Livv
Décisions

CA Dijon, 2 e ch. civ., 6 novembre 2025, n° 25/00218

DIJON

Arrêt

Autre

CA Dijon n° 25/00218

6 novembre 2025

S.A.S. ASGARD GROUP

C/

S.C.I. LE PORT DU HAVRE

Expédition et copie exécutoire délivrées aux avocats le

COUR D'APPEL DE DIJON

2 e chambre civile

ARRÊT DU 06 NOVEMBRE 2025

N° RG 25/00218 - N° Portalis DBVF-V-B7J-GTWJ

MINUTE N°25/

Décision déférée à la Cour : ordonnance de référé du 07 février 2025,

rendue par le président du tribunal judiciaire de Dijon - RG : 24/00091

APPELANTE :

S.A.S. ASGARD GROUP représentée par ses dirigeants légaux en exercice

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Claire GERBAY, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 126

assistée de Me Mathias VUILLERMET et Me Véronique GIGNOUX, avocats au barreau de LYON

INTIMÉE :

S.C.I. LE PORT DU HAVRE

domiciliée

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Patrice CANNET membre de la SARL CANNET - MIGNOT, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 81

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 04 septembre 2025 en audience publique devant la cour composée de :

Marie-Pascale BLANCHARD, Présidente de chambre,

Bénédicte KUENTZ, Conseiller,

Cédric SAUNIER, Conseiller,

Après rapport fait à l'audience par l'un des magistrats de la composition, la cour, comme ci-dessus composée a délibéré.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Safia BENSOT, Greffier

DÉBATS : l'affaire a été mise en délibéré au 06 Novembre 2025,

ARRÊT : rendu contradictoirement,

PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ : par Marie-Pascale BLANCHARD, Présidente de chambre, et par Maud DETANG, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE :

La SCI Le Port du Havre (la SCI) a été constituée le 3 mars 2014 entre les sociétés :

- Castelhold pour 660 parts,

- 936 Raisons d'Investir pour 100 parts,

- Ruby Participations devenue Asgard Group pour 200 parts,

- INC Capital pour 40 parts.

L'objet social fixé par les statuts est l'acquisition, l'administration et la gestion de biens immobiliers, l'emprunt des fonds et la constitution des sûretés et garanties nécessaires à la réalisation de cet objet et, exceptionnellement, l'aliénation des immeubles devenus inutiles à la société.

M.[R] [N], dirigeant de la société Castelhold, en a été désigné gérant.

Le 30 mai 2014, la SCI a fait l'acquisition auprès de la société Centre Eurasia d'un bien immobilier situé [Localité 5] dans le cadre d'une vente en l'état futur d'achèvement, qu'elle a loué, puis revendu le 13 juillet 2022 à la société Eurasia Group.

A l'occasion de sa convocation aux assemblées générales de la SCI des 7 juillet et 27 décembre 2022, la société Asgard Group (Asgard) a sollicité la communication de documents relatifs aux comptes et à la gestion de la SCI.

Elle a par la suite réclamé de nouveau communication de différents documents relatifs à l'opération de cession de l'immeuble et la facturation de prestation au profit de la société Castelhold.

Estimant ne pas avoir obtenu satisfaction à ses demandes de communication en violation des règles statutaires, elle a fait assigner la SCI en référé par acte extrajudiciaire du 19 février 2024.

Par ordonnance du 7 février 2025, la présidente du tribunal judiciaire de Dijon a :

- débouté la société Asgard Group de ses demandes,

- condamné la société Asgard Group à payer à la SCI Le Port du Havre la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la société Asgard Group de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Asgard Group aux entiers dépens.

Suivant déclaration au greffe du 17 février 2025, la société Asgard a relevé appel de cette décision.

Par avis du greffe en date du 27 février 2025, le conseil de l'appelante a été informé que l'affaire était fixée à l'audience du 4 septembre 2025 en application des dispositions de l'article 906 du code de procédure civile.

