Cass. com., 7 février 2018, n° 16-18.701
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mouillard
Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :
Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme Z... s'est rendue caution le 14 octobre 2009 d'un prêt consenti par l'association coopérative Caisse de crédit mutuel Lutterbach (la banque) à la société D... Z... ; que celle-ci ayant été mise en liquidation judiciaire, la banque a assigné Mme Z... en paiement ; que cette dernière, invoquant un manquement de la banque à son devoir de mise en garde, a formé une demande reconventionnelle d'indemnisation ;
Attendu que pour condamner la banque à payer à Mme Z... la somme de 75 000 euros à titre de dommages-intérêts et ordonner la compensation des créances, l'arrêt, après avoir retenu que Mme Z... n'était pas avertie à la date de son engagement de caution et que cet engagement était adapté à ses capacités financières, retient cependant qu'en présence d'une toute jeune société, dirigée par une personne nommée gérante subitement, et sans préparation, à la suite du décès de son mari, la banque était débitrice envers la caution d'une obligation de mise en garde qu'elle n'a pas remplie ;
Qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir l'existence d'un risque de l'endettement né de l'octroi du prêt garanti, lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur, imposant à la banque de mettre en garde la caution, non avertie, contre un tel risque en dépit du caractère adapté de son engagement à ses capacités financières, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il condamne l'association coopérative Caisse de crédit mutuel Lutterbach à payer à Mme Z... la somme de 75 000 euros à titre de dommages-intérêts et ordonne la compensation des créances, l'arrêt rendu le 30 mars 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;
Condamne Mme Z... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à l'association coopérative Caisse de crédit mutuel Lutterbach la somme de 1 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du sept février deux mille dix-huit.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par Me Le Prado , avocat aux Conseils, pour la Caisse de crédit mutuel Lutterbach
Il est fait grief à l'arrêt attaqué :
D'AVOIR condamné la Caisse de Crédit Mutuel Luttenbach à payer à Mme Z... la somme de 75 000 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 27 mai 2014 et D'AVOIR ordonné la compensation de cette somme avec la créance de la Caisse correspondant à la condamnation prononcée contre Mme Z... au titre de ses engagements.
AUX MOTIFS PROPRES QUE « le banquier engage sa responsabilité à l'égard de la caution, en cas de manquement à son obligation de mise en garde dans le cadre des concours consentis, mais le devoir de mise en garde n'existe pas à l'égard d'une caution avertie; que, sur le cautionnement du 14 octobre 2009 : qu'il résulte de la procédure que la Sarl ECHAFAUDAGES Z... a été créée par Monsieur Z... en février 2009, et qu'il décédait brutalement [...] ; que Madame Z... qui occupait un poste de directrice de magasin à temps plein n'avait aucune activité au sein de cette société et ne détenait aucune part, lorsqu'elle s'est brutalement, et sans aucune préparation, trouvée à la tête d'une entreprise qui n'avait que 3 mois d'existence; qu'en octobre 2009 soit 5 mois après la prise de fonction de Madame Z..., la société empruntait 90.000 € qu'elle cautionnait à hauteur de
108.000 € durant 5 ans ; que Madame Z... quoique nommée gérante n'a pas quitté son emploi salarié à temps plein; que certes les fonctions de directrice de magasin constituent un atout pour Madame Z..., mais qu'elles n'en font pas pour autant une caution avertie dès lors qu'il résulte de la description de son poste qu'elle ne prenait aucune décision de gestion financière, qu'elle ne faisait qu'animer une équipe, et appliquer la politique définie par le groupe; que d'ailleurs le responsable régional du groupe Orange atteste le 9 mars 2015 que Madame Z... avait, en sa qualité de responsable de magasin, en charge le bon fonctionnement de son point de vente c'est-à-dire l'application rigoureuse de la politique commerciale, des directives de la société, et du respect strict du concept, précisant que les responsables de magasins sont une "courroie de transmission", "sans pour cela connaître, maîtriser, ni même approcher la fonction de chef d'entreprise" ; que la seule nomination aux fonctions de gérante, dans les conditions ci-dessus décrites, ne permet pas de considérer que Madame Z... était au 14 octobre 2009 une caution avertie; qu'en présence d'une toute jeune société, dirigée par une personne nommée subitement, et sans préparation suite au décès brutal de son mari, la caisse était débitrice envers la caution d'une obligation de mise en garde qu'elle n'a visiblement pas remplie; que les capacités financières de la caution, même si elles sont proportionnées à son engagement, ne sont pas de nature à exonérer la banque de son obligation de mise en garde; que