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Décisions

CA Lyon, ch. soc. b, 7 novembre 2025, n° 22/06975

LYON

Arrêt

Autre

CA Lyon n° 22/06975

7 novembre 2025

AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE

N° RG 22/06975 - N° Portalis DBVX-V-B7G-OSCE

S.A.R.L. ICEA - INGENIERIE ET CONSEIL ENVIRONNEMENT ET AMEN AGEMENT

C/

[B]

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 22 Septembre 2022

RG : 19/02864

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE B

ARRÊT DU 07 NOVEMBRE 2025

APPELANTE :

S.A.R.L. ICEA - INGENIERIE ET CONSEIL ENVIRONNEMENT ET AMENAGEMENT

N°SIRET: 791 776 693 00057

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Romain LAFFLY de la SELARL LX LYON, avocat au barreau de LYON, et ayant pour avocat plaidant Me Michel DUHAUT de la SELARL DUHAUT AVOCATS, avocat au barreau de NICE substituée par Me Vincent MOULIN, avocat au barreau de LYON

INTIMÉE :

[X] [B]

née le 28 Septembre 1994 à [Localité 5]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Amélie CHAUVIN de la SELARL ALTER AVOCAT, avocat au barreau de GRENOBLE

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 04 Septembre 2025

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Béatrice REGNIER, Présidente

Catherine CHANEZ, Conseillère

Régis DEVAUX, Conseiller

Assistés pendant les débats de Malika CHINOUNE, Greffière.

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 07 Novembre 2025, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Béatrice REGNIER, Présidente, et par Mihaela BOGHIU, Greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*************

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

La société Ingénierie et Conseil Environnement et Aménagement (ICEA) est un bureau d'érudes technique intervenant dans le domaine de l'hydrogéologie. Elle a embauché Mme [X] [B] dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée, en qualité d'ingénieur de projet (avec le statut de cadre), à compter du 2 octobre 2017. La relation de travail était soumise à la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseil, dite SYNTEC (IDCC 1486).

Par avenant du 1er avril 2019, Mme [B] était nommée coordinatrice de l'agence ICEA à [Localité 7]. A compter du 23 août 2019 et jusqu'à la rupture de son contrat de travail, elle était placée en arrêt de travail pour cause de maladie non-professionnelle.

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 3 septembre 2019, la société ICEA a notifié à Mme [B] son licenciement pour faute grave, sans l'avoir convoquée à un entretien préalable.

Par requête reçue au greffe le 12 novembre 2019, Mme [B] a saisi la juridiction prud'homale notamment aux fins de contester la licéité, le bien-fondé et la régulatité de son licenciement.

Par jugement du 22 septembre 2022, le conseil de prud'hommes de Lyon a :

- débouté Mme [B] de sa demande en dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

- débouté Mme [B] de sa demande en nullité du licenciement ;

- dit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse ;

- condamné la société ICEA à payer à Mme [B] :

7 998 euros au titre du préavis, outre 799,80 euros au titre des congés payés afférents

1 925,60 euros au titre de l'indemnité de licenciement

5 332,60 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- débouté Mme [B] de sa demande relative à la contrepartie financière de la clause de non-concurrence ;

- débouté la société ICEA de ses demandes reconventionnelles ;

- condamné la société ICEA à payer à Mme [B] 1 800 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société ICEA aux dépens.

Le 18 octobre 2022, la société ICEA a enregistré une déclaration d'appel à l'encontre de ce jugement, précisant le critiquer ce qu'il :

- a dit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse ;

- l'a condamnée à payer à Mme [B] :

7 998 euros au titre du préavis, outre 799,80 euros au titre des congés payés afférents

1 925,60 euros au titre de l'indemnité de licenciement

5 332,60 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- l'a déboutée de ses demandes reconventionnelles ;

- l'a condamnée à payer à Mme [B] 1 800 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile

- l'a condamnée aux dépens.

