Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 8, 7 novembre 2025, n° 25/00640

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Alimentation 2L (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lagemi

Conseiller :

Mme Gaffinel

Avocats :

Me Bernabe, Me Abel, Me Hennequin

TJ [Localité 8], du 5 déc. 2024, n° 23/5…

5 décembre 2024

Par acte des 8 et 15 février 1994, l'établissement public [Localité 8] habitat - OPH a donné à bail commercial à M. [I] [P] (devenu M. [I] [Z]) et à M. [S] [V] des locaux situés [Adresse 4], dans le [Localité 1], pour l'exercice d'une activité d'alimentation générale, moyennant un loyer annuel de 13.378 francs hors charges et hors taxes, payable trimestriellement d'avance.

Par acte des 24 mai et 4 juin 1996, le droit au bail consenti à M. [S] [V] a été cédé au seul bénéfice de M. [I] [Z], ce dernier devenant unique titulaire du droit au bail.

A compter du 1er octobre 2003, la société Alimentation 2L est devenue titulaire du bail commercial en lieu et place de M. [I] [M].

Le 25 juillet 2020, la société Alimentation 2L a concédé à la société Ilyes & Liam la location-gérance du fonds de commerce par un contrat prévoyant une redevance mensuelle de 2.500 euros hors taxe.

Faisant grief au preneur de ne plus exploiter les locaux commerciaux, Paris Habitat-OPH a, par acte du 8 novembre 2022, fait signifier à la société Alimentation 2L une sommation d'exploiter visant la clause résolutoire, puis, par acte du 20 mars 2023, a fait assigner les sociétés Alimentation 2L et la société Ilyes & Liam devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris aux fins de constat de l'acquisition de la clause résolutoire, expulsion de la société Alimentation 2L et de la société Ilyes & Liam et condamnation in solidum de ces dernières, à titre provisionnel, au paiement d'une indemnité d'occupation.

Par ordonnance contradictoire rendue le 5 décembre 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris a :

- constaté l'acquisition de plein droit à la date du 9 décembre 2022 de la clause résolutoire stipulée au contrat de bail ;

- dit que la société Alimentation 2L devra libérer les locaux situés au [Adresse 5], à [Localité 9], et, à défaut de restitution volontaire des lieux dans les quinze jours de la signification de la présente ordonnance, ordonné son expulsion ainsi que celle de tous occupants de son chef, avec le cas échéant, le concours de la force publique et d'un serrurier ;

- rappelé que le sort des meubles sera réglé conformément aux dispositions des articles L.433-1 et suivants et R.433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution ;

- fixé à titre provisionnel l'indemnité d'occupation due par la société Alimentation 2L, à compter de la résiliation du bail et jusqu'à la libération effective des lieux par la remise des clés, à une somme égale au montant du loyer contractuel, outre les taxes, charges et accessoires ;

- condamné la société Alimentation 2L à payer à [Localité 8] habitat - OPH, à titre provisionnel, la somme de 15.720,41 euros, arrêtée au 6 novembre 2024, au titre des indemnités d'occupation impayées, 4ème trimestre inclus, ainsi que les indemnités d'occupation postérieures ;

- dit que la société Alimentation 2L pourra s'acquitter de cette somme en six mensualités égales et consécutives, le premier versement devant intervenir le 15 du mois suivant la signification de l'ordonnance et les versements suivants le 15 de chaque mois, le délai de paiement accordé n'entraînant pas une suspension des effets de la clause résolutoire;

- rappelé que l'article 1343-5 du code civil dispose que la décision du juge suspend les procédures d'exécution qui auraient été engagées par le créancier ;

- dit qu'à défaut d'un seul versement à son échéance, la totalité de la somme alors due deviendra immédiatement exigible ;

- rejeté les demandes formulées à l'encontre de la société Ilyes & Liam ;

- condamné la société Alimentation 2L à payer à [Localité 8] habitat- OPH la somme de 1.450 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, comprenant le coût du commandement de payer du 8 novembre 2022 ;

- rejeté toutes les autres demandes des parties, plus amples ou contraires.

Par déclaration du 19 décembre 2024, la société Alimentation 2L a relevé appel de cette décision en critiquant l'ensemble des chefs du dispositif.

