Cass. 1re civ., 9 décembre 2015, n° 14-25.883
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Batut
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, suivant acte du 5 février 1996, reçu par la SCP notariale X...- X... (le notaire), la société Le Crédit lyonnais (la banque) a consenti à la SCI Santa Lucia un prêt immobilier d'une durée de douze ans, dont la dernière échéance était fixée au 5 mars « 2003 » et dont le remboursement était garanti par un cautionnement et par un privilège de prêteur de deniers inscrit avec effet jusqu'à l'expiration d'un délai de deux ans à compter de l'échéance finale du prêt ; que la SCI a cessé de payer les échéances et vendu son bien en mai 2006 ; que, reprochant au notaire de lui avoir fait perdre son privilège pour avoir mentionné, dans l'acte de prêt, une date erronée pour la dernière échéance, la banque l'a assigné en responsabilité ; que le notaire a sollicité, subsidiairement, la garantie de la SCI Santa Lucia comme étant subrogé dans les droits de la banque, en application de l'article 1251, 3° du code civil ;
Sur le premier moyen :
Attendu que le notaire fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la banque la somme de 27 805, 42 euros, avec intérêts au taux légal, à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice par elle subi, alors, selon le moyen :
1°/ que seul est réparable le préjudice direct, actuel et certain ; qu'en condamnant le notaire à payer à la banque la somme de 27 805, 42 euros en réparation du préjudice qu'elle aurait subi en raison de l'inefficacité du privilège de prêteur de deniers imputée au notaire, en relevant que « l'absence d'action dirigée à l'encontre de la caution était sans incidence sur le caractère direct et certain du préjudice subi » par cet établissement de crédit en raison de la faute du notaire, quand l'existence d'un préjudice certain ne pouvait être établie s'il n'était pas démontré que cette banque était dans l'impossibilité de recouvrer sa créance auprès de la caution, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;
2°/ que seul est réparable le préjudice direct, actuel et certain ; qu'en condamnant le notaire à payer à la banque la somme de 27 805, 42 euros en réparation du préjudice qu'elle aurait subi en raison de l'inefficacité du privilège de prêteur de deniers imputée au notaire, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si cette banque ne pouvait recouvrer sa créance auprès de la SCI Santa Lucia, société débitrice, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;
3°/ que le notaire peut opposer à son client ses compétences personnelles pour démontrer qu'il a commis une faute ayant contribué à la réalisation de son préjudice et partant, pour s'exonérer partiellement de sa responsabilité ; qu'en affirmant que le notaire ne pouvait valablement opposer à la banque sa qualité de professionnel aux motifs qu'elle était tiers au contrat, quand la société notariale pouvait opposer à la banque sa qualité de professionnel pour démontrer qu'elle avait connaissance du terme de la garantie convenue et l'avait accepté sans protestation ni réserve et partant, qu'elle avait contribué à la réalisation de son dommage, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;
4°/ que le notaire peut opposer à son client ses compétences personnelles pour démontrer qu'il a commis une faute ayant contribué à la réalisation de son préjudice et partant, pour s'exonérer partiellement de sa responsabilité ; qu'en s'abstenant de rechercher, comme elle y était invitée, si du fait de sa qualité de professionnel, la banque avait connaissance du terme de la garantie convenue et l'avait accepté sans protestation ni réserve, et partant avait contribué à la réalisation de son préjudice, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;
Mais attendu, d'abord, que l'existence de voies de droit permettant à la victime de recouvrer ce qui lui est dû n'est pas de nature à priver de son caractère actuel et certain le préjudice né de la faute, non contestée, du notaire, lorsque ces voies de droit ne sont que la conséquence de la situation dommageable créée par celui-ci ; qu'ayant relevé qu'en mentionnant par erreur, dans son acte, la date du 5 mars 2003 comme dernière échéance du prêt, au lieu de celle du 5 mars 2008, le notaire avait empêché la banque d'obtenir le paiement immédiat de sa créance lors de la vente du bien appartenant à la SCI Santa Lucia, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu le caractère direct et certain du préjudice subi par la banque en raison de cette faute ;
Attendu, ensuite, que le notaire, tenu de prendre toutes dispositions utiles pour assurer la validité et l'efficacité des actes auxquels il prête son concours ou qu'il a reçu mandat d'accomplir, doit, sauf s'il en est dispensé expressément par les parties, veiller à l'accomplissement des formalités nécessaires à la mise en place des sûretés qui en garantissent l'exécution, dont, quelles que soient ses compétences personnelles, le client concerné se trouve alors déchargé ; que c'est donc à bon droit que la cour d'appel a retenu que la qualité de professionnel averti de la banque ne pouvait valablement lui être opposée ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen :
Vu l'article 1251-3° du code civil ;
Attendu que, pour rejeter la demande du notaire tendant à être subrogé dans les droits de la banque contre la SCI Santa Lucia, l'arrêt retient, par motifs propres, que cette demande ne peut utilement prospérer au moyen d'un appel en garantie et, par motifs adoptés, que la condamnation du notaire, sur le fondement de sa responsabilité délictuelle, est sans lien avec la dette de la société Santa Lucia ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le notaire qui, par sa faute, a fait perdre à un créancier le bénéfice d'une sûreté et se trouve ainsi dans l'obligation de payer, fût-ce partiellement, le montant de la créance, est légalement subrogé dans les droits et actions de ce créancier contre celui dont il a éteint la dette à hauteur de l'indemnité dont il s'est acquitté, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de la la SCP X...- X... à l'encontre de la SCI Santa Lucia, l'arrêt rendu le 16 avril 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Condamne la SCP X...- X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la SCP X...- X... ; la condamne à payer la somme de 3 000 euros à la société Le Crédit lyonnais ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf décembre deux mille quinze.