EXPOSE DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 20 juin 2025, la société ICEA demande à la Cour de :

- confirmer le jugement dont appel, en ce qu'il a débouté Mme [B] de :

- sa demande en dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

- sa demande en nullité du licenciement ;

- sa demande relative à la contrepartie financière de la clause de non-concurrence ;

- infirmer le jugement dont appel, en ce qu'il a :

- dit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse ;

- condamné la société ICEA à payer à Mme [B] :

7 998 euros au titre du préavis, outre 799,80 euros au titre des congés payés afférents

1 925,60 euros au titre de l'indemnité de licenciement

5 332,60 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- infirmer le jugement dont appel, en ce qu'il l'a :

- déboutée de ses demandes reconventionnelles ;

- condamnée à payer à Mme [B] 1 800 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné aux dépens

Statuant à nouveau,

- dire que le licenciement de Mme [B] n'est pas discriminatoire

- juger que le licenciement de Mme [B] pour faute grave est fondé

En conséquence,

- débouter Mme [B] de l'ensemble de ses demandes

Reconventionnellement,

- condamner Mme [B] à lui restituer l'ensemble des biens matériels et immatériels qui lui appartiennent, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la date de l'arrêt

- condamner Mme [B] à lui payer 100 000 euros en réparation des préjudices matériels et moraux subis du fait de ses agissements nuisibles

- ordonner à Mme [B] de lui remettre une attestation signée de sa main, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, qu'elle n'a pas utilisé et n'utilisera pas les informations concernant la société ICEA, ainsi que l'ensemble de ses collaborateurs et clients quels qu'ils soient, en particulier Aéroport de [Localité 8], ou tout autre élément qu'elle aurait pu avoir connaissance pendant et après la rupture de son contrat de travail

- condamner Mme [B] à lui payer 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- condamner Mme [B] aux dépens.

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 23 juin 2025, Mme [X] [B], intimée, demande à la Cour de :

A titre principal,

- infirmer le jugement, en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en dommages et intérêts pour harcèlement moral et de sa demande en nullité du licenciement ;

- condamner la société ICEA à lui payer 5 000 euros de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et harcèlement moral

- dire que son licenciement est nul car discriminatoire

- condamner la société ICEA à lui payer :

7 998 euros au titre du préavis, outre 799,80 euros au titre des congés payés afférents

1 925,60 euros au titre de l'indemnité de licenciement

18 662 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul

A titre subsidiaire,

- infirmer le jugement, en ce qu'il a dit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse et a condamné la société ICEA à lui payer :

7 998 euros au titre du préavis, outre 799,80 euros au titre des congés payés afférents

1 925,60 euros au titre de l'indemnité de licenciement

5 332,60 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

A titre infiniment subsidiaire,

- condamner la société ICEA à lui payer 2 666 euros de dommages et intérêts pour licenciement irrégulier

En tout état de cause,

- infirmer le jugement, en ce qu'il l'a déboutée de sa demande relative à la contrepartie financière de la clause de non-concurrence ;

- confirmer le jugement, en ce qu'il a débouté la société ICEA de ses demandes reconventionnelles, a condamné la société ICEA à lui payer 1 800 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et a condamné la société ICEA aux dépens de première instance

Statuant à nouveau,

- condamner la société ICEA à lui payer 7 998 euros au titre de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence, outre 7 998 euros de congés payés afférents

- condamner la société ICEA à lui payer 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais engagés en cause d'appel

- condamner la société ICEA aux dépens.

Pour l'exposé des moyens des parties, la Cour se réfère à leurs dernières conclusions, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

La procédure de mise en état était clôturée le 24 juin 2025.

