Livv
Décisions

CA Rouen, ch. civ. et com., 6 novembre 2025, n° 24/02182

ROUEN

Arrêt

Autre

CA Rouen n° 24/02182

6 novembre 2025

N° RG 24/02182 - N° Portalis DBV2-V-B7I-JV7O

COUR D'APPEL DE ROUEN

CH. CIVILE ET COMMERCIALE

ARRET DU 06 NOVEMBRE 2025

DÉCISION DÉFÉRÉE :

2022J00129

Tribunal de commerce du Havre du 17 mai 2024

APPELANTS :

Monsieur [P] [X]

[Adresse 5]

[Localité 6]

représenté par Me Valérie GRAY, avocat au barreau de ROUEN et assisté par Me Bertrand COURTOIS de l'AARPI LEXLINE, avocat au barreau de PARIS, plaidant.

S.A.S. NAXCO FRANCE

[Adresse 3]

[Localité 7]

représenté par Me Valérie GRAY, avocat au barreau de ROUEN et assistée par Me Bertrand COURTOIS de l'AARPI LEXLINE, avocat au barreau de PARIS, plaidant.

INTIMEE :

S.A.S. LOGISTIQUE FRET

[Adresse 13]

[Localité 8]

représentée et assistée par Me Elisabeth DOIN de la SCP HUCHET DOIN, avocat au barreau du HAVRE

PARTIE INTERVENANTE :

Madame [M] [R]

[Adresse 2]

[Localité 7]

représenté par Me Valérie GRAY, avocat au barreau de ROUEN et assistée par Me Bertrand COURTOIS de l'AARPI LEXLINE, avocat au barreau de PARIS, plaidant.

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 17 juin 2025 sans opposition des avocats devant Mme VANNIER, présidente de chambre, rapporteur.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :

Mme VANNIER, présidente de chambre

M. URBANO, conseiller

Mme MENARD-GOGIBU, conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme RIFFAULT, greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 17 juin 2025, où l'affaire a été mise en délibéré au 16 octobre 2025 puis prorogé à ce jour.

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 06 novembre 2025, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

signé par Mme VANNIER, présidente de chambre et par Mme RIFFAULT, greffière.

*

* *

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

La société Logistique Fret (Logfret) exerce une activité de commissionnaire de transport, de prestations de transports et de transit international tant à l'export qu'à l'import. Son activité est répartie entre plusieurs agences en France avec un réseau à l'international, dont une agence anciennement située [Adresse 4] et actuellement [Adresse 1].

Monsieur [P] [X] a été engagé au sein de cette agence en tant que directeur commercial et directeur de l'agence [Localité 10], à compter du 31 août 2009.

Le 3 août 2021, Monsieur [X] a été licencié de la société Logistique Fret pour faute grave, en particulier pour des actes de captation de données confidentielles.

Le 9 août 2021, Monsieur [X] a été embauché par la société Agena Tramp, désormais Naxco France.

Le 30 aout 2021, Madame [M] [R], également salariée de la société Logistique Fret, a démissionné et a été embauchée le 1er septembre 2021 par la société Naxco France.

Faisant valoir un changement brutal d'agent pour une opération de transport relative à son client Mobika, la société Logistique Fret a, par voie de requête, sollicité du juge des référés du tribunal de commerce du Havre la saisie de documents au sein des locaux de la société Naxco France.

Par ordonnance datée du 31 aout 2021, le tribunal de commerce du Havre a fait droit à cette demande, une société d'huissier de justice a été désignée afin notamment de rechercher tous dossiers, fichiers, documents, correspondances, situés dans les locaux de la société Agena Tramp, ses établissements ou annexes quel qu'en soit le support, informatique ou autre, en rapport avec les faits litigieux.

Maître [W] [D] a accompli sa mission le 17 septembre 2021, des éléments ont alors été saisis au sein des locaux de la société Agena Tramp, notamment dans les bureaux respectifs de M. [X] et de Mme [R], et placés sous séquestre.

Suivant assignation datée du 12 octobre 2021, la société Logistique Fret a sollicité la mainlevée du séquestre des éléments appréhendés par l'huissier de justice missionné par l'ordonnance du 31 août 2021. Le juge des référés du tribunal de commerce du Havre a fait droit à cette demande et ordonné la mainlevée du séquestre de tous les éléments appréhendés lors des opérations de constat qui se sont déroulées le 17 septembre 2021 en exécution de l'ordonnance du 31 août 2021.

Par acte de commissaire de justice daté du 20 septembre 2022, la société Logfret a fait assigner la société Naxco France (anciennement Agena Tramp), M. [P] [X] et Mme [M] [R] devant le tribunal de commerce du Havre afin d'entendre déclarer que ceux-ci ont commis des actes de concurrence déloyale envers la société Logfret et d'obtenir leur condamnation solidaire à lui payer la somme de 550 000 € à titre de dommages et intérêts.

En parallèle de ces procédures, le 26 août 2021, la société Logistique Fret a déposé une plainte auprès du procureur de la république du tribunal judiciaire du Havre au titre de faits relatifs à la soustraction par le salarié d'informations confidentielles de l'entreprise constituées de multiples fiches de rentabilité sur lesquelles apparaissent toutes les ventes et tous les achats d'un transport avec la marge initiale et finale. La plainte a été déposée des chefs de vol, atteinte aux système de traitement automatisé de données, abus de confiance, recel aggravé de vol, d'extraction et de reproduction frauduleuse de données et d'abus de confiance.

Un complément de plainte a été déposé le 4 avril 2022 .

Cette procédure est toujours en cours.

Par jugement en date du 17 mai 2024, le tribunal de commerce du Havre a :

- dit ne pas ordonner le sursis à statuer.

