CA Bordeaux, 4e ch. com., 10 novembre 2025, n° 24/00788
BORDEAUX
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL DE BORDEAUX
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 10 NOVEMBRE 2025
N° RG 24/00788 - N° Portalis DBVJ-V-B7I-NUSL
S.C.P. SILVESTRI-BAUJET
c/
S.A.R.L. LES RESIDENCES D'ACASTE
S.A.S. GROUPE ARGO
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 16 novembre 2023 (R.G. 2022F01453) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 21 février 2024
APPELANTE :
S.C.P. SILVESTRI-BAUJET, ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SARL MRG CONSTRUCTION, domiciliée en cette qualité [Adresse 1]
Représentée par Maître Margaux POUPOT-PORTRON de la SAS DELTA AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉES :
S.A.R.L. LES RESIDENCES D'ACASTE, immatriculée au RCS de [Localité 3] sous le numéro 829 160 738, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social sis [Adresse 2]
S.A.S. GROUPE ARGO, immatriculée au RCS de [Localité 3] sous le numéro 812 231 843, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 2]
Représentées par Maître Thomas RIVIERE de l'AARPI RIVIERE - DE KERLAND, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 06 octobre 2025 en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,
Madame Sophie MASSON, Conseiller,
Madame Bérengère VALLEE, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
* * *
EXPOSE DU LITIGE
1. La SARL MRG Construction est une société spécialisée dans les travaux de maçonnerie générale et gros 'uvre de bâtiment.
La SAS Groupe Argo est un promoteur immobilier qui assure des opérations de construction de programmes immobiliers. Elle a fait construire un ensemble immobilier à usage d'habitation collectif « Les Résidences d'Acaste » et a créé à cette occasion une filiale, la SARL Les Résidences d'Acaste, en charge spécifiquement du projet.
Le 14 mars 2019, la société Groupe Argo a confirmé par mail l'attribution du marché de gros 'uvre à la société MRG Construction.
Le 20 mars 2019, la société MRG Construction a signé un marché de travaux avec la société Les Résidences d'Acaste pour réaliser le lot relatif au gros-'uvre et aux fondations de l'ensemble immobilier pour un prix forfaitaire, ferme et non révisable de 1 550 000,00 euros HT.
La société J2C a été désignée en qualité de coordonnateur en matière de sécurité et protection de la santé et la société Kaliopé en qualité de maître d''uvre d'exécution.
Le planning des travaux a été fixé selon un ordre de service n°1 en date du 11 juillet 2019, suivi d'un second ordre de service n°2 en date du 17 décembre 2019, modifiant le précédent planning du fait des retards constatés.
Le chantier a ensuite été suspendu à compter du 16 mars 2020 compte-tenu de la crise sanitaire liée au Covid-19.
Le 30 avril 2020, la société J2C a transmis un plan général de coordination en matière de sécurité et de protection de la santé (ci-après PGCSPS ) interdisant la coactivité et mettant à la charge de la société MRG Construction des mesures sanitaires notamment de désinfection.
Par courriel du même jour, la société MRG Construction a fait part de son impossibilité d'envisager la reprise des travaux sans la prise en charge par le maître de l'ouvrage des surcoûts du chantier liés aux frais fixes et frais consécutifs à la mise en place des mesures sanitaires, chiffrés dans son courrier du 5 mai 2020 à la somme de 382 578,59 euros.
Le 15 mai 2020, à la suite de l'envoi d'un additif de PGCSPS supprimant l'interdiction de coactivité sur le chantier, la société MRG Construction a réduit le montant de la somme réclamée au titre des surcoûts du chantier à la somme de 230 000 euros.
Le même jour, la société Groupe Argo a indiqué à la société MRG Construction qu'une réponse aux différentes problématiques soulevées lui serait adressée le 18 mai 2020 et lui a demandé ' de reprendre l'activité, afin de ne pas pénaliser davantage l'avancement des travaux et d'éviter la mise en péril de l'opération, à partir du lundi 18 mai 2020.'
La société MRG Construction n'ayant pas repris l'exécution des travaux, une mise en demeure de reprendre le chantier lui a été adressée le 18 mai 2020 par lettre recommandée avec accusé de réception. Dans ce courrier, la société Groupe Argo demandait à la société MRG Construction non seulement d'être présente sur le site à compter du 22 mai 2020 pour terminer l'intégralité des ouvrages mais aussi de remettre son attestation d'assurance en responsabilité civile et décennale pour l'année 2020. Elle faisait également reproche de la présence d'un sous-traitant irrégulier.
Par lettre recommandée du 5 juin 2020, le conseil de la société MRG Construction a indiqué que sa cliente n'entendait absolument pas abandonner le chantier dont elle avait d'ores et déjà réalisé plus de 80% des travaux mais souhaitait une renégociation des conditions financières du contrat de travaux pour cause d'imprévisibilité afin que le maître d'ouvrage prenne à sa charge le surcoût lié à la crise sanitaire, ajoutant que la société MRG Construction était également dans l'attente du paiement de nombreuses factures d'un montant total de 48 602,67 euros TTC.
Par courrier recommandé du 10 juin 2020, la société Les Résidences d'Acaste a résilié le marché aux torts de la société MRG Construction et l'a convoquée aux constats des lieux et de réception des ouvrages en l'état le 19 juin 2020.
Les parties se sont ensuite rapprochées pour discuter d'une modification tarifaire permettant la reprise du chantier, sans succès. La résiliation du marché a alors été confirmée le 30 juin 2020 à la société MRG Construction qui a quitté le chantier le 31 juillet 2020.
La société MRG Construction a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 4 novembre 2020 qui a désigné la SCP Silvestri-Baujet en qualité de liquidateur judiciaire.
2. Par acte extrajudiciaire du 5 septembre 2022, la société Silvestri-Baujet, ès qualité de liquidateur judiciaire de la société MRG Construction, a fait assigner les sociétés Les Résidences d'Acaste et Groupe Argo devant le tribunal de commerce de Bordeaux en paiement de ses factures et en réparation de ses préjudices.
3. Par jugement rendu le 16 novembre 2023, le tribunal de commerce de Bordeaux a :
- jugé que la société Groupe Argo n'est pas la contractante du marché conclu avec la société MRG Construction et écarte toutes demandes à son encontre,
- dit que le marché a été résolu aux torts de la société MRG Construction,
- débouté la société MRG Construction de l'ensemble de ses demandes,
- débouté la Société Les Résidences d'Acaste de sa demande de fixation au passif de la société MRG Construction de la somme de 439 974,28 euros
- laissé à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles engagés sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- fait masse des dépens
- condamné les sociétés MRG Construction et Les Résidences d'Acaste à payer les dépens pour moitié par chacune d'entre elles.