MOTIFS DE LA DECISION

1. Sur la demande en dommages et intérêts pour harcèlement moral

En droit, aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En application de l'article L. 1154-1 du code du travail, lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, Mme [B] a déposé plainte du chef de harcèlement moral à l'encontre du gérant de la société ICEA. Toutefois, la société ICEA ne saurait se prévaloir du fait que cette plainte a fait l'objet d'un classement sans suite par le procureur de la République (pièce n° 37 de l'intimée) pour conclure que la juridiction prud'homale ne saurait retenir l'existence d'un harcèlement moral : aucune autorité de la chose jugée n'est attachée à la décision de classement sans suite.

Mme [B] indique que, pendant l'exécution de son contrat de travail, elle a été victime de propos rabaissants et répétés de la part de son responsable hiérarchique, de méthodes de management agressivres et de pressions psychologiques de la part de ce même responsable, M. [P].

Elle produit plusieurs mails que ce dernier lui adressés, dans lesquels ce dernier critique la qualité de son travail. Dans un mail daté du 31 mai 2019, M. [P] lui dicte le contenu intégral d'une attestation qu'il lui a demandé de rédiger, dans le cadre d'un litige l'opposant à un autre salarié, M. [Z] (pièces n° 7 de l'intimée).

Mme [B] mentionne que M. [P] a adopté une attitude harcelante à l'égard d'autres salariés, Mme [R], M. [H], M. [U], Mme [I] et M. [O]. Toutefois, ces personnes ont rédigé des attestations décrivant le comportement de M. [P] envers chacune d'entre elles, sans indiquer avoir été témoin d'agissements de harcèlement moral commis au préjudice de Mme [B] (pièces n° 23a à 23e de l'intimée).

Mme [B] ajoute que M. [P] a poursuivi ses agissements de harcèlement moral alors qu'elle était placée en arrêt de travail, à compter du 23 août 2019 : il lui a adressé 96 textos au cours de l'après-midi du samedi 31 août 2019, notamment afin de la presser de se rendre à [Localité 6] le 2 septembre 2019, pour lui rendre toutes « ses affaires » (pièces n° 4 de l'intimée), et également un mail, qu'il n'a pas signé et en utilisant la messagerie d'une autre salariée, Mme [K] (pièce n° 18 de l'intimée).

Les 31 août et 2 septembre 2019, M. [P] a également contacté par téléphone et à plusieurs reprises des membres de la famille de Mme [B] : ses parents et l'une de ses grands-mères, en leur tenant des propos virulents à l'encontre de cette dernière. La mère, un oncle et une tante de Mme [B] ont rédigé des attestations décrivant le comportement de M. [P] (pièces n° 16a à 16c de l'intimée).

Mme [B] ajoute que, même après la notification de son licenciement, M. [P] l'a harcelée par l'envoi de courriers et mails, exigeant qu'elle restitue son matériel professionnel en venant au siège social de l'entreprise à [Localité 6] (pièces n° 8, 9 et 20 de l'intimée).

Mme [B] a alors choisi d'être assistée par un avocat, qui a fait savoir à M. [P] qu'il devait dorénavant s'adresser à lui, et non plus directement à son ancienne salariée. M. [P] n'a pas tenu compte de cette demande et a continué à adresser des courriers menaçants à Mme [B], en lui demandant notamment de s'engager à n'engager aucun recours juridique à l'encontre de la société ICEA (pièces n° 25 à 30 de l'intimée).

Mme [B] précise que la restitution du matériel a eu lieu finalement le 3 juin 2020, en présence d'un commissaire de justice, requis par M. [P].

Mme [B] rappelle que, à compter du 23 août 2019 et jusqu'au 31 octobre 2019, elle était placée en arrêt de travail (pièces n° 13 de l'intimée).

Après examen de l'ensemble des éléments invoqués par Mme [B], en prenant en compte les documents médicaux produits, la Cour retient que tous ces faits (soit l'envoi de mails, textos et courriers postaux qui ont été soumis à l'appréciation de la juridiction), qui sont matériellement établis par cette dernière, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail.

