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Décisions

CA Pau, 2e ch. 1 sect., 6 novembre 2025, n° 23/03078

PAU

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

PV Exploitation France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Guiroy

Conseillers :

Mme Baylaucq, M. Darracq

Avocats :

Me Mariol, Me Riglet, Me Crepin, Me Dehan

TJ [Localité 8], du 8 nov. 2023

8 novembre 2023

EXPOSE DU LITIGE :

Par acte sous seing privé du 15 juillet 2018, M. [E] [N] et Mme [J] [D] son épouse ont donné à bail commercial à la SAS PV Résidences & Resorts France le renouvellement d'un bail à usage commercial portant sur une maison constituant le lot n° 0013-07 située au sein de la résidence [Adresse 12] à [Localité 14] moyennant le versement d'un loyer annuel de 6414 euros hors taxe révisable.

Le contrat de bail précise que le preneur entend exercer dans le local objet du bail, de même que dans les locaux similaires du même immeuble qu'il a déjà loués ou dont il va procéder à la location, une activité commerciale para hôtelière de résidence de loisirs consistant en la location dudit local meublé et équipé pour des périodes de temps déterminées, avec la fourniture de différents services ou prestations à la clientèle.

Il stipule en son article 2 : « Le présent bail prendra effet le lendemain du 31 octobre 2018 pour s'achever, sauf résiliation anticipée le 31 octobre 2027.

Il pourra prendre fin par anticipation sous un préavis de six mois, à l'initiative du Bailleur ou du Preneur, pour la première fois le 31 octobre 2021, puis à la fin de chaque période triennale, sous un préavis minimum de 6 mois. »

La résidence de tourisme au sein de laquelle se trouve la maison de M. et Mme [N] exploitée sous le nom « [Adresse 16] » a été classée trois étoiles le 27 avril 2018. Elle comprend 384 unités d'habitation.

A la suite d'un traité d'apport partiel d'actifs, la société Pierre et Vacances Investissement 60 renommée PV Exploitation France est devenue locataire des locaux litigieux.

Par acte d'huissier du 20 avril 2021, M. et Mme [N] ont signifié à la SAS PV Holding un congé avec refus de renouvellement du bail commercial pour la date du 31 octobre 2021.

Par courriel du 13 août 2021, la société preneuse a informé M. et Mme [N] de son refus d'une résiliation anticipée du bail.

Par actes du 25 janvier 2022, M. et Mme [N] ont assigné la SAS PV Holding et la SAS PV Exploitation France devant le tribunal judiciaire de Dax afin notamment de voir constater la fin du bail litigieux au 31 octobre 2021, et, à titre subsidiaire, voir prononcer sa résiliation.

Par jugement du 8 novembre 2023, le tribunal judiciaire de Dax a :

Mis hors de cause la SAS PV Holding,

Dit que la clause du bail conclu le 15 juillet 2018 par M. [E] [N] et Mme [J] [R] son épouse en qualité de bailleurs et portant sur une maison lot n° 0013-07 située [Adresse 2] sur la commune de [Localité 13] ([Localité 9]) au sein de la résidence dénommée « [10] », figurant au cadastre sous les références section BC n°[Cadastre 3], est réputée non écrite en ce qu'elle offre une faculté de résiliation triennale au bailleur au-delà des cas limitativement énumérés par le statut des baux commerciaux,

Déclaré nul le « congé avec refus de renouvellement du bail commercial » délivré à la requête de M. [E] [N] et Mme [J] [R] son épouse par acte d'huissier du 20 avril 2021,

Prononcé la résiliation du bail susvisé aux torts exclusifs de la SAS PV Exploitation France,

Ordonné l'expulsion de la SAS PV Exploitation France de tous occupants de son chef de la maison susvisée appartenant à M. [E] [N] et Mme [J] [R] son épouse,

Dit qu'à défaut de libération volontaire, la SAS PV Exploitation France devra quitter les lieux dans les quinze jours de la signification de la présente décision, au besoin avec le concours de la force publique et l'assistance d'un serrurier,

