Cass. com., 12 janvier 2010, n° 08-20.898
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Favre
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la Société générale (la banque) a consenti en 1993 un prêt de 1 400 000 francs (213 428, 62 euros)
au taux de 8 %, remboursable en sept ans, à la société Cara (la société) pour l'acquisition d'un fonds de commerce ; que se sont rendus cautions du prêt, par actes séparés, d'une part, à concurrence de 1 400 000 francs (60 979, 61 euros), Mme Denise X..., épouse Y..., gérante de la société, ainsi que M. Z... et Mme B..., veuve X..., aux droits de laquelle viennent ses héritiers Mme Denise X..., M. Dominique X..., M. Jean-Pierre X... et Mme Anne-Françoise X..., épouse A..., d'autre part, à concurrence de 700 000 francs (106 714, 31 euros), M. Dominique X... et Mme Anne-Françoise X..., épouse A... ; que des échéances étant restées impayées, la banque s'est prévalue de la déchéance du terme et après mise en demeure a assigné en paiement, respectivement, la société et sa gérante devant le tribunal de commerce, les autres cautions devant le tribunal de grande instance ;
Sur le moyen unique, pris en ses quatrième et cinquième branches :
Attendu que M. Z..., Mme Denise X..., M. Dominique X..., M. Jean-Pierre X... et Mme Anne-Françoise X..., épouse A..., font grief à l'arrêt d'avoir condamné conjointement et solidairement M. Z... et Mme B..., veuve X..., à payer à la banque la somme de 188 054, 20 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 9 juillet 1997 et jusqu'à complet paiement, d'avoir condamné conjointement et solidairement M. Dominique X... et Mme Anne-Françoise X..., épouse A..., à payer à la banque la somme de 131 677, 61 euros outre intérêts au taux légal à compter du 9 juillet 1997 et d'avoir ainsi débouté les consorts Z... et X... de leur demande tendant à ce que la responsabilité de la banque soit engagée à leur égard et qu'elle soit condamnée au paiement de dommages intérêts à due concurrence des sommes réclamées, alors, selon le moyen :
1° / qu'en affirmant qu'il n'existait pas de risque inexorable d'échec de l'opération, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si la banque, qui avait consenti un prêt au précédent propriétaire du fonds de commerce et dont l'établissement était voisin de l'emplacement de ce fonds, savait que ce dernier avait donné lieu à cinq liquidations judiciaires depuis sa création en 1980 de sorte qu'il existait un risque d'endettement à propos duquel les cautions non averties devaient être mises en garde, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;
2° / qu'en se contentant d'affirmer que M. Z... ne démontrait pas que la banque aurait eu sur ses facultés de remboursement raisonnablement prévisibles, en l'état du succès escompté de l'acquisition du fonds de commerce par la société Cara, des informations que lui-même aurait ignorées, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si la banque, qui avait consenti un prêt au précédent propriétaire du fonds de commerce et dont l'établissement était voisin de l'emplacement de ce fonds, savait que ce dernier avait donné lieu à cinq liquidations judiciaires depuis sa création en 1980 de sorte qu'il existait un risque d'endettement à propos duquel les cautions non averties devaient être mises en garde, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;
Mais attendu qu'ayant retenu que l'affaire avait fonctionné normalement jusqu'à la date de cessation des paiements en 2001, soit pendant près de huit ans, et que M. Z..., emprunteur averti, ne démontrait pas que la banque aurait détenu des informations que lui-même ignorait, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'entrer dans le détail de l'argumentation des parties, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche :
Vu l'article 1147 du code civil ;
Attendu que pour condamner conjointement et solidairement M. Dominique X... et Mme Anne-Françoise X..., épouse A..., à payer à la banque une certaine somme, l'arrêt retient que si la banque était tenue envers eux d'une obligation de mise en garde, cette obligation implique seulement d'attirer l'attention du cocontractant sur un aspect négatif de son engagement et qu'en l'espèce, le professionnalisme affiché de la gérante dans plusieurs de ses correspondances avec la banque ainsi que dans le cadre de sa demande de prêt n'était pas de nature à inquiéter la banque sur des risques futurs et certains de déconfiture de l'affaire ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, conformément au devoir de mise en garde auquel elle était tenue à l'égard de M. Dominique X... et de Mme Anne-Françoise X..., épouse A..., lors de la conclusion du contrat, la banque justifiait avoir satisfait à cette obligation à raison des capacités financières de chacun d'eux et des risques de l'endettement né de l'octroi du prêt, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Et sur le moyen, pris en sa troisième branche :
Vu l'article 1147 du code civil ;
Attendu que pour condamner Mme B..., veuve X..., conjointement et solidairement avec M. Z..., à payer à la banque une certaine somme, l'arrêt retient qu'aucun élément ne permet de constater que l'acquisition par la société du fonds de commerce était une opération inexorablement vouée à l'échec, ni que le projet d'exploitation de cette société ne devait pas aboutir ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si Mme B..., veuve X..., avait la qualité de caution non avertie et, dans l'affirmative, si, conformément au devoir de mise en garde auquel la banque était tenue à son égard lors de la conclusion du contrat, celle-ci justifiait avoir satisfait à cette obligation à raison des capacités financières de la caution et des risques de l'endettement né de l'octroi du prêt, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a condamné M. Z... à payer à la Société générale la somme de 188 054, 20 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 9 juillet 1997, ordonné la capitalisation des intérêts et condamné M. Z... au paiement de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens, l'arrêt rendu le 19 juin 2008, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;
Condamne la Société générale aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du douze janvier deux mille dix.