CA Paris, Pôle 1 ch. 8, 7 novembre 2025, n° 25/02472
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
La Cantina (SARL)
Défendeur :
Plateau Urbain (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lagemi
Conseillers :
Mme Gaffinel, M. Birolleau
Avocats :
Me Ohana, Me Gonzalez, Me Vignes, Me Richard
Par acte notarié du 16 décembre 2022, l'Assistance Publique des Hôpitaux de [Localité 12] (l'AP-HP) a signé avec la SCCV [Localité 12] Victoria une promesse unilatérale de bail à construction pour la réhabilitation de son siège historique situé [Adresse 3].
Dans l'attente du démarrage des travaux, la SCCV [Localité 12] Victoria a mis en 'uvre un projet intitulé "les [Localité 9] Citoyennes" portant sur la transformation transitoire de locaux en "tiers lieux" accueillant temporairement des acteurs de l'économie sociale et solidaire, en faisant appel à la société Plateau Urbain.
La SCCV [Localité 12] Victoria et la société Plateau Urbain ont ainsi conclu une convention d'occupation précaire en décembre 2022, prenant effet le 5 janvier 2023, et prolongée jusqu'au 31 décembre 2025 par avenant du 3 janvier 2023.
Dans ce cadre, la société Plateau Urbain a signé le 5 octobre 2023 avec la société La Cantina une convention de sous-occupation précaire portant sur une partie des locaux, à destination de restauration, prenant effet le 15 août 2023, pour une durée de douze mois, jusqu'au 30 août 2024.
Le 3 septembre 2024, la société Plateau Urbain a fait délivrer à la société La Cantina, à son siège social et sur les lieux des locaux mis à sa disposition, une sommation de quitter les lieux.
Dénonçant le maintien de la société La Cantina dans les lieux malgré l'expiration du terme de la convention de sous-occupation, la société Plateau Urbain l'a, par acte du 8 novembre 2024, fait assigner devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris aux fins d'expulsion et de condamnation provisionnelle à lui payer une indemnité d'occupation.
Par ordonnance contradictoire du 7 janvier 2025, le premier juge a :
- écarté des débats les notes reçues en cours de délibéré,
- déclaré la société Plateau Urbain recevable en son action,
- ordonné l'expulsion de la société La Cantina et de tous occupants de son chef des locaux, objets de la convention de sous-occupation précaire signée le 5 octobre 2023, situés au sein de l'ensemble immobilier [Adresse 3] avec l'assistance de la force publique si nécessaire, à défaut de libération des lieux dans un délai de quinze jours à compter de la signification de la présente décision,
- rappelé que le sort des meubles et objets mobiliers se trouvant sur place est régi par les dispositions des articles L.433-1 et R.433-1 du code des procédures civiles d'exécution,
- condamné la société La Cantina à payer à la société Plateau Urbain une indemnité provisionnelle d'occupation, à compter du 31 août 2024 et jusqu'à la libération effective des lieux par la remise des clés, d'une somme égale au montant de la redevance courante, charges en sus, à laquelle la société Plateau Urbain pouvait prétendre en cas de poursuite de la convention d'occupation précaire,
- condamné la société La Cantina à payer à la société Plateau Urbain la somme de 2.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à référé sur toute autre demande.
Par déclaration du 24 janvier 2025, la société La Cantina a relevé appel de cette décision en critiquant l'ensemble de ses chefs de dispositif à l'exception de ceux ayant écarté des débats les notes en délibéré et dit n'y avoir lieu à référé sur toute autre demande.
Dans ses conclusions remises et notifiées le 25 avril 2025, la société la Cantina demande à la cour de :
- infirmer l'ordonnance du 7 janvier 2025 des chefs critiqués ;
- confirmer l'ordonnance susvisée en ce qu'elle a écarté des débats les notes reçues en cours de délibéré et dit n'y avoir lieu à référé sur toute autre demande ;
Et statuant à nouveau,
- juger que la société Plateau Urbain ne justifie d'aucune urgence ;
- juger que les demandes de la société Plateau Urbain se heurtent à des contestations sérieuses ;
- juger qu'il n'existe aucun dommage imminent ni de trouble manifestement illicite ;
En conséquence,
- déclarer n'y avoir lieu à référé ;
- débouter la société Plateau Urbain de l'intégralité de demandes ;
- renvoyer la société Plateau Urbain à mieux se pourvoir ;
- condamner la société Plateau Urbain à lui verser la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 9 septembre 2025, la société Plateau Urbain demande à la cour de :
- débouter la société La Cantina de son appel et de toutes ses demandes ;
- confirmer l'ordonnance du 7 janvier 2025 ;
En conséquence,
- condamner provisionnellement la société La Cantina à lui payer une indemnité provisionnelle d'occupation, à compter du 31 août 2024 et jusqu'au 9 juillet 2025 ;
Y ajoutant :
- condamner la société La Cantina à lui payer la somme de 6.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société La Cantina aux entiers dépens de l'instance ;
La clôture de la procédure a été prononcée le 10 septembre 2025.