Fixé l'indemnité d'occupation due par la SAS PV Exploitation France à compter de la date de la présente décision et jusqu'à libération complète des lieux et la remise des clés à un montant de 500 euros par mois,

Condamné la SAS PV Exploitation France à verser à M. [E] [N] et Mme [J] [R] son épouse la somme de 10000 euros au titre de la perte de chance de réaliser une plus-value sur la vente de leur bien immobilier,

Débouté la SAS PV Exploitation France de sa demande de délai de paiement,

Condamné la SAS PV Exploitation France à verser à M. [E] [N] et Mme [J] [R] son épouse la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamné la SAS PV Exploitation France aux entiers dépens,

Rappelé l'exécution provisoire de droit de la présente décision.

Par déclaration en date du 23 novembre 2023, la SAS PV Exploitation France a interjeté appel de ce jugement.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 mars 2025.

Faisant application en l'espèce des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour entend se référer pour l'exposé plus ample des moyens et prétentions des parties à leurs dernières écritures visées ci-dessous.

***

Dans ses dernières conclusions notifiées le 1er août 2024, la société par actions simplifiée PV Exploitation France demande à la cour de :

Vu les articles L. 145-1, L.145-4 et suivants du code de commerce,

Vu les articles 1195, 1218, 1219, 1719 et 1722 du code civil,

Vu l'article 1240 du code civil,

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

' Infirmer le jugement du 8 novembre 2023 du tribunal judiciaire de Dax en ce qu'il a

(i) résilié le bail conclu avec la société PV Exploitation France au motif que les loyers

2022 n'auraient pas été réglés, (ii) ordonné l'expulsion du preneur des locaux loués, et (iii)

condamné le preneur au paiement des loyers 2022 (7.300,28€) ainsi qu'à 10.000€ au titre

d'une prétendue perte de chance de vos clients de réaliser une plus-value sur une vente

immobilière.

Et statuant à nouveau,

' Sur le paiement des loyers

' Juger que l'ensemble des loyers « covid » ont été réglés le 2 mars 2023 et que les loyers

2022 ont été réglés le 1ER décembre 2022 ;

' Débouter les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes au titre du paiement des

loyers afférents à ces périodes,

' Débouter les demandeurs de leur demande de résiliation du bail commercial et

l'ensemble de leurs demandes aux fins d'expulsion de la société locataire et de paiement

d'une indemnité d'occupation,

' Sur la demande d'indemnisation des bailleurs

' Juger que les bailleurs sont à l'origine de leur préjudice de non-réalisation de la vente

des locaux loués ;

En conséquence,

' Débouter le demandeur de sa demande d'indemnisation de 55.000 euros ;

En tout état de cause,

' Condamner les consorts [N] à lui payer la somme de 5.000€ au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

La PV Exploitation France fait valoir que :

La clause du bail offrant au bailleur une faculté de résiliation triennale est réputée non écrite conformément à l'article L145-15 du même code et le congé avec refus de renouvellement délivré par les bailleurs sur ce fondement est nul ; en effet cette clause du bail est contraire aux dispositions d'ordre public de l'article L145-4 du code de commerce. Il n'est pas justifié de l'existence d'une cause possible de résiliation anticipée dans le strict respect des dispositions de l'article L145-4 du code de commerce.

Elle a été directement visée par les mesures d'interdiction d'accueillir du public qui ont rendu impossible l'exploitation de ses résidences conformément à la destination prévue par les baux pendant la période du 15 mars au 2 juin 2020, puis du 1er novembre 2020 au 9 juin 2021, qui correspond à la période de la plupart des impayés dont le règlement est sollicité par les bailleurs ; le postulat de son argumentation de départ est donc bien réel et sa demande de suspension de loyers fondée ; en outre la cour de cassation s'est prononcée tardivement sur la suspension des loyers dits « Covid » ;

Elle a réglé les sommes dues au titre des loyers de l'année 2022 le 1er décembre 2022 conformément aux stipulations contractuelles et il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir réglé lesdits loyers avant cette date ;

Elle a réglé la totalité des loyers « Covid » le 2 mars 2023 après avoir pris connaissance des arrêts rendus par la cour de cassation le 30 juin 2022 ;

Il n'y a pas de motif suffisamment grave tiré du retard de paiement des loyers justifiant la résiliation du bail au regard des difficultés qu'elle a rencontrées pendant la période de crise sanitaire, des incertitudes juridiques relatives à l'exigibilité de ces loyers pendant près de deux ans et de la procédure de conciliation judiciaire tout au long de l'année 2021 aux termes de laquelle 80% des bailleurs ont accepté de signer des avenants accordant notamment une franchise de loyers et alors qu'à ce jour le solde des loyers est entièrement réglé,

Il convient d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il l'a condamnée à payer la somme de 10.000 euros au titre d'une prétendue perte de chance pour les bailleurs de vendre les locaux loués et de débouter les intimés de leur demande d'indemnisation. Les époux [N] ne justifient pas que les conditions d'engagement de sa responsabilité sont réunies. Il ne peut lui être reproché de faute. La vente ne s'est pas réalisée car la condition suspensive de résiliation du bail contenue dans le compromis de vente ne s'est pas réalisée, ce qui est dû à la nullité du congé délivré par les bailleurs. La question de l'assignation de même que celle du retard dans le paiement des loyers est indépendante du congé délivré par les bailleurs. Elle ne peut être tenue responsable de la rédaction de la condition suspensive stipulée dans ce compromis de vente auquel elle n'était pas partie et il ne peut lui être reproché de ne pas avoir accepté la résiliation du bail.

Par conclusions du 6 mai 2024, M. et Mme [N] demandent à la cour de :

Vu les dispositions des articles 1103 et 1224 du code civil,

Vu les dispositions de l'article L.145-4 du code de commerce,

Vu la jurisprudence citée,

Vu les pièces versées aux débats,

Infirmer le jugement du 8 novembre 2023 rendu par le tribunal judiciaire de Dax en ce que celui-ci a :

- Dit que la clause du bail conclu le 15 juillet 2018 par Monsieur [E] [N] et Madame [J] [R] son épouse en qualité de bailleurs et portant sur une maison lot n° 0013-07 située [Adresse 2] sur la commune de [Localité 13] ([Localité 9]) au sein de la résidence dénommée « [Localité 11] du Golf-TRI », figurant au cadastre sous les références section BC n°[Cadastre 3], est réputée non écrite en ce qu'elle offre une faculté de résiliation triennale au bailleur au-delà des cas limitativement énumérés par le statut des baux commerciaux,

- Déclaré nul le congé avec refus de renouvellement du bail commercial délivré à la requête

de Monsieur [E] [N] et Madame [J] [R] son épouse par acte

d'huissier du 20 avril 2021,

- Condamné la SAS PV Exploitation France à verser à Monsieur [E] [N] et Madame [J] [D], son épouse, la somme de 10.000 euros au titre de la perte de chance de réaliser une plus-value sur la vente de leur bien immobilier.

Confirmer le jugement du 8 novembre 2023 rendu par le tribunal judiciaire de Dax en ce que celui-ci a :

- Prononcé la résiliation du bail susvisé aux torts exclusifs de la SAS PV Exploitation France,

- Ordonné l'expulsion de la SAS PV Exploitation France et de tous occupants de son chef de la maison susvisée appartenant à Monsieur [E] [N] et Madame

[J] [R] son épouse,

- Dit que, à défaut de libération volontaire, la SAS PV Exploitation France devra quitter

les lieux dans les quinze jours de la signification de la présente décision, au besoin avec le

concours de la force publique et l'assistance d'un serrurier,

- Fixé l'indemnité d'occupation due par la SAS PV Exploitation France à compter de la

date de la présente décision et jusqu'à la libération complète des lieux et la remise des clés

à un montant de 500 euros par mois,

- Débouté la SAS PV Exploitation France de sa demande de délai de paiement,

- Condamné la SAS PV Exploitation France à verser à Monsieur [E] [N] et

Madame [J] [R] son épouse la somme de 2.000 euros au titre de l'article

700 du code de procédure civile,

- Condamné la SAS PV Exploitation France aux entiers dépens.

Réformant et statuant à nouveau,

Á titre principal,

Constater que le bail conclu le 15 juillet 2018 entre la société PV Holding SAS (nouvellement PV Exploitation France), et les époux [N] a valablement été résilié par congé avec refus de renouvellement du 20 avril 2021 ;

Dire que ledit bail a pris fin le 31 octobre 2021.

A titre subsidiaire,

Constater que la Société PV Exploitation France a manqué à son obligation essentielle de

preneur d'avoir à régler à bonne date les loyers dus au bailleur ;

Dire que le manquement à ses obligations contractuelles revêt un caractère de gravité non contestable, justifiant la résiliation du bail à ses torts et griefs ;

Prononcer la résiliation du bail conclu le 15 juillet 2018 entre la Société PV Holding SAS (nouvellement PV Exploitation France SAS) et les époux [N],

En tout état de cause,

Ordonner l'expulsion de la Société PV Exploitation France et de tous occupants de son chef de la maison appartenant aux époux [N], à défaut de libération volontaire des lieux dans les 15 jours de la signification de la décision à venir, et ce, au besoin, avec le concours de la force publique et l'assistance d'un serrurier ;

Condamner la Société PV Exploitation France au paiement d'une indemnité d'occupation de 500 euros par jour, à compter de la date de la décision à intervenir, et jusqu'à la libération complète des lieux et la remise des clés ;

Condamner la Société PV Exploitation France à verser aux époux [N] la somme de 55.000 euros correspondant à la plus-value que ceux-ci auraient dû réaliser sur la vente de leur bien immobilier, laquelle a été empêchée par la faute de la société PV Exploitation France ;

Condamner la Société PV Exploitation France SAS à verser la somme de 5.000 euros aux époux [N] au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner la Société PV Exploitation France aux entiers dépens de l'instance.

M. et Mme [N] soutiennent que :

Si l'article L145-4 du code de commerce prévoit que la durée du contrat de bail commercial ne peut être inférieure à neuf ans, une résiliation triennale peut toutefois intervenir tant de la part du bailleur que du preneur. Une stipulation contractuelle offrant une résiliation triennale anticipée au bailleur est ainsi parfaitement valide.

Par stipulation expresse la société preneuse a elle-même offert aux époux [N] de résilier le contrat pour chaque période triennale en respectant un préavis de six mois et pour la première fois le 31 octobre 2021. C'est au regard de cette stipulation contractuelle qu'ils ont donné congé à la société preneuse en respectant le délai de préavis prévu au contrat.

A titre subsidiaire il convient de confirmer le jugement déféré sur le prononcé de la résiliation judiciaire du bail commercial pour faute du preneur à ses torts exclusifs au visa de l'article 1224 du code civil,

La société PV Exploitation France est infondée à invoquer la période de crise sanitaire pour justifier ses retards de règlement alors qu'ils ont rempli leur obligation de délivrance envers elle, qu'aucune disposition du bail ne prévoit une possible exonération ou limitation de l'obligation du locataire de payer les loyers convenus face à l'épidémie de Covid 19 ou un quelconque cas de force majeure ; en outre le critère d'irrésistibilité fait défaut et les conditions de la force majeure ne sont pas remplis ; par ailleurs aucune exception d'inexécution ne peut jouer en l'espèce ;

L'attitude de l'appelante qui a retenu pendant plus de trois ans le règlement complet de la dette locative tout en la soldant opportunément en cours de procédure judiciaire caractérise l'abus et justifie pleinement la résiliation du bail pour faute.

Il convient de condamner la société PV Exploitation France à leur verser la somme de 55.000 euros correspondant à la plus-value qu'ils auraient dû réaliser sur la vente de leur bien immobilier, qui a été empêchée par la faute de la société PV Exploitation France. A la suite du congé délivré ils ont entériné un compromis de vente le 3 mai 2021 concernant la maison qui était donnée à bail à la société PV Exploitation France mais du fait du refus de la société PV Exploitation France de résilier le bail litigieux, les acquéreurs se sont désistés leur causant un préjudice certain à savoir la perte de la plus-value qu'ils auraient dû réaliser.

MOTIFS :

A titre liminaire, il est constaté que les chefs de la décision déférée ayant mis hors de cause la SAS PV Holding et débouté la société PV Exploitation France de sa demande de délai de paiement ne sont pas contestés par les parties en cause d'appel ; par conséquent leur connaissance n'est pas déférée à la cour et il ont acquis force de chose jugée.

Il est observé au surplus que les demandes de l'appelante tendant à voir juger que l'ensemble des loyers Covid ont été réglés le 2 mars 2023 et que les loyers 2022 ont été réglés le 1er décembre 2022, et juger que les bailleurs sont à l'origine de leur préjudice de non réalisation de la vente des locaux loués, ne sont pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile mais en réalité des moyens développés à l'appui de leurs prétentions, qui seront dès lors examinés comme tels dans les développements qui vont suivre.

Sur la validité du congé

Il résulte des dispositions de l'article 145-4 du code de commerce alinéas 1 à 3 dans leur version applicable à la date du bail renouvelé le 15 juillet 2018 que la durée du contrat de location ne peut être inférieure à neuf ans.

Toutefois, le preneur a la faculté de donner congé à l'expiration d'une période triennale, au moins six mois à l'avance, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par acte extrajudiciaire. Les baux conclus pour une durée supérieure à neuf ans, les baux des locaux construits en vue d'une seule utilisation, les baux des locaux à usage exclusif de bureaux et ceux des locaux de stockage mentionnés au 3° du III de l'article 231 ter du code général des impôts peuvent comporter des stipulations contraires.

Le bailleur a la même faculté dans les formes et délai de l'article 145-9, s'il entend invoquer les dispositions des articles L145-18, L145-21, L145-23-1 et L145-24 afin de construire, de reconstruire ou de surélever l'immeuble existant, de réaffecter le local d'habitation accessoire à cet usage, de transformer à usage principal d'habitation un immeuble existant par reconstruction, rénovation ou réhabilitation ou d'exécuter des travaux prescrits ou autorisés dans le cadre d'une opération de restauration immobilière et en cas de démolition de l'immeuble dans le cadre d'un projet de renouvellement urbain.

Ces dispositions sont d'ordre public.

L'article L145-15 du code de commerce dans sa version postérieure à l'entrée en vigueur de la loi n°2014-626 du 18 juin 2014 applicable au bail renouvelé litigieux dispose que sont réputés non écrits quelle qu'en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui ont pour effet de faire échec au droit de renouvellement institué par le présent chapitre ou aux dispositions de l'article L145-4 notamment.

Par conséquent les parties ne peuvent pas déroger à ces dispositions par une stipulation contractuelle. La clause de l'article 2 du contrat de bail commercial du 15 juillet 2018 qui stipule que le bail « pourra prendre fin par anticipation sous un préavis de six mois, à l'initiative du Bailleur ou du Preneur, pour la première fois le 31 octobre 2021, puis à la fin de chaque période triennale, sous un préavis minimum de 6 mois » est réputée non écrite en ce qu'elle offre une faculté de résiliation anticipée au bailleur en violation des dispositions de l'article L145-4 susvisé.

Le congé avec refus de renouvellement du bail commercial délivré par les bailleurs à la société preneuse le 20 avril 2021 pour le 31 octobre 2021 soit pour la fin de la première période triennale du bail vise la clause du bail permettant sa résiliation anticipée du bail pour la première fois à cette date.

Il n'est pas motivé par un des cas limitativement énumérés par l'alinéa 3 de l'article L145-4 précité dans lesquels le bailleur peut résilier de manière anticipée le bail.

Par conséquent le congé délivré le 20 avril 2021 aux fins de résiliation anticipée du bail avant l'expiration du délai de 9 ans sur le fondement d'une clause contractuelle réputée non écrite est nul.

Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a à juste titre et par des motifs pertinents dit que la clause du bail conclue le 15 juillet 2018 est réputée non écrite en ce qu'elle offre une faculté de résiliation triennale au bailleur au-delà des cas limitativement énumérés par le statut des baux commerciaux et déclaré nul le congé avec refus de renouvellement du bail commercial délivré à la requête de M. et Mme [N] le 20 avril 2021.