Prétentions de la société Asgard

Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 27 août 2025, la société Asgard demande à la cour de :

- réformer l'ordonnance de référé du 7 février 2025 en ce qu'elle a :

débouté la société Asgard (anciennement Ruby Participations et ci-après société Asgard), en sa qualité d'associée de la SCI Le Port du Havre, de ses demandes,

condamné la société Asgard à payer à la SCI Le Port du Havre à la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens ;

statuant à nouveau,

- ordonner à la SCI Le Port du Havre de remettre à la société Asgard Group les documents suivants :

le décompte financier de la vente de l'immeuble avant la répartition du prix de cession,

le décompte des mouvements financiers intervenus avec la société Eurasia,

les justificatifs de la facture de 500.000 euros HT acquittée par la SCI Le Port du Havre à la société Castelhold,

dans un délai de 8 jours à compter de l'arrêt à intervenir sous contrainte de 500 euros par jour de retard,

- désigner tel expert avec pour mission de :

prendre connaissance des livres sociaux, le registre des assemblées et des procès-verbaux des assemblées, et d'une manière générale, prendre connaissance de toutes pièces indispensables à l'accomplissement de sa mission,

entendre le gérant de la SCI Le Port du Havre et la représentante de la société Asgard Group,

obtenir le détail des prestations effectuées par la société Castelhold et facturées à la SCI Le Port du Havre le 28 décembre 2022 et donner son avis sur la facture n°F1 21029 de la société Castelhold d'un montant de 500.000 euros HT adressée à la SCI Le Port du Havre,

vérifier et expliquer à quoi correspond le mouvement de 400.000 euros apparu sur le compte-courant d'associé de la société Asgard le 31.08.2018,

vérifier si le prix de vente du bien immobilier est justifié et si le prix a bien été acquitté au profit de la SCI Le Port du Havre, et plus précisément si :

la partie prétendue payée par compensation, soit la somme de 230.000 euros, outre la somme de 248.924,28 euros, l'a bien été ;

la partie payée dès avant la vente, hors la comptabilité des notaires, soit la somme de 9.150.000 euros et la somme de 1.132 876,72 euros, ont bien été réglées ;

le solde de 1.684.383 euros a bien été acquitté ;

déceler les éventuelles irrégularités comptables de ces opérations,

relever tous les faits qui pourraient entraîner la responsabilité de la SCI Le Port du Havre et de son gérant,

La SCI Le Port du Havre et son gérant s'engagent à mettre à la disposition de l'expert qui sera désigné tous éléments et/ ou documents administratifs et comptables nécessaires pour mener à bien sa mission,

présenter un rapport sur ces opérations de gestion et ce dans un délai de 3 mois.

- débouter la SCI Le Port du Havre de sa demande d'indemnisation au titre des frais irrépétibles de première instance,

- condamner la SCI Le Port du Havre à payer à la société Asgard Group la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance,

- condamner la SCI Le Port du Havre à payer à la société Asgard Group la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en appel,

- ainsi que tous les dépens de première instance et d'appel.

Prétentions de la SCI :

Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 29 août 2025, la SCI entend voir :

- confirmer intégralement l'ordonnance du 7 février 2025,

y ajouter :

- condamner la société Asgard Group à verser à la société Le Port du Havre une somme de 8.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Asgard Group aux entiers dépens d'appel.

- - - - - -

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions susvisées pour un exposé complet des moyens développés par les parties au soutien de leurs prétentions.

La clôture de la procédure est intervenue le 2 septembre 2025.

MOTIFS DE LA DECISION :

1°) sur la communication de pièces :

Selon l'article 10-5 des statuts de la SCI Le Port du Havre, intitulé de documents, les associés peuvent obtenir de la gérance, sur demande, toute pièce délivrée en copies certifiées conformes aux frais de la société à moins qu'elles n'aient déjà été fournies auquel cas la gérance sera en droit de demander le remboursement des frais de copie et d'envoi.

La société Asgard Group a réclamé communication de différents documents en lien avec l'opération de revente du bien immobilier à la société Eurasia Group, dont certains lui ont été remis, y compris en cours d'instance devant le juge des référés de sorte que devant la cour, elle ne sollicite plus que la communication :

- du décompte financier de la vente de l'immeuble avant la répartition du prix de cession,

- du décompte des mouvements financiers intervenus avec la société Eurasia,

- des justificatifs de la facture de 500.000 euros HT acquittée par la SCI Le Port du Havre au profit de la société Castelhold.