4. Par déclaration en date du 21 février 2024, la société Silvestri-Baujet ès qualité a relevé appel de ce jugement en ses chefs expressément critiqués intimant les sociétés Les Résidences d'Acaste et Groupe Argo.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
5. Par dernières conclusions notifiées par RPVA, le 19 septembre 2025, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Silvestri-Baujet ès qualité demande à la cour de :
Vu les articles 1103 et suivants du code Civil,
Vu l'article 1195 du code Civil,
Vu les pièces visées aux débats,
Sur la réformation du jugement :
- réformer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 16 novembre 2023 en ce qu'il a :
- juge que la société Groupe Argo n'est pas la contractante du marché conclu avec la société MRG Construction et écarte toutes demandes à son encontre,
- dit que le marché a été résolu aux torts de la société MRG Construction,
- déboute la société MRG Construction de l'ensemble de ses demandes,
- laisse à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles engagés sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- fait masse des dépens
- condamne les sociétés MRG Construction et Les Résidences d'Acaste à payer les dépens pour moitié par chacune d'entre elles.
Statuant à nouveau :
- juger que la société Groupe Argo est contractante de la société MRG Construction,
- juger que le contrat de travaux conclu le 26 mars 2019 avec la société MRG Construction a été impacté par des changements de circonstances imprévisibles le jour de sa signature, rendant la poursuite du contrat excessivement onéreuse pour la société MRG Construction,
- juger que les sociétés Les Résidences d'Acaste et Groupe Argo ont gravement manqué à leurs obligations contractuelles et à leur obligation de bonne foi ;
En conséquence,
- condamner in solidum les sociétés Les Résidences d'Acaste et Groupe Argo à verser à la SCP Silvestri-Baujet, es-qualité de liquidateur judiciaire de société MRG Construction la somme de 559 001,51 euros au titre des préjudices suivants :
- la somme de 66 663,27 euros TTC au titre de règlement des factures en souffrance de la société MRG Construction et du préjudice subi au titre des retards de paiement des sociétés Les Résidences d'Acaste et Groupe Argo ;
- la somme de 346 046,71 euros TTC en réparation du préjudice subi par la société MRG Construction au titre du manquement des sociétés Les Résidences d'Acaste et Groupe Argo à leur obligation de poursuite du contrat de bonne foi ;
- la somme de 148 416,70 euros TTC en réparation du préjudice subi par la société MRG Construction au titre de la résiliation abusive du contrat de travaux du 26 mars 2019 par les sociétés Les Résidences d'Acaste et Groupe Argo ;
- condamner in solidum les sociétés Les Résidences d'Acaste et Groupe Argo à verser à la SCP Silvestri-Baujet, es-qualité de liquidateur judiciaire de la société MRG Construction la somme de 5 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
- déclarer la créance de la société Les Résidences d'Acaste forclose ;
Sur la confirmation du jugement :
- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 16 novembre 2023 en ce qu'il a :
- débouté la société Les Résidences d'Acaste de sa demande de fixation au passif de la société MRG Construction de la somme de 439 974,28 euros.
En tout état de cause
- débouter la société Les Résidences d'Acaste de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- débouter la société Groupe Argo de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- débouter la société Les Résidences d'Acaste de sa demande tendant à voir condamner la société Silvestri-Baujet ès qualité de liquidateur judiciaire de la société MRG Construction, à payer à la société Groupe Argo, la somme de 4 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouter la société Groupe Argo de sa demande tendant à voir condamner la société Silvestri-Baujet ès qualité de liquidateur judiciaire de la société MRG Construction, à payer à la société Groupe Argo, la somme de 4 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouter la société Les Résidences d'Acaste de sa tendant à voir condamner la société Silvestri-Baujet ès qualité de liquidateur judiciaire de la société MRG Construction aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction pour ces derniers au profit de Maître Thomas Rivière, en vertu des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
- débouter la société Groupe Argo de sa tendant à voir condamner la société Silvestri-Baujet ès qualité de liquidateur judiciaire de la société MRG Construction aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction pour ces derniers au profit de Maître Thomas Rivière, en vertu des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
6. Par dernières conclusions notifiées par RPVA, le 20 juin 2024, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Les Résidences d'Acaste demande à la cour de :
- débouter la société MRG Construction, prise en la personne de la société Silvestri-Baujet, ès-qualités de liquidateur judiciaire, de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a débouté la société MRG Construction de sa demande en paiement de la somme de 559 001,51 euros,
Reconventionnellement,
- réformer la décision entreprise sur la fixation de la créance au passif de la société MRG Construction et fixer le montant de la créance à 439 974,28 euros,
- condamner la société Silvestri-Baujet, ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société MRG Construction, à payer à la société Groupe Argo [sic], la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Silvestri-Baujet ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société MRG Construction aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction pour ces derniers au profit de Maître Thomas Rivière, en vertu des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
7. Par dernières conclusions notifiées par RPVA, le 20 juin 2024, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Groupe Argo demande à la cour de :
- débouter la société MRG Construction, prise en la personne de la société Silvestri-Baujet, ès-qualités de liquidateur judiciaire, de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a débouté la société MRG Construction de ses demandes à l'encontre de la société Groupe Argo,
- condamner la société Silvestri-Baujet, ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société MRG Construction, à payer à la société Groupe Argo, la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Silvestri-Baujet ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société MRG Construction aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction pour ces derniers au profit de Maître Thomas Rivière, en vertu des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
8. L'ordonnance de clôture a été prononcée le 22 septembre 2025.
MOTIFS DE LA DECISION
9. Au préalable, la cour observe que si la société Les Résidences d'Acaste sollicite subsidiairement une expertise dans l'exposé de ses moyens en page 17 de ses conclusions, elle n'en tire pas les conséquences dans le dispositif de ses conclusions qui seul lie la cour en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile.
I- Sur les demandes principales en paiement de la société Silvestri-Baujet ès qualités
10. La société Silvestri-Baujet, es qualité de liquidateur judiciaire de la société MRG Construction, sollicite, au visa des articles 1103 et suivants et 1195 du code civil, la condamnation in solidum des sociétés Les Résidences d'Acaste et Groupe Argo à lui payer la somme de 559 001,51 euros en paiement de factures impayées et en indemnisation de ses préjudices.
A- Sur la demande de condamnation in solidum des sociétés Les Résidences d'Acaste et Groupe Argo
Moyens des parties
11. La société Silvestri-Baujet ès qualités demande que la société Groupe Argo soit condamnée in solidum avec sa filiale, la société Les Résidences d'Acaste, à réparer les multiples préjudices qu'elle a subis, soutenant que la jurisprudence reconnaît qu'une société holding puisse être poursuivie en paiement des dettes dues par l'une de ses filiales (Com, 3 février 2015, n°13-24.895), soulignant que la société Groupe Argo détient la majorité du capital de la société Les Résidences d'Acaste, qu'elles ont le même représentant légal, la même adresse et qu'il existe une confusion entre les deux entités.
12. La société Groupe Argo réplique que l'appelante échoue à démontrer l'existence d'une quelconque relation contractuelle entre elles et conteste toute confusion avec sa filiale.
Réponse de la cour
13. Au préalable, il est rappelé qu'une filiale, même détenue majoritairement ou totalement par une holding, constitue une personne morale distincte bénéficiant d'une indépendance juridique. La holding ne peut en conséquence être poursuivie en paiement des dettes de l'une de ses filiales, sauf disposition contractuelle spécifique ou dans les cas où elle a créé, par ses actes, une apparence de co-contractant ou s'est impliquée de façon active et trompeuse dans les affaires de la filiale.
14. En l'espèce, il ressort des pièces versées aux débats que l'acte d'engagement du marché conclu avec la société MRG Construction a été signé par la seule société les Résidences d'Acaste, et non par la société Groupe Argo.
