Livv
Décisions

CA Orléans, ch. des retentions, 9 novembre 2025, n° 25/03340

ORLÉANS

Ordonnance

Autre

CA Orléans n° 25/03340

9 novembre 2025

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL D'ORLÉANS

Rétention Administrative

des Ressortissants Étrangers

ORDONNANCE du 09 NOVEMBRE 2025

Minute N° 1082/2025

N° RG 25/03340 - N° Portalis DBVN-V-B7J-HJ5F

(1 pages)

Décision déférée : ordonnance du tribunal judiciaire d'Orléans en date du 06 novembre 2025 à 11h31

Nous, Fanny CHENOT, conseiller à la cour d'appel d'Orléans, agissant par délégation de la première présidente de cette cour, assistée de Léa HUET, greffière, aux débats et au prononcé de l'ordonnance,

APPELANT :

Monsieur LE PREFET DE LA [Localité 1]-ATLANTIQUE

non comparant, non représenté ;

INTIMÉ :

Monsieur [J] [Y] alias [J] [I] né le 03/06/1997, alias [F] [J] né le 03/06/1997, alias [I] [D] né le 03/06/1997, alias [U] [E] né le 06/06/1990

né le 03 Juin 1997 à [Localité 4] (ALGERIE), de nationalité algérienne

libre, demeurant / sans adresse connue

convoqué au centre de rétention d'[Localité 3], dernière adresse connue en France

non comparant, représenté par Maître Anne BURGEVIN, avocat au barreau d'ORLEANS ;

MINISTÈRE PUBLIC : avisé de la date et de l'heure de l'audience ;

À notre audience publique tenue au Palais de Justice d'Orléans, le 09 novembre 2025 à 10 H 00 ;

Statuant en application des articles L. 743-21 à L. 743-23 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), et des articles R. 743-10 à R. 743-20 du même code ;

Vu l'ordonnance rendue le 06 novembre 2025 à 11h31 par le tribunal judiciaire d'Orléans ordonnant la jonction des procédures de demande de prolongation par la préfecture et de recours contre l'arrêté de placement en rétention administrative par le retenu, constatant l'irrégularité du placement en rétention et disant n'y avoir lieu à prolongation de la rétention administrative de Monsieur [J] [Y] alias [J] [I] né le 03/06/1997, alias [F] [J] né le 03/06/1997, alias [I] [D] né le 03/06/1997, alias [U] [E] né le 06/06/1990 ;

Vu l'appel de ladite ordonnance interjeté le 07 novembre 2025 à 10h00 par Monsieur LE PREFET DE LA [Localité 1]-ATLANTIQUE ;

Après avoir entendu

- Maître Anne BURGEVIN en sa plaidoirie ;

AVONS RENDU ce jour l'ordonnance publique et réputée contradictoire suivante :

PROCEDURE

Par une ordonnance du 6 novembre 2025, rendue en audience publique à 11h31, le magistrat du siège du tribunal judiciaire d'Orléans a constaté l'irrégularité de la procédure ayant précédé le placement en rétention administrative de M. [J] [Y] et mis fin, en conséquence, au maintien de ce dernier dans les locaux non pénitentiaires.

Pour statuer comme il l'a fait, le premier juge a relevé qu'il n'était pas justifié de l'habilitation de l'agent ayant consulté le fichier automatisé des empreintes digitales (FAED) pour M. [J] [Y].

Par courriel transmis au greffe de la chambre des rétentions administratives de la cour le 7 novembre 2025 à 9h59, le préfet de [Localité 1]-Atlantique a relevé appel de cette décision, en sollicitant son infirmation et la prolongation de la rétention de l'étranger intimé.

Au soutien de son appel, le représentant de l'Etat affirme que la consultation des fichiers FPR, TAJ et FNE a été effectuée par des officiers de police judiciaire expressément habilités à cet effet, soutient que selon l'article 15-5 du code de procédure pénale, l'absence de la mention de l'habilitation sur les différentes pièces de procédure résultant de la consultation de ces traitements n'emporte pas, par elle-même, nullité de la procédure, puis indique que l'habilitation de l'agent ayant consulté le FAED a été transmise à l'issue de la procédure et que le document justificatif serait joint à son recours.

