Livv
Décisions

CA Lyon, ch. soc. b, 7 novembre 2025, n° 23/03491

LYON

Arrêt

Autre

CA Lyon n° 23/03491

7 novembre 2025

AFFAIRE PRUD'HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 23/03491 - N° Portalis DBVX-V-B7H-O6DW

[C]

C/

S.A.S.U. ITCELERATOR

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 06 Avril 2022

RG : F21/00818

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE B

ARRÊT DU 07 NOVEMBRE 2025

APPELANT :

[M] [C]

né le 08 Décembre 1970 à [Localité 5]

[Adresse 3]

[Localité 2]

représenté par Me Emmanuel MOUCHTOURIS de la SELARL SOCIETE D'AVOCATS SAINT CYR AVOCATS, avocat au barreau de LYON

INTIMÉE :

S.A.S.U. ITCELERATOR

N° SIRET: 824 087 522 00010

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Louise MILBACH, avocat au barreau de PARIS

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 17 Septembre 2025

Présidée par Béatrice REGNIER, Présidente magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Mihaela BOGHIU, Greffière.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Béatrice REGNIER, présidente

- Catherine CHANEZ, conseillère

- Régis DEVAUX, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 07 Novembre 2025 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Béatrice REGNIER, Présidente et par Mihaela BOGHIU, Greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

M. [M] [C] a été engagé dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée le 4 novembre 2019 par la société Itcelerator, qui a pour activité la mise en place et le paramétrage de solutions CPQ (Configuration Price Quote) permettant l'optimisation des processus de vente, en qualité d'architecte solution.

Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective des bureaux techniques, cabinet d'ingénieur conseils et société de conseils, dite SYNTEC.

Après avoir été convoqué le 9 décembre 2020 à un entretien préalable et mis à pied à titre conservatoire, M. [C] a été licencié pour faute grave le 28 décembre suivant.

Contestant le bien-fondé de cette mesure, il a saisi le 26 mars 2021 le conseil de prud'hommes de Lyon qui, par jugement du 6 avril 2023, a :

- dit que le licenciement pour faute grave est fondé ;

- dit que la convention de forfait est privée d'effet est inopposable à M. [C] ;

- débouté le salarié de l'ensemble de ses prétentions ;

- condamné M. [C] à payer à la société Itcelerator les sommes de 2 884,15 euros en remboursement des jours de RTT dont il a bénéficié et de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- laissé les dépens à la charge de chacune des parties.

Par déclaration du 26 avril 2023, M. [C] a interjeté appel du jugement.

Vu les conclusions transmises par voie électronique le 25 juillet 2023 par M. [C] ;

Vu les conclusions transmises par voie électronique le 2 octobre 2023 par la société Itcelerator ;

Vu l'ordonnance de clôture en date du 24 juin 2025 ;

Pour l'exposé des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions déposées et transmises par voie électronique conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE :

- Sur le licenciement :

Attendu, d'une part, qu'il convient de rappeler que la lettre de licenciement fixe les limites du litige ;

Que, selon l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; que, si un doute subsiste, il profite au salarié ; qu'ainsi l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables ;

Que par ailleurs la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et justifie la rupture immédiate de son contrat de travail, sans préavis, la charge de la preuve pesant sur l'employeur ;

Attendu, d'autre part, qu'il résulte de l'article L.1121-1 du code du travail que le salarié jouit y compris sur le lieu de travail de sa liberté d'expression et peut dans une certaine mesure critiquer son employeur sans toutefois le dénigrer, l'abus étant caractérisé par des propos diffamatoires, injurieux ou excessifs et l'excès étant apprécié à la fois par rapport à la teneur des propos et de leur audience ; que le salarié peut dénoncer des actes illicites dans l'entreprise, sous réserve de ne pas être de mauvaise foi ; que, la liberté d'expression étant une liberté fondamentale, le licenciement qui est prononcé parce que le le salarié a exercé, sans abus, sa liberté d'expression est nul ;

Attendu qu'en l'espèce M. [C] a été licencié par courrier recommandé du 28 décembre 2020 pour les motifs suivants :

'Par mail du 1er décembre, vous m'avez invité à une réunion virtuelle intitulée « rupture conventionnelle » qui a eu lieu le jour même.