Le fait que le logo 'Argo' apparaisse sur ledit acte, que certaines adresses mail mentionnent 'argo' ou que le courrier de résiliation du contrat soit édité sur un papier à en-tête des deux sociétés Les Résidences d'Acaste et Groupe Argo, n'est pas de nature à créér une apparence trompeuse, la société MRG Construction ne pouvant légitimement croire que la société Groupe Argo était son co-contractant.
15. En conséquence, c'est à bon droit que le premier juge a débouté la société MRG Construction de ses demandes en paiement formées à l'encontre de la société Groupe Argo.
B- Sur les manquements reprochés à la société Les Résidences d'Acaste
1- Sur le manquement à l'obligation d'exécution de bonne foi
Moyens des parties
16. La société Silvestri-Baujet ès qualités reproche tout d'abord à la société Les Résidences d'Acaste d'avoir refusé de renégocier les conditions tarifaires du marché et de prendre en charge les surcoûts en dépit des changements de circonstances imprévisibles lors de la signature du marché de travaux, survenus tant avant la crise sanitaire liée au Covid-19 (impossibilité de se brancher au réseau Enedis pour fournir l'électricité du chantier, difficultés dans la préparation du chantier et intempéries provoquant des retards) qu'après celle-ci (absence de suspension, pendant l'arrêt du chantier, des coûts fixes exclusivement supportés par elle, PGCSPS prévoyant la prise en charge par la société MRG Construction de l'impact financier des mesures sanitaires imposées), ces circonstances ayant rendu excessivement onéreuse la poursuite du contrat par la société MRG Construction. Elle en déduit un manquement du maître de l'ouvrage à son obligation d'exécution de bonne foi du contrat, dont elle réclame réparation à hauteur de 346 046,71 euros.
17. La société Les Résidences d'Acaste, qui expose que la société MRG Construction aurait dû continuer à exécuter ses obligations durant la renégociation conformément à l'article 1195 du code civil ou, à défaut, saisir la juridiction des référés pour qu'il soit statué sur les conditions de poursuite du marché, soutient que la décision unilatérale de suspendre l'exécution du chantier sans attendre l'issue de la négociation et malgré les mises en demeure, constitue une faute justifiant la constatation d'un abandon de chantier aux torts de l'entreprise.
Réponse de la cour
18. Aux termes de l'article 1193 du code civil, les contrats ne peuvent être modifiés ou révoqués que du consentement mutuel des parties, ou pour les causes que la loi autorise.
L'article 1195 du même code dispose :
'Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.
En cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu'elles déterminent, ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe.'
Si ces dispositions permettent ainsi à une partie de demander une renégociation du contrat à son cocontractant, elles ne la dispensent pas pour autant de l'exécution de ses obligations durant la renégociation.
Il résulte en effet de l'article 1195 que la force obligatoire du contrat est maintenue pendant toute la période de négociation conduite par les parties puisque la partie qui invoque des circonstances imprévisibles doit continuer à exécuter ses obligations durant la renégociation.
19. Or, en l'espèce, il ressort des différents échanges versés aux débats que la société MRG Construction a conditionné la reprise de son activité à une renégociation des conditions financières du marché et, plus particulièrement, à l'acceptation par le maître de l'ouvrage du paiement d'une somme initialement fixée à 382 578,59 euros, ramenée ensuite à 200.000 euros ce, nonobstant les mises en demeure de reprise du chantier qui lui ont été adressées.
20. Dès lors qu'elle s'est s'abstenue unilatéralement d'exécuter ses propres obligations pendant la négociation, la société MRG Construction est mal fondée à invoquer le bénéfice des dispositions de l'article 1195 dont les conditions d'application ne sont pas remplies.
Elle ne saurait davantage être fondée, alors qu'elle a elle-même cessé d'exécuter ses obligations, à reprocher à l'intimée d'avoir, par son refus de renégocier les conditions tarifaires du marché, manqué à son obligation contractuelle de bonne foi.
Elle sera en conséquence déboutée de sa demande à ce titre.
2- Sur les dommages et intérêts pour résiliation abusive
Moyens des parties
21. La société Silvestri-Baujet ès qualités fait ensuite valoir que le contrat a été résilié abusivement par la société Les Résidences d'Acaste au motif du retard pris dans l'exécution des travaux alors que celui-ci ne lui est pas imputable puisqu'il résulte, d'une part, des difficultés liées aux opérations de terrassement, aux journées d'intempérie, au recours à un groupe électrogène et aux multiples retards de paiement de la société Les Résidences d'Acaste, d'autre part, de l'interruption du chantier entre le 16 mars 2020 et le 12 mai 2020 compte tenu des mesures restrictives sanitaires imposées par le gouvernement.
Elle conteste avoir eu recours à un sous-traitant de manière irrégulière, faisant valoir que c'est le maître de l'ouvrage qui lui a imposé l'intervention de la société Technic Construction, laquelle a été payée par la société Groupe Argo. Elle réclame la somme de 148.416,70 euros en réparation du préjudice subi suite à la résiliation abusive du marché par la société Les Résidences d'Acaste.
22. La société Les Résidences d'Acaste réplique que la société MRG Construction a accumulé 81 jours de retard avant le Covid, ajoutant que lors du premier confinement, les ouvriers du bâtiments pouvaient intervenir sur les chantiers. Elle souligne que lorsque la société Kaliopé a demandé la reprise du chantier, la société MRG Construction a fait un chantage financier conduisant le maître de l'ouvrage à devoir lui enjoindre de reprendre l'exécution des travaux, par courrier de mise en demeure faisant courir le délai de 8 jours pour constater la rupture pour abandon de chantier telle que fixée par le CCAP. Elle précise que la société MRG Construction a abandonné le chantier même après la levée du confinement. Faisant également valoir une sous-traitance irrégulière et le défaut de production d'une attestation d'assurance décennale à jour, elle conclut que le contrat a été rompu aux torts exclusifs de l'entreprise pour de justes motifs.
Réponse de la cour
23. Selon les dispositions de l'article 1224 du code civil , la résolution résulte soit de l'application d'une clause résolutoire soit, en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice.
Selon les dispositions de l'article 1226 du code civil, le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification. Sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable.
La mise en demeure mentionne expressément qu'à défaut pour le débiteur de satisfaire à son obligation, le créancier sera en droit de résoudre le contrat.
Lorsque l'inexécution persiste, le créancier notifie au débiteur la résolution du contrat et les raisons qui la motivent.
Le débiteur peut à tout moment saisir le juge pour contester la résolution. Le créancier doit alors prouver la gravité de l'inexécution.
Les dispositions précitées sont applicables à la résolution unilatérale d'un marché à forfait par le maître d'ouvrage qui invoque un manquement grave de l'entrepreneur à ses obligations.
24. Le Cahier des Clauses Administratives Générales (CCAG) applicable aux travaux de bâtiment faisant l'objet de marchés privés, Norme Française NF P 03-001 prévoit en son article 22.1.2.1 que 'le marché pourra être résilié de plein droit, sans accomplissement d'aucune formalité judiciaire, aux torts de l'entrepreneur après mise en demeure en cas d'abandon de chantier ou en cas de sous-traitance en infraction avec les dispositions du paragraphe 4.4 et 20.6".
Le Cahier des Clauses Administratives Particulières (CCAP) précise, en son article 4.1, que:
- l'entrepreneur principal doit faire accepter son sous-traitant et faire agréer les conditions de paiement de chaque contrat de sous-traitance par le maître de l'ouvrage.
- cette demande d'acceptation et d'agrément du sous-traitant doit impérativement être transmise au maître d'oeuvre et au maître d'ouvrage, soit par lettre recommandée avec accusé de réception, soit par remise en main propre contre récepissé.
- le maître de l'ouvrage doit agréer par écrit le sous-traitant dans un délai maximum de 15 jours après réception de la demande d'agrément.
- par dérogation à l'article 4.4.1 du CCAG et à l'issue du délai de 15 jours, en cas de non réponse de la part du maître de l'ouvrage, la demande sera réputée comme étant refusée.
L'article 13 du CCAP énonce que le marché peut être résilié de plein droit, sans aucune indemnité de la part du maître de l'ouvrage, en cas notamment d'abandon de chantier constaté après mise en demeure demeurée infructueuse sous 8 jours.
25. En premier lieu, il a été jugé ci-avant que la société MRG Construction ne pouvait valablement s'abstenir unilatéralement d'exécuter ses propres obligations pendant la renégociation des conditions tarifaires du marché et subordonner la reprise des travaux à l'acceptation par le maître de l'ouvrage du paiement d'une somme de 200.000 euros.
Comme le soutient justement l'intimée, le refus de l'appelante de reprendre l'exécution des travaux s'analyse bien en un abandon de chantier.
Il ressort des pièces produites que par lettre recommandée avec accusé de réception du 18 mai 2020, la société Les Résidences d'Acaste a mis en demeure la société MRG Construction de 'reprendre immédiatement [ses] interventions sur le chantier et d'être présent tous les jours sur site à compter du 22 mai 2020 pour terminer l'intégralité de [ses] ouvrages', ce courrier valant mise en demeure faisant courir les délais légaux conformément au CCAP.
26. Cette mise en demeure étant restée infructueuse, c'est à bon droit qu'en application des dispositions précitées, la société Les Résidences d'Acaste a prononcé la résolution du contrat aux torts de l'entreprise sur ce premier motif.
27. En second lieu, la société MRG Construction ne justifie pas avoir demandé au maître d'ouvrage d'accepter et d'agréer la société Technic Construction en qualité de sous-traitant, conformément au CCAP.
Dans son courrier de mise en demeure en date du 18 mai 2020, la société Les Résidences d'Acaste reprochait à la société MRG Construction la présence de ce sous-traitant sur le chantier.
28. En application des dispositions précitées du CCAG, c'est également à bon droit que, sur ce motif, la société Les Résidences d'Acaste a prononcé la résolution du contrat aux torts de la société MRG Construction.
29. Dès lors, et sans qu'il y ait lieu d'aller plus avant dans la discussion entre les parties, il convient de considérer que contrairement à ce que soutient l'appelante, la résolution du marché prononcée par la société Les Résidences d'Acaste aux torts de la société MRG Construction ne revêt aucun caractère abusif, de sorte que cette dernière doit être déboutée de sa demande d'indemnisation à ce titre.
3- Sur le manquement à l'obligation de paiement de factures
Moyens des parties
30. La société MRG Construction reproche à la société Les Résidences d'Acaste de ne s'être pas acquittée de cinq factures, émises entre le 29 octobre 2019 et le 23 avril 2020, d'un montant total de 48 664,24 euros TTC, dont elle réclame le paiement. Elle sollicite en outre la restitution des remises indument octroyées au maître de l'ouvrage pour règlement anticipé, compte tenu des retards de paiement de ce dernier, pour un montant de 15.873,86 euros TTC.
31. La société Les Résidences d'Acaste oppose qu'elle ne doit aucune somme à la société MRG Construction dont les retards accumulés entraînent l'imputation de pénalités et de dommages et intérêts, faisant valoir que c'est au contraire l'appelante qui est redevable à son égard d'une somme de 439.974,28 euros. Elle soutient en outre que la non-contestation du DGD dans les 30 jours de sa notification a arrêté définitivement les comptes entre les parties.
Réponse de la cour
32. Comme le relève justement le tribunal, la société MRG Construction ne produit pas son mémoire définitif des sommes qu'elle estime lui être dues en application du marché, étant observé que :
- d'une part, ce mémoire aurait dû, conformément à l'article 19.5.1 du CCAG, être communiqué au maître de l'ouvrage dans un délai de 60 jours à dater de la résolution du marché (soit avant le 4 août 2020),
- d'autre part, le DGD établi par le maître d'oeuvre à la demande du maître de l'ouvrage fait quant à lui apparaître un trop-payé d'un montant de 439.974,28 euros, ce DGD comprenant notamment des pénalités de retard et la valeur de reprise du gros oeuvre.
33. En application de l'article 1353 du code civil, la société MRG Construction sera déboutée de sa demande en paiement.
II- Sur la demande reconventionnelle de fixation au passif de la société MRG Construction formée par la société Les Résidences d'Acaste
Moyens des parties
34. La société Les Résidences d'Acaste expose qu'à défaut de réception du mémoire définitif de la société MRG Construction dans les 60 jours de la résiliation, elle lui a notifié son décompte général définitif ; que sans réponse dans le délai de 30 jours, ce décompte est réputé accepté conformément à l'article 19.6.3 du CCAG. Elle soutient alors que la société MRG Construction lui doit la somme de 439 974 euros correspondant à la retenue de garantie, au compte prorata, aux pénalités de retard et à la valeur de reprise du gros 'uvre.
35. La société Silvestri-Baujet ès qualité soutient que la demande de la société Les Résidences d'Acaste est forclose en application des articles L.622-24 et R.622-24 du code de commerce, de sorte qu'aucune compensation ne peut intervenir.
Réponse de la cour
36. Aux termes de l'article L. 622-24 du code de commerce, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception des salariés, adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire dans des délais fixés par décret en Conseil d'Etat.
L'article L. 622-26 du même code précise qu'à défaut de déclaration dans les délais prévus à l'article L.622-24, les créanciers ne sont pas admis dans les répartitions et les dividendes à moins que le juge-commissaire ne les relève de leur forclusion s'ils établissent que leur défaillance n'est pas due à leur fait ou qu'elle est due à une omission du débiteur lors de l'établissement de la liste prévue au deuxième alinéa de l'article L. 622-6. Ils ne peuvent alors concourir que pour les distributions postérieures à leur demande.
37. En l'espèce, faute d'avoir déclaré sa créance au passif de la société MRG Construction, la société Les Résidences d'Acaste ne peut qu'être déboutée de sa demande de fixation.
38. En définitive, le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions.
III- Sur les demandes accessoires
39. Le jugement doit être confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles.
40. L'appelante qui succombe en son appel sera condamnée aux entiers dépens exposés devant la cour.
41. L'intimée succombant toutefois aussi dans son appel incident, il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles exposés en appel et les demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement entrepris en ses dispositions soumises à la cour,
Y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Silvestri-Baujet, ès qualité de liquidateur judiciaire de la société MRG Construction, aux dépens d'appel dont distraction au profit de Maître Thomas Rivière en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Magistrat
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 10 NOVEMBRE 2025
N° RG 24/00788 - N° Portalis DBVJ-V-B7I-NUSL
S.C.P. SILVESTRI-BAUJET
c/
S.A.R.L. LES RESIDENCES D'ACASTE
S.A.S. GROUPE ARGO
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 16 novembre 2023 (R.G. 2022F01453) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 21 février 2024
APPELANTE :
S.C.P. SILVESTRI-BAUJET, ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SARL MRG CONSTRUCTION, domiciliée en cette qualité [Adresse 1]
Représentée par Maître Margaux POUPOT-PORTRON de la SAS DELTA AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉES :
S.A.R.L. LES RESIDENCES D'ACASTE, immatriculée au RCS de [Localité 3] sous le numéro 829 160 738, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social sis [Adresse 2]
S.A.S. GROUPE ARGO, immatriculée au RCS de [Localité 3] sous le numéro 812 231 843, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 2]
Représentées par Maître Thomas RIVIERE de l'AARPI RIVIERE - DE KERLAND, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 06 octobre 2025 en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,
Madame Sophie MASSON, Conseiller,
Madame Bérengère VALLEE, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
* * *
EXPOSE DU LITIGE
1. La SARL MRG Construction est une société spécialisée dans les travaux de maçonnerie générale et gros 'uvre de bâtiment.
La SAS Groupe Argo est un promoteur immobilier qui assure des opérations de construction de programmes immobiliers. Elle a fait construire un ensemble immobilier à usage d'habitation collectif « Les Résidences d'Acaste » et a créé à cette occasion une filiale, la SARL Les Résidences d'Acaste, en charge spécifiquement du projet.
Le 14 mars 2019, la société Groupe Argo a confirmé par mail l'attribution du marché de gros 'uvre à la société MRG Construction.
Le 20 mars 2019, la société MRG Construction a signé un marché de travaux avec la société Les Résidences d'Acaste pour réaliser le lot relatif au gros-'uvre et aux fondations de l'ensemble immobilier pour un prix forfaitaire, ferme et non révisable de 1 550 000,00 euros HT.
La société J2C a été désignée en qualité de coordonnateur en matière de sécurité et protection de la santé et la société Kaliopé en qualité de maître d''uvre d'exécution.
Le planning des travaux a été fixé selon un ordre de service n°1 en date du 11 juillet 2019, suivi d'un second ordre de service n°2 en date du 17 décembre 2019, modifiant le précédent planning du fait des retards constatés.
Le chantier a ensuite été suspendu à compter du 16 mars 2020 compte-tenu de la crise sanitaire liée au Covid-19.
Le 30 avril 2020, la société J2C a transmis un plan général de coordination en matière de sécurité et de protection de la santé (ci-après PGCSPS ) interdisant la coactivité et mettant à la charge de la société MRG Construction des mesures sanitaires notamment de désinfection.
Par courriel du même jour, la société MRG Construction a fait part de son impossibilité d'envisager la reprise des travaux sans la prise en charge par le maître de l'ouvrage des surcoûts du chantier liés aux frais fixes et frais consécutifs à la mise en place des mesures sanitaires, chiffrés dans son courrier du 5 mai 2020 à la somme de 382 578,59 euros.
Le 15 mai 2020, à la suite de l'envoi d'un additif de PGCSPS supprimant l'interdiction de coactivité sur le chantier, la société MRG Construction a réduit le montant de la somme réclamée au titre des surcoûts du chantier à la somme de 230 000 euros.
Le même jour, la société Groupe Argo a indiqué à la société MRG Construction qu'une réponse aux différentes problématiques soulevées lui serait adressée le 18 mai 2020 et lui a demandé ' de reprendre l'activité, afin de ne pas pénaliser davantage l'avancement des travaux et d'éviter la mise en péril de l'opération, à partir du lundi 18 mai 2020.'
La société MRG Construction n'ayant pas repris l'exécution des travaux, une mise en demeure de reprendre le chantier lui a été adressée le 18 mai 2020 par lettre recommandée avec accusé de réception. Dans ce courrier, la société Groupe Argo demandait à la société MRG Construction non seulement d'être présente sur le site à compter du 22 mai 2020 pour terminer l'intégralité des ouvrages mais aussi de remettre son attestation d'assurance en responsabilité civile et décennale pour l'année 2020. Elle faisait également reproche de la présence d'un sous-traitant irrégulier.
Par lettre recommandée du 5 juin 2020, le conseil de la société MRG Construction a indiqué que sa cliente n'entendait absolument pas abandonner le chantier dont elle avait d'ores et déjà réalisé plus de 80% des travaux mais souhaitait une renégociation des conditions financières du contrat de travaux pour cause d'imprévisibilité afin que le maître d'ouvrage prenne à sa charge le surcoût lié à la crise sanitaire, ajoutant que la société MRG Construction était également dans l'attente du paiement de nombreuses factures d'un montant total de 48 602,67 euros TTC.
Par courrier recommandé du 10 juin 2020, la société Les Résidences d'Acaste a résilié le marché aux torts de la société MRG Construction et l'a convoquée aux constats des lieux et de réception des ouvrages en l'état le 19 juin 2020.
Les parties se sont ensuite rapprochées pour discuter d'une modification tarifaire permettant la reprise du chantier, sans succès. La résiliation du marché a alors été confirmée le 30 juin 2020 à la société MRG Construction qui a quitté le chantier le 31 juillet 2020.
La société MRG Construction a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 4 novembre 2020 qui a désigné la SCP Silvestri-Baujet en qualité de liquidateur judiciaire.
2. Par acte extrajudiciaire du 5 septembre 2022, la société Silvestri-Baujet, ès qualité de liquidateur judiciaire de la société MRG Construction, a fait assigner les sociétés Les Résidences d'Acaste et Groupe Argo devant le tribunal de commerce de Bordeaux en paiement de ses factures et en réparation de ses préjudices.
3. Par jugement rendu le 16 novembre 2023, le tribunal de commerce de Bordeaux a :
- jugé que la société Groupe Argo n'est pas la contractante du marché conclu avec la société MRG Construction et écarte toutes demandes à son encontre,
- dit que le marché a été résolu aux torts de la société MRG Construction,
- débouté la société MRG Construction de l'ensemble de ses demandes,
- débouté la Société Les Résidences d'Acaste de sa demande de fixation au passif de la société MRG Construction de la somme de 439 974,28 euros
- laissé à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles engagés sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- fait masse des dépens
- condamné les sociétés MRG Construction et Les Résidences d'Acaste à payer les dépens pour moitié par chacune d'entre elles.
4. Par déclaration en date du 21 février 2024, la société Silvestri-Baujet ès qualité a relevé appel de ce jugement en ses chefs expressément critiqués intimant les sociétés Les Résidences d'Acaste et Groupe Argo.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
5. Par dernières conclusions notifiées par RPVA, le 19 septembre 2025, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Silvestri-Baujet ès qualité demande à la cour de :
Vu les articles 1103 et suivants du code Civil,
Vu l'article 1195 du code Civil,
Vu les pièces visées aux débats,
Sur la réformation du jugement :
- réformer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 16 novembre 2023 en ce qu'il a :
- juge que la société Groupe Argo n'est pas la contractante du marché conclu avec la société MRG Construction et écarte toutes demandes à son encontre,
- dit que le marché a été résolu aux torts de la société MRG Construction,
- déboute la société MRG Construction de l'ensemble de ses demandes,
- laisse à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles engagés sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- fait masse des dépens
- condamne les sociétés MRG Construction et Les Résidences d'Acaste à payer les dépens pour moitié par chacune d'entre elles.
