Cass. com., 5 mai 2021, n° 19-18.016
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Rémery
Rapporteur :
Graff-Daudret
Reprise d'instance
1. M. [O] ayant tenté, par un acte d'huissier de justice du 13 juillet 2020, de signifier au liquidateur de la société [Personne physico-morale 1], désignée comme défenderesse par la déclaration de pourvoi, son mémoire en demande, le liquidateur a expressément refusé de recevoir l'acte, ainsi qu'en atteste l'huissier de justice dans son procès-verbal. Ce document suffisant à établir l'existence d'une tentative de mise en cause du liquidateur, il y a lieu de donner acte aux parties de ce que l'instance a été régulièrement reprise à l'égard de la société [Personne physico-morale 1].
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 22 juin 2018), le 12 mai 1993, la société Banque populaire Rives de Paris (la banque) a ouvert dans ses livres un compte courant au nom de la société [Personne physico-morale 1] (la société). Par un acte du 15 mai 1993, M. [O] s'est rendu caution des engagements de la société envers la banque pour un montant de 150 000 francs.
3. Le 18 septembre 2008, la banque a consenti à la société un prêt de 15 000 euros. La société ayant laissé plusieurs échéances du prêt impayées, et son compte courant présentant un solde débiteur de 19 089,25 euros à la date du 8 avril 2010, la banque a, le 7 mai 2010, prononcé la déchéance du terme des contrats et assigné la société et la caution en paiement.
4. La société ayant été mise en liquidation judiciaire par un jugement du 4 novembre 2019, désignant la Selarl [T] [M], prise en la personne de [T] [M], en qualité de liquidateur, l'instance a été interrompue en application de l'article 369 du code de procédure civile et a été régulièrement reprise.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
6. M. [O] fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement sauf en ce qu'il le condamne en sa qualité de caution et la société [O] au titre des échéances impayées du prêt, alors :
1°/ « que la cour d'appel qui se déclare non valablement saisie excède ses pouvoirs en statuant ensuite au fond du chef des demandes formulées ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a, tout à la fois, considéré qu'elle n'était pas valablement saisie de la demande indemnitaire fondée sur le manquement de la banque à son devoir de mise en garde et, statuant au fond, débouté M. [F] [O] de ladite demande en raison de l'absence de faute de la banque et, partant, d'un tel manquement ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a violé l'article 562 du code de procédure civile ;
2°/ que M. [O] se prévalait du système prétorien de proportionnalité, fondé sur la responsabilité civile, non du système légal impliquant une déchéance directe du droit du créancier à obtenir paiement ; qu'en retenant, pour rejeter sa demande indemnitaire, que les dispositions protectrices de la caution de l'article L. 341-4 devenu L. 332-1 du code de la consommation résultent des dispositions de la loi du 1er août 2003 inapplicables à l'espèce, l'acte de cautionnement datant du 15 mai 1993, la cour d'appel a ignoré l'objet du litige en violation des articles 4 et 5 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
7. L'arrêt retient, s'agissant de la disproportion de l'engagement de la caution, qu'il n'est pas démontré que la banque ait commis une faute en demandant le cautionnement de M. [O] le 15 mai 1993 à hauteur de 150 000 francs concomitamment à l'ouverture de compte professionnel. Ayant ainsi statué au fond sur la responsabilité civile de la banque pour s'être fait octroyer un cautionnement disproportionné aux biens et revenus de la caution, après avoir déclaré irrecevable la seule demande de la caution fondée sur le non-respect par la banque de son devoir de mise en garde, la cour d'appel, qui n'a pas excédé ses pouvoirs, ni méconnu l'objet du litige, a, abstraction faite des motifs critiqués par la seconde branche, légalement justifié sa décision.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le quatrième moyen
9. M. [O] fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la banque la somme de 7 791,78 euros au titre du capital restant dû sur le prêt consenti à la société, alors « que la déchéance du terme du contrat de prêt accordé à la société [F] [O] peinture rénovation est intervenue le 8 avril 2010, date à laquelle la banque a clôturé les comptes du débiteur et de sa caution ; que la cour d'appel a cru pouvoir fixer la déchéance du terme au 7 mai 2010 en se référant aux motifs qu'elle a déduits sur la date de clôture du compte qu'elle a cru pouvoir fixer au 7 mai 2010 ; que la censure qui sera prononcée sur le premier moyen relatif à la date de clôture du compte entraînera par voie de conséquence la cassation de l'arrêt sur la prescription de l'action en paiement du capital restant dû sur le prêt par application de l'article 624 du code de procédure civile. »
10. Le premier moyen étant rejeté, le quatrième, qui invoque une cassation par voie de conséquence, est devenu sans portée.