Par dernières conclusions remises et notifiées le 8 septembre 2025, elle demande à la cour de :

- infirmer l'ordonnance entreprise ;

statuant à nouveau,

- débouter [Localité 8] habitat - OPH de ses demandes ;

- dire n'y avoir lieu à référé sur la demande de [Localité 8] habitat - OPH tendant à constater l'acquisition de la clause résolutoire du fait de la non-exploitation du local commercial et à la résiliation de plein droit du bail la liant à [Localité 8] habitat - OPH à compter du 8 décembre 2022, du fait de la reprise d'activité depuis le 14 avril 2024 ;

- à défaut, dire que la non-exploitation du local commercial est due à des causes extérieures, que la société Alimentation 2L prouve qu'elle a repris l'activité depuis le 14 avril 2024, et qu'en conséquence, il n'y a lieu de prononcer à son encontre ni l'acquisition de la clause résolutoire, ni la résiliation de plein droit du bail ;

- dire qu'elle continuera de payer les loyers courants ;

- condamner [Localité 8] habitat - OPH aux entiers dépens et au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions remises et notifiées le 4 juin 2025, [Localité 8] habitat - OPH demande à la cour de :

- confirmer l'ordonnance de référé entreprise en son entier dispositif ;

- rejeter l'intégralité des demandes de la société Alimentation 2L ;

- la condamner à lui verser la somme de 1.450 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel ainsi qu'aux entiers dépens, avec faculté de recouvrement direct au profit de la SELAS LGH & Associés, prise en la personne de Me Hennequin, avocat aux offres de droit, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 septembre 2025.

Pour un exposé plus détaillé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie expressément à la décision déférée ainsi qu'aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR,

Sur l'acquisition de la clause résolutoire

L'article 834 du code de procédure civile dispose que, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.

Selon l'article 835 du même code, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

L'article L.145-41 du code de commerce dispose : "Toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai." L'article L.145-8 du même code vise l'obligation d'exploiter les lieux loués comme une condition nécessaire à l'application du statut des baux commerciaux.

Le bail conclu les 8 et 15 février 1994 prévoit :

- en sa clause "Nature du commerce" : "Il est expressément spécifié que le preneur devra toujours tenir la boutique constamment ouverte et approvisionnée. Il sera tenu de conserver aux locaux à ce destinés, pendant toute la durée du bail, leur caractère commercial." ;

- en sa clause résolutoire : "A défaut de paiement à son échéance d'un seul terme de loyer, comme aussi à défaut d'exécution de l'une quelconque des conditions des présentes, le bail sera immédiatement et de plein droit résilié, si bon semble à l'Office public, un mois après un simple commandement de payer resté infructueux, ou une sommation d'avoir à exécuter demeurée sans effet et contenant déclaration de son intention d'user du bénéfice de la présente clause, sans qu'il ait à remplir aucune formalité judiciaire et sans que l'effet de la résiliation ainsi encourue puisse être empêché ou suspendu par aucune offre ou consignation postérieure.L'Office public sera alors autorisé à faire procéder à l'expulsion du preneur, à disposer librement des lieux loués et à en faire une nouvelle location (...)."

La société Alimentation 2L soutient qu'il n'est nullement démontré qu'elle ait sciemment refusé d'exécuter son obligation contractuelle d'exploiter les locaux commerciaux, que les actes perpétrés par les anciens dirigeants de la société Ilyes & Liam ont en effet empêché la reprise normale des activités commerciales, établissant un cas de force majeure au sens de l'article 1218 du code civil, caractérisé par un évènement extérieur - la société Alimentation 2 L ayant été victime de man'uvres d'entrave orchestrées par le locataire-gérant, échappant totalement à son contrôle - imprévisible - n'ayant pu, au moment de la conclusion du bail, anticiper ces entraves systématiques à la réouverture du commerce - et irrésistible en ce qu'elle n'a pu, malgré les efforts déployés (travaux, embauche d'un agent de sécurité, démarches administratives), contourner ces obstacles qu'au prix de retards et de lourds investissements. Elle indique qu'elle a, en tout état de cause, repris possession des lieux le 14 avril 2024 et qu'elle exploite désormais son commerce dans des conditions normales.

[Localité 8] habitat - OPH soutient qu'en l'absence d'exploitation commerciale, la violation des clauses du bail par la société Alimantation 2L ne souffre d'aucune contestation ; il ajoute que la locataire ne justifie pas en quoi elle aurait subi un évènement relevant de la force majeure, de sorte que la clause résolutoire était bien acquise un mois après la sommation d'exploiter l'établissement, soit le 9 décembre 2022.

Il résulte des articles L145-1 et L145-8 du code de commerce et de la clause exprès du bail que le preneur, nonobstant la mise en location-gérance, demeure tenu d'exploiter les lieux loués.

