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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 8, 7 novembre 2025, n° 25/01091

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Og Nails Bar (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lagemi

Conseiller :

Mme Gaffinel

Avocats :

Me Cohen, Me Fourn

TJ [Localité 9], du 26 nov. 2024, n° 24/…

26 novembre 2024

La société OG Nails Bar est locataire des locaux dépendant d'un immeuble sis [Adresse 5] [Localité 9] ([Localité 1] en vertu d'un bail commercial du 5 juillet 2019, consenti pour une durée de 9 années entières et consécutives, par Mme [B] [S], Mme [F] [S] et Mme [X] [S], (ci-après désignées Mmes [S]), représentées par la société Jacar Immobilier. Les locaux sont à usage de : « centre de manucure et pédicure- institut de beauté ' distributeur de produits de beauté - vente de produits de beauté ' centre de formation manucure ».

Le loyer annuel hors charges, hors taxes, payable par trimestre et d'avance, était à la signature du bail de 22.920 euros.

Les bailleresses ont fait délivrer à la société preneuse un commandement de payer le 30 janvier 2024, visant la clause résolutoire insérée au bail, d'avoir à leur payer la somme de 16.296,16 euros au titre des loyers et charges impayés au 9 janvier 2024 et hors frais d'actes.

Par acte du 15 juillet 2024, Mmes [S] ont fait assigner la société OG Nails Bar devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris aux fins de constatation de l'acquisition de la clause résolutoire du bail commercial, condamnation du preneur à leur payer une provision sur loyers impayés et indemnités d'occupation et expulsion.

Par ordonnance réputée contradictoire du 26 novembre 2024, le premier juge a :

- constaté le défaut de paiement des loyers dus par la société OG Nails Bar ainsi que l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail à la date du 1er mars 2024 ;

- dit que la société OG Nails Bar est devenue occupante sans droit ni titre des locaux situés au [Adresse 4] à [Localité 10] à compter du 1er mars 2024 ;

- ordonné, à défaut de restitution volontaire des lieux dépendant d'un immeuble sis [Adresse 4] à [Localité 10] dans les quinze de la signification de l'ordonnance, l'expulsion du défendeur et de tout occupant de son chef des lieux susvisés avec le concours, en tant que de besoin, de la force publique et d'un serrurier ;

- dit, en cas de besoin, que les meubles se trouvant dans les lieux seront remis aux frais de la personne expulsée dans un lieu désigné par elle et qu'à défaut, ils seront laissés sur place ou entreposés en un autre lieu approprié et décrit avec précision par l'huissier chargé de l'exécution, avec sommation à la personne expulsée d'avoir à les retirer dans le délai d'un mois non renouvelable à compter de la signification de l'acte, à l'expiration duquel il sera procédé à leur mise en vente aux enchères publiques, sur autorisation du juge de l'exécution, ce conformément à ce que prévoient les articles L.433-1 et suivants et R.433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution ;

- fixé à titre provisionnel l'indemnité d'occupation, à compter de la résiliation du bail au 1er mars 2024 et jusqu'à la libération effective des lieux par la remise des clés, à une somme égale au montant du loyer contractuel, outre les taxes, charges et accessoires ;

- condamné la société OG Nails Bar à payer à Mmes [S] la somme provisionnelle de 17.392,69 euros au titre de la dette locative arrêtée au 17 octobre 2024, avec intérêts au taux légal courant à compter du commandement du 30 janvier 2024 sur la somme de 16.296,16 euros et de l'assignation pour le surplus ainsi que les indemnités d'occupation postérieures, jusqu'au jour de la libération effective des lieux, ainsi qu'aux dépens, qui comprendront notamment le coût des commandements de payer du 1er avril 2023 et du 30 janvier 2024 à hauteur de 376,52 euros ;

- dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 27 décembre 2024, la société OG Nails Bar a relevé appel de cette décision en ce qu'elle a constaté l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail à la date du 1er mars 2024, dit qu'elle est devenue occupante sans droit ni titre et ordonné son expulsion.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 4 septembre 2025, la société OG Nails Bar demande à la cour de :

- infirmer l'ordonnance critiquée, et statuant à nouveau ;

- suspendre les effets de la clause résolutoire prévue par le bail commercial en date du 5 juillet 2019 ;

- ordonner la compensation entre la somme de 11.460 euros augmentée des intérêts courus au jour des présentes, détenue par les propriétaires à titre de cautionnement de solvabilité, et l'arriéré de loyers et charges dont elle serait jugée redevable, à due concurrence ;

- faire rétroactivement application des dispositions de l'article 1343-5 du code civil pour le solde qu'elle a réglé aux délais prévus par le commandement de payer visant la clause résolutoire en date du 30 janvier 2024 ;

- subsidiairement, faire application des dispositions de l'article 1343-5 du code civil et juger qu'elle pourra s'acquitter du solde de sa dette locative par des versements de 1000 euros par mois en plus du paiement des loyers et charges courants jusqu'à apurement de sa dette ;

- débouter Mmes [S] de toutes autres demandes et notamment de celle fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Dans leurs dernières conclusions remises et notifiées le 8 septembre 2025, les consorts [S] demandent à la cour de :

- déclarer la société OG Nails Bar mal fondée en son appel et l'en débouter ;

- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé du 26 novembre 2024 ;

- condamner la société OG Nails Bar à leur payer la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens qui comprendront le coût du commandement de payer.