Lors de cette réunion, vous m'avez fait part de votre souhait de quitter l'entreprise.

Vous avez renouvelé cette demande par mail du 02 décembre 2020 à la suite duquel nous vous avons soumis un formulaire de rupture conventionnelle.

Nous avons été alors particulièrement choqués des termes de votre retour en date du 03 décembre 2020 dans lequel vous indiquez « peux-tu ajouter dans la convention une transaction équivalente à un mois de salaire et on tire un trait sur le mail en copie. »

Le mail en question relève de discussions internes à l'entreprise relatives à la stratégie commerciale à adopter à l'égard d'un client essentiel à notre Société.

Un tel procédé est particulièrement étonnant et nous avons été sidérés que vous n'hésitiez pas à utiliser des moyens de pressions relatifs à nos relations clients pour obtenir une indemnisation complémentaire que nous ne sommes nullement tenus d'accepter et que vous n'aviez jamais évoqué lors de nos précédents échanges.

Plus encore, et de façon particulièrement agressive, menaçante et inappropriée, vous nous avez adressé, le 07 décembre 2020, un document intitulé « transaction » et rédigé par vous seul.

Dans ce document, que vous avez écrit pour le compte de notre Société, vous mentionnez des manquements qui nous seraient imputables et de nature à ouvrir droit à une indemnisation à votre profit.

Ces agissements sont extrêmement graves.

Vous vous permettez en effet de menacer la bonne marche de notre entreprise et ce, dans un but purement personnel et financier.

Nous ne pouvons accepter que vous entendiez violer votre obligation de loyauté à notre égard en mettant en péril nos relations avec nos clients.

Nous vous rappelons que vous êtes à l'initiative de cette demande de rupture conventionnelle et que vous n'avez jamais fait état durant la durée de notre collaboration de difficultés dans l'exercice de vos fonctions.

Plus encore, les allégations dont vous faites état sont totalement fausses et n'ont pour autre but que de nous effrayer afin d'obtenir gain de cause.

Ces agissements sont contraires tant à l'esprit même d'une rupture conventionnelle qu'à vos obligations les plus élémentaires de loyauté et de respect vis-à-vis de votre employeur.' ;

Attendu qu'à l'appui de sa contestation M. [C] soutient que son licenciement est nul aux motifs d'une part que, en acceptant une rupture conventionnelle, l'employeur s'est privé de la possibilité de prononcer un licenciement, d'autre part que la rupture de son contrat de travail est la conséquence d'un exercice non abusif de sa liberté d'expression ;

Attendu que, à supposer que ces moyens soient opérants à l'appui de la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ils ne sont pas fondés ;

Attendu qu'en effet il n'était pas interdit à la société Itcelerator d'engager une procédure de licenciement alors des pourparlers visant à une rupture du contrat étaient en cours et ce, d'autant plus que, au cas d'espèce, les griefs disciplinaires reprochés à M. [C] tenaient aux menaces que celui-ci proférait dans le cadre de ces pourparlers ;

Que par ailleurs il n'est pas fait grief à M. [C] d'avoir dénoncé des pratiques irrégulières de son employeur, mais d'avoir opéré un chantage dans le cadre des pourparlers de rupture aux fins d'obtenir le paiement d'une indemnité complémentaire ; que ce n'est donc pas la liberté d'expression du salarié qui remise en cause, mais sa loyauté ; que M. [C] ne peut donc valablement prétendre qu'il aurait été licencié pour avoir fait usage de sa liberté d'expression ;

