Cass. com., 9 février 2022, n° 17-19.441
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mouillard
Rapporteur :
Graff-Daudret
Avocat général :
Henry
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 6 avril 2017), par un acte du 22 décembre 2009, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Alpes-Provence (la banque) a consenti à la société Groupe centrale automobiles (la société GCA), dont Mme [P] était la gérante, une ouverture de crédit en compte courant, garantie par le cautionnement solidaire de M. [M]. Après avoir dénoncé cette ouverture de crédit, la banque a assigné en paiement la caution, qui a soutenu que la banque avait commis une faute en procédant à des virements, sans autorisation, vers des sociétés tierces, et que leur montant devait venir en déduction de la créance.
2. Par l'arrêt attaqué, la cour d'appel a déclaré M. [M] irrecevable en ses contestations pour forclusion, en retenant que la société GCA disposait d'un délai de treize mois pour contester ces opérations en application de l'article L. 133-24 du code monétaire et financier.
3. Par un arrêt du 16 juillet 2020, la Cour de cassation a saisi la Cour de justice de l'Union européenne (la CJUE) d'une question préjudicielle portant sur l'interprétation de l'article 58 de la directive 2007/64/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007 concernant les services de paiement dans le marché intérieur, modifiant les directives 97/7/CE, 2002/65/CE, 2005/60/CE ainsi que 2006/48/CE et abrogeant la directive 97/5/CE.
4. Par un arrêt du 2 septembre 2021 (C-337/20), la CJUE a répondu à la question posée.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. M. [M] fait grief à l'arrêt de le juger irrecevable en ses contestations des sommes, objet des virements litigieux, et de le condamner, en conséquence, à paiement, en qualité de caution, alors « que l'article L. 133-18 du code monétaire et financier, offrant le bénéfice d'un remboursement immédiat des opérations de paiement non autorisées signalées par l'utilisateur à la banque, ne fait pas obstacle à ce que la responsabilité contractuelle de la banque soit retenue, par ailleurs, en cas de manquement à son devoir de vérification s'il est apporté la preuve d'un préjudice en résultant ; qu'en jugeant, pour déclarer M. [M] irrecevable en ses contestations des sommes objets de virements du compte ouvert au nom de la société GCA à diverses sociétés pour cause de forclusion, que "M. [M] excipe de l'application des dispositions du code civil alors que le fonctionnement de ces compte est régi par les dispositions du code monétaire et financier", quand, nonobstant l'article L. 133-18 du code monétaire et financier relatif aux opérations de paiement non autorisées, M. [M] pouvait se prévaloir de la responsabilité contractuelle de la banque, la cour d'appel a violé les articles 1147 du code civil, applicable à la cause, devenu 1231-1 du même code civil et 1937 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :
7. Il résulte de ce texte que toute inexécution d'une obligation contractuelle ayant causé un dommage au créancier de l'obligation oblige le débiteur de celle-ci à en répondre.
8. Par son arrêt précité du 2 septembre 2021, la CJUE a dit pour droit que :
1) L'article 58 et l'article 60, paragraphe 1, de la directive 2007/64/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 novembre 2007, concernant les services de paiement dans le marché intérieur, modifiant les directives 97/7/CE, 2002/65/CE, 2005/00/CE ainsi que 2006/48/CE abrogeant la directive 97/5/CE, doivent être interprétées en ce sens qu'ils s'opposent à ce qu'un utilisateur de services de paiement puisse engager la responsabilité du prestataire de ces services sur le fondement d'un régime de responsabilité autre que celui prévu par ces dispositions lorsque cet utilisateur a manqué à son obligation de notification prévue audit article 58.
2) L'article 58 et l'article 60, paragraphe 1, de la directive 2007/64 doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à ce que la caution d'un utilisateur de services de paiement invoque, en raison d'un manquement du prestataire de services de paiement à ses obligations liées à une opération non autorisée, la responsabilité civile d'un tel prestataire, bénéficiaire du cautionnement, pour contester le montant de la dette garantie, conformément à un régime de responsabilité contractuelle de droit commun.
9. Pour déclarer M. [M] irrecevable en ses contestations des sommes, objet de virements du compte ouvert au nom de la société GCA, à des sociétés tierces, l'arrêt retient qu'en application de l'article L. 133-24 du code monétaire et financier, la société disposait d'un délai de forclusion de treize mois pour contester ces opérations, que si ce délai a pu être interrompu par les courriels échangés le 3 mars 2001 par lesquels la gérante de la société demandait des renseignements sur ces opérations, un nouveau délai de treize mois a couru à compter de cette date, mais que la contestation des virements litigieux n'a été opérée que par les conclusions du 15 mai 2013, et la forclusion est, par conséquent, encourue.
10. En statuant ainsi, alors que les articles L. 133-18 et L. 133-24 du code monétaire et financier, pris pour la transposition de la directive 2007/64/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 novembre 2007, concernant les services de paiement dans le marché intérieur, prévoyant le remboursement immédiat des opérations de paiement non autorisées signalées par l'utilisateur à la banque, dans le délai de treize mois, pris pour la transposition de la directive 2007/64/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 novembre 2007, concernant les services de paiement dans le marché intérieur, ne font pas obstacle à la mise en oeuvre, par la caution de cet utilisateur, de la responsabilité contractuelle de droit commun de la banque, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 avril 2017, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;
Condamne la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Alpes-Provence aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Alpes-Provence et la condamne à payer à M. [M] la somme de 3 000 euros et rejette la demande de Mme [P] ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du neuf février deux mille vingt-deux.