Cass. com., 30 novembre 2010, n° 10-30.274
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Favre
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la Caisse d'épargne et de prévoyance de Picardie (la banque) a consenti à la société Le Corail en formation deux prêts d'un montant global de 260 000 euros destinés à l'acquisition d'un fonds de commerce de discothèque ; que MM. X... et Y..., co-gérants, se sont rendus cautions le 9 janvier 2003 pour chacun des deux prêts à concurrence de la somme globale de 260 000 euros outre intérêts ; que la société Le Corail a été mise en procédure puis liquidation judiciaires les 31 mars 2004 et 6 juillet 2005 ; que MM. X... et Y..., assignés en paiement par la banque, ont formé une demande reconventionnelle pour absence de mise en garde de la banque à leur égard ;
Sur le moyen unique pris en ses deux premières branches :
Attendu que MM. X... et Y... font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leur demande reconventionnelle tendant à condamner la banque pour manquement à ses devoirs de conseil et de mise en garde et octroi de crédit abusif à la société Le Corail, et de les avoir condamnés à lui verser, au titre du premier prêt, la somme de 126 503,45 euros outre intérêts et celle de 126 556,90 euros, outre intérêts, au titre du second prêt, alors, selon le moyen :
1°/ que la banque qui consent un prêt est tenue à l'égard d'une caution non avertie, qu'elle soit professionnelle ou non, d'un devoir de mise en garde en considération de ses capacités financières, et des risques de l'endettement né de l'octroi du prêt ; qu'en considérant comme caution avertie M. X..., lequel était un simple salarié démissionnaire, sans patrimoine, ayant précédemment exercé les fonctions de barman dans une brasserie avant de se lancer pour la première fois dans l'acquisition d'un fonds de commerce effectuée par le biais d'une SARL constituée pour les besoins de l'opération, motifs pris de sa qualité déclarée de professionnel en bar restauration, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article 1147 du code civil, ensemble celles de l'article L. 313-12 du code monétaire et financier ;
2°/ que la banque qui consent un prêt est tenu à l'égard d'une caution non avertie d'un devoir de mise en garde en considération de ses capacités financières et des risques de l'endettement né de ses engagements, devoir dont la banque ne peut être dispensée par la présence aux côtés de l'emprunteur d'une personne présentée comme avertie ; qu'il ressortait des propres constatations de la cour d'appel que la seule profession d'agent de sécurité dans une discothèque ne pouvait être considérée comme ayant précédemment conféré à M. Y... une compétence particulière en matière de gestion, qu'en le déboutant cependant de sa demande en indemnisation tirée du manquement de la banque à son obligation de mise en garde aux motifs que, compte tenu de l'intervention de l'expert comptable (...), la banque n'a pas manqué son obligation d'information et mise en garde concernant les risques de l'opération principale, la cour d'appel a violé les dispositions des articles 1147 du code civil et L. 313-12 du code monétaire et financier ;
Mais attendu que la banque qui consent à un emprunteur un crédit adapté à ses capacités financières et au risque de l'endettement né de l'octroi du prêt à la date de la conclusion du contrat, n'est pas, en l'absence de risque, tenue à une obligation de mise en garde ; que l'arrêt, par motifs propres, relève les potentialités de développement de la création de cette société et, par motifs adoptés, relève de façon précise et chiffrée que les perspectives de développement de l'entreprise reprise, notamment par l'adjonction d'activités nouvelles de prestations de bar restauration et des jours d'exploitation supplémentaires devaient produire des ressources nouvelles, étaient de nature à permettre de penser que le revenu de l'entreprise allait s'accroître de manière substantielle à la mesure de l'investissement réalisé et des résultats du fonds repris ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations faisant ressortir que les prêts accordés n'étaient nullement disproportionnés à la lecture du bilan prévisionnel de la société, elle-même tout à fait conforme à l'activité du prédécesseur, la cour d'appel a pu décider que la banque ne pouvait pas voir sa responsabilité engagée sur le fondement d'un manquement à la mise en garde au regard des risques du crédit consenti ; que le moyen, inopérant, ne peut être accueilli ;
Mais sur le moyen pris en sa troisième branche :
Vu l'article 1147 du code civil et L. 313-12 du code monétaire et financier ;
Attendu que pour rejeter la demande en indemnisation de M. Y..., tirée de la disproportion entre ses facultés de remboursement et son engagement de caution, la cour d'appel, après avoir constaté que la seule profession d'agent de sécurité, dans une discothèque, même exercée pendant 18 ans, ne saurait être considérée comme pouvant conférer à celui qui en a la charge une compétence particulière en matière de gestion et d'appréciation des risques financiers et qu'il n'est pas démontré que M. Y..., bien que co-gérant, ait eu antérieurement une expérience de dirigeant d'entreprise, et d'autre part que M. Y... ne disposait pas objectivement d'une surface financière suffisante pour faire face aux engagements qu'il prenait en se portant caution de sommes trop importantes au regard de ses moyens financiers, retient que M. Y... ne pouvait ignorer que son patrimoine et ses revenus étaient hors de proportion avec l'engagement de caution souscrit ;
Attendu qu'en se déterminant par de tels motifs, impropres à dispenser la banque de son obligation de mise en garde de la caution au regard de ses capacités financières et des risques de l'endettement né de l'octroi du prêt, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il a condamné M. Y..., au titre du prêt n° 6211897 au paiement de la somme de 126 503,45 euros outre les intérêts au taux contractuel majoré de trois points de 8,10 % l'an à compter du 29 août 2005 date du dernier décompte, et jusqu'au parfait règlement et, au titre du prêt n° 6211898, la somme de 126 556,90 euros outre les intérêts au taux contractuel majoré de trois points, de 7,80% l'an du 29 août 2005, date du dernier décompte, et jusqu'au complet paiement, l'arrêt rendu le 17 novembre 2009 par la cour d'appel d'Amiens entre les parties ; remet, en conséquence, sur ces points la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;
Fais masse des dépens et condamne la Caisse d'épargne et de prévoyance de Picardie et M. X... chacun à leur paiement pour moitié ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la Caisse d'épargne et de prévoyance de Picardie en tant que dirigée contre M. Y... et la condamne à lui verser la somme de 2 500 euros et rejette la demande de M. X... et le condamne à verser à la Caisse d'épargne et de prévoyance de Picardie la somme de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du trente novembre deux mille dix.