- déclaré la demande de la société Logfret à l'encontre de la société Naxco France, anciennement Agena Tramp, Monsieur [P] [X] et Madame [M] [R] recevable et partiellement fondée ;

- déclaré la société Naxco France, anciennement Agena Tramp et Monsieur [P] [X] auteurs d'actes de concurrence déloyale envers la société Logfret et les a déclarés solidairement responsables des conséquences de leurs actes ;

- condamné la société Naxco France, anciennement Agena Tramp, et Monsieur [P] [X] solidairement au paiement de 105 604,31 euros, à titre de dommages et intérêts à la société Logfret, en réparation du préjudice subi par cette dernière au titre des actes de concurrence déloyale ;

- rejeté toutes les autres demandes et prétentions des parties ;

- condamné la société Naxco France, anciennement Agena Tramp, et Monsieur [P] [X] à régler solidairement à la société Logistique Fret (Logfret) la somme de

12 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens, ceux visés à l'article 701 du code de procédure civile, étant liquidés à la somme de 82,98 euros.

La société Naxco France et Monsieur [P] [X] ont interjeté appel de ce jugement par déclaration du 20 juin 2024.

EXPOSE DES PRETENTIONS

Aux termes de leurs dernières conclusions en date du 5 juin 2025, la société Naxco France, Monsieur [P] [X] et Madame [M] [R] demandent à la cour de :

- déclarer recevable en la forme en leur appel la société Naxco France et Monsieur [P] [X] ; les en dire bien fondés et y faisant droit ;

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a mis hors de cause Madame [N] [R] ;

- réformer / infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

* déclaré la demande de la société Logfret à l'encontre de Naxco France, Monsieur [L] [X] recevable et partiellement fondée ;

* déclaré la société Naxco France et Monsieur [P] [X] auteurs d'actes de concurrence déloyale envers la société Logfret et solidairement responsables des conséquences de leurs actes ;

* condamné la société Naxco France et M. [P] [X] solidairement au paiement de 105 604,31 euros à titre de dommages et intérêts à la société Logfret, en réparation du préjudice subi par cette dernière au titre des actes de concurrence déloyale ;

* condamné la société Naxco France et Monsieur [P] [X] à régler solidairement à la société Logfret la somme de 12 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Statuant à nouveau,

- déclarer irrecevables d'une première part l'intégralité des pièces contenant les 79 mots-clés mentionnés au dispositif de l'ordonnance du tribunal de commerce du Havre du 12 janvier 2022 et, d'une deuxième part, l'intégralité des pièces et données contenant les noms de clients mentionnés dans l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 12 avril 2012, comme étant déjà traités par Monsieur [X], avant même son arrivée chez Logfret, et les écarter des débats ;

- dire et juger que la société Logfret ne rapporte pas la preuve qui lui incombe des faits permettant de caractériser les actes de concurrence déloyale allégués et imputés à Monsieur [P] [X] et à Madame [N] [R] et à la société Naxco France, dans le but de détourner une quelconque clientèle ;

- dire et juger qu'à aucun moment, la société Logfret n'a rapporté la preuve que les clients dont elle prétend qu'ils auraient été détournés au profit de la société Naxco France, à la suite de man'uvres prétendument déloyales, sont des clients « historiques » de la société Logfret voire exclusifs.

En conséquence,

- débouter et rejeter la société Logfret de toutes ses demandes, fins et conclusions.

Subsidiairement, sur le préjudice allégué,

- dire et juger que la société Logfret ne démontre pas le préjudice qu'elle allègue avoir subi à la suite du prétendu détournement de clientèle, étant établi, au demeurant qu'elle fait état, dans le tableau supposé justifier de son préjudice, de noms de clients qui avaient été écartés par le juge des référés dans le cadre de la mainlevée des documents saisis et/ou dont il a été établi qu'ils étaient traités par Monsieur [X] bien avant qu'il ne rejoigne Logfret en 2012 ;

- dire et juger que le préjudice de la société Logfret, après déduction des clients écartés tant au titre de la mainlevée des documents saisis qu'au titre de la décision BBL, et déduction des excédents réalisés par Naxco, ne saurait être supérieur à la somme de 65 620,93 euros.

Plus subsidiairement,

- dire et juger que le préjudice de la société Logfret, après déduction des clients écartés tant au titre de la mainlevée des documents saisis qu'au titre de la décision BBL, pour la période considérée (janvier ' septembre 2022), mais sans déduction des excédents de marge réalisés par Naxco par rapport à celles faites par Logfret, ne saurait être supérieur à la somme de 121 523,81 euros.

Encore plus subsidiairement,

- dire et juger que le préjudice allégué de la société Logfret, pour la période considérée par elle (janvier ' septembre 2022), ne saurait être supérieur à la somme de 226 391,94 euros, laquelle correspond au total des marges effectivement réalisées par Naxco, pour les 31 clients indiqués, durant la période considérée (janvier ' septembre 2022), sans que soient exclus ni les excédents de marge réalisés par Naxco par rapport à ce qui était réalisé par Logfret, ni les clients écartés par le juge de la mainlevée ni ceux qui étaient déjà traités par E [X] avant même qu'il ne rejoigne Logfret ;

- débouter la société Logfret de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner la société Logfret à payer une somme globale de 20 000 euros à la société Naxco à Monsieur [L] [X] et à Madame [L] [R], sous le visa de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel que la SELARL Gray Scolan, avocats associés, sera autorisée à recouvrer, pour ceux la concernant, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 10 juin 2025, la société Logistique Fret (Logfret) demande à la cour de :

