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CA Aix-en-Provence, ch. 1-1, 10 novembre 2025, n° 21/08197

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Nautic Avenue (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Toulouse

Conseillers :

Mme Ouvrel, Mme Allard

Avocats :

Me Daval-Guedj, Me Meulien

TJ Localité 4, du 5 mai 2021, n° 19/0011…

5 mai 2021

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 17 octobre 2017, M. [V] [P] a conclu avec la SARL [Adresse 3] un contrat intitulé "mandat de courtage avec exclusivité", prévoyant la vente de son navire dénommé Horizon V.

La mise à prix a été fixée à 185 000 euros et la commission à 8% du prix de vente.

Le 5 décembre 2017, M. [P] a procédé à la vente du bateau, sans l'intermédiaire de la société mandatée.

Par courrier du 8 octobre 2018, la SARL Nautic Avenue reprochant à M. [P] d'avoir vendu le bien sans son intermédiaire, l'a mis en demeure par le biais de son assureur protection juridique, de lui payer la somme de 14 800 euros au titre de la commission.

Par assignation délivrée 13 décembre 2018, la SARL [Adresse 3] a fait citer M. [P] devant le tribunal de grande instance de Toulon aux fins de condamnation au paiement de la somme de 14 800 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement des articles 1984 et suivants et 1231-1 et suivants du code civil.

Par jugement contradictoire du 5 mai 2021, le tribunal judiciaire de Toulon a :

' débouté la SARL Nautic Avenue de l'intégralité de ses prétentions,

' condamné la SARL [Adresse 3] à payer à M. [V] [P] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

' condamné la SARL Nautic Avenue aux dépens.

Le tribunal au visa de l'article 1103 du code civil, a constaté l'absence de clause d'exclusivité spécifique interdisant à M. [P] de procéder seul à la vente, au delà de la dénomination du contrat et de la mention d'une exclusivité non spécifiée. Il a en conséquence dit n'y avoir lieu au paiement des honoraires au profit de la société dans la mesure où la vente a été conclue sans son concours.

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Selon déclaration reçue au greffe le 2 juin 2021, la SARL [Adresse 3] a relevé appel de cette décision, l'appel portant sur chacun des chefs de jugement rendus.

Par dernières conclusions transmises le 14 août 2025, auxquelles il est envoyé pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, la SARL Nautic Avenue sollicite de la cour qu'elle :

' infirme le jugement dont appel en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau :

' condamne M. [P] à lui payer la somme de 14 800 euros à titre de dommages et intérêts assortie des intérêts légaux à compter du 8 octobre 2018, date de la première mise en demeure,

' condamne M. [P] à lui payer la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

La SARL [Adresse 3] soutient que M. [P] a manqué à l'obligation contractuelle d'exclusivité et à son obligation prétorienne de loyauté en procédant lui-même à la vente du bien. Elle considère que cette inexécution lui a causé un préjudice direct et certain constitué par la perte de la commission contractuellement prévue, de sorte que les conditions de mise en 'uvre de la responsabilité de l'intimé, sur le fondement de l'article 1231 du code civil, sont réunies.

Elle fait valoir que les dispositions du code de la consommation ne sont pas applicables au contrat de mandat qui, bien que signé électroniquement, n'entre pas dans le champ d'application de l'article 211-1 et suivants du code de la consommation, et expose qu'en toute hypothèse, la clause d'exclusivité rédigée de façon claire et précise ne peut être soumise à interprétation.

Elle conteste le moyen tiré du manquement à l'obligation précontractuelle d'information, soutenant que seules les dispositions de L 111-2 du code de la consommation lui sont applicables eu égard sa qualité de simple prestataire et qu'en l'espèce, M. [P] ne rapporte pas la preuve d'un manquement à l'obligation d'information précontractuelle telle que définie à cet article. Elle ajoute que M. [P], exerçant la profession d'agent immobilier, était parfaitement informé et en mesure de comprendre les termes de l'acte.

Elle estime en conséquence que la mauvaise foi de M. [P] est établie et considère que celui-ci ne rapporte pas la preuve de man'uvres dolosives ou d'une réticence dolosive ayant vicié son consentement.

Par dernières conclusions transmises le 17 novembre 2021, auxquelles il est envoyé pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, M. [P] sollicite de la cour qu'elle :

À titre principal :

' confirme en toutes ses dispositions le jugement dont appel,

' déboute la SARL Nautic Avenue de l'ensemble de ses demandes,

À titre subsidiaire :

' prononce la nullité du contrat de mandat conclu le 17 octobre 2017 avec la SARL [Adresse 3] pour dol,

' la déboute de l'ensemble de ses demandes,

A titre très subsidiaire :

' juge que le préjudice subi par la SARL Nautic Avenue ne consiste qu'en une perte de chance de percevoir sa commission de sorte qu'elle ne peut percevoir le paiement intégral de celle-ci,

' déboute la SARL [Adresse 3] de l'ensemble de ses demandes,

En tout état de cause :

' condamne la SARL Nautic Avenue à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens avec distraction.