L'appelante fait valoir que la SCI s'était engagée, par la voie de son conseil, à lui communiquer ces documents et relève que le libellé de la facture diffère des motifs de la résolution prise en assemblée générale du 28 décembre 2022, qu'aucune convention n'a été régularisée entre la SCI et la société Castelhold alors que M.[N] étant dirigeant de cette dernière, il s'agissait d'un cas de convention réglementée.

La SCI soutient que tous les documents communicables l'ont été ; qu'il n'existe ni décompte financier de la vente de l'immeuble, ni décompte des mouvements financiers intervenus avec la société Eurasia ; que son offre de fournir le premier était purement amiable et que le second a été établi par son expert comptable ; qu'il n'existe pas non plus de justificatifs de la facture émise par la société Castelhold dont les mentions se suffisent à elles-mêmes et dont l'éventuelle question du bien-fondé relève d'une autre procédure.

Si le droit de communication reconnu aux associés de la SCI porte sur « toute pièce », et doit leur permettre d'exercer leur droit de regard sur la gestion de la société il n'emporte pour autant aucune obligation pour cette dernière de communiquer des pièces qu'elle ne détient pas, ni d'établir sur la demande de ses associés des pièces que n'exigent ni la loi, ni les règlements, ni même les statuts.

Les décomptes financiers dont la société Asgard Group réclame la communication ne constituent pas des pièces comptables ou de gestion de la SCI, qu'elle serait dans l'obligation de constituer et la seule offre de leur communication ultérieure est insuffisante à établir la preuve de leur existence.

Les demandes formulées par la société Asgard Group ne constituent pas tant des demandes de délivrance de documents, que d'explications sur la gestion de l'opération de cession du bien détenu par la SCI.

Au demeurant, la société Asgard Group a pu prendre connaissance de l'attestation de M. [L], expert-comptable, dressant la liste des encaissements reçus par la SCI à l'occasion de la cession du bien immobilier et expliquant les mouvements financiers et la répartition des fonds.

S'agissant de la facture émise par la société Castelhold à hauteur de 500.000 euros HT le 28 décembre 2022 au titre de prestations de négociation avec Eurasia et de suivi des litiges, il apparaît que, nonobstant le fait que la SCI et la société Castelhold ont un même gérant en la personne de M. [N], seule cette dernière est en mesure de justifier des prestations dont elle a demandé paiement.

Le fait que la SCI ait pu accepter de rémunérer ces prestations sans justificatifs ne peut conduire à la voir contrainte de communiquer à une autre de ses associées, des pièces qu'elle ne détient manifestement pas.

En conséquence, il y a lieu de confirmer la décision critiquée en ce qu'elle a rejeté la demande de communication de pièces sous astreinte.

2°) sur l'expertise de gestion :

En application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.

Au regard de ce qu'elle estime caractériser un refus de transparence du gérant de la SCI, la société Asgard émet des doutes sérieux sur la sincérité des pièces comptables produites par la SCI, sur l'exigibilité de la facture de la société Castelhold et sur le respect de l'intérêt social dans l'opération de cession.

Elle fait également état de mouvements incompréhensibles sur son propre compte courant d'associée et de la difficulté de vérifier le bon encaissement de l'intégralité du prix de cession de l'immeuble de 12.446.184 euros TTC, en raison du règlement de plusieurs sommes hors la comptabilité du notaire rédacteur, dont certaines n'apparaissent pas sur les relevés de comptes bancaires de la SCI, d'autres ont transité par le compte Carpa du conseil de la SCI, d'autres enfin auraient été conservées par la SCI.

La SCI considère que l'expertise ne saurait être ordonnée pour suppléer la carence probatoire d'une partie et que la société Asgard Group n'apporte aucun élément au soutien de ses suspicions d'opérations anormales.

Elle soutient que la société Asgard ne justifie d'aucun intérêt légitime, les demandes s'inscrivant dans un conflit plus large opposant les sociétés Asgard Group et Castelhold et que les pièces comptables qui ont été remises permettent de vérifier le bon encaissement du prix qui a été constaté par le notaire dans l'acte authentique.

A titre subsidiaire, elle fait valoir que la mission de l'expert ne peut porter sur l'appréciation de la responsabilité du gérant et qu'elle est inutile pour contester les causes de la facture de la société Catelhold, comme pour comprendre la répartition de sommes aux associés par versement sur leur compte courant.

- - - - - -

Le demandeur à une mesure d'instruction sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile n'a pas à justifier d'un intérêt légitime, mais doit démontrer l'existence d'un motif légitime, et la mesure sollicitée peut tendre à la conservation des preuves tout autant qu'à leur établissement.

Il ressort des explications de la société Asgard que cette dernière, en sa qualité d'associée, entend critiquer la gestion du gérant de la SCI.

Si, au soutien de sa demande, elle n'a pas à rapporter la preuve de fautes de gestion, il lui appartient néanmoins de justifier de l'existence de faits plausibles rendant crédibles ses allégations.

La société Asgard Group tire des réticences qu'elle impute à la SCI, à répondre à ses demandes de pièces et d'explications, la preuve de l'existence d'opérations anormales de gestion autour de l'opération de cession du bien immobilier.

Le seul fait que cette cession ait été conclue avec une société contrôlée par un homme d'affaires auquel est prêtée une réputation sulfureuse, ainsi que l'allègue l'appelante, est inopérant à étayer des suspicions d'actes de gestion anormaux.

Concernant l'encaissement du prix de la cession, l'acte de vente notarié précise que le prix de 12.446.184 euros TTC a été payé :

- à hauteur de 10.282.876,72 euros hors la comptabilité du notaire mais dont le vendeur a justifié des encaissements à concurrence de 9.150.000 euros,

- par compensation à concurrence de 230.000 euros avec les sommes dues par le vendeur (la SCI) à l'acquéreur (la société Eurasia) au titre du dépôt en garantie ensuite de la résiliation du bail et à concurrence de 248.924,28 euros avec les sommes dues par le vendeur (la SCI) au promoteur au titre du solde du prix de vente en l'état futur d'achèvement,

- au jour de la vente, pour le solde de 1 .684.383 euros.

Cette dernière somme figure bien au Grand livre sous le compte 512 au titre des mouvements bancaires. Y apparaissent également plusieurs versements de 130.000 euros dont celui du 31 janvier 2022, ces mêmes mouvements étant inscrits au compte « avance sur cession immeuble » .

Ainsi que l'indique le cabinet comptable Firex dans son attestation du 17 avril 2025, si l'analyse des mouvements inscrits en comptabilité, notamment au titre du compte « avance sur cession immeuble », nécessite de se référer au Grand livre et au détail des écritures comptables, le premier a été produit dans le cadre de la présente instance et la seule difficulté de lecture et de compréhension de pièces comptables est inopérante à caractériser leur anormalité ou leur insincérité.

Concernant la facture de la société Castelhold, outre la production de ce document et de la résolution de l'assemblée générale de la SCI du 27 décembre 2022, autorisant son paiement, les flux financiers relatifs à cette facture apparaissent dans le Grand livre sous le compte 401 fournisseurs aux dates des 28 et 29 décembre 2022, comme au compte de résultat de l'exercice clôturé le 31 décembre 2022, sous la rubrique : « autres achats et charges externes », ce qui dénote la cohérence des écritures.

Il ne ressort pas de ces éléments comptables comme des autres produits devant la cour, la preuve de faits rendant crédibles les allégations d'actes de gestion anormaux qui porteraient, ainsi qu'il est soutenu, sur l'encaissement du prix de cession, sa distribution aux associés à proportion de leurs droits, le détournement d'une partie de ce prix et qui justifieraient la mise en oeuvre d'une expertise de gestion.

Si la société Asgard Group a la faculté de contester les décisions du gérant de la SCI et de remettre en cause le bien fondé des paiements à la société Castelhold en rémunération de prestations, cette contestation ne nécessite pas une mesure préalable d'instruction pour améliorer sa situation probatoire.

En conséquence, la décision du premier juge mérite confirmation en ce qu'elle a débouté la société Asgard de sa demande d'expertise.

PAR CES MOTIFS :

Confirme l'ordonnance de référé de la présidente du tribunal judiciaire de Dijon en date du 7 février 2025 en toutes ses dispositions soumises à la cour ;

y ajoutant,

Condamne la SAS Asgard aux dépens de l'instance d'appel ;

Condamne la SAS Asgard à payer à la SCI Le Port du Havre la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

Le Greffier, Le Président,

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site