La société ICEA réplique que Mme [B] omet de préciser que, pendant l'exécution de son contrat de travail, M. [P] et elle échangeaient sur un ton familier (pièces n° 7 de l'appelante) et que, de manière générale et jusqu'à la nomination de la salariée à l'agence de [Localité 7], les relations entre eux étaient très bonnes (pièces n° 13 de l'appelante). Elle verse aux débats des attestations rédigées par deux de ses salariées, Mme [V] et Mme [D], et d'une stagiaire, Mme [A], qui soulignent la qualité du management de M. [P] (pièces n° 8, 9 et 10 de l'appelante). Elle fait valoir qu'elle a mis en 'uvre des actions de team building en mai 2019 (pièce n° 17 de l'appelante).

La société ICEA fait observer que, pendant la suspension du contrat de travail en raison d'un arrêt-maladie, le salarié reste tenu d'une obligation de loyauté envers son employeur. Elle en déduit qu'elle était en droit de contacter Mme [B], quand bien même elle se trouvait en arrêt de travail en août et septembre 2019, afin d'obtenir la restitution du matériel professionnel qui lui avait été confié et des données informatiques en sa possession, alors même que la salariée avait pris du retard dans l'exécution de la mission concernant le dossier « Aéroports de [Localité 8] », qui représentait un enjeu financier important pour l'entreprise.

La société ICEA affirme que, au cours du mois d'août 2019, Mme [J] lui a demandé de conclure une rupture conventionnelle de son contrat de travail, ce qu'elle a refusé, avant de la menacer de ne pas mener à bien les missions qui lui avaient été confiées. La Cour relève que l'appelante ne démontre aucunement la réalité de cette assertion.

La société ICEA ajoute que Mme [B] n'a informé M. [P] de son arrêt de travail prescrit le 23 août 2019 que le 26 août 2019.

Après examen des pièces et moyens des parties, la Cour retient que la société ICEA échoue à prouver que les agissements de M. [P] décrits par Mme [B] ne sont pas constitutifs de harcèlement moral, lequel a occasionné un préjudice moral à cette dernière. En conséquence, la société ICEA sera condamnée à lui payer 5 000 euros de dommages et intérêts, en réparation de ce préjudice.

Dès lors, le jugement déféré sera infirmé, en ce qu'il a débouté Mme [B] de sa demande en dommages et intérêts pour harcèlement moral.

2. Sur la rupture du contrat de travail

2.1. Sur la licéité et le bien-fondé du licenciement

En droit, en application des articles L.1132-1 et L. 1132-4 du code du travail, aucun salarié ne peut être licencié notamment en raison de son état de santé, à peine de nullité du licenciement.

En vertu de l'article L. 1134-1 du même code, lorsqu'un litige survient en raison d'une discrimination, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En outre, application de l'article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.

Aux termes de l'article L. 1232-6 alinéa 2 du code du travail, la lettre de licenciement comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur. Ces motifs doivent être suffisamment précis et matériellement vérifiables. L'employeur est en droit, en cas de contestation, d'invoquer toutes les circonstances de fait qui permettent de justifier des motifs.

En l'espèce, la lettre de licenciement adressée le 3 septembre 2019 à Mme [B] est rédigée dans les termes suivants :

« Au mois de juin 2019, j'ai dû faire un point oral et écrit important afin de recadrer les dérives de vos comportements.

Mécontente de recevoir des ordres de votre chef, vous avez alors progressivement tout mis en 'uvre pour partir avec un chèque le plus gros possible.

Je vous épargne l'ensemble des manquements à vos responsabilités, les manques de respect innombrables à l'intention de multiples interlocuteurs.

Le plus grave est arrivé à partir du mois d'août. En effet, étant pourtant en congé avec ma famille, vous n'avez eu de cesse de me harceler par tous les moyens possibles.