M. [P] fait valoir qu'il n'a commis aucune faute en procédant lui-même à la vente de son bien, la clause d'exclusivité ne portant que sur la vente du bien par un autre professionnel. A défaut, il considère que le contrat de mandat conclu à distance est soumis aux dispositions du code de la consommation de sorte que la clause d'exclusivité doit s'interpréter dans le sens qui lui est plus favorable, en application de l'article L 211-1 dudit code.

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A titre subsidiaire, il soutient que l'appelante ne rapporte pas la preuve de l'exécution de ses obligations d'information, conformément aux articles L 111-1 et suivants et L 211-1 et suivants du code de la consommation et considère que de ce manquement résulte une réticence dolosive. Il précise que le contrat n'a pas été conclu dans le cadre de son activité professionnelle et fait valoir que le défaut d'information sur l'étendue réelle de la clause d'exclusivité, a été déterminant de consentement. Il estime être ainsi en mesure de se prévaloir des articles 1112-1 alinéa 3 et 1137 du code civil au soutien de sa demande de nullité du contrat pour non-respect de l'article L. 111-1 du code de la consommation.

A titre infiniment subsidiaire, il conclut à l'absence de préjudice indemnisable, rappelant à ce titre que le préjudice subi par l'appelante ne peut s'analyser qu'en une perte de chance de réaliser la vente et de recevoir sa commission et faisant valoir que ce préjudice, qui n'est pas établi en l'espèce, ne saurait être égal à l'avantage escompté.

L'instruction de l'affaire a été close par ordonnance en date du 19 août 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande en paiement de la commission du mandataire

1. Sur l'interprétation du contrat et la notion de clause d'exclusivité

Par application de l'article 1231 du code civil, à moins que l'inexécution soit définitive, les dommages et intérêts ne sont dus que si le débiteur a préalablement été mis en demeure de s'exécuter dans un délai raisonnable.

L'article 1231-1 du code civil ajoute que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.

En vertu de l'article L 211-1 du code de la consommation, les clauses des contrats proposés par les professionnels aux consommateurs doivent être présentées et rédigées de façon claire et compréhensible. Elles s'interprètent en cas de doute dans le sens le plus favorable au consommateur.

En l'occurrence, la SARL [Adresse 3], mandataire, a signé, avec M. [V] [P], mandant, le 17 octobre 2017, un contrat de mandat intitulé 'mandat de courtage avec exclusivité', par lequel l'intimé a chargé et autorisé l'appelante à mettre en vente son bateau dénommé Horizon Y, de type Cranchi Atlantique 48 au prix de 185 000 euros TTC, commission du mandataire fixée à 8 % incluse dans le prix. Outre les obligations et charges classiques du mandant et du mandataire telles que décrites avec précision dans le mandat, figure en fin de mandat et en caractère gras la clause suivante : 'le présent mandat est donné avec exclusivité à compter de ce jour pour une durée de six mois, renouvelable par tacite reconduction, sauf dénonciation par lettre recommandée avec accusé de réception avec un mois de préavis ou par e-mail avec demande d'accusé réception'. Il y a lieu de relever que cette clause est insérée de façon très lisible dans le contrat, et précède immédiatement la signature des parties.

Certes, dans le cadre de cette convention, M. [V] [P] doit être pris en compte comme étant un consommateur, au sens de toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole. En effet, bien que M. [V] [P] soit, à l'époque, un professionnel de l'immobilier, en tant qu'agent immobilier, et détienne désormais une entreprise de courtage de yachts, il a vendu le navire en cause à titre personnel, pour son propre compte. Ainsi, il a la qualité de consommateur dans le cadre du contrat de prestation de services que constitue le mandat signé.

Dès lors, les clauses du contrat doivent être interprétées dans un sens favorable au consommateur, à supposer qu'il y ait lieu à interprétation. Les clauses des contrats proposés par les professionnels aux consommateurs doivent être rédigées de façon claire et compréhensible, et sont réputés non écrites, les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

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Il est en outre acquis qu'une clause d'exclusivité insérée dans un contrat de mandat ne peut recevoir application que si elle résulte d'une stipulation expresse d'un mandat dont un exemplaire a été remis au mandant, la clause devant apparaître en caractères très apparents.

Or, en l'espèce, la clause d'exclusivité est claire, précise et dépourvue d'ambiguïté. Elle est confirmée par le titre même du mandat dénommé 'mandat exclusif'. Or, ce dernier s'entend du mandat par lequel le mandant se voit interdire toute négociation relative au bien, soit directement, soit par l'intermédiaire d'un tiers. Ce n'est pas tant le mandat qui est exclusif, en terme d'intermédiaire mandaté, que la vente elle-même exclusivement prévue par le recours à un intermédiaire. Si M. [V] [P] voulait conserver la possibilité de vendre directement son bateau, il lui appartenait de ne pas s'engager par ce type de mandat, mais par un mandat semi-exclusif, lui réservant expressément cette modalité.

La clause litigieuse étant rédigée de façon claire et compréhensible, sans laisser place au doute, elle ne peut être interprétée, y compris au regard du droit de la consommation.