Statuant à nouveau :
- juger que la société Groupe Argo est contractante de la société MRG Construction,
- juger que le contrat de travaux conclu le 26 mars 2019 avec la société MRG Construction a été impacté par des changements de circonstances imprévisibles le jour de sa signature, rendant la poursuite du contrat excessivement onéreuse pour la société MRG Construction,
- juger que les sociétés Les Résidences d'Acaste et Groupe Argo ont gravement manqué à leurs obligations contractuelles et à leur obligation de bonne foi ;
En conséquence,
- condamner in solidum les sociétés Les Résidences d'Acaste et Groupe Argo à verser à la SCP Silvestri-Baujet, es-qualité de liquidateur judiciaire de société MRG Construction la somme de 559 001,51 euros au titre des préjudices suivants :
- la somme de 66 663,27 euros TTC au titre de règlement des factures en souffrance de la société MRG Construction et du préjudice subi au titre des retards de paiement des sociétés Les Résidences d'Acaste et Groupe Argo ;
- la somme de 346 046,71 euros TTC en réparation du préjudice subi par la société MRG Construction au titre du manquement des sociétés Les Résidences d'Acaste et Groupe Argo à leur obligation de poursuite du contrat de bonne foi ;
- la somme de 148 416,70 euros TTC en réparation du préjudice subi par la société MRG Construction au titre de la résiliation abusive du contrat de travaux du 26 mars 2019 par les sociétés Les Résidences d'Acaste et Groupe Argo ;
- condamner in solidum les sociétés Les Résidences d'Acaste et Groupe Argo à verser à la SCP Silvestri-Baujet, es-qualité de liquidateur judiciaire de la société MRG Construction la somme de 5 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
- déclarer la créance de la société Les Résidences d'Acaste forclose ;
Sur la confirmation du jugement :
- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 16 novembre 2023 en ce qu'il a :
- débouté la société Les Résidences d'Acaste de sa demande de fixation au passif de la société MRG Construction de la somme de 439 974,28 euros.
En tout état de cause
- débouter la société Les Résidences d'Acaste de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- débouter la société Groupe Argo de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- débouter la société Les Résidences d'Acaste de sa demande tendant à voir condamner la société Silvestri-Baujet ès qualité de liquidateur judiciaire de la société MRG Construction, à payer à la société Groupe Argo, la somme de 4 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouter la société Groupe Argo de sa demande tendant à voir condamner la société Silvestri-Baujet ès qualité de liquidateur judiciaire de la société MRG Construction, à payer à la société Groupe Argo, la somme de 4 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouter la société Les Résidences d'Acaste de sa tendant à voir condamner la société Silvestri-Baujet ès qualité de liquidateur judiciaire de la société MRG Construction aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction pour ces derniers au profit de Maître Thomas Rivière, en vertu des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
- débouter la société Groupe Argo de sa tendant à voir condamner la société Silvestri-Baujet ès qualité de liquidateur judiciaire de la société MRG Construction aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction pour ces derniers au profit de Maître Thomas Rivière, en vertu des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
6. Par dernières conclusions notifiées par RPVA, le 20 juin 2024, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Les Résidences d'Acaste demande à la cour de :
- débouter la société MRG Construction, prise en la personne de la société Silvestri-Baujet, ès-qualités de liquidateur judiciaire, de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a débouté la société MRG Construction de sa demande en paiement de la somme de 559 001,51 euros,
Reconventionnellement,
- réformer la décision entreprise sur la fixation de la créance au passif de la société MRG Construction et fixer le montant de la créance à 439 974,28 euros,
- condamner la société Silvestri-Baujet, ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société MRG Construction, à payer à la société Groupe Argo [sic], la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Silvestri-Baujet ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société MRG Construction aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction pour ces derniers au profit de Maître Thomas Rivière, en vertu des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
7. Par dernières conclusions notifiées par RPVA, le 20 juin 2024, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Groupe Argo demande à la cour de :
- débouter la société MRG Construction, prise en la personne de la société Silvestri-Baujet, ès-qualités de liquidateur judiciaire, de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a débouté la société MRG Construction de ses demandes à l'encontre de la société Groupe Argo,
- condamner la société Silvestri-Baujet, ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société MRG Construction, à payer à la société Groupe Argo, la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Silvestri-Baujet ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société MRG Construction aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction pour ces derniers au profit de Maître Thomas Rivière, en vertu des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
8. L'ordonnance de clôture a été prononcée le 22 septembre 2025.
MOTIFS DE LA DECISION
9. Au préalable, la cour observe que si la société Les Résidences d'Acaste sollicite subsidiairement une expertise dans l'exposé de ses moyens en page 17 de ses conclusions, elle n'en tire pas les conséquences dans le dispositif de ses conclusions qui seul lie la cour en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile.
I- Sur les demandes principales en paiement de la société Silvestri-Baujet ès qualités
10. La société Silvestri-Baujet, es qualité de liquidateur judiciaire de la société MRG Construction, sollicite, au visa des articles 1103 et suivants et 1195 du code civil, la condamnation in solidum des sociétés Les Résidences d'Acaste et Groupe Argo à lui payer la somme de 559 001,51 euros en paiement de factures impayées et en indemnisation de ses préjudices.
A- Sur la demande de condamnation in solidum des sociétés Les Résidences d'Acaste et Groupe Argo
Moyens des parties
11. La société Silvestri-Baujet ès qualités demande que la société Groupe Argo soit condamnée in solidum avec sa filiale, la société Les Résidences d'Acaste, à réparer les multiples préjudices qu'elle a subis, soutenant que la jurisprudence reconnaît qu'une société holding puisse être poursuivie en paiement des dettes dues par l'une de ses filiales (Com, 3 février 2015, n°13-24.895), soulignant que la société Groupe Argo détient la majorité du capital de la société Les Résidences d'Acaste, qu'elles ont le même représentant légal, la même adresse et qu'il existe une confusion entre les deux entités.
12. La société Groupe Argo réplique que l'appelante échoue à démontrer l'existence d'une quelconque relation contractuelle entre elles et conteste toute confusion avec sa filiale.
Réponse de la cour
13. Au préalable, il est rappelé qu'une filiale, même détenue majoritairement ou totalement par une holding, constitue une personne morale distincte bénéficiant d'une indépendance juridique. La holding ne peut en conséquence être poursuivie en paiement des dettes de l'une de ses filiales, sauf disposition contractuelle spécifique ou dans les cas où elle a créé, par ses actes, une apparence de co-contractant ou s'est impliquée de façon active et trompeuse dans les affaires de la filiale.
14. En l'espèce, il ressort des pièces versées aux débats que l'acte d'engagement du marché conclu avec la société MRG Construction a été signé par la seule société les Résidences d'Acaste, et non par la société Groupe Argo.
