas neutralisé l'alarme du magasin, cette dernière s'est déclenchée. L'individu surpris m'a donné un coup très violent dans le dos et m'a arraché la sacoche »,
Le certificat médical initial mentionne « agression à l'arme blanche et contusions du rachis cervico-dorsal, plaie visage et coups ».
Pour démontrer la faute inexcusable de l'employeur, M. [G] [M] soutient que le manque d'effectifs et de moyens de sécurité, en l'absence de système de vidéo-surveillance, est à l'origine de son agression. Il explique qu'il lui a été demandé de procéder seul à l'ouverture du magasin à 5h, pour la période du 18 octobre au 23 novembre 2016, alors que normalement cette ouverture se fait à deux personnes et pas avant 6H.
Pour remettre en cause ces éléments, la Société [21] rappelle que l'accident du travail trouve son origine dans une agression sur laquelle elle n'avait aucune prise, et que M. [G] [M] qui déplore le sous-effectif de son magasin n'apporte aucun élément probant au soutien de cette affirmation, ni ne démontre en quoi celui-ci aurait eu une incidence sur l'accidentologie ou l'absentéisme. La Société [21] affirme que les effectifs sur ce site ont été constants sur la période, et ce malgré une chute importante du chiffre d'affaires en raison des travaux de voirie.
À juste titre, l'employeur fait valoir que le signalement du dysfonctionnement ayant affecté en mai et août 2016 les caméras de vidéo-surveillance, auquel l'employeur ne justifie pas avoir donné une quelconque suite, la société objectant que ces dysfonctionnements ont simplement donné lieu à réparation commandée par le directeur du magasin, est inopérant.
En effet, il n'est utilement contredit par le salarié que ces caméras étant installées à l'intérieur du magasin, à supposer que ce dysfonctionnement persistait au jour de l'accident du travail, elles n'auraient pu exercer aucun rôle dissuasif vis-à-vis de l'auteur de l'agression, cette dernière s'étant produite sur la voie publique, alors que M. [M] ouvrait le magasin.
En revanche, il ressort des échanges d'emails entre M. [M] et la manager régional et entre ce dernier et la société de transport gérant les livraisons du magasin, en date des 13 et 18 octobre 2016 qu'à l'occasion des travaux réalisés sur la voie publique devant l'entrée du magasin, M. [M] a alerté M. [E], son manager régional, relativement aux difficultés rencontrées à l'occasion des livraisons (blocage de la voie publique, mécontentement des usagers) ; le manager interrogeait le responsable de la société de transports pour faire une proposition de solution ('livraison en taxi colis ou si ça coûte trop cher, avancer l'heure de livraison'), M. [E] indiquant à son interlocuteur 'avoir vu avec le directeur du magasin qui pourrait avancer l'heure d'arrivée de l'équipe à 5H', message qu'il concluait ainsi : 'une livraison vers 5H est-elle envisageable en attendant l'arrêt des travaux '').
Une fois obtenu l'accord de la société de transport pour avancer l'heure de livraison, M. [E] en a informé M. [M] le 18 octobre en lui demandant de 'voir avec son équipe pour garantir l'ouverture du magasin à 5H', ce à quoi le salarié lui répondait comme suit :
« tu sais très bien que ce n'est pas possible d'ouvrir a minimum 2' Nous sommes à peine 7 dans le magasin et si je demande à quelqu'un d'ouvrir avec moi à 5H00 du mat, il devra partir une heure plus tôt (car normalement il commence à 6H avec moi). J'aurais donc des problèmes avec les plannings pour être minimum 2 au cours de la journée et il me manquera 1 heure dans la journée, les jours de livraison. Comme le service RH, refuse les heures supplémentaires ou l'embauche de quelqu'un à cause de notre baisse de chiffre d'affaires, je vais être obligé d'ouvrir seul, je n'ai pas le choix !!! ». (pièces salarié n°23 et 28)
Non seulement, il n'est pas justifié que le manager régional ait répliqué à ce message du 18 octobre 2016, sur les contraintes de personnel et de planning exposés par le directeur, et au fait qu'il serait contraint d'ouvrir seul, mais la société [21] ne communique aucun élément en cause d'appel de nature à remettre en question les éléments invoqués par le salarié sur l'insuffisance de personnel pour lui permettre de respecter les consignes prescrivant l'ouverture à deux.