sur les cautionnements des 17 février 2010 et 28 février 2011: qu'au 17 février 2010 date du second acte de cautionnement, Madame Z... occupait désormais les fonctions de gérante depuis 9 mois, et l'entreprise fonctionnait depuis un an ; que certes elle n'a toujours pas quitté son emploi, mais était associée depuis mai 2009 à la gestion de la Sarl ECHAFAUDAGES Z..., même si elle déléguait le quotidien ; qu'elle s'était alors engagée personnellement comme caution à hauteur de 108.000 € en octobre 2009, afin de garantir un prêt pour l'achat de matériel; qu'elle ne peut dans ces conditions soutenir qu'elle n'était pas une caution avertie en octobre 2009 lorsqu'elle garantissait à hauteur de 42.000 € le déblocage d'une somme de 35.000 € consentie par la CAISSE de CREDIT MUTUEL LUTTERBACH à la Sarl ECHAFAUDAGES Z... ; qu'elle le peut encore moins lorsqu'elle va, toujours en sa qualité de gérante, un an plus tard prendre le même engagement pour que la société obtienne une autorisation de découvert plus important; que par conséquent Madame Z..., caution avertie lors de ces deux actes de cautionnement, ne peut imputer à la CAISSE de CREDIT MUTUEL LUTTERBACH un manquement à son obligation de mise en garde à l'occasion des contrats des 17 février 2010 et 28 février 2011 ; que c'est par conséquent à juste titre que le premier juge a estimé que la CAISSE de CREDIT MUTUEL LUTTERBACH était débitrice d'une obligation de mise en garde qu'elle n'a pas remplie, quand bien même le juge n'a pas procédé à une analyse de chaque contrat; que sur les dommages et intérêts: le premier juge a alloué à Madame Y... X... épouse Z... une somme de 75.000 € de dommages et intérêts au titre de la perte d'une chance de ne pas s'engager comme caution; que la CAISSE de CREDIT MUTUEL LUTTERBACH dans le cadre de son appel principal demande à la cour de rejeter cette demande expliquant que Madame Z... qui en tout état de cause souhaitait poursuivre l'oeuvre de son mari décédé, n'aurait pas renoncé à son projet de sorte qu'elle ne peut invoquer la perte d'une chance, et subsidiairement la caisse affirme que seul le cautionnement de 2009 pour une somme de 68.223,96 € pourrait être retenu; que Madame Z... dans le cadre de son appel incident, estimant n'avoir jamais été une caution avertie demande à la cour de porter la somme allouée à 140.000 € correspondant à l'ensemble des engagements souscrits; que si Madame Z... souhaitait poursuivre l'oeuvre de son mari, il est constant que l'absence par la caisse du respect de son obligation de mise en garde en octobre 2009 ne lui a pas permis de prendre du recul, d'analyser objectivement la situation, et de détenir les informations lui faisant mesurer les risques encourus ; qu'en s'engageant dans de telles conditions, Madame Z... a en effet perdu une chance de ne pas consentir son cautionnement, perte de chance qui doit être indemnisée; que le montant de 75.000 € alloué par le premier doit être confirmé puisqu'il indemnise le préjudice matériel subi par Madame Z... condamnée à payer la somme principal de 68.223,96 €, au titre du cautionnement litigieux, mais également les intérêts conventionnels depuis le 17 décembre 2011 ; qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le jugement déféré doit être confirmé en toutes ses dispositions »
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENTS ADOPTES QU'« en l'espèce, les engagements souscrits par la défenderesse se chiffrent à des montants de 84.000 euros et 108.000 euros ; que selon les renseignements fournis aux dates de ces engagements, Mme X... Z... était veuve avec un enfant à charge ; qu'elle disposait de revenus mensuels de 2.500 euros avec des remboursements mensuels chiffrés à 700 euros ; qu'elle déclarait des biens immobiliers estimés à 300.000 euros s'agissant d'une maison d'habitation et 210.000 euros s'agissant d'un appartement, outre une épargne de 5.000 euros ; qu'elle soutient que la valeur de son patrimoine immobilier s'était réduite à un montant total de 150.000 euros au regard de la valeur de la maison et des travaux à effectuer ainsi que du cadre fiscal d'acquisition de l'appartement ; que toutefois elle ne produit qu'un avis de valeur d'une agence immobilière sans aucun autre justificatif relatifs au coût des travaux nécessaires dans la maison ou au cadre fiscal d'acquisition de l'appartement ; qu'ainsi il appert que la valeur de son patrimoine immobilier excède 500.000 euros ; que les engagements souscrits à hauteur cumulée de 192.000 euros et sollicités pour une créance totale de 145.234,85 euros ne se révèlent donc pas disproportionnés ; que la demande principale en paiement se révèle donc fondée dès lors qu'il est justifié des engagements souscrits, du contrat de prêt professionnel, du tableau d'amortissement, des décomptes de créance et de l'avis d'admission de ces créances dans la procédure en liquidation judiciaire de la Sarl ECHAFAUDAGES Z... ; que la défenderesse sera donc condamnée à verser les sommes de 77 019,89 euros avec intérêts au taux légal à compter du 3 août 2011 au titre du