Le fait que le logo 'Argo' apparaisse sur ledit acte, que certaines adresses mail mentionnent 'argo' ou que le courrier de résiliation du contrat soit édité sur un papier à en-tête des deux sociétés Les Résidences d'Acaste et Groupe Argo, n'est pas de nature à créér une apparence trompeuse, la société MRG Construction ne pouvant légitimement croire que la société Groupe Argo était son co-contractant.
15. En conséquence, c'est à bon droit que le premier juge a débouté la société MRG Construction de ses demandes en paiement formées à l'encontre de la société Groupe Argo.
B- Sur les manquements reprochés à la société Les Résidences d'Acaste
1- Sur le manquement à l'obligation d'exécution de bonne foi
Moyens des parties
16. La société Silvestri-Baujet ès qualités reproche tout d'abord à la société Les Résidences d'Acaste d'avoir refusé de renégocier les conditions tarifaires du marché et de prendre en charge les surcoûts en dépit des changements de circonstances imprévisibles lors de la signature du marché de travaux, survenus tant avant la crise sanitaire liée au Covid-19 (impossibilité de se brancher au réseau Enedis pour fournir l'électricité du chantier, difficultés dans la préparation du chantier et intempéries provoquant des retards) qu'après celle-ci (absence de suspension, pendant l'arrêt du chantier, des coûts fixes exclusivement supportés par elle, PGCSPS prévoyant la prise en charge par la société MRG Construction de l'impact financier des mesures sanitaires imposées), ces circonstances ayant rendu excessivement onéreuse la poursuite du contrat par la société MRG Construction. Elle en déduit un manquement du maître de l'ouvrage à son obligation d'exécution de bonne foi du contrat, dont elle réclame réparation à hauteur de 346 046,71 euros.
17. La société Les Résidences d'Acaste, qui expose que la société MRG Construction aurait dû continuer à exécuter ses obligations durant la renégociation conformément à l'article 1195 du code civil ou, à défaut, saisir la juridiction des référés pour qu'il soit statué sur les conditions de poursuite du marché, soutient que la décision unilatérale de suspendre l'exécution du chantier sans attendre l'issue de la négociation et malgré les mises en demeure, constitue une faute justifiant la constatation d'un abandon de chantier aux torts de l'entreprise.
Réponse de la cour
18. Aux termes de l'article 1193 du code civil, les contrats ne peuvent être modifiés ou révoqués que du consentement mutuel des parties, ou pour les causes que la loi autorise.
L'article 1195 du même code dispose :
'Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.
En cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu'elles déterminent, ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe.'
Si ces dispositions permettent ainsi à une partie de demander une renégociation du contrat à son cocontractant, elles ne la dispensent pas pour autant de l'exécution de ses obligations durant la renégociation.
Il résulte en effet de l'article 1195 que la force obligatoire du contrat est maintenue pendant toute la période de négociation conduite par les parties puisque la partie qui invoque des circonstances imprévisibles doit continuer à exécuter ses obligations durant la renégociation.
19. Or, en l'espèce, il ressort des différents échanges versés aux débats que la société MRG Construction a conditionné la reprise de son activité à une renégociation des conditions financières du marché et, plus particulièrement, à l'acceptation par le maître de l'ouvrage du paiement d'une somme initialement fixée à 382 578,59 euros, ramenée ensuite à 200.000 euros ce, nonobstant les mises en demeure de reprise du chantier qui lui ont été adressées.
20. Dès lors qu'elle s'est s'abstenue unilatéralement d'exécuter ses propres obligations pendant la négociation, la société MRG Construction est mal fondée à invoquer le bénéfice des dispositions de l'article 1195 dont les conditions d'application ne sont pas remplies.
Elle ne saurait davantage être fondée, alors qu'elle a elle-même cessé d'exécuter ses obligations, à reprocher à l'intimée d'avoir, par son refus de renégocier les conditions tarifaires du marché, manqué à son obligation contractuelle de bonne foi.
Elle sera en conséquence déboutée de sa demande à ce titre.
2- Sur les dommages et intérêts pour résiliation abusive
Moyens des parties
21. La société Silvestri-Baujet ès qualités fait ensuite valoir que le contrat a été résilié abusivement par la société Les Résidences d'Acaste au motif du retard pris dans l'exécution des travaux alors que celui-ci ne lui est pas imputable puisqu'il résulte, d'une part, des difficultés liées aux opérations de terrassement, aux journées d'intempérie, au recours à un groupe électrogène et aux multiples retards de paiement de la société Les Résidences d'Acaste, d'autre part, de l'interruption du chantier entre le 16 mars 2020 et le 12 mai 2020 compte tenu des mesures restrictives sanitaires imposées par le gouvernement.
Elle conteste avoir eu recours à un sous-traitant de manière irrégulière, faisant valoir que c'est le maître de l'ouvrage qui lui a imposé l'intervention de la société Technic Construction, laquelle a été payée par la société Groupe Argo. Elle réclame la somme de 148.416,70 euros en réparation du préjudice subi suite à la résiliation abusive du marché par la société Les Résidences d'Acaste.
22. La société Les Résidences d'Acaste réplique que la société MRG Construction a accumulé 81 jours de retard avant le Covid, ajoutant que lors du premier confinement, les ouvriers du bâtiments pouvaient intervenir sur les chantiers. Elle souligne que lorsque la société Kaliopé a demandé la reprise du chantier, la société MRG Construction a fait un chantage financier conduisant le maître de l'ouvrage à devoir lui enjoindre de reprendre l'exécution des travaux, par courrier de mise en demeure faisant courir le délai de 8 jours pour constater la rupture pour abandon de chantier telle que fixée par le CCAP. Elle précise que la société MRG Construction a abandonné le chantier même après la levée du confinement. Faisant également valoir une sous-traitance irrégulière et le défaut de production d'une attestation d'assurance décennale à jour, elle conclut que le contrat a été rompu aux torts exclusifs de l'entreprise pour de justes motifs.
Réponse de la cour
23. Selon les dispositions de l'article 1224 du code civil , la résolution résulte soit de l'application d'une clause résolutoire soit, en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice.
Selon les dispositions de l'article 1226 du code civil, le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification. Sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable.
La mise en demeure mentionne expressément qu'à défaut pour le débiteur de satisfaire à son obligation, le créancier sera en droit de résoudre le contrat.
Lorsque l'inexécution persiste, le créancier notifie au débiteur la résolution du contrat et les raisons qui la motivent.
Le débiteur peut à tout moment saisir le juge pour contester la résolution. Le créancier doit alors prouver la gravité de l'inexécution.
Les dispositions précitées sont applicables à la résolution unilatérale d'un marché à forfait par le maître d'ouvrage qui invoque un manquement grave de l'entrepreneur à ses obligations.
24. Le Cahier des Clauses Administratives Générales (CCAG) applicable aux travaux de bâtiment faisant l'objet de marchés privés, Norme Française NF P 03-001 prévoit en son article 22.1.2.1 que 'le marché pourra être résilié de plein droit, sans accomplissement d'aucune formalité judiciaire, aux torts de l'entrepreneur après mise en demeure en cas d'abandon de chantier ou en cas de sous-traitance en infraction avec les dispositions du paragraphe 4.4 et 20.6".