La problématique d'un effectif en nombre insuffisant est corroboré par les témoignages communiqués par M. [M] :
- une attestation de M. [H] [F], agent de sécurité : 'en tant que vigile employé par la société [13]. Sécurité, j'ai été principalement présent sur les plannings de janvier 2016 jusqu'à l'accident du travail de M. [M]. Pour faute de budget, le magasin n'avait pas vigile toute la journée. Je faisais régulièrement les après-midis du lundi au samedi 16h45-21h15, et le dimanche de 12h15 à 20h45. Tout au long de sa période de directeur dans le magasin, M. [M] n'a eu de cesse de faire son travail remarquablement et en étroite collaboration, nous avons été à même de constater des vols de la part de M. [K], l'adjoint, et de [Localité 18] [N], caissière. Malheureusement, le système de vidéo-surveillance était régulièrement en panne et ne nous permettait pas de capter des preuves. Toutefois, M. [M] a fait en sorte que ces personnes soient sanctionnées et a fait le nécessaire auprès de la direction pour faire réparer les caméras. Je me souviens du jour où M. [M] s'est fait voler son portable dans le bureau ainsi que l'argent dans le coffre. Bien qu'un soupçon se soit porté sur quelqu'un, la vidéo-surveillance aurait été utile, de même que pour les vols de M. [K] et de [Localité 18] [N]. M. [M] a subi une agression de la part d'un salarié en juillet 2016 et là encore la vidéo-surveillance était défectueuse. Pour cause de travaux de voirie et de tramway, les conditions de travail étaient déplorables et le magasin mal tenu ( manque de personnel). Il m'arrivait d'aider pour mettre en rayon. Enfin, j'ai régulièrement échangé avec M. [M] sur les risques d'ouvrir seul à 5h du matin et je me souviens qu'il me disait que si j'ouvre à deux il me manquera des heures dans la journée et à un autre moment je me retrouverai seul faute de personnel',
- un courrier manuscrit intitulé 'attestation' au nom de Mme [W] [S], qui indique avoir travaillé comme caissière de janvier 2016 à l'accident du travail de M. [M] et précise 'j'ai pu m'apercevoir que le chiffre d'affaire du magasin a considérablement chuté du fait des travaux de voirie et du tramway. La direction, représentée dans un premier temps par Mme [L], puis par M. [E], estimait les frais de personnel en fonction du chiffre d'affairez. Comme ce dernier était faible, nous étions régulièrement 6 à 7, par manque de personnel. La femme de M. [M] venait régulièrement tôt le matin pour aider à la mise en rayon de la marchandise, tant notre effectif était bas, de plus le magasin était ouvert 7 jours sur 7, y compris le dimanche après-midi, jusqu'à 20h30 sans autorisation. En tant que simple caissière, j'ai été amenée à fermer très régulièrement le magasin, M. [E] m'octroyait une prime de 150 euros. (...) Les conditions de travail étaient très difficiles et le magasin n'était pas bien tenu par manque de personnel, ainsi que la sécurité du magasin qui était assurée par un vigile seulement les après-midi de 17h à la fermeture, y compris les dimanches après-midi. Je peux attester que le matériel de vidéo-surveillance était régulièrement en panne, ce qui posait des problèmes au vigile pour pouvoir visionner des scènes de vols signalées par une caissière ou interpeller des individus.'
Il ressort encore d'un échange d'emails, de novembre 2019, que M. [V], directeur d'exploitation de la société [14] confirmait à M. [M] que le budget de sécurité n'était pas géré par le directeur du magasin, mais par la société [16]. M. [V] indiquait que 'le budget alloué était de 151 heures par mois, et qu'ils ont été revus à la hausse suite à l'agression (du 23 novembre 2016) et sont de nouveau repassés sur la base du budget alloué (151 heures) à compter du 6 décembre 2016". Ce message étaye ainsi les dires du salarié exposant que durant les travaux et en raison de la chute du chiffre d'affaires induit par ces derniers la direction avait décidé de réduire le nombre d'heures de présence du vigile.