La semaine du 19 au 23 août, vous en êtes venus à m'insulter, me menacer gravement et à me faire du chantage pour obtenir une rupture conventionnelle. Devant la gravité de vos propos, je vous ai informé me rendre à [Localité 7] pour trouver une solution de départ d'ICEA pour vous mais cela ne vous a pas suffi, puisque premièrement vous avez délibérément décidé de ne pas vous présenter aux rendez-vous et je suis descendu à [Localité 7] pour rien et d'autre part vous avez mis vos menaces à exécution.

En effet, conformément à vos menaces de vous mettre en arrêt maladie si je ne signais pas de rupture immédiatement, vous avez produit de faux arrêts maladies ' sans valeur légale ' puisque sans adresse.

Egalement et beaucoup plus grave, de manière concordante, les bureaux ICEA de l'agence de [Localité 7] ont été visités samedi matin. Coïncidence ' Après l'appel de St Laurent Sécurité, M. [C], notre propriétaire, s'est rendu sur place et a effectivement constaté une fenêtre ouverte mais n'a malheureusement vu personne.

Vous vous étiez également rendus dans les locaux de [Localité 7] pendant votre arrêt maladie pendant 10 minutes environ quand il n'y avait personne. A quelle fin, on peut se demander '

Egalement pendant cette période, plusieurs ordinateurs ont disparu à [Localité 6] et à [Localité 7] mais également des logiciels, du matériel de terrain, le tout pour un montant de 10 000 euros environ.

Egalement depuis votre départ, multitude de données ont disparu des serveurs de [Localité 6] et [Localité 7].

Plus grave encore, des données confidentielles de plusieurs projets et de communication en interne ont été transmises à des tiers par vos soins.

Egalement vous faites de la rétention d'information et avez détruit la plupart des données du projet Aéroport de [Localité 8]. Ce projet, nous devions le rendre en septembre. Vous êtes donc responsable de la perte sèche d'un projet à 60 k€.

La liste étant trop longue et ayant autre à faire de mes journées, je ne prendrai pas plus de temps à notifier votre licenciement pour faute grave, suite à votre abandon de poste du 23 août et aux multiples fautes morales, contractuelles et légales commises en quelques jours.

Vous pouvez donc noter votre licenciement pour faute grave en date du 23 août 2019.

Vous pouvez également noter que nous allons vous attaquer en justice et que des dépôts de mains courantes et de plaintes sont en cours à votre encontre sur l'ensemble des aspects suivants. Nous vous demandons d'ores et déjà 100 000 euros de dommages et intérêts :

- Vol de matériel et logiciels (ordinateurs, téléphone, logiciels, matériel de bureau, matériel de terrain)

- Vol, rétention et utilisation d'informations à caractère confidentiel concernant les données de l'aéroport de [Localité 8]

- Destruction de données capitales et d'informations à caractère confidentiel concernant les données d'aéroport de [Localité 8]

- Destruction de données inhérentes à différents projets et différentes offres

- Organisation et volonté délibérée de nuire à l'image et à la notoriété de la marque ICEA

- Vol, utilisation et transmission à des tiers de données à caractère confidentiel concernant le tram de [Localité 7]

- Utilisation et transmission à des tiers inconnus d'informations d'entreprise à caractère confidentiel

- Utilisation et transmission à des tiers inconnus d'informations à caractère confidentiel sur son dirigeant

- Organisation et volonté délibérée de nuire à l'image et à la notoriété de la marque ICEA par actions internes

- Organisation et volonté délibérée de nuire à l'image et à la notoriété de la marque ICEA par relations avec des tiers et transmission d'information à caractère confidentiel

- Menace et chantage quant à l'activité de l'entreprise et à la notoriété de la marque ICEA

- Menace et chantage quant à votre volonté de départ ».