M. [J] [Y] qui n'a pu être informé de cette instance d'appel puisque sa convocation est parvenue au CRA d'[Localité 3] postérieurement à sa remise en liberté et n'a pas d'adresse connue, n'a pas transmis de conclusions ni d'observations écrites avant l'audience de ce jour, à laquelle il a néanmoins été représenté par son avocat, Maître Burgevin..

MOTIFS DE LA DECISION :

L'article L.142-2 du CESEDA dispose qu'en vue de l'identification d'un étranger qui n'a pas présenté à l'autorité administrative compétente les documents de voyage permettant l'exécution d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, les données des traitements automatisés des empreintes digitales mis en 'uvre par le ministère de l'intérieur peuvent être consultées par les agents expressément habilités des services de ce ministère dans les conditions prévues par le règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard des traitements des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données et par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

L'article R. 40-38-1 du code de procédure pénale dispose que le ministre de l'intérieur est autorisé à mettre en 'uvre un traitement de données à caractère personnel dénommé fichier automatisé des empreintes digitales (FAED) qui a notamment pour finalité de faciliter l'identification d'un étranger dans les conditions prévues à l'article L. 142-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

L'article R. 40-38-7, I. du code de procédure pénale dispose :

« Peuvent avoir accès, à raison de leurs attributions et dans la limite du besoin d'en connaître, à tout ou partie des données et informations mentionnées aux articles R. 40-38-2 et R. 40-38-3 :

1° Les personnels de la police nationale et ceux de la gendarmerie nationale individuellement désignés et dûment habilités, affectés dans les services chargés d'une mission de police judiciaire et spécialement chargés de la mise en 'uvre du traitement, aux fins de consultation, d'alimentation et d'identification des personnes ;

2° Les personnels de la police nationale, de la gendarmerie nationale et les agents des douanes et des services fiscaux habilités à effectuer des enquêtes judiciaires en application des articles 28-1 et 28-2, individuellement désignés et habilités aux seules fins de consultation et d'alimentation ;

3° Le magistrat chargé du service du casier judiciaire national automatisé et les agents de ce service habilités par lui ».

Il résulte de ces dispositions que la seule qualité de policier ou de gendarme ne permet pas d'accéder aux données du FAED, dès lors qu'il est exigé que l'agent soit pourvu d'une habilitation individuelle et spéciale aux fins de mise en 'uvre du traitement, aux fins de consultation, d'alimentation et d'identification des personnes.

L'article 15-5 du code de procédure pénale créé par la loi n° 2023-22 du janvier 2023 prévoit, dans le cadre des enquêtes et des contrôles d'identité, que seuls les personnels spécialement et individuellement habilités à cet effet peuvent procéder à la consultation de traitements au cours d'une enquête ou d'une instruction. Il précise que la réalité de cette habilitation spéciale et individuelle peut être contrôlée à tout moment par un magistrat, à son initiative ou à la demande d'une personne intéressée, mais que l'absence de la mention de cette habilitation sur les différentes pièces de procédure résultant de la consultation de ces traitements n'emporte pas, par elle-même, nullité de la procédure ».

Cette présomption d'habilitation a été déclarée conforme à la Constitution (Cons. Const.19 janvier 2023, DC n° 2022-846), au motif que les dispositions de ce texte n'ont ni pour objet ni pour effet de dispenser les agents de l'obligation de disposer d'une habilitation pour consulter des traitements de données, ou de faire obstacle à l'annulation d'un acte de procédure résultant d'une telle consultation par un agent dépourvu d'habilitation.

Au regard de l'ingérence dans le droit au respect de la vie privée que constituent, au sens de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la conservation dans un fichier automatisé des empreintes digitales d'un individu identifié ou identifiable et la consultation de ces données, l'habilitation des agents est une garantie institutionnelle édictée pour la protection des libertés individuelles (v. par ex. Civ.1, 14 octobre 2020, pourvoi n° 19-19.234).

Il s'ensuit que la preuve de l'habilitation à consulter le FAED est une garantie du respect des libertés publiques et que tout intéressé ayant fait l'objet d'une consultation de ses données peut exiger qu'il lui soit justifié de l'habilitation de l'agent ayant eu accès à ces données.