Enfin, la société [21] ne critique pas utilement les dires du salarié selon lesquelles il ne disposait en réalité d'aucune manoeuvre budgétaire pour exercer réellement la délégation de pouvoirs relativement à l'engagement du personnel et en terme de sécurité, de sorte que cette délégation lui est inopposable.
Dans ces conditions, eu égard à l'amplitude d'ouverture du magasin (7H/22H, 7/7jours), de l'effectif limité dont il disposait pour faire tourner ce magasin et au fait que la contrat de sécurité du magasin était géré par la société, la direction qui a décidé d'avancer la livraison par la société de transport d'une heure et été informée par M. [M] qu'en l'absence de personnel suffisant ou de possibilité d'embauche pour un magasin dont l'activité était impactée négativement par la réalisation des travaux, il serait contraint, le temps des travaux, d'ouvrir seul le magasin, a été informé de la situation de danger à laquelle le directeur serait exposé durant cette période.
La société qui ne pouvait qu'avoir conscience du danger auquel M. [M] serait exposé durant ces quelques semaines, en ouvrant seul le magasin, n'a pris aucune mesure corrective, soit pour modifier les conditions de livraison du magasin, soit pour l'autoriser à engager un salarié de manière temporaire afin de compléter les plannings ou de prévoir la présence du vigile, pour l'en préserver. M. [M] rapporte la preuve de la faute inexcusable de l'employeur en lien avec l'accident du travail dont il a été victime le 23 novembre 2016.
La hiérarchie ayant été expressément alertée sur la contrainte alléguée par le salarié et argumentée (effectif limité/l'amplitude d'ouverture du magasin accrue par l'heure des livraisons avancées à 5H) de devoir ouvrir le magasin seul à 5H, la société ne peut opposer au salarié la violation de la règle rappelée à son contrat de travail de n'ouvrir le magasin qu'à deux salariés pour s'exonérer de sa responsabilité civile qu'elle a engagée au titre de la faute inexcusable, dont les conditions sont réunies.
Aucune incapacité permanente n'ayant été attribuée au salarié sa demande de majoration de la rente est sans objet.
C'est à bon droit que les premiers juges ont ordonné une mesure d'expertise dont la mission sera réformée et complétée.
Sous réserve de la mission d'expertise, le jugement entrepris sera confirmé de ces chefs.
En revanche, il sera infirmé en ce qu'il a débouté M. [M] de sa demande de provision, laquelle sera fixée au vu des éléments médicaux initiaux, à la somme de 3 000 euros.
La réparation des préjudices, comprenant la provision, sera également avancée par la caisse qui pourra en récupérer le montant auprès de la société, en application de l'article L. 452-3, alinéa 3, du même code.
De même, les frais d'expertise seront avancés par la caisse qui pourra, dans les mêmes conditions, en obtenir le remboursement auprès de la société.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, la société, qui succombe, sera condamnée à verser à la victime la somme de 3 000 euros.
