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Décisions

CA Aix-en-Provence, retention administrative, 6 novembre 2025, n° 25/02143

AIX-EN-PROVENCE

Ordonnance

Autre

CA Aix-en-Provence n° 25/02143

6 novembre 2025

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

CHAMBRE 1-11, Rétention Administrative

ORDONNANCE

DU 6 NOVEMBRE 2025

N° RG 25/02143 - N° Portalis DBVB-V-B7J-BPJZM

Copie conforme

délivrée le 06 Novembre 2025 par courriel à :

- l'avocat

- le préfet

- le CRA

- le JLD/TJ

- le retenu

- le MP

Décision déférée à la Cour :

Ordonnance rendue par le magistrat désigné pour le contrôle des mesures d'éloignement et de rétention du tribunal judiciaire de Nice en date du 4 novembre 2025 à 15H37.

APPELANT

Monsieur [V] [E]

né le 25 septembre 1998 à [Localité 9] (Bulgarie)

de nationalité bulgare

comparant en visio conférence en application de l'article L743-7 du CESEDA.

Assisté de Maître Alexandre AUBRUN,

avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, commis d'office.

et de Madame [B] [G], interprète en langue bulgare, inscrite sur la liste des experts de la cour d'appel d'Aix-en-Provence.

INTIMÉE

PREFECTURE DES BOUCHES DU RHONE

Représentée par Le Cabinet CENTAURE, avocats au barreau de PARIS,

Avisé et non représenté à l'audience

MINISTÈRE PUBLIC

Avisé, non représenté

******

DÉBATS

L'affaire a été débattue en audience publique le 5 novembre 2025 devant M. Frédéric DUMAS, Conseiller à la cour d'appel délégué par le premier président par ordonnance, assisté de Mme Carla D'AGOSTINO, Greffier,

ORDONNANCE

Contradictoire,

Prononcée par mise à disposition au greffe le 5 novembre 2025 à 16h48,

Signée par M. Frédéric DUMAS, Conseiller et Mme Carla D'AGOSTINO, Greffier,

PROCÉDURE ET MOYENS

Vu les articles L 740-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) ;

Vu l'arrêté portant obligation de quitter le territoire national pris le 1er novembre 2025 par la PREFECTURE DES BOUCHES DU RHONE, notifié le même jour à 11h00 ;

Vu la décision de placement en rétention prise le 1er novembre 2025 par la PREFECTURE DES BOUCHES DU RHONE, notifiée le même jour à 10h55;

Vu l'ordonnance du 4 novembre 2025 rendue par le magistrat désigné pour le contrôle des mesures d'éloignement et de rétention du tribunal judiciaire de Nice décidant le maintien de Monsieur [V] [E] dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire ;

Vu l'appel interjeté le 4 novembre 2025 à 17h24 par Monsieur [V] [E] ;

Vu les conclusions d'intimé transmises le 6 novembre 2025 au greffe par maître CANO au nom du préfet des Bouches-du-Rhône ;

Monsieur [V] [E] a comparu et a été entendu en ses explications ; il déclare : 'je m'appelle [V] [E]. Je suis né le 25 septembre 1998 à [Localité 9]. Oui, je suis de nationalité bulgare. Je fais appel parce que j'ai mon enfant qui est hospitalisé. Il a besoin de moi. Je veux être à côté de lui. Ce sont mes parents qui s'en occupe, c'est toute ma famille, mon père et ma mère. [Concernant l'absence de pièce dans le dossier sur l'hospitalisation d'un enfant] je ne mens pas. Le seul moyen c'est par téléphone, appeler l'hôpital. Il s'agit d'un hôpital en [5]. Mon enfant est dans un état grave. Je veux le rejoindre. [Concernant le contrôle d'identité] Je faisais la manche devant le magasin [Adresse 6]. La sécurité a appelé les policiers. Ils sont venus et m'ont demandé de partir, rien d'autre. Le temps que je m'éloigne, j'ai appelé mon frère pour lui demander de prendre des billets d'avion. J'ai vu une voiture de police qui a fait le tour du rond point. Les policiers sont venus me contrôler et m'ont dit que je devais aller avec eux au commissariat. Ce que j'ai compris dans le jugement du tribunal, c'est qu'on indique que j'avais peur que mon comportement était autre, les policiers m'ont dit de partir. J'ai pris le chemin et un peu plus tard, d'autres policiers m'ont interpellé. Mon père peut me trouver un billet d'avion pour la Bulgarie. La police peut m'escorter jusqu'à l'aéroport. [Concernant la notification de l'arrêté de placement] je n'ai rien de particulier à dire. [Sur l'interpellation] J'étais devant le magasin. Les agents de police m'ont dit de ne pas rester devant le magasin. Oui, je passais par là et j'ai fait la manche. [Sur des faits de mendicité accompagné d'un mineur] oui ça m'est arrivé mais j'ai compris qu'il ne fallait pas le faire. J'ai été placé une autre fois dans un centre. Je ne le fais pas. Je ne le fais plus. Je cherche du travail en France. J'arrive à trouver des petits boulots mais au black. Je n'ai pas de papiers français. C'est ça mon problème, je vous promets que je ne retournerai jamais en France. Je vous supplie. Je veux revoir mon enfant.'