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
11. M. [O] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande relative à l'obligation d'information annuelle de la caution, alors « que le manquement à l'obligation d'information annuelle envers la caution constitue un moyen de défense au fond, recevable en cause d'appel ; qu'en affirmant que, se prévalant des manquements de la banque aux obligations d'information annuelle de la caution et du premier incident de paiement, M. [F] [O] et la Sarl [Personne physico-morale 1] formulaient des demandes ne constituant " bien évidemment" pas un simple moyen de droit ou de fait, et qu'en tant que telles, ces demandes étaient irrecevables comme nouvelles en cause d'appel, la cour a violé les articles 72 et 564 et suivants du code de procédure civile et L. 313-22 du code monétaire et financier. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 71 et 72 du code de procédure civile, et L. 313-22 du code monétaire et financier :
12. Aux termes du premier de ces textes, constitue une défense au fond tout moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée, après examen au fond du droit, la prétention de l'adversaire. La prétention fondée sur le défaut d'information annuelle de la caution prévue par le troisième, qui tend seulement au rejet de la demande en paiement des intérêts au taux contractuel formée par l'établissement de crédit à son encontre, constitue un moyen de défense au fond, pouvant, en application du deuxième texte, être proposé en tout état de cause.
13. Pour déclarer irrecevable la demande de M. [O] relative à l'obligation d'information annuelle de la caution, l'arrêt retient que, tendant à la décharge des intérêts et non pas à ce que la banque ne puisse se prévaloir du cautionnement lui-même, cette demande ne constitue « bien évidemment » pas un simple moyen de droit ou de fait, mais une demande nouvelle qui, formulée pour la première fois en appel, doit être déclarée irrecevable par application des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile.
14. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur ce moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
15. M. [O] fait encore grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande relative au non-respect du devoir de mise en garde, alors « que la demande reconventionnelle en responsabilité tendant à obtenir compensation entre les dommages-intérêts réclamés et les sommes demandées à titre principal est recevable en appel ; qu'en l'espèce, M. [O] a formé pour la première fois en cause d'appel une demande reconventionnelle tendant à voir reconnaître le manquement commis par la BPRP à son obligation de mise en garde, condamner celle-ci au paiement de dommages-intérêts d'un montant équivalent à la somme par elle réclamée et prononcer la compensation de sa dette avec les dommages et intérêts dus par la BPRP ; que, pour dire que cette demande irrecevable, la cour s'est bornée à constater qu'elle n'avait pas été formée devant le premier juge, qu'elle ne tendait pas aux mêmes fins que les demandes initiales, qu'elle n'était pas virtuellement comprise dans les demandes et défenses soumises au premier juge, n'en constituant ni leur accessoire ni la conséquence ni le complément ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 564 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 564 du code de procédure civile :
16. Aux termes de ce texte, les parties peuvent soumettre à la cour d'appel de nouvelles prétentions pour opposer compensation.
17. Pour déclarer irrecevable la demande de M. [O] relative au non-respect du devoir de mise en garde, l'arrêt retient que, tendant au paiement de dommages-intérêts, cette demande constitue une demande nouvelle qui, formulée pour la première fois en appel, doit être déclarée irrecevable par application des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile.
18. En statuant ainsi, alors que la demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts formée par la caution pour manquement de la banque à son obligation de mise en garde était recevable en appel comme tendant à opposer compensation à concurrence du montant auquel elle pouvait être condamnée au titre de la demande en paiement présentée par la banque, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevables les demandes de M. [O] fondées sur les manquements de la société Banque populaire Rives de Paris à son obligation d'information annuelle de la caution prévue par l'article L. 313-22 du code monétaire et financier et à son devoir de mise en garde, l'arrêt rendu le 22 juin 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la société Banque populaire Rives de Paris aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Banque populaire Rives de Paris et la condamne à payer à la SCP Gatineau et Fattacini la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du cinq mai deux mille vingt et un.