La société appelante sera condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Ordonne la jonction des instances référencées RG n °24/5995 et 24/6074,
Vu l'arrêt rendu le 03 octobre 2024 par a deuxième chambre civile de la Cour de cassation,
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a :
- Dit que l'accident du travail dont a été victime M. [G] [M] le 23 novembre 2016 est dû à la faute inexcusable de l'employeur, la société [21], ou de ceux qu'il s'est substitué dans la direction, et que la victime a droit à l'indemnisation complémentaire prévue par les articles
L 452-1 et suivants du code de la sécurité sociale,
- Constaté que l'accident du travail n'a pas donné lieu à la reconnaissance d'un taux d'incapacité permanente partielle et que M. [G] [M] n'a bénéficié ni d'une rente, ni d'un capital,
- Débouté M. [G] [M] de sa demande de majoration de la rente ou du capital selon les dispositions légales et réglementaires du code de la sécurité sociale,
- Avant dire droit, ordonné sur la demande de réparation des préjudices, une expertise médicale judiciaire confiée au Dr [Z], expert près la cour d'appel de Nîmes
[Adresse 6]
Email : [Courriel 15]
- Condamné la Société [21] à payer à M. [G] [M] la somme de 1 000 euros en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Le réforme pour le surplus,
Statuant à nouveau sur les points réformés et y ajoutant,
Avant dire droit, sur l'évaluation des préjudices subis par M. [M] :
Dit que l'expert médical aura pour mission, après avoir examiné la victime et entendu ses doléances, étudié l'ensemble des documents médicaux transmis par les parties et convoqué ces dernières,
DIT que l'expert devra :
- décrire les lésions occasionnées par l'accident du travail ;
- en tenant compte de la date de consolidation fixée par la caisse, et au regard des lésions imputables à cet accident du travail :
- indiquer les périodes pendant lesquelles la victime a été, du fait de son déficit fonctionnel temporaire, dans l'incapacité totale ou partielle de poursuivre ses activités personnelles habituelles ; en cas d'incapacité partielle, préciser le taux et la durée ;
- indiquer le cas échéant si l'assistance constante ou occasionnelle d'une tierce personne (étrangère ou non à la famille) a été nécessaire avant la consolidation pour effectuer les démarches et plus généralement pour accomplir les actes de la vie quotidienne ; préciser la nature de l'aide à prodiguer et sa durée quotidienne ;
- décrire les souffrances physiques, psychiques ou morales découlant des blessures subies avant consolidation ; les évaluer distinctement dans une échelle de 1 à 7 ;
- donner un avis sur l'existence, la nature et l'importance du préjudice esthétique, en distinguant éventuellement le préjudice temporaire et le préjudice définitif ; évaluer distinctement les préjudices temporaire et définitif dans une échelle de 1 à 7 ;
- indiquer si, après la consolidation, la victime subit un déficit fonctionnel permanent défini comme une altération permanente d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles ou mentales, ainsi que des douleurs permanentes ou tout autre trouble de santé, entraînant une limitation d'activité ou une restriction de participation à la vie en société subie au quotidien par la victime dans son environnement ; en évaluer l'importance et en chiffrer le taux ; dans l'hypothèse d'un état antérieur préciser en quoi l'accident a eu une incidence sur cet état antérieur et décrire les conséquences ;
- indiquer s'il existe ou s'il existera un préjudice sexuel (perte ou diminution de la libido, impuissance ou frigidité, perte de fertilité) ;
- dire si la victime subit une perte d'espoir ou de chance de normalement réaliser un projet de vie familiale ;
- indiquer, notamment au vu des justificatifs produits, si la victime est empêchée en tout ou partie de se livrer à des activités spécifiques de sport ou de loisir ;
- donner son avis sur d'éventuels aménagements nécessaires pour permettre, le cas échéant, à la victime d'adapter son logement et/ou son véhicule à son handicap ;
- fournir tous éléments utiles de nature médicale à la solution du litige ;
Dit que les parties devront communiquer tout document utile à l'expert dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt ;
Dit que l'expert devra adresser un projet de rapport aux parties, leur donner un délai pour lui transmettre leurs dires et y répondre avant de déposer son rapport définitif et de l'adresser à chacune des parties pour le 30 mai 2026 ;
Dit qu'en cas de refus ou d'empêchement de l'expert de remplir sa mission, il sera pourvu à son remplacement par ordonnance du Président de chambre ou du magistrat délégué ;
Fixe à la somme de 1 200 euros le montant de la consignation qui devra être versée par la [10] auprès du service des expertises du Pôle social du tribunal judiciaire de Nîmes, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, à peine de caducité de la mesure d'instruction ;
Alloue à M. [M] une provision de 3 000 euros ;
Dit que la réparation des préjudices alloués à M. [M], comprenant l'indemnité provisionnelle ci-dessus visée, sera avancée par la [10] qui pourra en récupérer le montant auprès de la société [21] ;
Dit que la [10] pourra récupérer le montant des frais d'expertise dont elle aura fait l'avance auprès de la société [21] ;
Renvoie les parties devant le Pôle social du tribunal judiciaire de Nîmes pour la liquidation des préjudices ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société [21] à verser à M. [M] la somme de 3 000 euros ;
Condamne la société [21] aux dépens.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT