Cass. 1re civ., 16 mai 2012, n° 11-15.269
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Charruault
Sur les trois moyens réunis :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 14 mars 2011) que M. X... notaire associé de la SCP X... B... C... D... E... E... F..., a reçu le 25 février 2000 un acte par lequel la Banque de l'économie, du commerce et de la monétique (BECM) a consenti à M. Thierry Y... une ouverture de crédit ; que celle-ci était garantie par, outre une inscription hypothécaire, le nantissement de trois contrats d'assurance vie résultant d'actes sous seing privé signés en l'étude notariale, le 11 février 2000, hors la présence du notaire ; que le prêt étant arrivé à échéance sans avoir été remboursé, la BECM a appréhendé les fonds correspondant à sa créance ; que par acte du 16 mars 2007, David Y... étant décédé le 6 septembre 2006, sa fille Mme Monique Z..., et ses trois petits enfants, Didier, Catherine et Jean-Marc Z... (les consorts Z...) ont assigné la société notariale en paiement de sommes en lui reprochant d'avoir manqué à son obligation de conseil à l'égard de David Y... ;
Attendu que les consorts Z... font grief à l'arrêt de les débouter de leurs demandes alors, selon le moyen :
1°/ que le notaire qui met son office à la disposition des parties pour y signer un acte, serait-ce en son absence, est tenu à leur égard, d'un devoir d'information et de conseil ; qu'en retenant, pour décider que M. X... n'était pas tenu d'un devoir d'information et de conseil à l'égard de David Y..., que ce dernier n'était pas son client, dès lors qu'il avait signé les actes de nantissement en l'étude de M. X... mais hors de sa présence, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;
2°/ que le notaire est tenu d'un devoir de conseil à l'égard de toutes les parties à l'acte dressé par ses soins ; qu'il s'ensuit que son devoir de conseil s'étend à toutes les parties à un acte annexé à l'acte authentique dont il fait partie intégrante et dont il constitue l'accessoire ; qu'en retenant que M. X... n'était pas tenu d'un devoir de conseil à l'égard de David Y... qui n'était pas partie à l'acte authentique de prêt du 25 février 2000, bien qu'il en ait garanti le remboursement par un acte de nantissement qui a été annexé à l'acte authentique de prêt dont il était l'accessoire et qui a été établi en l'étude du notaire, quinze jours plus tôt, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations d'où il résultait que le prêt et le nantissement formaient un tout à l'égard du notaire qui était tenu d'un conseil à l'égard de toutes les parties sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que leur engagement ait été constaté dans un acte authentique ou dans un acte annexe établi en son étude, mais hors de sa présence, quinze jours plus tôt par anticipation ; qu'ainsi, elle a violé l'article 1382 du code civil ;
3°/ que les notaires doivent s'abstenir de prêter leur ministère pour conférer le caractère authentique à une convention dont ils savent qu'elle méconnait les droits d'un tiers ; qu'il résulte des constatations auxquelles les juges du fond ont procédé, d'une part, que David Y... supportait seul les risques financiers de l'acquisition du terrain par son petit-fils, dès lors que la banque a disposé de garanties de remboursement suffisantes, et, d'autre part, que M. Thierry Y... a, par l'intermédiaire d'une société dans laquelle il détenait une participation majoritaire, acquis sur troisième folle enchère, un bien saisi au préjudice d'une société dont il était aussi le principal associé, et qu'il ait pu ensuite en être déclaré personnellement adjudicataire ; qu'en décidant cependant, en dépit d'une atteinte manifeste aux droits des tiers, qu'il n'était pas établi que le notaire ait imprudemment facilité un engagement anormal en mettant son étude à la disposition des parties, quand le respect des droits des tiers lui interdisait de prêter son concours à la réalisation d'une opération dont les risques n'étaient supportés que par David Y... qui n'a pas bénéficié de ses conseils, à la différence du prêteur et de l'emprunteur ; qu'ainsi, elle a subsidiairement violé l'article 1382 du code civil ;
4°/ qu'en qualité d'officier public, le notaire est responsable mêmes envers les tiers de toute faute préjudiciable commise par lui dans l'exercice de ses fonctions ; que s'il n'est pas tenu d'une obligation de conseil et de mise en garde concernant l'opportunité économique d'une opération en l'absence d'éléments d'appréciation qu'il n'a pas à rechercher, le notaire est, en revanche, tenu d'une telle obligation pour que les droits et obligations réciproques légalement contractés par les parties répondent aux finalités révélées de leur engagement, soient adaptés à leurs capacités ou facultés respectives et soient assortis des stipulations propres à leur conférer leur efficacité, quand bien même leur engagement procéderait d'un accord antérieur, dès lors qu'au moment de l'authentification cet accord n'a pas produit tous ses effets ou ne revêt pas un caractère immuable ; que les consorts Z... ont soutenu que M. X... ne s'était pas renseigné sur la possibilité de construire un lotissement sur le terrain que M. Thierry Y... avait acquis au moyen d'un prêt garanti par son grand-père et qu'il ne s'était pas assuré de l'obtention de l'autorisation de lotissement ni de la délivrance du permis de construire ; qu'en affirmant qu'il n'était pas établi que le lotissement était voué à l'échec, ni a fortiori que le notaire pouvait en avoir conscience, au lieu de rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si le notaire avait satisfait à son obligation de vérifier les règles d'urbanisme applicables au terrain dont dépendait la réalisation du projet de lotissement pour le financement duquel le prêt avait été souscrit sous la garantie de David Y..., afin de s'assurer de l'efficacité de l'acte et de préserver les droits des tiers dont David Y... sans que le notaire puisse se retrancher derrière son ignorance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;
5°/ que le notaire n'est pas dispensé de son devoir de conseil par les compétences professionnelles ou les connaissances de ses clients ; qu'en affirmant que M. Thierry Y... était lui-même un professionnel de l'immobilier qui avait déjà réalisé plusieurs opérations de promotion, la cour d'appel a déduit un motif inopérant ; qu'ainsi, elle a violé l'article 1382 du code civil ;
6°/ que la clarté des stipulations d'un acte ne dispense pas le notaire de son devoir de conseil et de mise en garde pour que les droits et obligations réciproques légalement contractés par les parties répondent aux finalités révélées de leur engagement, soient adaptés à leurs capacités ou facultés respectives et soient assortis des stipulations propres à leur conférer leur efficacité, quand bien même leur engagement procéderait d'un accord antérieur, dès lors qu'au moment de l'authentification cet accord n'a pas produit tous ses effets ou ne revêt pas un caractère immuable ; qu'en retenant, pour dégager le notaire de toute responsabilité, que David Y... a pu se convaincre par lui-même des conséquences de ses engagements par la lecture de l'acte de nantissement qui était rédigé en termes clairs et précis, sans rechercher si le notaire avait effectivement rempli son devoir de conseil en mettant en garde ses clients contre les risques qu'il courrait, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;
7°/ que les compétences du client ne déchargent pas le notaire de son devoir de conseil ; qu'en relevant, pour dégager le notaire de toute responsabilité, que David Y... était propriétaire d'un patrimoine important qui le mettait à même d'apprécier la portée de son engagement et les risques financiers d'une opération spéculative, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;
8°/ que si le notaire est dispensé d'informer son client de données de fait qui lui sont déjà connues, il est tenu d'un devoir de conseil et de mise en garde pour que les droits et obligations réciproques légalement contractés par les parties répondent aux finalités révélées de leur engagement, soient adaptés à leurs capacités ou facultés respectives et soient assortis des stipulations propres à leur conférer leur efficacité, quand bien même leur engagement procéderait d'un accord antérieur, dès lors qu'au moment de l'authentification cet accord n'a pas produit tous ses effets ou ne revêt pas un caractère immuable ; qu'en retenant que David Y... était à même d'apprécier la portée de son engagement et les risques d'une opération spéculative, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;
9°/ que le notaire est tenu d'éclairer les parties et d'appeler leur attention sur la portée, les effets et les risques des actes auxquels il prête son concours, quand bien même leur engagement ne serait pas d'un montant disproportionné par rapport à leur patrimoine ; qu'en retenant, pour dégager le notaire de toute responsabilité, que le nantissement souscrit par David Y... n'était pas disproportionné par rapport à son patrimoine, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;
10°/ les consorts Z... ont rappelé que David Y... avait légué le tiers de ses biens aux trois enfants de sa fille Monique par un testament du 10 novembre 2005 pour rétablir l'égalité rompue par le comportement de M. Thierry Y... qui n'a pas remboursé ses dettes envers son grand-père, en dépit des condamnations prononcées à son encontre du vivant de ce dernier ; qu'en relevant que David Y... a souhaité aider ses petits-enfants, en consentant plusieurs prêts à M. Thierry Y..., avant de léguer le tiers de ses biens aux trois enfants de sa fille, Monique, sans s'expliquer sur les circonstances de l'établissement du testament qui étaient exclusives de toute volonté de la part de David Y... de partager son patrimoine entre ses petits-enfants lors de la signature des trois actes de nantissement de prêt, cinq ans plus tôt, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
11°/ que la garantie bénévole de la dette d'autrui ne constitue pas une libéralité dès lors que le garant conserve son recours contre le débiteur ; qu'en relevant que David Y... a souhaité aider ses petits-enfants, en consentant plusieurs prêts à M. Thierry Y..., avant de léguer le tiers de ses biens aux trois enfants de sa fille, cinq ans plus tard, quand les poursuites exercées par David Y... contre M. Thierry Y... ainsi que l'obtention d'un titre exécutoire était exclusif de toute intention libérale et de toute intention de partager son patrimoine au jour de l'intervention du notaire, la cour d'appel a violé les articles 894 et 1105 du code civil ;
12°/ qu'en retenant que David Y... n'avait pas contesté la validité des nantissements au lieu de rechercher si l'exercice de cette voie de droit aurait été utile et lui aurait permis d'obtenir l'annulation des nantissements, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;
Mais attendu, d'une part, que le moyen, dans ses cinquième et septième griefs, manque en fait et s'attaque dans ses dixième, onzième et douzième griefs à des motifs surabondants ;
Attendu, d'autre part, qu'en retenant à bon droit que l'annexion des actes de nantissement rédigés par la banque, signés en l'étude mais hors la présence du notaire, à l'acte de prêt hypothécaire n'avait pas eu pour effet de conférer à David Y... la qualité de client de la société notariale et en en déduisant exactement que celle-ci n'était pas débitrice d'une obligation d'information et de conseil à son égard, la cour d'appel qui a par ailleurs constaté que le caractère anormal de l'opération n'était pas démontré, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;
Et attendu que le pourvoi est abusif ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les consorts Z... aux dépens ;
Condamne Mme Monique Y... épouse Z... M. Didier Z..., Mme Catherine Z... A... et M. Jean-Marc Z..., chacun à une amende civile de 500 euros envers le Trésor public ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande des consorts Z..., les condamne à payer à la société Banque de l'économie du commerce et de la monétique la somme de 3 000 euros ainsi qu'une même somme à la SCP C... D... E...E... F...G... ;