- statuer ce que de droit sur le sursis à statuer de la présente instance dans l'attente des suites de l'enquête en cours à la SRPJ de Rouen suite à la plainte de Logfret ;

- infirmer ou reformer partiellement le jugement du tribunal de commerce du Havre en ce qu'il a :

* déclaré la société Naxco France anciennement Agena Tramp, Monsieur [P] [X] et Madame [M] [R] auteurs d'actes de concurrence déloyale envers la société Logfret et les déclarer responsables solidairement des conséquences de leurs actes répréhensibles, - uniquement en ce que le tribunal n'a pas retenu de responsabilité solidaire à l'encontre de Mme [R], objet de l'appel provoqué ;

* condamné la société Naxco France anciennement Agena Tramp et Monsieur [P] [X] solidairement au paiement de 105 604,31 euros à titre de dommages et intérêts à la société Logistique Fret (Logfret), en réparation du préjudice subi par cette dernière au titre des actes de concurrence déloyale, - au titre du montant de la condamnation et en ce que Madame [R] n'a pas été condamnée solidairement ;

* rejeté toutes les autres demandes et prétentions des parties, uniquement en ce que le tribunal a rejeté la demande de responsabilité et de condamnation solidaire de Mme [R] et celle au titre des pertes immatérielles d'image et de réputation.

- déclarer recevable et bien fondé l'appel incident de la société Logfret ;

- déclarer recevable et bien fondé l'appel provoqué de la part de la société Logfret à l'encontre de Madame [R] ;

- déclarer la société Naxco France anciennement Agena Tramp, Monsieur [P] [X] et Madame [M] [R] auteurs d'actes de concurrence déloyale envers la société Logfret et les déclarer responsables solidairement des conséquences de leurs actes répréhensibles.

Sur le quantum du préjudice,

À titre principal :

- condamner la société Naxco France anciennement Agena Tramp, Monsieur [P] [X] et Madame [M] [R] solidairement au paiement de la somme de

401 472,51euros (412 239,82 euros - client Codimatel 10 767,31 euros) à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par cette dernière au titre de la perte de marges réelles sans déduction du client kitchenchef ;

- condamner la société Naxco France anciennement Agena Tramp, Monsieur [P] [X] et Madame [M] [R] solidairement au paiement de la somme de

20 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par cette dernière au titre des pertes immatérielles d'image et de réputation.

À titre subsidiaire :

- condamner la société Naxco France anciennement Agena Tramp, Monsieur [P] [X] et Madame [M] [R] solidairement au paiement de la somme de

251 626,99 euros (262 394,30 euros - client Codimatel 10 767,31 euros) à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par cette dernière au titre de la perte de marges réelles déduction faite :

* du client Kitchenchef ;

* des clients visés par le tribunal comme devant être exclus et après rectification du compte suite à une erreur de calcul du tribunal sur les clients retenus.

- condamner la société Naxco France anciennement Agena Tramp, Monsieur [P] [X] et Madame [M] [R] solidairement au paiement de la somme de

20 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par cette dernière au titre des pertes immatérielles d'image et de réputation.

En tout état de cause,

- rejeter toute les demandes et prétentions des appelants ;

- condamner la société Naxco France anciennement Agena Tramp, Monsieur [P] [X] et Madame [M] [R] solidairement au paiement de la somme de

15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre aux entiers dépens de la présente procédure.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 juin 2025.

Pour un exposé détaillé des demandes et moyens des parties, la cour renvoie à leurs conclusions conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE

La société Naxco France, M.[Z] [X] et Mme [M] [R] exposent que Logfret reproduit le schéma dont elle avait été elle-même victime par la société BBL Shipping qui lui imputait des faits identiques en reprochant à Logfret des faits de concurrence déloyale après le recrutement par cette dernière de deux de ses anciens salariés, M.[X] et Mme [R], mais que la cour d'appel de Paris le 24 mai 2012 avait retenu que la concurrence déloyale n'était pas démontrée, que bon nombre de clients revendiqués par BBL Shipping sont les mêmes que ceux revendiqués aujourd'hui par Logfret, que les mêmes faits et allégations doivent conduire à la même solution juridique et que le jugement entrepris doit donc être réformé.

Ils exposent qu'[Z] [X] a été engagé par Logfret le 31 août 2009 en qualité de directeur commercial, qu'au motif qu'il aurait consulté et/ou imprimé un grand nombre de fiches de rentabilité dans le système informatique de Logfret, cette dernière l'a licencié pour faute grave le 3 août 2021 mais qu'en sa qualité de directeur d'agence, il était habilité à consulter ces fichiers, qu'il a contesté son licenciement et a, pour justifier de sa réclamation faite au titre de primes, imprimé et conservé un certain nombre de fiches de rentabilité. Ils précisent qu'à compter du 9 août 2021, [Z] [X] a été engagé par Agena Tramp devenue Naxco France, que Mme [R], son assistante depuis 20 ans, a démissionnée de chez Logfret et a rejoint la société Naxco France le 1er septembre 2021. Ils ajoutent que l'embauche d'[Z] [X] par une entreprise concurrente n'a pas été acceptée par Logfret qui pour asseoir une action en concurrence déloyale a présenté une requête aux fins de saisie de documents, laquelle a été acceptée le 31 août 2021, qu'une saisie d'éléments informatiques et matériels a été opérée lesquels ont été placés sous séquestre, que selon ordonnance du 12janvier 2022, acceptée par toutes les parties, le juge des référés a autorisé la mainlevée du séquestre et la remise des documents à Logfret à l'exception de données comportant des mots-clés comportant 59 noms mais que Logfret n'a pas respecté cette limite imposée par le juge puis a assigné en concurrence déloyale.