Son avocat, régulièrement entendu et dont les observations ont été consignées dans le procès-verbal d'audience, reprend les termes de la déclaration d'appel et demande l'infirmation de l'ordonnance du magistrat du siège du tribunal judiciaire ainsi que la mainlevée du placement en rétention. Il souligne notamment qu'il résulte des pièces du dossier que la personne qui a consulté le Fichier automatisé des empreintes digitales n'était pas habilitée pour ce faire et qu'il s'agit d'une nullité d'ordre public.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La recevabilité de l'appel contre l'ordonnance du magistrat désigné pour le contrôle des mesures d'éloignement et de rétention n'est pas contestée et les éléments du dossier ne font pas apparaître d'irrégularité.

Sur les exceptions de nullité

L'article 74 du code de procédure civile dispose que les exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir. Il en est ainsi alors même que les règles invoquées au soutien de l'exception seraient d'ordre public.

L'article L. 743-12 du CESEDA prévoit que, en cas de violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ou d'inobservation des formalités substantielles, le magistrat du siège du tribunal judiciaire saisi d'une demande sur ce motif ou qui relève d'office une telle irrégularité ne peut prononcer la mainlevée du placement ou du maintien en rétention que lorsque celle-ci a eu pour effet de porter substantiellement atteinte aux droits de l'étranger dont l'effectivité n'a pu être rétablie par une régularisation intervenue avant la clôture des débats.

Sur l'irrégularité du contrôle d'identité

L'article 78-2 du code de procédure pénale prévoit que les officiers de police judiciaire et, sur l'ordre et sous la responsabilité de ceux-ci, les agents de police judiciaire et agents de police judiciaire adjoints mentionnés aux articles 20 et 21-1° peuvent inviter à justifier, par tout moyen, de son identité toute personne à l'égard de laquelle existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner :

- qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction,

- ou qu'elle se prépare à commettre un crime ou un délit,

- ou qu'elle est susceptible de fournir des renseignements utiles à l'enquête en cas de crime ou de délit,

- ou qu'elle a violé les obligations ou interdictions auxquelles elle est soumise dans le cadre d'un contrôle judiciaire, d'une mesure d'assignation à résidence avec surveillance électronique, d'une peine ou d'une mesure suivie par le juge de l'application des peines,

- ou qu'elle fait l'objet de recherches ordonnées par une autorité judiciaire.

Selon ce même texte, sur réquisitions écrites du procureur de la République aux fins de recherche et de poursuite d'infractions qu'il précise, l'identité de toute personne peut être également contrôlée, selon les mêmes modalités, dans les lieux et pour une période de temps déterminés par ce magistrat. Le fait que le contrôle d'identité révèle des infractions autres que celles visées dans les réquisitions du procureur de la République ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes. En outre l'identité de toute personne, quel que soit son comportement, peut également être contrôlée, selon les modalités prévues au premier alinéa, pour prévenir une atteinte à l'ordre public, notamment à la sécurité des personnes ou des biens.

L'article 78-2 alinéa 4 précise en outre notamment que, dans une zone comprise entre la frontière terrestre de la France avec les États parties à la Convention signée à Schengen le 19 juin 1990 et une ligne tracée à 20 kilomètres en deçà, ainsi que dans les zones accessibles au public des ports, aéroports et gares ferroviaires ou routières ouverts au trafic international et désignés par arrêté et aux abords de ces gares, pour la prévention et la recherche des infractions liées à la criminalité transfrontalière, l'identité de toute personne peut également être contrôlée, selon les modalités prévues au premier alinéa, en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévues par la loi.

L'appelant fait valoir qu'il a été contrôlé par des policiers de manière injustifiée alors qu'il n'avait commis aucune infraction.

Or, ainsi que l'a souligné le premier juge, le procureur de la République d'[Localité 4] a autorisé par réquisitions une opération de contrôle d'identité le vendredi 31 octobre 2025 de 11 heures 00 à1 heure 00 sur la commune de [Localité 12], notamment au niveau de l'avenue du Groupe Manouchian. M. [E] a fait l'objet d'un contrôle d'identité le 31 octobre 2025 à 11 heures 10 au niveau de l'avenue du Groupe Manouchian, soit aux dates et périmètres prévus par les réquisitions alors de surcroît que son comportement, à savoir s'accroupir à l'arrière d'un arrêt de bus à la vue des policiers, a pu légitiment faire penser aux fonctionnaires de police qu'il tentait d'échapper à un contrôle d'identité et était susceptible d'avoir commis une les infractions prévues à l'article susvisé.

C'est donc à juste titre que le magistrat du siège du tribunal judiciaire a rejeté cette exception de nullité.