La clôture de l'affaire a été prononcée le 10 septembre 2025.

Pour un exposé plus détaillé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie expressément à la décision déférée ainsi qu'aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR,

Selon l'article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le juge des contentieux de la protection peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.

Selon l'article 835 du même code, le juge des contentieux de la protection peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Sur l'acquisition de la clause résolutoire

En application de ces textes, il est possible, en référé, de constater la résiliation de plein droit d'un bail en application d'une clause résolutoire lorsque celle-ci est mise en 'uvre régulièrement et qu'il n'est pas opposé de contestation sérieuse susceptible d'y faire obstacle.

Selon l'article L. 145-41 du code de commerce, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux.

La société OG Nails Bar ne conteste pas que les causes du commandement de payer qui lui a été adressé, n'ont pas été acquittées dans le délai qui lui était imparti.

C'est donc à juste titre que le premier juge a constaté la réunion des conditions d'acquisition de la clause résolutoire à la date du 1er mars 2024.

Sur la provision

Selon l'article 835, alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence d'une obligation n'est pas sérieusement contestable, il peut être accordé une provision au créancier, ou ordonné l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

Aux termes des articles 1347 et 1347-1 du code civil, la compensation suppose des obligations réciproques entre deux personnes et n'a lieu qu'entre deux obligations fongibles, certaines, liquides et exigibles.

Le premier juge a condamné la société OG Nails Bar au paiement de la somme de 17.392,69 euros, arrêtée au 17 octobre 2024 avec intérêt au taux légal.

Il n'est pas contesté que postérieurement à l'ordonnance, la société OG Nails Bar a procédé à plusieurs virements en sus des loyers courants, portant l'arriéré locatif à la somme de 13.569,21 euros selon l'extrait de compte arrêté au 28 janvier 2025.

La société OG Nails Bar sollicite que la somme de 11.460 euros qu'elle a versée aux bailleresses lors de la conclusion du bail à titre de « caution de solvabilité » s'impute sur l'arriéré locatif au même titre que les intérêts dus sur cette somme par application de l'article L.145-40 du code de commerce.

La clause « caution de solvabilité » qui figure à l'article 5 du bail relatif au loyer, prévoit que: « Le preneur propose dès à présent au bailleur de lui verser une somme de 11 460 euros à titre de cautionnement de solvabilité représentant 6 mois de loyer en principal non producteur d'intérêts ;

Le bailleur pourra utiliser cette garantie à la première défaillance du preneur dans un délai d'un mois après un commandement de payer par huissier resté infructueux et ce jusqu'à épuisement de la somme de 11 460 euros.

L'utilisation de cette caution ne dispense pas le preneur du paiement des loyers dus, le bailleur ayant tout loisir de demander l'application de la clause résolutoire prévue au présent du fait du non-respect des conditions du bail ;

Ce cautionnement de solvabilité est valable pour une durée ferme de 9 ans non résiliable sauf en cas de congé du locataire ou de cession du droit au bail dans ce dernier cas le cessionnaire devra fournir les garanties équivalentes' »

Il résulte ainsi de cette clause que les bailleresses détiennent la somme de 11.460 euros versée par la société OG Nails Bar à la signature du bail, ce qu'elles ne contestent pas.

Pour s'opposer à la compensation de cette somme avec l'arriéré locatif, Mmes [S] élèvent plusieurs contestations en ce que la compensation n'a pas un caractère automatique, que la clause de cautionnement de solvabilité ne les empêchait pas d'invoquer le bénéfice de la clause résolutoire en cas de défaillance du preneur, que cette clause venait en remplacement d'une caution bancaire que la société OG Nails Bar n'était pas en mesure de fournir, qu'elle ne contrevient pas aux dispositions de l'article L.145-40 précité et qu'en tout état de cause, s'agissant de la réclamation des intérêts sur cette somme, soit l'action du preneur est prescrite si le délai de prescription court à compter de la signature du bail, soit elle n'est pas recevable dès lors que le bail, si des délais de paiement sont accordés, n'est pas résolu.

Mais, s'agissant de la somme de 11.400 euros, il est incontestable qu'elle est détenue par Mmes [S] et qu'elle avait vocation à être utilisée par ces dernières en cas de défaillance de la société OG Nails Bar dans ses obligations. La circonstance, au demeurant non établie, que la caution de solvabilité venait en remplacement d'une caution bancaire non obtenue par le preneur n'est pas de nature à empêcher une compensation entre la somme détenue par Mmes [S] et l'arriéré locatif, non contesté, dû par la société OG Nails Bar. En l'absence de contestation sérieuse, il convient d'ordonner la compensation entre l'arriéré locatif et la somme de 11.400 euros.

En revanche, Mmes [S] font justement valoir que la demande de compensation avec les intérêts produits par cette somme se heurte à une contestation sérieuse dès lors que l'action en paiement des intérêts dus en application de l'article L.145-40 du code de commerce est soumise à la prescription de deux ans prévue par l'article L.145-60 du même code et qu'il convient de déterminer le point de départ de la prescription, au jour de la conclusion du bail ou à compter de la fin du bail, ce qui outrepasse les pouvoirs du juge des référés.

En conséquence, le montant de la provision s'élève, avec l'évidence requise en référé, à la somme de 2.109,21 euros (13.569,21 - 11.460 euros).

Sur les délais de paiement

Selon l'article 1343-5, alinéa 1, du code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années le paiement des sommes dues.

Les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.

Il résulte de l'extrait de compte versé par les bailleresses que depuis le commandement de payer en date du 30 janvier 2024, la société OG Nails Bar a procédé à deux règlements de 2.200 euros en sus des loyers courants, permettant une baisse de l'arriéré locatif.

Au regard du solde restant dû et de la capacité de la société OG Nails Bar à procéder à des virements en sus de son loyer courant, il convient de lui permettre d'apurer le solde de sa dette locative tout en conservant son bail, selon les conditions prévues au dispositif, et de suspendre les effets de la clause résolutoire pendant le cours de ce délai.

Sur les autres demandes

Le sort des dépens de première instance et des frais irrépétibles a été exactement apprécié par le premier juge, la locataire étant débitrice de loyers impayés ayant justifié la procédure engagée par la bailleresse.

En appel, la demande de délais formée par la société OG Nails Bar étant accueillie, elle n'est pas partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile et ne sera donc pas tenue aux entiers dépens, qui resteront à la charge de chacune des parties. Il n'y a pas lieu en équité de faire droit à la demande au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

Infirme l'ordonnance entreprise, sauf en ce qu'elle a constaté que les conditions d'acquisition de la clause résolutoire étaient réunies à la date du 1er mars 2024 et a condamné la société OG Nails Bar aux dépens ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Condamne la société OG Nails Bar à payer à Mme [B] [S], Mme [F] [S] et Mme [X] [S] la somme provisionnelle de 2.109,21 euros à valoir sur l'arriéré de loyers et charges selon décompte arrêté au 28 janvier 2025, avec intérêt au taux légal à compter du commandement du 30 janvier 2024,

Autorise la société OG Nails Bar à s'acquitter de la somme de 2.109,21 euros, en plus des loyers courants, en trois mensualités, les deux premières d'un montant de 1.000 euros chacune et la troisième comprenant le solde et les intérêts, le premier versement devant intervenir avant le 15 du mois suivant la signification du présent arrêt et les versements suivants avant le 15 de chaque mois ;

Suspend les effets de la clause résolutoire et dit qu'elle sera réputée n'avoir jamais joué si la société OG Nails Bar se libère de sa dette dans les conditions prévues ci-dessus et si le loyer courant augmenté des charges est payé pendant le cours de ce délai ;

Dit qu'à défaut de paiement d'une seule des mensualités à bonne date dans les conditions ci-dessus fixées ou du loyer courant augmenté des charges à son échéance, et huit jours après l'envoi d'une simple mise en demeure adressée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception :

· la totalité de la somme restante due deviendra immédiatement exigible ;

· la clause résolutoire reprendra son plein effet ;

· faute de départ volontaire des lieux loués, il pourra être procédé à l'expulsion de la société OG Nails Bar et de tous occupants de son chef des locaux situés [Adresse 4] à [Localité 10], avec le concours de la force publique si nécessaire ;

· le sort des meubles sera régi conformément aux dispositions des articles L. 433-1 et suivants et R. 433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution ;

· la société OG Nails Bar sera condamnée à payer à Mme [B] [S], Mme [F] [S] et Mme [X] [S] une indemnité mensuelle d'occupation provisionnelle égale au montant des loyers et charges qui auraient été dus si le bail s'était poursuivi jusqu'à la reprise effective des lieux ;

Laisse à chaque partie la charge des dépens par elle exposés en appel et rejette la demande au titre des frais irrépétibles.

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