Logfret expose qu'[Z] [X] était salarié depuis le 31 août 2009 au sein de l'entreprise en qualité de directeur commercial et achats Extrême Orient, qu'il a fait l'objet après mise à pied pour fautes graves et notamment pour actes de captation de données confidentielles d'un licenciement, qu'elle a ensuite appris que M.[X] avait été embauché par une société concurrente Agena Tramp actuellement Naxco France et découvert que cette embauche avait été préparée avant sa mise à pied, alors qu'il avait fait savoir à son employeur qu'il voulait prendre sa retraite, et que Mme [R], embauchée également en 2009, a démissionné le 30 août 2021 pour rejoindre Naxco France le 1er septembre 2021.

Elle indique que les premiers faits de déloyauté sont apparus avec le changement brutal d'agent pour une opération de transport relative au client Mobika traitée par Logfret et plus particulièrement par Mme [R], que cette dernière interrogée sur ce fait n'a jamais répondu, qu'elle a donc décidé de solliciter une mesure de saisie laquelle a été acceptée par ordonnance du 31 août 2021, que l'huissier de justice instrumentaire a accompli sa mission le 17 septembre 2021, qu'il a pu constater que M. [X] présent sur les lieux a soudainement quitté son poste avec son ordinateur portable, que l'huissier a pu saisir cependant dans les lieux, un certain nombre de pièces conformément à l'ordonnance et notamment plusieurs fiches de rentabilité.

Elle ajoute que le 26 août 2021 elle a déposé une plainte entre les mains du procureur de la République du Havre pour plusieurs infractions et a déposé un complément de plainte le 4 avril 2022 relatifs aux agissements de la société Soloti ayant constaté que cette dernière lui avait facturé 76 prestations de stockage entre le 27 septembre 2019 et le 23 août 2021, M. [X] et Mme [R] réglant eux-mêmes par chèques les factures de Soloti sans passer par la société gestionnaire de comptabilité de la société Logfret, et précise que ces procédures pénales sont toujours en cours, que l'ensemble de ces agissements explique son action en concurrence déloyale.

Sur le sursis à statuer

En première instance, la société Logfret a demandé qu'il soit statué ce que de droit sur le sursis à statuer dans l'attente des suites de l'enquête en cours. Les défendeurs ont déclaré ne pas s'opposer à un sursis à statuer. Le tribunal a dit qu'il n'ordonnait pas le sursis à statuer.

La société Logfret déclare devant la Cour, une nouvelle fois, qu'il y a lieu de statuer ce que de droit sur le sursis à statuer mais elle ne demande pas l'infirmation du jugement sur ce point, il en est de même pour les intimés. Par conséquent, il convient de constater que la Cour n'est pas saisie de ce chef du jugement.

Sur l'irrecevabilité de l'intégralité des pièces contenant les 79 mots clés mentionnés au dispositif de l'ordonnance du 12 janvier 2022 et de l'intégralité des pièces et données contenant les noms des clients mentionnés dans l'arrêt de la Cour d'Appel de Paris du 12 avril 2012

La société Naxco et M. [X] font valoir que le juge a autorisé la mainlevée du séquestre et la remise des documents saisis à Logfret à l'exception de données contenant les mots clés suivants à savoir 59 noms et que Logfret qui n'a pas contesté cette décision a produit ces pièces, qu'elle sont donc irrecevables et doivent être écartés des débats, qu'il en est de même pour les pièces et données contenant les noms des clients mentionnés dans l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 12 avril 2012 comme étant traités par M.[X] avant son arrivée chez Logfret.

La société Logfret s'oppose à la demande, souligne qu'elle ne fait que produire les pièces extraites par l'huissier, qu'il ne peut lui être reproché de produire le procès-verbal de l'huissier instrumentaire contenant les pièces qu'il a lui- même saisies et triées, que les pièces produites aux débats sont toutes issues des fichiers remis par Me [D] qui a précisé dans son acte avoir extrait les documents en excluant des données originelles contenues dans la clé USB, celles ou ceux comportant l'un des mots clés de la liste établie par le juge des référés, qu'en outre il n'existe pas de clients de M. [X] mais des clients de la société Logfret.

*

* *

Outre que le commissaire de justice déclare précisément dans son procès-verbal de constat sur ordonnance du 28 janvier 2022, qu'il procède en présence d'un expert informatique, M.[K], à une extraction des données saisies sur une clé USB contenant 22 fichiers et 3 dossiers en supprimant celles contenant l'un des mots clés visés dans l'ordonnance du 12 janvier 2022, ce qui aboutit à la suppression de 3 fichiers sur les 20 concernant fichiers [X], de 578 éléments sur 41 66 concernant les mails du répertoires [R] ainsi qu'à la suppression de 5 554 éléments concernant les mails du répertoire mails, et qu'il est constant que c'est cette clef USB expurgée qui a été remise à la société Logfret, il doit être observé que les demandes d'irrecevabilité sont indéterminées, les appelants ne précisent nullement quelles pièces précisément devraient être écartées des débats dans leurs demandes concernant tant la saisie opérée par le commissaire de justice que l'arrêt du 12 avril 2012, et ce dernier n' a aucun lien avec le présent litige opposant M. [X] et Mme [R] à la société BBL Shipping, il convient donc de les débouter de leurs demandes.

Sur la concurrence déloyale

La société Naxco France, M.[Z] [X] et Mme [R] font valoir que tout agent économique est libre de démarcher la clientèle d'autrui et que seule la preuve de l'utilisation de fichiers clients obtenus irrégulièrement est fautive , que seules les man'uvres déloyales sont fautives, que le principe de libre concurrence s'applique au salarié et lui bénéficie en l'absence d'obligation de non concurrence , que par ailleurs celui qui se prétend victime d'actes de concurrence déloyale doit établir que les actes en cause lui ont causé un préjudice personnel, direct et certain.