Attendu que, à supposer que M. [C] entende également contester le caractère réel et sérieux du licenciement en invoquant le non-respect de l'obligation de loyauté, la cour retient qu'en menaçant son employeur le 3 décembre 2020, dans le cadre de pourparlers de rupture conventionnelle, de faire état d'un mail datant du 10 juin 2020 - soit antérieur de six mois et au sujet duquel il n'avait jamais formulé d'observations - pour obtenir un mois de salaire supplémentaire, puis en lui demandant de signer un document intitulé 'transaction' dans lequel la société Itcelerator devait reconnaître avoir demandé au salarié de ne pas respecter les valeurs fondamentales de déontologie et l'éthique vis à vis des clients - faits dont la matérialité est démontrée et n'est pas contestée, M. [C] a exercé un chantage auprès de son employeur et failli à son obligation de loyauté ; que la cour observe surabondamment que le courriel du 10 juin 2020 en cause concernait, non un client, mais un prospect, et que la société Itcelerator demandait simplement à ses équipes de ne pas nuire à ses partenaires en ne rentrant pas dans les détails techniques devant lui ;

Attendu que le manque de loyauté dont a fait preuve M. [C] à l'égard de son employeur rendait impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et justifiait la rupture immédiate de son contrat de travail, sans préavis ; que le licenciement pour faute grave est donc fondé et que, par confirmation, M. [C] est débouté de ses demandes tendant au paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle, d'indemnité légale de licenciement, d'indemnité compensatrice de préavis, des congés payés y afférents, du montant correspondant au règlement contractuellement prévu de 650 euros par mois sur la durée du préavis légal, et du montant correspondant à l'indemnisation des 7 jours de carence institués par France Travail ;

- Sur les dommages et intérêts pour annulation de la convention de forfait jours et l'accomplissement d'heures de travail au-delà de la durée légale :

Attendu qu'il résulte des dispositions de l'article L. 3121-60 du code du travail, dont les dispositions sont d'ordre public, que l'employeur s'assure régulièrement que la charge de travail du salarié soumis à une convention de forfait en jours est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail ;

Attendu qu'en l'espèce il ne ressort d'aucune pièce du dossier que la société Itcelerator s'assurait régulièrement que la charge de travail de M. [C], soumis à une convention de forfait en jours, était raisonnable et permettait une bonne répartition dans le temps de son travail ; que la seule circonstance que l'intéressé a fait des demandes de congés auxquelles il a été fait droit ou encore a indiqué dans un document contenant une demande de congés que cette réclamation faisait 'suite au point sur les RTT' est à cet égard insuffisante ;

Attendu que M. [C] est dès lors bien fondé à soutenir que la convention de forfait en jours est privée d'effet à son égard ;

Attendu que M. [C] ne peut sous couvert d'une demande indemnitaire réclamer le paiement d'un rappel de salaire d'heures supplémentaires ; que toutefois il a subi un préjudice dès lors qu'aucun contrôle de sa charge de travail n'était opéré alors même qu'il était contraint d'effectuer des déplacements professionnels ; que son préjudice est évalué à la somme de 3 000 euros - la cour analysant la demande de dommages et intérêts pour annulation de la convention de forfait jours comme tendant au paiement de dommages et intérêts pour privation d'effet de la convention de forfait jours ;

- Sur la demande reconventionnelle :

Attendu que, la convention de forfait à laquelle le salarié était soumis étant privée d'effet, le paiement des jours de réduction du temps de travail accordés en exécution de la convention est devenu indu ;

Attendu que la société Itcelerator, qui justifie que M. [C] a pris 10 jours de RTT, est bien fondé à réclamer le paiement des jours en cause, pour un taux journalier de 288,415 euros brut ; que, par confirmation, le salarié est donc condamné à lui verser la somme de 2 884,15 brut ; que ce montant produira intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt ;

- Sur les frais irrépétibles :

Attendu qu'il convient pour des raisons tenant à l'équité de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en cause d'appel ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a débouté M. [M] [C] de sa demande de dommages et intérêts au titre de la privation d'effet de la convention de forfait en jours et condamné l'intéressé à payer à la société Itcelerator la somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau sur le chef réformé et ajoutant,

Condamne la société Itcelerator à payer à M. [M] [C] la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour privation d'effet de la convention de forfait en jours à son égard, et ce avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt,

Dit n'y avoir lieu à faire application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en cause d'appel,

Dit que chaque partie supportera ses propres dépens d'appel.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site