Mme [B] conclut que, si la lettre de licenciement mentionne qu'elle a produit de « faux arrêts-maladie, sans valeur légale », la société ICEA, dans ses conclusions, ne reprend pas cette assertion et ne démontre donc pas la réalité de ce fait. Elle relève que la société ICEA lui reproche, au premier rang des griefs invoqués à son encontre, d'avoir abandonné son poste à compter du 23 août 2019. Elle souligne qu'elle a pourtant justifié de la prescription par un médecin généraliste, le 23 août 2019, d'un arrêt de travail courant jusqu'au du 28 août 2019, lequel a été prolongé jusqu'au 1er septembre 2019 puis au 30 septembre 2019 et enfin au 31 octobre 2019 (pièces n° 13 de l'intimée). Elle ajoute que la société ICEA ne conteste pas avoir été informée de ces prescriptions d'arrêt de travail et qu'elle lui a notifié son licenciement deux jours ouvrés après la prolongation de son arrêt de travail.

La Cour retient que Mme [B] présente ainsi des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination en raison de son état de santé : son employeur justifie son licenciement en invoquant un abandon de poste à compter du 23 août 2019, alors qu'il savait qu'elle était placée sur décision médicale en arrêt de travail à compter de cette même date.

La société ICEA réplique qu'elle démontre la réalité des fautes graves imputées à Mme [B] et que cette dernière n'a pas subi de harcèlement moral.

Toutefois, la société ICEA ne démontre pas la réalité de l'abandon de poste qui est invoqué pour justifier le licenciement de Mme [B].

La Cour en déduit que la société ICEA a licencié Mme [B] pour absence injustifiée, alors qu'elle avait connaissance du fait que la salariée était en arrêt-maladie : l'employeur échoue à prouver que sa décision de licenciement est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination à raison de l'état de santé de la salariée.

Le motif du licenciement tenant à l'abandon de poste est discriminatoire. En application de l'article L. 1132-4 du code du travail et, sans qu'il soit nécessaire de statuer sur les autres griefs invoqués dans la lettre de licenciement, le licenciement de Mme [B] est donc nul.

Dès lors, le jugement déféré sera infirmé, en ce qu'il a débouté Mme [B] de sa demande en nullité du licenciement.

En application de l'article L. 1235-3-1 du code du travail, il est dû à Mme [B], qui ne demande pas sa réintégration, une indemnité dont le montant ne peut pas être inférieur aux salaires des six derniers mois.

En considération de l'ancienneté de Mme [B] (2 ans) et de son âge (25 ans) au moment du licenciement, de sa rémunération mensuelle brute (2 666,30 euros, avant l'arrêt de travail), du fait qu'elle était placée en arrêt de travail, de sa capacité à retrouver un emploi, la Cour fixe à 16 000 euros le montant de l'indemnisation du préjudice nécessairement occasionné par le caractère illicite de sa perte d'emploi.

Après infirmation du jugement déféré, en ce qu'il a condamné la société ICEA à payer à Mme [B] 5 332,60 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la société ICEA sera condamnée à payer à Mme [B] 16 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul, ceux-ci ne pouvant pas se cumuler avec ceux-là.

Le licenciement étant nul, Mme [B] a droit à l'indemnité compensatrice de préavis, quand bien même elle était alors en arrêt-maladie. Il résulte de l'article 15 de la convention collective SYNTEC, dans sa rédaction applicable au 3 septembre 2019, que la durée de son délai-congé était de trois mois pour un cadre.

Mme [B] a droit en outre à l'indemnité de licenciement. L'article 19 de la convention collective, dans sa rédaction applicable au 3 septembre 2019, prévoit que, pour un cadre qui a plus de deux ans d'ancienneté, le montant de cette indemnité est d'un tiers de salaire mensuel par année de présence. Au moment de la rupture du contrat de travail, l'ancienneté de Mme [B] était de 2 ans et 2 mois, en tenant compte du préavis de trois mois.

En conséquence, la Cour confirmera le jugement déféré, en ce qu'il a condamné la société ICEA à payer à Mme [B] 7 998 euros au titre du préavis, outre 799,80 euros au titre des congés payés afférents, et 1 925,60 euros au titre de l'indemnité de licenciement.