Ils font valoir qu'il est faux de prétendre que M.[X] n'avait pas accès à certaines données telles les fiches de rentabilité alors qu'il avait la qualité de directeur d'agence et avait donc besoin pour effectuer sa mission d'avoir accès aux données d'ordre financier et commercial, notamment pour calculer les marges brutes réalisées, et donc les primes ou commissions dues chaque année, qu'en outre les fiches de rentabilité ne constituent pas un fichier clients, qu'elles deviennent rapidement caduques ou obsolètes du fait de la fluctuation permanente des taux de fret et des prix du transport en général, que 19 fiches seulement ont été saisies dans son bureau et non quelques milliers comme allégué, qu'en outre ces fiches portent pour l'essentiel sur des opérations de transport ferroviaire que ne pratique pas son nouvel employeur.

Ils soulignent qu'il ne peut être tiré aucun argument du départ de M. [X] des locaux lors de l'arrivée de l'huissier de justice et que ce départ n'a aucunement empêché l'huissier d'accomplir sa mission, que l'ordonnance n'obligeait pas M. [X] à être présent lors des opérations, ce départ étant justifié par ses obligations professionnelles, que son arrivée chez Naxco après son licenciement et celle de Mme [R] ne sont pas critiquables en droit, la cour de cassation ayant posé le principe qu'il serait contraire à la liberté du travail d'interdire au salarié de négocier et d'obtenir une promesse d'embauche avant d'avoir cessé d'être au service de l'employeur qu'il envisage de quitter. S'agissant des documents saisis, ils indiquent que la plupart sont des pièces administratives qui ne concernent aucunement Logfret, que d'autres sont étrangères aux activités de l'entreprise Naxco et n'ont été conservées que dans le seul but d'alimenter le dossier prudhommal et de justifier des primes impayées, que ces pièces n'ont pas été utilisées pour démarcher ou détourner de la clientèle. Ils ajoutent qu'il ne peut être prétendu que les adresses mails des interlocuteurs et contacts de M. [X] proviendraient de données confidentielles, aucun fichier client n'ayant été saisi, les coordonnées de clients étant en libre accès sur internet, que les messages produits n'établissent aucunement du démarchage agressif ou déloyal et ne contiennent aucun propos dénigrants, que s'agissant de certains clients , la société Logfret a admis qu'il s'agissait de clients de longue date de M. [X].

Ils font valoir que le démarchage est libre, que le démarchage de la clientèle d'un concurrent est licite dès lors lors qu'il n'est pas accompagné de procédés déloyaux ce qui est le cas en l'espèce, qu'en outre la société Logfret ne procède que par allégations gratuites répétées lorsqu'elle indique que certains clients ont choisi de continuer à travailler avec M.[X] en raison d'actions frauduleuses de sa part, qu'il n'est pas démontré de faits précis au soutien de ces propos.

Ils concluent donc à l'absence d'actes de concurrence déloyale et à l'infirmation du jugement.

La société Logfret réplique que la concurrence déloyale est constituée par le démarchage de la clientèle du concurrent ou de réseau de partenaires avec l'utilisation de données confidentielle telle que les fichiers clients ou les prix fournisseurs, que l'appropriation d'informations confidentielles appartenant à une société concurrente apportées par un ancien salarié constitue un acte de concurrence déloyale et que le démarchage actif réalisé grâce à des informations confidentielles obtenues par d'anciens salariés pendant leur contrat de travail constitue également un acte de concurrence déloyale.

Elle souligne que le tribunal a à juste titre indiqué que les clients n' étaient pas des clients de M. [X] mais de la société Logfret, que toutes les pièces du constat d'huissier du 21 juin 2021 apportent la preuve que M. [X] a bien extrait du logiciel Logfret entre janvier et juin 2021, 9 479 fiches et données dont seulement 3 541 concernait l'agence du Havre à laquelle il était rattaché, ce qui signifie que 5 938 fiches n'avaient aucun intérêt pour son travail chez Logfret, que le directeur financier atteste que les fiches de rentabilité concernent un grand nombre d'informations sur les clients, que M. [X] était dans les locaux lorsque l'huissier est arrivé et s'est littéralement enfui par une porte dérobée avec son ordinateur portable, que l'huissier a indiqué avoir trouvé glissé derrière des cartons d'archives une pochette contenant plusieurs fiches de rentabilité de la société Logfret, que la documentation papier saisie par l'huissier sont des pièces émanant de Logfret. Elle ajoute que devant la juridiction prudhommale, M.[X] réclamait des primes pour les années 2019 et 2020 sur les marges qu'il avait réalisées, que sur les 1 214 dossiers réalisés par lui en 2019, seules deux fiches de rentabilité concernent cette année, et que sur les 1 039 dossiers réalisés par lui en 2020, 17 fiches concernent l'année 2020, qu'il n'avait donc pas d'intérêt personnel à avoir 19 fiches de rentabilité au regard des 2 253 dossiers formant l'assiette de ses commissions, qu'en outre les fiches ne concernent nullement le transport ferroviaire mais le transport aérien, secteur d'activité de Logfret, qu'il a été trouvé dans les documents papier saisis, les grilles tarifaires Logfret, les tableaux de cotation Logfret, des échanges de mails entre Logfret et ses clients, de multiples factures Logfret afférents à des clients qui n'ont plus contracté avec Logfret après le départ du binôme [X] / [R] ou de façon résiduelle.