Il n'est par ailleurs pas ici question des dispositions relatives au contrat de vente ou de prestation de services à distance, non invoquée véritablement à ce titre par M. [V] [P] au soutien de ses prétentions, étant qui plus est observé que, bien qu'ayant été conclu sans la présence physique simultanée des deux parties et par le recours exclusif de techniques de communication à distance, le contrat ne peut être qualifié de contrat à distance s'il n'est pas établi qu'il a été conclu au titre d'un système organisé de vente ou de prestation de services à distance. Il n'est pas ici démontré que le contrat soit intervenu au moyen d'un tel système organisé de prestation de services à distance. Ces dispositions des articles L 221-1 et suivants du code de la consommation ne sont pas applicables.

Ainsi, il est démontré en l'espèce qu'aux termes du contrat signé, M. [V] [P] était tenu, en cas de vente de son bateau, de procéder par l'intermédiaire de la SARL Nautic Avenue, et non directement, du moins pendant les 6 premiers mois, sauf à lui à dénoncer le contrat signé préalablement dans les conditions prévues entre les parties.

2. Sur la nullité du contrat de mandat pour dol par réticence

A titre subsidiaire, M. [V] [P] invoque la nullité du contrat pour défaut d'information pré-contractuelle conforme aux dispositions du code de la consommation, de sorte que la SARL [Adresse 3] lui aurait volontairement caché la teneur exacte de leurs engagements, induisant délibérément une erreur chez lui, constitutive d'un vice du consentement.

Or, pour être constitué un dol suppose que le cocontractant ait gardé le silence sur un élément essentiel du contrat, ayant provoqué chez l'autre cocontractant victime une erreur excusable, ce silence étant intentionnel.

Certes, le contrat de mandat ici conclu entre la SARL Nautic Avenue et M. [V] [P] était soumis aux dispositions du code de la consommation, et notamment aux exigences des articles L 111-1 et L 111-2 du code de la consommation. Or, le contrat reprend l'ensemble des informations requises. Par ailleurs, M. [V] [P] qui l'invoque, ne caractérise pas en quoi l'ensemble des informations pré-contractuelles attendues ne lui ont pas été fournies.

Il n'est en outre aucunement démontré le recours à un système de vente à distance ou de vente hors établissement, quand bien même la signature sur le contrat a été apposé au moyen d'un procédé de signature électronique, de sorte que les informations et conditions des articles L 221-5 du code de la consommation ne sont pas applicables.

S'agissant de l'étendue de la clause d'exclusivité, il convient de relever que le contrat lui-même ne comprend pas d'ambiguïté, de sorte que si M. [V] [P] estime s'être trompé à cet égard, il ne démontre aucune intention de la part de la SARL [Adresse 3] tendant à l'induire en erreur, et donc aucun dol.

Il n'y a donc pas lieu à nullité du contrat de mandat pour réticence dolosive.

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3. Sur les conséquences de la vente intervenue directement, hors mandataire

En tout état de cause, lorsque les mandants ne respectent pas la clause d'exclusivité les liant à l'agent immobilier chargé de vendre leur bien, la clause pénale s'applique du seul fait de l'inexécution de l'obligation d'exclusivité mentionnée dans le mandat.

En l'espèce, il n'est pas contesté que M. [V] [P] a vendu directement le navire Cranchi Atlantique 48, dénommé Horizon V, le 5 décembre 2017 à M. [B], ce alors que le mandat exclusif était en cours, puisque moins de 6 mois après la signature de celui-ci.

Il est donc établi que M. [V] [P] a manqué à son obligation contractuelle en ne respectant pas la clause d'exclusivité prévue et privant directement la SARL Nautic Avenue de la commission contractuellement fixée à hauteur de 14 800 euros (8% du prix de vente), étant observé que M. [V] [P] ne justifie pas l'avoir vendu à un prix moindre que 185 000 euros TTC.

Le préjudice causé à la SARL [Adresse 3] est un préjudice directement imputable au manquement contractuel relevé qui prive en conséquence le mandataire de la commission précisément fixée ; il ne s'agit pas ici d'une perte de chance de l'obtenir, de sorte qu'il n'y a pas lieu à minorer le montant dû.

En définitive, il convient d'infirmer la décision entreprise et de condamner M. [V] [P] à payer à la SARL Nautic Avenue la somme de 14 800 euros à titre de dommages et intérêts, cette somme portant intérêt à compter de l'assignation en justice, soit à compter du 13 décembre 2018.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

En l'état de l'infirmation de la décision entreprise en ses dispositions principales, il convient de l'infirmer également en ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile.

M. [V] [P], qui succombe ainsi au litige, supportera les dépens de première instance et d'appel. En outre, l'équité et la situation économique des parties commande de le condamner à payer à la SARL [Adresse 3] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau et y ajoutant :

Rejette la demande de nullité du contrat de mandat signé le 17 octobre 2017 entre la SARL Nautic Avenue et M. [V] [P],

Condamne M. [V] [P] à payer à la SARL [Adresse 3] la somme de 14 800 euros à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du 13 décembre 2018,

Condamne M. [V] [P] au paiement des dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

Condamne M. [V] [P] à payer à la SARL Nautic Avenue la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- 7-

Déboute M. [V] [P] de sa demande sur ce même fondement.

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