2.2. Sur la demande relative à la contrepartie financière de la clause de non-concurrence

En droit, en cas de rupture du contrat de travail, la date à partir de laquelle le salarié est tenu de respecter l'obligation de non-concurrence, la date d'exigibilité de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence et la date à laquelle doit être déterminée la période de référence pour le calcul de cette indemnité sont celles du départ effectif de l'entreprise. Il en résulte qu'en cas de licenciement pour faute grave, l'employeur qui entend renoncer à l'exécution de la clause de non-concurrence, doit le faire au plus tard à la date du départ effectif de l'intéressé de l'entreprise, nonobstant toutes stipulations ou dispositions contraires (en ce sens : Cass. Soc., 18 octobre 2017, n° 16-18.163).

Par ailleurs, si la dispense tardive de l'obligation de non-concurrence ne décharge pas l'employeur d'en verser au salarié la contrepartie financière, celle-ci n'est due à ce dernier que pendant la période pendant laquelle il a respecté ladite clause (en ce sens : Cass. Soc., 13 septembre 2005, n° 02-46.795).

En l'espèce, la clause de non-concurrence est rédigée sans référence à l'emploi occupé par Mme [B], si bien que le fait qu'elle exerçait les fonctions de coordinatrice d'agence au moment de son licenciement est sans conséquence sur la validité de la clause.

Il résulte du certificat de travail remis à Mme [B] qu'elle a quitté effectivement la société ICEA le 3 septembre 2019 (pièce n° 6 de l'intimée). Suite à une demande de la salariée, la société ICEA l'a informée qu'elle renonçait à l'exécution de la clause de non-concurrence insérée dans son contrat de travail par courrier du 1er octobre 2019.

Quand bien même la clause de non-concurrence prévoit expressément que la société ICEA se réserve le droit de renoncer à la mise en 'uvre de celle-ci, à condition de notifier l'exercice de ce droit « à Mme [B] par lettre recommandée avec accusé de réception dans le mois suivant la notification de la rupture du contrat de travail », il est établi que l'employeur n'a pas exprimé sa volonté de renoncer à cette clause au plus tard le 3 septembre 2019.

En conséquence, nonobstant la stipulation accordant à la société ICEA un délai d'un mois pour notifier à Mme [J] sa renonciation à l'exercice de la clause de non-concurrence, la contrepartie financière prévue par celle-ci est due, au prorata de la période pendant laquelle celle-ci a été respectée par la salariée.

La société ICEA fait encore valoir que, en se référant seulement au profil Linkedin de Mme [B] (pièce n° 6 de l'appelante), celle-ci est entrée au service de la société Science Environnement, en octobre 2019, en méconnaissance de la clause de non-concurrence.

Toutefois, la société ICEA, par courrier du 1er octobre 2019, a expressément délivré Mme [B] de son obligation de non-concurrence, si bien que le fait qu'elle a été embauchée dans le mois qui a suivi par la société Science Environnement, dont l'activité n'est au demeurant pas précisée, ne saurait être fautif.

Le contrat de travail de Mme [B] prévoit que l'interdiction de non-concurrence est limitée à une période d'un an, que le montant de la contrepartie financière est forfaitaire et correspond à trois mois de salaire mensuel brut moyen, calculé sur les douze derniers mois, et que le versement de cette dernière sera effectué mensuellement par douzième.

Mme [B] n'a respecté la clause de non-concurrence que durant un mois (du 2 septembre au 1er octobre 2019), avant d'en être délivrée, si bien que la société ICEA ne lui doit à ce titre qu'un douzième du montant de la contrepartie financière, soit 666,50 euros. En outre, la contrepartie financière de l'obligation de non-concurrence ayant la nature d'une indemnité compensatrice de salaires, elle ouvre droit à congés payés (en ce sens : Cass. Soc., 26 janvier 2022, n° 20-15.755).