Le Cahier des Clauses Administratives Particulières (CCAP) précise, en son article 4.1, que:
- l'entrepreneur principal doit faire accepter son sous-traitant et faire agréer les conditions de paiement de chaque contrat de sous-traitance par le maître de l'ouvrage.
- cette demande d'acceptation et d'agrément du sous-traitant doit impérativement être transmise au maître d'oeuvre et au maître d'ouvrage, soit par lettre recommandée avec accusé de réception, soit par remise en main propre contre récepissé.
- le maître de l'ouvrage doit agréer par écrit le sous-traitant dans un délai maximum de 15 jours après réception de la demande d'agrément.
- par dérogation à l'article 4.4.1 du CCAG et à l'issue du délai de 15 jours, en cas de non réponse de la part du maître de l'ouvrage, la demande sera réputée comme étant refusée.
L'article 13 du CCAP énonce que le marché peut être résilié de plein droit, sans aucune indemnité de la part du maître de l'ouvrage, en cas notamment d'abandon de chantier constaté après mise en demeure demeurée infructueuse sous 8 jours.
25. En premier lieu, il a été jugé ci-avant que la société MRG Construction ne pouvait valablement s'abstenir unilatéralement d'exécuter ses propres obligations pendant la renégociation des conditions tarifaires du marché et subordonner la reprise des travaux à l'acceptation par le maître de l'ouvrage du paiement d'une somme de 200.000 euros.
Comme le soutient justement l'intimée, le refus de l'appelante de reprendre l'exécution des travaux s'analyse bien en un abandon de chantier.
Il ressort des pièces produites que par lettre recommandée avec accusé de réception du 18 mai 2020, la société Les Résidences d'Acaste a mis en demeure la société MRG Construction de 'reprendre immédiatement [ses] interventions sur le chantier et d'être présent tous les jours sur site à compter du 22 mai 2020 pour terminer l'intégralité de [ses] ouvrages', ce courrier valant mise en demeure faisant courir les délais légaux conformément au CCAP.
26. Cette mise en demeure étant restée infructueuse, c'est à bon droit qu'en application des dispositions précitées, la société Les Résidences d'Acaste a prononcé la résolution du contrat aux torts de l'entreprise sur ce premier motif.
27. En second lieu, la société MRG Construction ne justifie pas avoir demandé au maître d'ouvrage d'accepter et d'agréer la société Technic Construction en qualité de sous-traitant, conformément au CCAP.
Dans son courrier de mise en demeure en date du 18 mai 2020, la société Les Résidences d'Acaste reprochait à la société MRG Construction la présence de ce sous-traitant sur le chantier.
28. En application des dispositions précitées du CCAG, c'est également à bon droit que, sur ce motif, la société Les Résidences d'Acaste a prononcé la résolution du contrat aux torts de la société MRG Construction.
29. Dès lors, et sans qu'il y ait lieu d'aller plus avant dans la discussion entre les parties, il convient de considérer que contrairement à ce que soutient l'appelante, la résolution du marché prononcée par la société Les Résidences d'Acaste aux torts de la société MRG Construction ne revêt aucun caractère abusif, de sorte que cette dernière doit être déboutée de sa demande d'indemnisation à ce titre.
3- Sur le manquement à l'obligation de paiement de factures
Moyens des parties
30. La société MRG Construction reproche à la société Les Résidences d'Acaste de ne s'être pas acquittée de cinq factures, émises entre le 29 octobre 2019 et le 23 avril 2020, d'un montant total de 48 664,24 euros TTC, dont elle réclame le paiement. Elle sollicite en outre la restitution des remises indument octroyées au maître de l'ouvrage pour règlement anticipé, compte tenu des retards de paiement de ce dernier, pour un montant de 15.873,86 euros TTC.
31. La société Les Résidences d'Acaste oppose qu'elle ne doit aucune somme à la société MRG Construction dont les retards accumulés entraînent l'imputation de pénalités et de dommages et intérêts, faisant valoir que c'est au contraire l'appelante qui est redevable à son égard d'une somme de 439.974,28 euros. Elle soutient en outre que la non-contestation du DGD dans les 30 jours de sa notification a arrêté définitivement les comptes entre les parties.
Réponse de la cour
32. Comme le relève justement le tribunal, la société MRG Construction ne produit pas son mémoire définitif des sommes qu'elle estime lui être dues en application du marché, étant observé que :
- d'une part, ce mémoire aurait dû, conformément à l'article 19.5.1 du CCAG, être communiqué au maître de l'ouvrage dans un délai de 60 jours à dater de la résolution du marché (soit avant le 4 août 2020),
- d'autre part, le DGD établi par le maître d'oeuvre à la demande du maître de l'ouvrage fait quant à lui apparaître un trop-payé d'un montant de 439.974,28 euros, ce DGD comprenant notamment des pénalités de retard et la valeur de reprise du gros oeuvre.
33. En application de l'article 1353 du code civil, la société MRG Construction sera déboutée de sa demande en paiement.
II- Sur la demande reconventionnelle de fixation au passif de la société MRG Construction formée par la société Les Résidences d'Acaste
Moyens des parties
34. La société Les Résidences d'Acaste expose qu'à défaut de réception du mémoire définitif de la société MRG Construction dans les 60 jours de la résiliation, elle lui a notifié son décompte général définitif ; que sans réponse dans le délai de 30 jours, ce décompte est réputé accepté conformément à l'article 19.6.3 du CCAG. Elle soutient alors que la société MRG Construction lui doit la somme de 439 974 euros correspondant à la retenue de garantie, au compte prorata, aux pénalités de retard et à la valeur de reprise du gros 'uvre.
35. La société Silvestri-Baujet ès qualité soutient que la demande de la société Les Résidences d'Acaste est forclose en application des articles L.622-24 et R.622-24 du code de commerce, de sorte qu'aucune compensation ne peut intervenir.
Réponse de la cour
36. Aux termes de l'article L. 622-24 du code de commerce, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception des salariés, adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire dans des délais fixés par décret en Conseil d'Etat.
L'article L. 622-26 du même code précise qu'à défaut de déclaration dans les délais prévus à l'article L.622-24, les créanciers ne sont pas admis dans les répartitions et les dividendes à moins que le juge-commissaire ne les relève de leur forclusion s'ils établissent que leur défaillance n'est pas due à leur fait ou qu'elle est due à une omission du débiteur lors de l'établissement de la liste prévue au deuxième alinéa de l'article L. 622-6. Ils ne peuvent alors concourir que pour les distributions postérieures à leur demande.
37. En l'espèce, faute d'avoir déclaré sa créance au passif de la société MRG Construction, la société Les Résidences d'Acaste ne peut qu'être déboutée de sa demande de fixation.
38. En définitive, le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions.
III- Sur les demandes accessoires
39. Le jugement doit être confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles.
40. L'appelante qui succombe en son appel sera condamnée aux entiers dépens exposés devant la cour.
41. L'intimée succombant toutefois aussi dans son appel incident, il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles exposés en appel et les demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement entrepris en ses dispositions soumises à la cour,
Y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Silvestri-Baujet, ès qualité de liquidateur judiciaire de la société MRG Construction, aux dépens d'appel dont distraction au profit de Maître Thomas Rivière en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Magistrat