Sur le défaut d'habilitation de l'agent ayant consulté le FAED

L'article 15-5 du code de procédure pénale dispose que seuls les personnels spécialement et individuellement habilités à cet effet peuvent procéder à la consultation de traitements au cours d'une enquête ou d'une instruction. La réalité de cette habilitation spéciale et individuelle peut être contrôlée à tout moment par un magistrat, à son initiative ou à la demande d'une personne intéressée, étant néanmoins précisé que l'absence de la mention de cette habilitation sur les différentes pièces de procédure résultant de la consultation de ces traitements n'emporte pas, par elle-même, nullité de la procédure.

Aux termes de l'article R. 40-38-1 du même code le ministre de l'intérieur (direction générale de la police nationale) est autorisé à mettre en 'uvre un traitement de données à caractère personnel dénommé fichier automatisé des empreintes digitales (FAED).

Il est constant qu'au regard de l'ingérence dans le droit au respect de la vie privée que constituent, au sens de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la conservation dans un fichier automatisé des empreintes digitales d'un individu identifié ou identifiable et la consultation de ces données, l'habilitation des agents à les consulter est une garantie institutionnelle édictée pour la protection des libertés individuelles.

Il s'ensuit que, conformément à l'article 15-5 précité, l'absence de la mention de cette habilitation sur les différentes pièces résultant de la consultation de ces traitements n'entache pas en elle-même la procédure de nullité mais que l'habilitation de l'agent ayant procédé à la consultation litigieuse doit pouvoir être vérifiée par un magistrat, le cas échéant à la demande de tout intéressé. S'il ne résulte pas alors des pièces versées au dossier que l'agent ayant consulté les fichiers d'empreintes était expressément habilité la procédure se trouve entachée d'une nullité d'ordre public, sans que l'étranger qui l'invoque ait à démontrer l'existence d'une atteinte portée à ses droits.

En l'espèce l'appelant soulève la nullité de la procédure au motif que Mme [W] [S], qui a consulté le FAED, n'était pas habilitée à cet effet.

Il ressort effectivement de l'examen de la fiche collective d'habilitation d'accès aux fichiers établie le 6 décembre 2023 par la Direction départementale de la sécurité publique des Bouches-du-Rhône que Mme [W] [S], portant le numéro de matricule 7107423, ne figure pas parmi les personnes habilitées.

Le défaut de justification de cette habilitation entraîne par conséquent, pour les motifs précédemment exposés, la nullité de la consultation dudit fichier et, partant, de la procédure de rétention dans la mesure où l'arrêté de placement est fondé pour partie sur les éléments liés à des agissements délictuels tirés de cette base de donnée.

Il conviendra dans ces conditions d'infirmer la décision querellée et d'ordonner la mainlevée de la mesure de rétention de M. [E], étant rappelé que celui-ci a obligation de quitter le territoire national en vertu de l'arrêté du 1er novembre 2025.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement par décision contradictoire en dernier ressort, après débats en audience publique,

Déclarons recevable l'appel interjeté à l'encontre de l'ordonnance du 4 novembre 2025 du magistrat du siège du tribunal judiciaire de Nice,

Prononçons la nullité de la procédure de rétention de M. [V] [E],

Infirmons l'ordonnance du magistrat désigné pour le contrôle des mesures d'éloignement et de rétention du tribunal judiciaire de Nice en date du 4 novembre 2025,

Statuant à nouveau,

Ordonnons la mainlevée de la mesure de rétention de M. [V] [E], étant rappelé qu'il a obligation de quitter le territoire national en vertu de l'arrêté du 1er novembre 2025.

Les parties sont avisées qu'elles peuvent se pourvoir en cassation contre cette ordonnance dans un délai de 2 mois à compter de cette notification, le pourvoi devant être formé par déclaration au greffe de la Cour de cassation, signé par un avocat au conseil d'Etat ou de la Cour de cassation.

Le greffier Le président

Reçu et pris connaissance le :

Monsieur [V] [E]

Assisté d'un interprète

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-11, Rétentions Administratives

[Adresse 11]

Téléphone : [XXXXXXXX02] - [XXXXXXXX03] - [XXXXXXXX01]

Courriel : [Courriel 7]

Aix-en-Provence, le 5 novembre 2025

À

- PREFECTURE DES BOUCHES DU RHONE

- Monsieur le directeur du centre de rétention administrative de [Localité 10]

- Monsieur le procureur général

- Monsieur le greffier du Magistrat du siège du tribunal judiciaire chargé du contrôle des mesures privatives et restrictives de libertés de NICE

- Maître Alexandre AUBRUN

NOTIFICATION D'UNE ORDONNANCE

J'ai l'honneur de vous notifier l'ordonnance ci-jointe rendue le 5 novembre 2025, suite à l'appel interjeté par :

Monsieur [V] [E]

né le 25 Septembre 1998 à [Localité 8]

de nationalité Bulgare

Je vous remercie de m'accuser réception du présent envoi.

Le greffier,

VOIE DE RECOURS

Nous prions Monsieur le directeur du centre de rétention administrative de bien vouloir indiquer au retenu qu'il peut se pourvoir en cassation contre cette ordonnance dans un délai de 2 mois à compter de cette notification, le pourvoi devant être formé par déclaration au greffe de la Cour de cassation.

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