Dès lors, après infirmation du jugement déféré sur ce point, la société ICEA sera condamnée à payer à Mme [B] 666,50 euros au titre de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence, outre 66,65 euros au titre des congés payés afférents.

3. Sur les demandes de la société ICEA

' La société ICEA demande que Mme [B] soit condamnée à lui restituer l'ensemble des biens matériels et immatériels qui lui appartiennent, dont elle dresse la liste, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la date de l'arrêt.

Toutefois, alors que Mme [B] a restitué, le 3 juin 2020, à la société ICEA le matériel professionnel qui était en sa possession, ce qui a fait l'objet d'un constat dressé par un commissaire de justice (pièce n° 63 de l'appelante), la société ICEA ne démontre pas avoir remis à la salariée, pour assurer l'exécution des missions qu'elle lui confiait, d'autres équipements.

S'agissant des biens immatériels, la société ICEA vise ainsi « l'ensemble des données sous la forme matérielle et numérique » lui appartenant, sans aucunement définir ces données et sans établir que Mme [B] ait en sa possession de telles données.

En conséquence, il n'y a pas lieu de faire droit à cette demande de restitution.

' La société ICEA demande que Mme [B] soit condamnée à lui payer 100 000 euros en réparation des préjudices matériels et moraux subis du fait de ses « agissements nuisibles », consistant dans la rétention de matériels lui appartenant et la captation d'informations confidentielles.

Toutefois, à l'égard de son employeur, la responsabilité pécuniaire d'un salarié ne peut résulter que d'une faute lourde (en ce sens : Cass. Soc., 25 janvier 2017, n° 14-26.071).

Alors que la société ICEA n'invoque pas de faits distincts de ceux visés dans la lettre de licenciement pour faute grave, il n'y a pas lieu de faire droit à cette demande.

' La société ICEA demande qu'il soit ordonné à Mme [B] de lui remettre, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, une attestation signée de sa main indiquant qu'elle n'a pas utilisé et n'utilisera pas les informations concernant la société ICEA, ainsi que l'ensemble de ses collaborateurs et clients quels qu'ils soient, en particulier Aéroport de [Localité 8], ou tout autre élément qu'elle aurait pu avoir connaissance pendant et après la rupture de son contrat de travail.

Toutefois, d'une part, le contrat de travail de Mme [B] inclut une clause de confidentialité ; d'autre part, la demande aux fins d'injonction à un salarié d'établir une attestation est sans fondement juridique. Il n'y a pas lieu de faire droit à cette demande.

Dès lors, le jugement déféré sera confirmé, en ce qu'il a débouté la société ICEA de ses demandes reconventionnelles.

4. Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

La société ICEA, partie perdante, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, en application du principe énoncé par l'article 696 du code de procédure civile. Sa demande en application de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée.

Pour un motif tiré de l'équité, la société ICEA sera condamnée à payer à Mme [B] 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, s'agissant ds frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Confirme le jugement rendu le 22 septembre 2022 par le conseil de prud'hommes de Lyon, en ses dispositions déférées, sauf en ce qu'il a :

- débouté Mme [B] de sa demande en dommages et intérêts pour harcèlement moral

- débouté Mme [B] de sa demande en nullité du licenciement

- condamné la société ICEA à payer à Mme [B] 5 332,60 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- débouté Mme [B] de sa demande relative à la contrepartie financière de la clause de non-concurrence ;

Statuant sur les dispositions infirmées et ajoutant,

Condamne la société ICEA à payer à Mme [X] [B] :

- 5 000 euros de dommages et intérêts pour harcèlement moral

- 16 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul

- 666,50 euros au titre de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence, outre 66,65 euros au titre des congés payés afférents

- 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;

Condamne la société ICEA aux dépens de l'instance d'appel ;

Rejette la demande de la société ICEA en application de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,

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