Elle ajoute que l'examen des boites mails saisies de M. [X] et de Mme [R] établit que dès leur arrivée chez Agena Tramp devenue Naxco France, ils ont démarché activement les clients de Logfret, que les dates d'embauche par Agena Tramp de M. [X] et de Mme [R] sont très symptomatiques d'une entente délibérée entre ceux-ci et leur nouvel employeur, qu'il a existé un concert frauduleux qui perdure, permettant à Agena Tramp de bénéficier de données confidentielles et de détourner la clientèle à son profit et que la présence des documents émanant de Logfret dans les locaux d'Agena Tramp est la preuve d'une action concertée de déstabilisation de l'activité commerciale de la société Logfret, qu'il convient de confirmer le jugement entrepris.

*

* *

Selon l'article 1240 du code civil reprenant les dispositions de l'article 1382 du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

La concurrence déloyale en tant que limite à la liberté du commerce et de l'industrie doit être appréciée à l'aune de celle-ci .Elle suppose de démontrer des actes contraires aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale.

Les pièces versées aux débats établissent que M. [Z] [X] salarié de la société Logfret depuis le 31 août 2009 dans son agence [Localité 9] [Localité 11] en qualité de directeur commercial et achats Extrème Orient a été licencié le 3 août 2021 pour faute et a été embauché à compter du 9 août 2021 par la société Agena Tramp, devenue Naxco France, concurrente de la société Logfret, en qualité de responsable commercial dans leur agence du [Localité 11] et que le 15 juillet 2021, Mme [M] [R], assistante commerciale au sein de la société Logfret depuis juillet 2009 a également donné sa démission et a été embauchée comme assistante commerciale à compter du 1er septembre 2021 par Agena Tramp.

Le commissaire de justice requis, se rendant dans les locaux de la société Agena Tramp, accompagné d'un expert informaticien, le 17 septembre 2021, suivant ordonnance du 31 août 2021, a déclaré avoir appris sur les lieux, que M. [X] avait quitté les lieux quelques minutes avant qu'il ne se rende à son poste de travail avec son ordinateur portable, de sorte qu'il n'a pu procéder à aucun recherche sur le poste informatique de M. [X], seul le poste informatique de Mme [R] étant accessible, poste duquel il a été extrait différents fichiers et mails en restreignant les recherches aux mots clés correspondants au listing du nom des clients de la société Logfret. Le commissaire de justice a également appréhendé une pochette de couleur jaune contenant différents documents sous format papier dont plusieurs fiches de rentabilité.

Tant M. [X] que Mme [R] étaient salariés des sociétés en cause de sorte qu'il ne peut être soutenu, ainsi que l'a rappelé le tribunal, que M. [X] ou Mme [R] avaient des clients historiques ou de longue date, il s'agit des clients des sociétés qui les emploient .

S'agissant de la pochette contenant des documents papier, il s'avère selon le tableau B de la pièce n°19 qu'il s'agit de factures émises par la société Logfret à différents clients sur l'année 2020, de mails Logfret adressés à différents clients, de grilles tarifaires Logfret, de tableaux de cotation adressés par Logfret, de 18 fiches de rentabilité émanant de Logfret datées de mars et avril 202. Il est constant que ces grilles tarifaires, tableaux de cotations et fiches de rentabilité étaient des documents confidentiels. Si M. [X] déclare avoir eu besoin de ces fiches dans le seul but de justifier dans le litige prudhommal des commissions ou primes sur marges brutes impayées par Logfret, cette dernière établit que M. [X] a réclamé dans ce litige le paiement de commissions au titre des années 2019 et 2020 et non de 2021, par ailleurs, il est justifié que certaines fiches de rentabilité sont afférentes à des opérations de transport aérien activités étrangères au service de M. [X], et concernant les agences de Roissy et de [Localité 12] et non du [Localité 11]. Le directeur administratif et financier de la société Logfret atteste que ces fiches de rentabilité comportent toutes les informations concernant les clients, types de transport commandés, lieux de départ/arrivée, prix facturés, marges réalisées, que ces données utilisées par un concurrent permettent à celui-ci de faire des propositions aux clients avec des prix et conditions ajustées. Ainsi, il est établi que M. [X] a effectué une saisie de nombreuses données, retrouvées chez Agena Tramp, ne concernant ni son seul secteur d'activité, maritime, ni son secteur territorial, et sans aucune nécessité pour le paiement de commissions, toutes ces données de nature confidentielles appartenant à Logfret seule, peu important qu'il ait été autorisé ou non à accéder à ces données. La détention ou l'appropriation d'informations confidentielles appartenant à une société concurrente apportée par un ancien salarié, même s'il n'est pas tenu par une clause de non concurrence constitue un acte de concurrence déloyale (Cour de Cassation 7 septembre 2022 n°21-13505).

En outre, l'examen de messages adressés par M. [X] établit que dès le 9 août 2021, date de son embauche par Agena Tramp, M. [X] a adressé à plusieurs clients de Logfret des messages pour donner ses nouvelles coordonnées et les inviter à contracter avec la société Naxco par son intermédiaire (message du 9 août 2021 à [E] [Y] société Bogoods), adressant les nouvelles conditions précisant « j'ai changé de société depuis 1 mois, vous pouvez supprimer ma boite mail lofgret » (message du 31 août 2021 société Herfurth Logistics) « [M] qui gère les embarquements me rejoindra le 01/09, j'espère que nous pourrons reprendre une activité ensemble ; notre agent en Chine est Impérial Cargo avec qui je travaille depuis 15 ans » (message du 30 août 2021 société Tente) « avez-vous reçu mes conditions pour vos importations en Chine , je vous les redonne en PJ , en espérant pouvoir retravailler ensemble » (message du 2 septembre 2021 société voltagreeen) « bonjour M.[J] [S], j'espère que vous allez bien, je suis maintenant chez Agena Tramp » suivi de « au plaisir de travailler avec vous chez Naxco » (message du 1er septembre 2021 de Mme [R]), qu'ainsi environ 41 messages ont été adressés à une vingtaine de clients de la société Logfret entre août et septembre 2021 par M. [X] ou Mme [R] faisant part de leurs nouvelles coordonnées, de propositions commerciales et de griffes tarifaires.