Sur le prononcé de la résiliation judiciaire du bail

M. et Mme [N] invoquent le retard pris dans le règlement complet de la dette locative pendant plus de trois ans pour solliciter la résiliation du bail pour faute.

La société PV Exploitation France soutient que les bailleurs ne démontrent pas de motif suffisamment grave tiré du retard de paiement des loyers justifiant la résiliation du bail au regard des difficultés qu'elle a rencontrées pendant la période de crise sanitaire, des incertitudes juridiques relatives à l'exigibilité de ces loyers pendant près de deux ans et de la procédure de conciliation judiciaire tout au long de l'année 2021 ainsi que le règlement à ce jour du solde des loyers.

L'article 1224 du code civil dispose que la résolution résulte soit de l'application d'une clause résolutoire soit, en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice.

Selon l'article 1227 du même code la résolution peut, en toute hypothèse, être demandée en justice.

Il appartient au juge du fond d'apprécier si le retard dans l'exécution est d'une gravité suffisante pour que la résolution doive être prononcée.

En l'espèce l'article 6.1 du bail « loyer annuel en numéraire » stipule que le loyer « sera payable selon la périodicité suivante : Annuel et au plus tard à la fin du mois suivant ».

Il résulte de l'examen des pièces produites que la société PV Exploitation France justifie en appel que le loyer annuel de 2022 a été réglé le 1er décembre 2022. Il ne peut donc être retenu de faute pour une absence de paiement ou un retard au titre des loyers dus pour l'année 2022.

Il convient donc d'infirmer la décision déférée en ce qu'elle a condamné la société PV Exploitation France à verser à M. et Mme [N] la somme de 7300,28 euros TTC au titre des loyers de l'année 2022.

Les bailleurs ne maintiennent pas en appel la demande de condamnation de la société preneuse à ce titre de sorte qu'il n'y a plus lieu de statuer sur cette demande.

En revanche il est avéré et non contesté que les « avoirs » retenus par la société preneuse sur les loyers dus pour la période de crise sanitaire liée à la pandémie de Covid 19 soit les sommes de 1545,68 euros (période du 15 mars 2020 au 31 mai 2020), 860,04 euros (période du 2 novembre au 14 décembre 2020), et de 3620,14 euros (période du 1er janvier 2021 au 30 juin 2021) n'ont été réglés que le 2 mars 2023 soit plus d'un an après la fin de la conciliation dont a bénéficié la société preneuse qui a été prorogé jusqu'au 2 décembre 2021, plus d'un an après l'assignation qui lui a été délivrée le 25 janvier 2022, plus de sept mois après les arrêts rendus par la cour de cassation le 30 juin 2022 tranchant le débat lié au règlement des loyers échus pendant la période de pandémie Covid 19 et écartant les moyens qu'elle soulevait pour y échapper (notamment concernant l'exception d'inexécution et la force majeure).

En persistant encore pendant plus de sept mois à ne pas payer les loyers dus à M. et Mme [N] pour cette période de crise sanitaire après le prononcé des arrêts de la cour de cassation du 30 juin 2022 dont il résultait qu'aucun des moyens qu'elle soulevait ne justifiait de retenir ces loyers, la société PV Exploitation France a manqué gravement à son obligation essentielle du bail de paiement des loyers. Ce retard important justifie à lui seul le prononcé de la résiliation du bail commercial liant la société PV Exploitation France à M. et Mme [N] à ses torts exclusifs.

Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a prononcé la résiliation du bail aux torts exclusifs de la société PV Exploitation France, ordonné son expulsion, et a fixé à 500 euros par mois l'indemnité d'occupation mensuelle due par elle à compter de la date du jugement de première instance jusqu'à la libération complète des lieux et la remise des clés.

Sur la demande de dommages et intérêts pour perte de chance de réaliser une plus-value en vendant le bien litigieux

L'engagement de la responsabilité de la société PV Exploitation France suppose que soient réunies trois conditions à savoir une faute, un préjudice et un lien de causalité entre les deux.

En l'espèce M. et Mme [N] ne justifient pas de l'existence d'une faute de la société PV Exploitation France en lien avec le préjudice de la perte de chance de réaliser une plus-value en vendant le bien litigieux qu'ils invoquent.

En effet ils ont délivré congé des lieux loués de manière anticipée le 20 avril 2021 pour la date du 31 octobre 2021. Le 3 mai 2021 ils ont signé un compromis de vente du bien immobilier objet du bail litigieux qui stipulait une condition suspensive particulière à savoir que le bien devait être libre de toute location ou occupation au jour de la constatation authentique de la réalisation de la vente. Cette condition suspensive ajoutait « en conséquence et compte tenu du congé pour REFUS DE RENOUVELLEMENT délivré par le VENDEUR au preneur, le vendeur s'engage à payer l'indemnité d'éviction due au preneur ». Les acquéreurs n'ont pas entendu poursuivre la vente ainsi que cela résulte du courriel du 19 avril 2022 de maître [F] [C], notaire.

Il résulte du compromis du 3 mai 2021 que la bonne réalisation de la vente était conditionnée à la libération des lieux par le preneur à la suite du congé délivré. Or ce congé étant déclaré nul comme contrevenant aux dispositions d'ordre public sur la durée du bail commercial, il ne peut être reproché à la société preneuse de ne pas avoir libéré les lieux dans le délai donné par ce congé, ni de s'être opposé à la résiliation du bail à la suite de l'assignation qui lui a été délivrée. En outre la vente du bien immobilier litigieux pouvait en théorie intervenir sans libération des lieux par la société preneuse qui n'est pas responsable de ce que les bailleurs ont conclu un compromis de vente avant l'échéance du bail et en incluant une telle condition suspensive, à la suite d'un congé contrevenant aux dispositions d'ordre public sur les baux commerciaux.

Le préjudice subi par M. et Mme [N] de perte de chance de voir cette vente aboutir qui découle de la non réalisation de cette condition suspensive n'est donc pas en lien avec une faute du preneur. Elle n'est pas en lien avec le retard dans le paiement des loyers.

Par conséquent la demande de dommages et intérêts formulées par M. et Mme [N] pour perte de chance de réaliser une plus-value en vendant le bien litigieux est infondée.

Il convient donc d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la SAS PV Exploitation France à verser à M. et Mme [N] la somme de 10.000 euros à ce titre. La demande des intimés tendant à voir condamner l'appelante au paiement d'une indemnité de 55.000 euros en réparation de chef de préjudice sera rejetée.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Eu égard à la solution du litige il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société PV Exploitation France aux dépens et au paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société PV Exploitation France, qui succombe partiellement, sera condamnée également aux dépens d'appel sur le fondement de l'article 696 du code de procédure civile.

Il convient de condamner la société PV Exploitation France à payer à M. et Mme [N] la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, dans les limites de sa saisine, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Infirme la décision déférée en ce qu'elle a condamné la société PV Exploitation France à verser à M. et Mme [N] la somme de 7300,28 euros TTC au titre des loyers de l'année 2022 et la somme de 10.000 euros au titre de la perte de chance de réaliser une plus-value sur la vente de leur bien immobilier

Statuant à nouveau sur les chefs de décision infirmés,

Constate que M. et Mme [N] ne maintiennent pas en appel leur demande de condamnation au paiement de la somme de 7300,28 euros TTC au titre des loyers de l'année 2022 ;

Déboute M. et Mme [N] de leur demande de condamnation au paiement de la somme de 55.000 euros au titre de la perte de chance de réaliser une plus-value sur la vente de leur bien immobilier ;

Confirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions déférées à la cour ;

Y ajoutant,

Condamne la société PV Exploitation France aux dépens d'appel ;

Condamne la société PV Exploitation France à payer à M. et Mme [N] la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Madame BAYLAUCQ, Conseillère, suite à l'empêchement de Madame GUIROY, Conseillère faisant fonction de Présidente, et par Mr MAGESTE, greffier suivant les dispositions de l'article 456 du Code de Procédure Civile.

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