compte courant professionnel, et de 68.223,96 euros avec intérêts au taux de 4.60% l'an et cotisations d'assurance-vie au taux de 0,50% l'an à compter du 17 décembre 2011 au titre du prêt professionnel ; qu'en revanche, il ressort de la demande de crédit décrite par le chargé de clientèle à la suite d'entretiens avec la défenderesse et son comptable, que Mme Z..., gérante de la société depuis mai 2009 à la suite du décès brutal de son mari, n'avait bénéficié d'aucun accompagnement de son comptable pour l'aider dans un calcul de rentabilité, que le décès de son mari était survenu après 4 mois d'existence de la société, que son emploi de cadre ne lui a pas permis de suivre convenablement la société, qu'elle a fait confiance à l'ouvrier engagé qui est passé chef d'équipe ; qu'au regard de cette situation, connue de la banque, Mme Z... ne peut être considérée comme une caution avertie ; que la circonstance qu'elle avait un emploi de directrice de magasin dans une boutique PhotoService ne démontre pas qu'elle avait un niveau de qualification et d'expérience des affaires lui permettant d'évaluer elle-même les risques des opérations financées ; que la banque était donc tenue à son égard d'un devoir de mise en garde qu'elle n'a pas assuré ; que si Mme Z... apparaissait déterminée dans son projet de poursuivre l'oeuvre de son défunt mari, son préjudice consiste en une perte de chance de ne pas s'être portée caution après avoir pu être dûment informée des risques ; qu'au regard de ces éléments et du montant des engagements souscrits, son préjudice sera réparé par l'allocation d'une indemnité de 75.000 euros ; qu'il conviendra d'ordonner la compensation des créances ».
ALORS, D'UNE PART, QUE le banquier n'est débiteur d'aucun devoir de mise en garde envers la caution, même non avertie, lorsque l'engagement souscrit est adapté aux capacités financières de l'intéressée ; qu'en affirmant que les capacités financières de la caution, même si elles sont proportionnées à son engagement, ne sont pas de nature à exonérer la banque de son obligation de mise en garde pour reprocher à la Caisse de ne pas avoir rempli son obligation de mise en garde à l'égard de Mme Z... qu'elle a qualifiée de caution non avertie lors de la souscription de son engagement du 14 octobre 2009, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil.
ALORS, D'AUTRE PART, QU'il appartient à la caution, fût-elle non avertie, qui se prévaut d'un manquement de la banque à son devoir de mise en garde d'établir que son engagement n'était pas adapté à ses capacités financières à la date où il a été souscrit ou qu'il existait un risque d'endettement né de l'octroi du prêt ; que, pour reprocher à la Caisse un manquement à un prétendu devoir de mise en garde, l'arrêt retient que cette abstention en octobre 2009 n'a pas permis à Mme Z... de détenir les informations lui faisant mesurer les risques encourus ; qu'en statuant ainsi quand il incombait à la caution d'apporter la preuve que son engagement signé le 14 octobre 2009 n'était pas adapté à ses capacités financières ou qu'il existait un risque d'endettement né de l'octroi du prêt, la cour d'appel a violé l'article 1315 du code civil, ensemble l'article 1147 du code civil.
ALORS EN OUTRE QUE le banquier n'est tenu d'aucun devoir de mise en garde à l'égard d'une caution, fut-elle non avertie, lorsque l'engagement est adapté aux capacités financières déclarées de l'intéressée ; que l'arrêt retient par motifs adoptés des premiers juges que selon les renseignements fournis par la caution aux dates de ses engagements Mme Z... était veuve avec un enfant à charge, qu'elle disposait de revenus mensuels de 2 500 euros avec des remboursements mensuels chiffrés à 700 euros, d'une épargne de 5 000 euros ainsi que d'un patrimoine immobilier excédant les 500 000 euros, de sorte que les engagements souscrits ne se révèlent donc pas disproportionnés ; qu'il ressort de ces constatations que l'engagement du 11 octobre 2009 était adapté aux capacités financières de Mme Z... et qu'il n'existait aucun risque d'endettement, de sorte que la Caisse n'était débitrice d'aucun devoir de mise en garde ; qu'en énonçant le contraire, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1147 du code civil.
ALORS SUBSIDIAIREMENT QU' en cas de manquement par le banquier à son devoir de mise en garde, le seul préjudice en rapport avec la faute retenue et qui peut donner lieu à réparation réside dans la perte d'une chance qu'avait le client de prendre une décision différente de celle qu'il a arrêtée ; que pour condamner la Caisse à payer à Mme Z... une indemnité de 75 000 euros, l'arrêt énonce que cette somme indemnise le préjudice matériel subi par la caution, condamnée à payer la somme principale de 68 223,96 euros au titre du cautionnement mais également les intérêts conventionnels depuis le 17 novembre 2011 ; qu'en se prononçant de la sorte, la cour d'appel qui a réparé un préjudice distinct de la perte de chance qui seule pouvait être en rapport avec la faute retenue, a violé l'article 1147 du code civil.