L'appréhension de données confidentielles permettant de proposer des tarifs ajustés ainsi que le nombre important de clients de la société Logfret contactés, la date des messages, concomitante à l'embauche de M. [X] et de Mme [R] par la société Agena Tramp actuellement Naxco France, et la teneur de ces messages établit une action concertée à tout le moins de M. [X] et de son employeur, Mme [R] n'étant que l'assistante de M. [X], travaillant sous son autorité, pour détourner la clientèle de la société Logfret au profit de la société Agena Tramp, ce qui constitue des actes de concurrence déloyale.

Sur la demande de dommages et intérêts

Le tribunal de commerce a estimé le préjudice à la somme de 105 604,31 €. Il a indiqué que le préjudice total revu après le retraitement du client Kitchenchef était de 355 642,39 €, a considéré qu'un certain nombre de clients anciens aurait suivi naturellement M. [X] quelles que soient les conditions et circonstances de son départ chez Logfret, a calculé le total des moyennes sur 3 ans des marges disparues en 2022 soit 160 153,81 €, a retranché de ce montant les pertes relatives aux 12 clients qui figuraient à la fois sur cette liste et sur l'ordonnance du 12 janvier 2022 pour tenir compte de leur fidélité ancienne soit une somme de 54 549,97 €, soit une somme de 105 604,31 € (160 153,81 - 54 549,97).

La société Logfret expose que selon une jurisprudence constante, un trouble commercial constitutif d'un préjudice fut- il seulement moral s'infère nécessairement d'un acte de concurrence déloyale, que le fait de détourner ou de s'approprier la clientèle d'une entreprise concurrente induit des conséquences économiques négatives pour la victime se traduisant par un manque à gagner et une perte subie y compris sous l'angle d'une perte de chance, qu'en l'espèce les actes de concurrence déloyale commis ont engendré une perte de clientèle et un préjudice commercial résultant de l'arrêt brutal des relations commerciales de la part de clients de longue date pour certains, que pour certains autres clients, il y a eu une chute notable des dossiers confiés, que seul le client Kitchenchef a pu exprimer son insatisfaction des prestations Logfret. Elle ajoute que son préjudice a été évalué selon la moyenne de la marge réelle sur trois ans sauf à déduire pour leurs clients qui ont réduit leurs commandes chez Logfret la marge connue à août 2022, que le tableau produit certifié conforme aux livres comptables n'a fait l'objet d'aucune critique de la part des défendeurs en première instance.

Elle fait valoir que le tribunal s'est contredit en retranchant les sommes de certains clients puisque il avait indiqué auparavant qu'il ne s'agissait pas de clients de M. [X] ou de Mme [R] mais de l'entreprise, qu'elle peut revendiquer le droit à indemnisation compte tenu de la perte avérée de clients et de leur départ vers Agéna Tramp. Elle souligne que la réclamation de la société Kitchenchef est une réclamation de circonstance, intervenue après que M. [X] a été embauché par Agena Tramp et que la perte de ce client doit être intégrée dans le calcul. A titre subsidiaire, elle indique que le tribunal a oublié 10 clients dans son calcul, que si l'on retranche le client Kitchenchef, le total s'élève à 262 394,30 € dont à déduire le préjudice Comatel pour 10 767,31 € soit un reliquat de 251 626,99 €.

Elle souligne que la société Naxco apporte tardivement une nouvelle pièce mais que cette dernière corrobore la réalisation d'affaires commerciales dès l'arrivée de M. [X] et de Mme [R] chez leur nouvel employeur avec des clients de Logfret, que les chiffres démontrent bien le transfert d'un chiffre d'affaires de Logfret à Naxco et qu'il est reconnu à minima un préjudice de 65 620,93 €.

La société Logfret sollicite donc à titre principal la somme de 401 472,51 € à titre de dommages et intérêts et subsidiairement celle de 251 626,99 €. Elle sollicite en outre une somme de 20 000 € au titre des pertes immatérielles d'image et de réputation estimant que ces pertes sont réelles du fait que des clients de longue date ont cessé de lui confier des marchandises et sont allées chez un concurrent, que la réputation correspond aux valeurs forgées et attribuées avec le temps à une entreprise par la société et qu'il est indéniable que ce tourbillon de départs précipités de clients détournés dans lequel elle s'est trouvée, a pour un temps, contrarié sa réputation.

La société Naxco France, M. [Z] [X] et Mme [M] [R] font valoir que le chiffrage concerne des entreprises qui ont été exclues de l'ordonnance de mainlevée du séquestre que certains clients ne peuvent être pris en compte puisqu'il résulte de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 22 mai 2012 qu'ils avaient été apportés par M. [X] lorsqu'il a rejoint Logfret, que les premiers juges ont à juste titre écarté la perte du client Kitchenchef en indiquant que le départ de ce client peut n'avoir aucun lien avec le litige. Ils font valoir en outre que certaines baisses de marge alléguées peuvent résulter du départ de certains clients vers la concurrence autre que Naxco ou de l'insatisfaction des services de Logfret, que les chiffres de Logfret sont infondés, que Naxco a elle-même procédé à une vérification sur les 31 clients retenus par Logfret sur la période de référence, qu'un huissier de justice a pu constater via la consultation du logiciel Cargowise les marges effectives réalisées par Naxco France sur la période en cause et que la marge globale réalisée pour ces 31 clients entre le 1er janvier 2022 et le 30 septembre 2022 représente une somme totale de 226 391,94 €.