Pour un exposé plus détaillé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie expressément à la décision déférée ainsi qu'aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur le trouble manifestement illicite
L'article 835 du code de procédure civile prévoit que le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le trouble manifestement illicite désigne toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit. Le caractère illicite de l'acte peut résulter de sa contrariété à la loi, aux stipulations d'un contrat ou aux usages.
Pour solliciter l'expulsion de la société La Cantina, la société Plateau Urbain soutient que son maintien dans les lieux, après l'échéance de la convention de sous-occupation précaire constitue une occupation sans droit ni titre et donc un trouble manifestement illicite.
La société La Cantina fait valoir, en premier lieu, que la société Plateau Urbain ne dispose pas de la qualité à agir dès lors qu'elle ne rapporte pas la preuve de la réalité d'une chaîne contractuelle, qu'elle n'a pas la capacité de représenter l'AP-HP, que l'objet social de la SCCV [Localité 12] Victoria est incompatible avec la conclusion de la convention d'occupation avec la société Plateau Urbain, que la convention liant la société Plateau Urbain et la SCCV Victoria a été abusivement qualifiée de convention d'occupation précaire et que la société Plateau Urbain n'a pas obtenu l'accord de la SCCV Victoria pour faire libérer les lieux qu'elle occupe.
En second lieu, elle élève, comme devant le premier juge, des contestations sérieuses tirées du non-respect par la convention de sous-occupation précaire du cadre de l'appel d'offre initial et de l'absence de précarité de la convention qui s'assimile à un bail commercial.
Sur la qualité à agir de la société Plateau Urbain
La société Plateau Urbain et la SCCV [Localité 12] Victoria ont conclu en décembre 2022 une convention d'occupation précaire, prenant effet le 5 janvier 2023 et expirant le 15 septembre 2024, ayant pour objet de mettre à disposition de la société Plateau Urbain une partie de l'ensemble immobilier sis au [Adresse 2] et [Adresse 6] à [Adresse 11] [Localité 1] [Adresse 10]) dans l'attente des autorisations administratives définitives nécessaires à la réalisation du projet et de la signature du bail à construction dont la SCCV [Localité 12] Victoria est bénéficiaire. Par avenant du 3 janvier 2023, l'expiration de la convention a été reportée au 31 décembre 2025. (pièce n°3 et 4 de l'intimée)
Aux termes de la convention de sous-occupation précaire signée le 5 octobre 2023, la société Plateau Urbain a ensuite mis à disposition de la société La Cantina des locaux au sein de l'ensemble immobilier situé [Adresse 2] pour une période de douze mois venant à expiration le 30 août 2024.
Contrairement à ce que soutient la société La Cantina, la société Plateau Urbain dispose de la qualité à agir dès lors qu'elle est signataire de la convention de sous-occupation précaire précitée et qu'elle disposait en vertu de l'article 7.1 de la convention d'occupation précaire de la faculté de consentir elle-même des conventions de sous-occupation précaires.
Comme l'a justement retenu le premier juge, par des motifs exacts et pertinents que la cour adopte, les contestations soulevées par la société La Cantina sur « la chaine contractuelle » sont inopérantes. Il convient à cet égard de souligner que la convention d'occupation précaire signée par la société Plateau Urbain et la SCCV [Localité 12] Victoria rappelle expressément que cette dernière tire son droit de jouissance et de consentir des conventions d'occupation précaire de la promesse unilatérale de bail à construction signée le 16 décembre 2022 à son profit par l'Assistance publique-Hôpitaux de [Localité 12] laquelle est produite par l'intimée.
La société Plateau Urbain ayant contracté seule et directement avec la société La Cantina, elle n'a pas à justifier d'une autorisation de l'AP-HP ou de la SCCV [Localité 12] Victoria pour agir en justice et faire exécuter la convention de sous-occupation précaire qu'elle a signée avec la société La Cantina.
Sur l'occupation sans droit ni titre
Le maintien sans droit ni titre d'un occupant précaire au-delà de l'échéance de la convention cause un trouble manifestement illicite au sens de l'article 835 alinéa1er du code de procédure civile qui justifie son expulsion par le juge des référés.
