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Décisions

Cass. com., 9 mars 2022, n° 18-25.498

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mollard

Rapporteur :

Graff-Daudret

Cass. com. n° 18-25.498

8 mars 2022

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 août 2018), rendu sur renvoi après cassation (2e chambre civile, 25 septembre 2014, pourvoi n° 13-11.556), par un acte du 12 mars 1992, la société Union industrielle de crédit (la société UIC), devenue WHBL 7, a consenti à la société Pub opéra un prêt, garanti par le cautionnement de M. et Mme [U]. Par avenants des 30 novembre 1992 et 4 janvier 1994, la somme prêtée a été augmentée, les cautions modifiant leur engagement en conséquence. Par un acte du 31 janvier 2002, la société WHBL 7 a cédé sa créance à la société Chauray contrôle. La société Pub opéra s'étant montrée défaillante, la société Chauray contrôle a assigné les cautions en paiement.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

2. M. et Mme [U] font grief à l'arrêt de les débouter de leur demande tendant à voir condamner la société Chauray contrôle à leur payer, à titre de dommages-intérêts au titre de sa violation de la législation bancaire, une somme équivalente au montant de la condamnation qui serait prononcée à leur encontre, alors « que commet une faute de nature à engager sa responsabilité, la personne morale qui effectue, à titre habituel, des opérations de crédit sans avoir obtenu préalablement l'agrément nécessaire pour l'exercice d'une telle activité ; que constitue une opération de crédit, la cession d'une créance non échue ; qu'en se bornant néanmoins à affirmer, pour débouter M. et Mme [U] de leur demande en paiement de dommages-intérêts, que la seule circonstance que la société Chauray contrôle leur avait consenti des réaménagements de leur dette et était devenue cessionnaire d'une dette non échue était à elle seule, à défaut d'autres éléments, insuffisante à démontrer qu'elle avait commis une faute, sans rechercher, comme elle y était invitée, s'il résultait des statuts de la société Chauray contrôle que celle-ci avait pour objet social, notamment, la
cession, sous quelque forme que ce soit, de créances non échues, ce qui
établissait qu'elle effectuait des opérations de crédit à titre habituel, la cour
d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 511-1, L. 311-1, L. 313-1, L. 511-5, L. 511-9 et L. 511-10 du code monétaire et financier, ensemble l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

3. Après avoir énoncé qu'aux termes de l'article L. 511-5 du code monétaire et financier, il est interdit à toute personne autre qu'un établissement de crédit ou une société de financement, d'effectuer des opérations de crédit à titre habituel, l'arrêt retient que M. et Mme [U] ne démontrent pas en quoi la société Chauray contrôle contrevient aux dispositions de ce texte, la seule constatation qu'ils invoquent, selon laquelle cette dernière est devenue cessionnaire d'une dette non échue et leur a consenti des réaménagements de leur dette, étant, à elle seule, insuffisante à le démontrer.

4. En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'effectuer la recherche invoquée, inopérante dès lors que l'objet social résultant des statuts de la société Chauray contrôle ne permettait pas d'établir que celle-ci se livrait habituellement à des opérations de crédit, a légalement justifié sa décision.

5. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen

6. M. et Mme [U] font encore grief à l'arrêt de les débouter de leur demande tendant à voir condamner la société Chauray contrôle à leur payer, à titre de dommages-intérêts au titre de sa violation de la législation bancaire, une somme équivalente au montant de la condamnation qui serait prononcée à leur encontre, alors, selon le moyen :

« 1°/ que la cession de créance transfère au cessionnaire les droits et actions appartenant au cédant et attachés à la créance cédée ; que le cessionnaire est tenu, en vertu de cette cession, de la dette née d'un manquement du cédant, antérieur à la cession, qui présente un lien de connexité avec la créance cédée ; que présente un tel lien de connexité, la créance cédée née d'un contrat de prêt avec la créance de dommages-intérêts détenue par la caution et fondée sur la faute du cédant, qui a sollicité son engagement malgré la disproportion existant entre celui-ci et ses biens et revenus ; qu'en affirmant néanmoins, pour débouter M. et Mme [U] de leur demande tendant à voir condamner la société Chauray contrôle à leur payer des dommages-intérêts au titre de la disproportion de leur engagement, souscrit auprès de la société UIC, que la cession de créance n'avait transféré à la société Chauray contrôle, cessionnaire, que les droits et actions appartenant au cédant et attachés à la créance cédée, de sorte que la société Chauray contrôle ne pouvait être tenue d'une dette née d'un manquement du cédant, antérieur à la cession, à l'encontre de la caution, bien que la créance de dommages-intérêts ait présenté un lien de connexité avec la créance cédée, la cour d'appel a violé les articles 1294, 1295 et 1692 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

2°/ que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'il ne peut, à ce titre, relever un moyen d'office, sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs observations sur ce moyen ; qu'en relevant néanmoins d'office le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article L. 341-4 du code de la consommation n'étaient pas applicables, dès lors que les engagements contractuels, signés par M. et Mme [U] et la société Pub opéra étaient antérieurs à la loi du 1er août 2003 l'ayant instauré, sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs observations sur ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

3°/ que le créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus ; qu'en se bornant néanmoins à affirmer, pour décider que M. et Mme [U] ne pouvaient se prévaloir utilement de la disproportion de l'engagement qu'ils avaient souscrit lors de la conclusion du prêt, que les dispositions de l'article L. 341-4 du code de la consommation n'étaient pas applicables, dès lors que leurs engagements contractuels étaient antérieurs à la loi du 1er août 2003 l'ayant instauré, sans rechercher si l'engagement de cautionnement souscrit par ces derniers était néanmoins manifestement disproportionné au regard de leurs revenus et de leur patrimoine, de sorte qu'en sollicitant leur engagement, l'établissement financier avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité à leur égard sur le fondement du droit commun de la responsabilité contractuelle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

7. Si le moyen fait grief à l'arrêt de débouter M. et Mme [U] de leur demande tendant à voir condamner la société Chauray contrôle à leur payer des dommages-intérêts au titre de sa violation de la législation bancaire, il ne le critique, en ses trois branches, qu'en ce qu'il rejette leur demande de dommages-intérêts au titre de la disproportion de leur engagement à leurs biens et revenus.

8. Le moyen est donc inopérant.

Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

9. M. et Mme [U] font grief à l'arrêt de les condamner à payer à la société Chauray contrôle la somme de 1 531 509,15 euros, outre intérêts, alors « que les établissements de crédit ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale, sont tenus, au plus tard avant le 31 mars de chaque année, de faire connaître à la caution le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation bénéficiant de la caution, ainsi que le terme de cet engagement ; que le défaut d'accomplissement de cette formalité emporte, dans les rapports entre la caution et l'établissement tenu à cette formalité, la déchéance des intérêts conventionnels et les paiements effectués par le débiteur principal sont alors réputés, dans les rapports entre la caution et l'établissement, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette ; qu'en condamnant néanmoins M. et Mme [U], en leur qualité de cautions, au paiement de la somme de 1 531 509,15 euros, conformément au décompte produit par la société Chauray contrôle, sans rechercher, comme elle y était invitée, s'il avait été pris en compte, dans ce décompte, l'imputation des versements effectués par la société Pub opéra sur le montant en capital de la créance, et non sur les intérêts, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 313-22 du code monétaire et financier. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 48 de la loi n° 84-148 du 1er mars 1984, dans sa rédaction issue de la loi n° 99-532 du 25 juin 1999, et l'article L. 313-22 du code monétaire et financier :

10. Il résulte tant du premier texte, entré en vigueur dans la version visée le 29 juin 1999, que du second, qui a remplacé le premier à compter du 1er janvier 2001, que, lorsqu'un établissement de crédit ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale, ne fait pas connaître à la caution, au plus tard avant le 31 mars de chaque année, le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation bénéficiant de la caution, ainsi que le terme de cet engagement, les paiements effectués par le débiteur principal sont réputés, dans les rapports entre la caution et l'établissement, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette.

11. Pour condamner les cautions à payer la somme de 1 531 509,15 euros au titre de leur engagement, après avoir relevé qu'il était établi et admis par la société Chauray contrôle que les cautions n'avaient jamais été destinataires des informations prévues à l'article L. 313-22 du code monétaire et financier, l'arrêt retient qu'il résulte de l'article 1er du protocole d'accord signé le 9 janvier 2003 entre la société Chauray contrôle, la société Pub opéra et M. et Mme [U], intitulé « état des sommes dues par le débiteur et les cautions », que « le débiteur et les cautions reconnaissent devoir à la société Chauray contrôle la somme de 1 977 487 euros arrêtée au 5 décembre 2002 », que l'article 2 de ce protocole prévoit que la société Chauray contrôle consent à ramener le taux d'intérêt de sa créance de 8,50 % à 4,80 % l'an, que ces clauses, qui fixent contractuellement au 5 décembre 2002, le montant de la créance, font obstacle à ce que les époux [U] invoquent, dans leurs écritures devant la cour, le caractère inexact des décomptes antérieurs à cette date, notamment quant aux intérêts réclamés par la société Chauray contrôle, pour la période allant de la souscription du prêt initial jusqu'au 5 décembre 2002. L'arrêt ajoute que, par courrier du 17 novembre 2006, la société Chauray contrôle indique que le montant de sa créance vis-à-vis de la société Pub opéra s'établit ainsi : « échéances impayées 137 196,00 euros ; capital restant dû 1 599 038,49 euros ; intérêts de retard mémoire ». Il constate encore que la société Chauray contrôle actualise sa demande formée contre les cautions, initialement d'un montant de 1 599 038,49 euros, à la somme de 1 531 509,15 euros en principal, pour tenir compte des sommes de 48 500 euros et 19 029,34 euros versées par la société Pub opéra depuis lors.

12. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si dans son décompte du 17 novembre 2006, la société Chauray contrôle avait, pour le calcul de sa créance à l'égard des cautions, imputé prioritairement sur le principal de la dette les paiements effectués par la société Pub opéra, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute M. et Mme [U] de leur demande de sursis à statuer et de leurs demandes indemnitaires reconventionnelles, l'arrêt rendu le 2 août 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne la société Chauray contrôle aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du neuf mars deux mille vingt-deux.

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