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Décisions

Cass. com., 8 septembre 2021, n° 19-20.497

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mouillard

Rapporteur :

Graff-Daudret

Avocat général :

Guinamant

Cass. com. n° 19-20.497

7 septembre 2021

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 7 mai 2019), rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 8 mars 2017, pourvoi n° 15-23.532), par un acte du 3 juillet 2004, M. [P] s'est rendu caution solidaire envers la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Provence-Côte d'Azur (la banque), aux droits de laquelle vient la société MCS et associés, du remboursement d'un prêt consenti à Mme [P], destiné à financer l'acquisition d'un fonds de commerce. Cette dernière ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires, la banque a assigné en paiement la caution, qui lui a reproché d'avoir manqué à son devoir de mise en garde.

2. Ce manquement a été retenu par une cour d'appel, dont l'arrêt a été cassé seulement en ce qui concerne l'appréciation du préjudice subi par la caution.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. M. et Mme [P] font grief à l'arrêt de limiter la réparation du préjudice subi par M. [P] au titre du manquement de la banque à son devoir de mise en garde à la somme de 10 000 euros, alors :

« 1° / qu'il appartient à l'établissement de crédit d'alerter la caution des conséquences de son engagement, indépendamment de toutes considérations pécuniaires la concernant ; que la réparation d'une perte de chance doit être mesurée à l'opportunité perdue ; que s'agissant de l'obligation de mise en garde due par une banque à la caution d'un prêt souscrit dans le but d'acquérir un fonds de commerce, ne doivent être pris en compte que la viabilité probable de l'entreprise et les capacités propres de l'emprunteur de faire face aux échéances du prêt ; qu'en considérant que la perte de chance de M. [P] était faible dès lors qu'il disposait d'un "revenu confortable (?), outre un patrimoine immobilier net de 74 000 €" et que "au moment où il a consenti à cautionner, M. [P] bénéficiait d'une situation professionnelle tout à fait correcte" la cour d'appel a statué par des motifs inopérants, et manqué de base légale au regard de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

2°/ qu'il appartient à l'établissement de crédit d'alerter la caution des conséquences de son engagement, indépendamment de toutes considérations pécuniaires la concernant ; que la réparation d'une perte de chance doit être mesurée à l'opportunité perdue ; que s'agissant de l'obligation de mise en garde due par une banque à la caution d'un prêt souscrit dans le but d'acquérir un fonds de commerce, le juge a le devoir de prendre en compte les capacités propres de l'emprunteur de faire face aux échéances du prêt ; qu'en l'espèce il était fait valoir par les exposants que dès l'origine il apparaissait que Mme [P], emprunteur, ne pouvait pas se verser une rémunération suffisante pour rembourser l'emprunt personnellement souscrit ; qu'en écartant ce moyen aux motifs "que le point mort est calculé à environ 324 000 € en tenant compte des divers postes maintenus et du futur prêt sollicité ainsi que du prélèvement de l'exploitant estimé à 10 000 € par an, ce poste pouvant dans l'absolu être réduit si nécessaire puisque les revenus confortables de Monsieur permettent à eux seuls d'assurer le fonctionnement du foyer", refusant ainsi de prendre en compte les capacités financières propres de remboursement de Mme [P] la Cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

3°/ qu'il appartient à l'établissement de crédit d'alerter la caution des conséquences de son engagement, indépendamment de toutes considérations pécuniaires la concernant ; la réparation d'une perte de chance doit être mesurée à l'opportunité perdue ; que s'agissant de l'obligation de mise en garde due par une banque à la caution d'un prêt souscrit dans le but d'acquérir un fonds de commerce, ne doivent être pris en compte que la viabilité probable de l'entreprise et les capacités propres de l'emprunteur de faire face aux échéances du prêt, ce sur quoi devait porter la mise en garde de la banque ; qu'en considérant que la probabilité que M. [P] refuse de se porter caution était faible dès lors que "M. [P] avait une entière confiance dans les qualités de son épouse, et dans son goût pour la cuisine (à moins d'imaginer que l'on reprenne un restaurant sans avoir aucune connaissance culinaire)" et que "même largement après les premières difficultés, Mme [P] a souhaité poursuivre l'exploitation, certes rejetée par jugement du 9 octobre 2008 ; Attendu que cette tentative démontre à tout le moins sa conviction des potentialités de l'affaire, dont on imagine mal qu'elle n'était pas été partagée par son époux, y compris plusieurs mois après la cessation de paiement", la cour d'appel a statué par des motifs inopérants et manqué de base légale au regard de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

4. Le préjudice consécutif au manquement d'un établissement de crédit à son devoir de mise en garde à l'égard d'une caution consiste dans la perte de la chance d'éviter, en ne se rendant pas caution, le risque qu'on lui demande de payer la dette garantie. C'est donc à bon droit qu'après avoir énoncé que le préjudice dû à un manquement du banquier à son devoir de mise en garde s'analyse en la perte d'une chance de ne pas contracter et qu'il lui incombait donc d'apprécier la probabilité que M. [P] renonce à cautionner le prêt souscrit par son épouse si la banque avait satisfait à son devoir de mise en garde, la cour d'appel, après avoir soigneusement analysé les éléments alors connus de la banque, a estimé que les informations qui auraient pu être communiquées à M. [P] étaient encourageantes, car fondées sur une exploitation passée saine, des résultats comptables réels justifiant un prévisionnel sérieux et raisonnable, permettant à la fois le service du prêt et le dégagement d'une marge dès le départ viable, cependant que le dossier révélait un couple jouissant d'une situation matérielle confortable, avec la volonté pour l'épouse, ayant de bonnes bases de gestion et par ailleurs excellente cuisinière, d'embrasser une activité commerciale au sein d'un restaurant doté d'un fort potentiel d'activité, ce dont elle a déduit qu'il était peu probable que ce projet n'ait pas reçu l'assentiment de l'époux, concrétisé financièrement par l'acceptation de la caution, de sorte que la perte de chance pour M. [P] de ne pas contracter était minime.

5. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. et Mme [P] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. et Mme [P] ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du huit septembre deux mille vingt et un.

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