Dès lors, s'il ne résulte pas des pièces du dossier que l'agent ayant consulté les fichiers d'empreintes était expressément habilité à cet effet, la procédure se trouve entachée d'une nullité d'ordre public, sans que l'étranger qui l'invoque ait à démontrer l'existence d'une atteinte portée à ses droits, ainsi que l'a déjà jugé la Cour de cassation (1re Civ., 14 octobre 2020, préc.).

En matière de rétention administrative des étrangers, les délais très contraints impartis pour statuer ne permettent pas au juge de procéder à des investigations pour rechercher si les personnes ayant consulté les fichiers sécurisés y étaient habilitées.

Il s'en infère que, nonobstant la présomption établie par le nouvel article 15-5 du code de procédure pénale, lorsqu'il ne résulte pas des pièces du dossier que l'agent ayant consulté les fichiers d'empreintes était expressément habilité à cet effet, la procédure doit être annulée sans que l'étranger qui invoque la nullité ait à démontrer l'existence d'un grief si, durant le temps de l'instance devant le juge judiciaire, le cas échéant à hauteur d'appel seulement, le préfet ou le ministère public n'établit pas que la personne qui a procédé à la consultation du FAED était effectivement habilitée à cette fin.

En l'espèce, il est joint en procédure (pièce n° 7) le rapport de consultation décadactylaire du FAED en date du 1er novembre 2025, dont il ressort que ce fichier a été consulté ce même jour par Mme [K] [H], afin d'accéder aux données de M. X se disant [J] [I] lors d'opérations de contrôle d'identité réalisées sur réquisitions du procureur de la République de [Localité 2].

A sa déclaration d'appel, le Préfet de [Localité 1]-Atlantique a joint, en sus de sa requête aux fins de prolongation et de l'ordonnance de mainlevée critiquée, une pièce n°12 qui est le justificatif de la délégation de signature de Mme [C] [G], non contestée, mais n'a communiqué aucun justificatif de l'habilitation de Mme [H].

Dès lors que l'appelant ne produit pas le justificatif de l'habilitation de Mme [H] et qu'il ne ressort d'aucune pièce du dossier, notamment d'aucune mention d'un procès-verbal qui aurait pu faire foi (v. par ex. Crim., 3 avril 2024, pourvoi n° 23-85.513), que cet agent disposait d'une habilitation individuelle et spéciale, la cour ne peut que constater l'irrégularité de la consultation et, par voie subséquente, celle de la procédure administrative de rétention.

L'ordonnance déférée sera en conséquence confirmée.

PAR CES MOTIFS,

CONFIRMONS l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,

LAISSONS les dépens à la charge du Trésor ;

ORDONNONS la remise immédiate d'une expédition de la présente ordonnance à Monsieur [J] [Y] alias [J] [I] né le 03/06/1997, alias [F] [J] né le 03/06/1997, alias [I] [D] né le 03/06/1997, alias [U] [E] né le 06/06/1990 et son conseil, à Monsieur LE PREFET DE LA LOIRE-ATLANTIQUE et à Monsieur le procureur général près la cour d'appel d'Orléans ;

Et la présente ordonnance a été signée par Fanny CHENOT, conseiller, et Léa HUET, greffière présent lors du prononcé.

Fait à [Localité 5] le NEUF NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ, à heures

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

Léa HUET Fanny CHENOT

Pour information : l'ordonnance n'est pas susceptible d'opposition.

Le pourvoi en cassation est ouvert à l'étranger, à l'autorité administrative qui a prononcé le maintien la rétention et au ministère public. Le délai de pourvoi en cassation est de deux mois à compter de la notification. Le pourvoi est formé par déclaration écrite remise au secrétariat greffe de la Cour de cassation par l'avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation constitué par le demandeur.

NOTIFICATIONS, le 09 novembre 2025 :

Monsieur [J] [Y] alias [J] [I] né le 03/06/1997, alias [F] [J] né le 03/06/1997, alias [I] [D] né le 03/06/1997, alias [U] [E] né le 06/06/1990, par transmission au greffe du CRA d'[Localité 3], dernière adresse connue

Maître Anne BURGEVIN, avocat au barreau d'ORLEANS, par PLEX

Monsieur LE PREFET DE LA [Localité 1]-ATLANTIQUE , par courriel

Monsieur le procureur général près la cour d'appel d'Orléans, par courriel

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site