Ils soulignent avoir procédé au calcul des marges réalisées durant la même période non pas au titre des 31 clients mentionnés par Logfret mais en retranchant ceux écartés par le juge du tribunal de commerce du Havre et ceux mentionnés par la cour d'appel de Paris en 2012 (litige Logfret/BBL), qu'il en résulte une perte de marge potentielle de 121 523,81 €, qu'il a été totalisé ensuite les excédents de marge réalisées par Naxco au titre des clients restants, soit les marges dépassant celles de Logfret, puisqu'il n'est pas justifié que Logfret sollicite une indemnisation pour ces clients qui soit supérieure au montant du préjudice qu'elle allègue, que l'excédent réalisé par Naxco France ne peut être attribué à Logfret pouvant résulter de plusieurs facteurs, qu'ainsi le calcul de la perte de marge est de 65 620,95 €. Ils ajoutent que la société Logfret ne démontre pas l'existence du préjudice allégué et qu'au demeurant ce dernier ne peut aucunement être supérieur à 65 620,95 €.

Il a été indiqué supra que les clients sont des clients des sociétés qui emploient M. [X] et Mme [R] et non des clients personnels, que l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris en 2012 est inopérant comme étant sans lien avec le présent litige. Il convient en revanche de prendre en compte les noms des clients qui ont été exclus par l'ordonnance du 12 janvier 2022, tels Kitchenchef qui au demeurant a fait part le 16 août 2021 à Logfret son refus d'accepter une nouvelle grille tarifaire à la hausse de sorte ainsi que l'a fait le tribunal qu'il convient d'exclure du préjudice demandé la somme de 56 597,43 €.

La société Logfret à l'appui de ses demandes, produit un tableau de ses marges réelles 2019, 2020 et 2021, sur les clients en cause, un calcul de la moyenne de ces marges ainsi que la marge réelle 2022 et calcule donc la perte subie client par client, son service comptable attestant que le montant des marges réelles est conforme à ses livres comptables. Ceci a été confirmé le 7 mai 2025 avec la précision que les chiffres donnés initialement étaient maintenus bien que la marge définitive de 2022 soit légèrement supérieure à celle énoncée en août 2022. Le service comptabilité a attesté que les chiffres étaient issus des documents comptables de la société vérifiés annuellement par les commissaires aux comptes et certifiés exacts.

*

* *

Au vu des pièces produites, compte tenu de l'ordonnance du 12 janvier 2022 qui précise les clients à exclure soit 12 (parmi lesquels Kitchenchef, Birambeau et Jonas) il y a lieu de valider le raisonnement du tribunal dans son calcul de marge, sauf à rétablir ainsi que le demande Logfret, 8 clients pour lequel elle avait fait valoir une perte (Bogoods, Air Cargo, Covepro, Cozic, Greenchem, KSR Racing, Mobika et Tente) et que le tribunal a omis dans son calcul, soit une somme de 262 394,30 € dont il convient de déduire la somme de 10 767,31 € en raison d'un litige commercial postérieur à la fixation du préjudice en première instance, soit une somme totale de 251 626,99 €, ce calcul n'étant pas utilement contredit par le constat établi par commissaire de justice du 6 février 2025 qui a constaté en présence d'un responsable informatique l'existence de divers tableaux afférente à des marges brutes réalisée par la société Naxco France du 1er janvier au 31 septembre 2022, ni par le tableau produit en toute fin de procédure le 6 juin 2025 afférent à la période d'août à décembre 2021, étant précisé que la réparation du préjudice subi pour concurrence déloyale n'est pas fixé en considération du profit réalisé par l'auteur des actes de concurrence déloyale mais par la perte subie par la victime de ces actes.

Il y a lieu en revanche de débouter la société Logfret de sa demande en paiement de la somme de 20 000 € au titre de pertes immatérielles d'image et de réputation, ce préjudice n'étant pas établi.

Il convient donc de condamner solidairement la société Naxco France et M. [Z] [X] à payer à la société Logfret la somme de 251 626,99 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice, le jugement sera infirmé.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

La société Naxco France et M.[P] [X] succombant en leurs prétentions, il convient de confirmer le jugement en ses dispositions concernant les frais irrépétibles et les dépens il sera accordé à la société Logfret la somme de 7 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour ses frais exposés en appel, les dépens restant à la charge de la société Naxco France et de M. [P] [X].

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort, par mise à disposition au greffe ;

Déboute la société Naxco France, M. [P] [X] et Mme [M] [R] de leur demandes tendant à la déclaration d'irrecevabilité de pièces.

Confirme le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes présentées à l'encontre de Mme [M] [R].

Confirme le jugement en ses autres dispositions à l'exception du montant des dommages et intérêts mis à la charge de M.[O] [X] et la société Naxco France.

Statuant à nouveau ,

Condamne solidairement M. [Z] [X] et la société Naxco France anciennement Agena Tramp à payer à la SAS Logistique Fret la somme de 251 626,99 € à titre de dommages et intérêts.

Déboute la SAS Logistique Fret de sa demande en paiement de la somme de 20 000€ au titre de pertes immatérielles d'image et de réputation.

Condamne in solidum la société Naxco France et M.[Z] [X] à payer à la société Logistique Fret la somme de 7 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne in solidum la société Naxco France et M.[Z] [X] aux dépens.

La greffière, La présidente,

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site