Il ressort des pièces versées aux débats que :

- par procès-verbaux de commissaires de justice dressés les 3, 5 et 7 octobre 2022, il a été constaté que "le rideau de fer du local est baissé", "aucun horaire d'ouverture du commerce n'est affiché", "le voisin a déclaré que le commerce est fermé depuis un an";

- par acte délivré le 8 novembre 2022, [Localité 8] habitat - OPH a fait délivrer à la société Alimentation 2L une sommation, visant la clause résolutoire, d'exploiter les locaux donnés à bail ;

- par constats de commissaires de justice des 11 et 13 janvier 2023 et procès-verbal d'expulsion du locataire-gérant dressé le 12 juin 2023, il a été observé que le rideau de fer était toujours baissé et qu'aucun pannonceau n'annonçait une éventuelle ouverture ;

- par procès-verbal de commissaire de justice dressé le 18 avril 2024, a été constatée l'ouverture de l'établissement.

Il s'en infère que l'établissement est resté durablement fermé, au moins du 3 octobre 2022 au 18 avril 2024. Par ailleurs, la société Alimentation 2L ne saurait invoquer une quelconque force majeure faisant obstacle à l'exploitation du fonds de commerce en s'abritant derrière les agissements du locataire-gérant, faute, en l'espèce, d'extériorité, l'obligation d'exploiter pesant, aux termes du bail, sur le preneur lui-même.

L'absence durable d'exploitation des locaux par la société Alimentation 2L n'est dès lors pas sérieusement contestable.

La société Alimentation 2L n'ayant pas déféré, dans le délai d'un mois à compter de la date de délivrance de la sommation d'exploiter les lieux, aux causes de cet acte, l'ordonnance entreprise sera confirmée en ce qu'elle a retenu que les conditions d'acquisition de la clause résolutoire étaient réunies à la date du 9 décembre 2022, a ordonné l'expulsion de la locataire et l'a condamnée au paiement, à titre provisionnel, à compter de la date d'acquisition de la clause résolutoire, d'une indemnité d'occupation d'un montant égal à celui du dernier loyer majoré des charges.

Sur l'arriéré locatif

[Localité 8] habitat - OPH sollicite la confirmation de la condamnation provisionnelle prononcée par le premier juge pour la somme de 15.720,41 euros arrêtée au 6 décembre 2024.

La société Alimentation 2L fait valoir que les sommes dues ont été réglées et qu'elle est parfaitement à jour de ses paiements jusqu'au 2ème trimestre de 2025 inclus ; elle indique que, si l'échéance du 3ème trimestre de 2025 reste due, elle n'est exigible qu'au plus tard le 30 septembre 2025, de sorte qu'elle est encore dans le délai contractuel pour en effectuer le règlement.

Il ressort en l'espèce du relevé de compte au 3 septembre 2025 versé aux débats par la société Alimentation 2L (pièce n°20), non contesté par [Localité 8] habitat - OPH, que la dette locative a été intégralement réglée, hors indemnité d'occupation due au titre du 3ème trimestre de 2025 - de 3.048,93 euros - dont [Localité 8] habitat - OPH ne fait nullement état - son relevé de compte n'étant arrêté qu'au 22 mai 2025 - et dont il ne réclame pas le paiement.

La cour dira dès lors n'y avoir lieu à condamnation provisionnelle du locataire au titre d'une dette locative et infirmera en ce sens l'ordonnance entreprise.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le sort des dépens de première instance et l'application de l'article 700 du code de procédure civile ont été exactement appréciés par le premier juge.

La société Alimentation 2L supportera les dépens d'appel, sans pouvoir prétendre à une indemnité au titre des frais irrépétibles.

L'application de l'article 700 du code de procédure civile a été exactement apprécié par le premier juge. L'équité commande de condamner la société Alimentation 2L au paiement de la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

Confirme l'ordonnance entreprise, sauf sur la condamnation au paiement d'une provision à valoir sur les indemnités d'occupation et sur l'octroi de délais de paiement ;

Statuant à nouveau, vu l'évolution du litige,

Dit n'y avoir lieu à condamnation provisionnelle de la société Alimentation 2L au titre d'une dette locative, ni dès lors à l'octroi de délais de paiement ;

Condamne la société Alimentation 2L aux dépens d'appel, avec application de l'article 699 du code de procédure civile, et à payer à l'établissement public [Localité 8] habitat - OPH la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site