La convention de sous-occupation précaire prévoit expressément à l'article 1 que « D'un commun accord, en raison des motifs objectifs de précarité résultant de la signature définitive du bail à construction sous conditions suspensives, dénouement de la vente éventuelle et de l'attente des autorisations administratives définitives nécessaires à la réalisation du projet et du début des travaux de construction, les Parties déclarent être pleinement informées de ce que la présente occupation temporaire et précaire est soumise à l'article L. 145-5-1 du Code de commerce. En conséquence, le sous-occupant ne pourra, en aucun cas et de quelque façon que ce soit, revendiquer le bénéficie du statut des baux commerciaux[' ] Le sous-occupant reconnait en particulier avoir pleine connaissance de ce qu'il ne peut bénéficier d'aucun droit à renouvellement ou indemnité, ni de façon générale, revendiquer le bénéfice d'une quelconque propriété commerciale.»
L'article 4 de la convention de sous-occupation dispose en outre que la sous-occupation se terminera le 30 août 2024, que la convention ne peut pas se prolonger par tacite reconduction, que la société Plateau Urbain pourra proposer au sous-occupant une prorogation éventuelle dans un délai de 2 mois avant le terme de la durée initialement prévue et qu'en l'absence d'information et/ou proposition de la société Plateau Urbain, la convention de sous-occupation prendra fin naturellement par l'arrivée du terme.
Il en résulte qu'en l'absence de proposition de prorogation de la convention par la société Plateau Urbain, celle-ci a pris fin le 30 août 2024, peu important que la convention d'occupation précaire signée entre la société Plateau Urbain et la SCCV [Localité 12] Victoria ait un terme au 31 décembre 2025. Il est rappelé que la société La Cantina est extérieure à la relation contractuelle existante entre la société Plateau Urbain et la SCCV [Localité 12] Victoria et ne peut tirer un quelconque avantage d'un contrat qu'elle n'a pas signé.
De même, la circonstance que la convention de sous-occupation précaire ne soit pas conforme à l'appel d'offre mis en ligne par la société Plateau Urbain en mars 2023 est inopérante, seule la convention signée le 5 octobre 2023 engageant la société Plateau Urbain à l'égard de la société La Cantina.
Enfin, la société La Cantina ne peut sérieusement faire valoir l'absence de précarité de la convention alors que celle-ci mentionne expressément la convention d'occupation précaire signée entre la société Plateau Urbain et la SCCV [Localité 12] Victoria et l'attente des autorisations administratives pour débuter les travaux en exécution du bail à construction, ces circonstances indépendantes de la seule volonté des parties, justifiant le recours à une telle convention.
La société La Cantina allègue, en outre, pour voir écarter la qualification de convention de sous-occupation précaire que la redevance fixée n'est pas modique. Mais, si effectivement la redevance est évolutive en fonction du chiffre d'affaires, il ne saurait s'en déduire son absence de modicité. En effet, la convention prévoit qu'en dessous d'un chiffre d'affaires hors taxes de 16.667 euros, aucune redevance n'est due, et qu'ensuite la redevance est fixée par tranche selon le chiffre d'affaires. A titre d'exemple, il est mentionné que pour un chiffre d'affaires mensuel de 28.000 euros, la redevance mensuelle est de 853,31 euros (pour un local de 231 m²). De même, il ne saurait être tiré aucune conséquence de la clause de renégociation du montant de la redevance qui n'a jamais été mise en 'uvre par la société Plateau Urbain et qui était, en tout état de cause, encadrée. La société La Cantina ne produisant aucun référentiel de loyer pour un local équivalent, ne rapporte pas la preuve de l'absence de modicité de la redevance.
Enfin, la référence erronée à un « bail en date du 5 octobre 2023 pour les locaux situé [Adresse 2] » et à « la clause résolutoire insérée audit bail » dans la sommation de quitter les lieux ne saurait suffire à requalifier la convention de sous-occupation précaire en bail.
De même, les incidents relatifs notamment à des coupures d'électricité invoqués par la société La Cantina survenus postérieurement à l'échéance de la convention d'occupation précaire ne sont pas de nature à faire obstacle à l'existence d'un trouble manifestement illicite.
Les moyens soulevés par la société La Cantina ne peuvent donc faire obstacle à son expulsion, celle-ci s'étant maintenue sans droit ni titre dans les lieux après l'échéance de la convention de sous-occupation précaire.
Sur la demande de provision
L'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile dispose que le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
La société La Cantina a été condamnée à verser à la société Plateau Urbain une indemnité provisionnelle d'occupation, à compter du 31 août 2024 et jusqu'à la libération effective des lieux par la remise des clés, d'une somme égale au montant de la redevance courante, charges en sus, à laquelle la société Plateau Urbain pouvait prétendre en cas de poursuite de la convention d'occupation précaire.
Devant la cour, elle ne développe aucun moyen visant à voir réformer ce chef de dispositif qui est donc confirmé.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Le premier juge a fait une exacte application du sort des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile.
La société La Cantina, qui succombe en appel, est condamnée aux dépens et à verser à la société Plateau Urbain la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Confirme l'ordonnance des chefs critiqués,
Condamne la société La Cantina aux dépens et à verser à la société Plateau Urbain la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile