Cass. com., 19 novembre 2025, n° 23-12.250
COUR DE CASSATION
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
Wave Maritime Ltd
Défendeur :
Chantier naval Couach (SAS), Chipe Production Corporation Panama (Sté), Chipe Limited (sté), Rinella Maritime Limited, Ekip' (SELARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Schmidt
Rapporteur :
Mme Guillou
Avocat général :
M. de Monteynard
Avocats :
SCP Piwnica et Molinié, SARL Cabinet Rousseau et Tapie
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué ( Montpellier, 6 septembre 2022), par un jugement du 17 juin 2009, les actifs de la société Couach, en liquidation judiciaire, ont été cédés à la société Chantier naval Couach CNC (la société Couach CNC), contrôlée par la société Crane, dont les actionnaires se sont engagés à apporter en compte courant la somme minimale de 13,5 millions d'euros bloquée pour une durée de deux années. Ces actifs comprenaient un navire en cours de construction commandé par M. [H] par l'intermédiaire de la société de droit maltais Dussen Boat.
3. Celle-ci ayant renoncé à cette acquisition en raison d'un retard de livraison et moyennant le paiement d'une indemnité de sept millions d'euros, la société de droit panaméen Chipe Production Corporation (la société Chipe), venant aux droits de la société Dussen Boat, a financé l'achèvement des travaux pour un montant de 1,5 millions et s'est engagée à l'acquérir.
4. Le 23 décembre 2010, la société Chipe ayant renoncé à l'acquisition, et réduit à deux millions d'euros l'indemnité de retard, la société Couach CNC a vendu le navire à M. [M] qui a finalement également renoncé.
5. La société Chipe ayant réclamé à l'échéance prévue le paiement de l'indemnité convenue de deux millions d'euros et la société Couach CNC s'étant déclarée dans l'incapacité de la payer, un accord transactionnel a été conclu entre les parties le 27 mai 2011, par lequel la société Chipe s'est engagée à racheter à la société Crane la créance de cinq millions d'euros détenue sur la société Couach CNC correspondant à son apport en compte courant, la société Couach CNC a reconnu devoir à la société Chipe la somme de 8 500 000 euros, comprenant les 5 millions précités, outre une somme de deux millions d'euros correspondant à l'indemnité de retard de livraison, et une somme de 1,5 millions correspondant au prix de travaux, M. [M] a accepté la résolution de la vente du navire et la société Chipe s'est engagée à acquérir le navire au prix de 8 500 000 euros, payable par compensation avec les sommes que lui devait la société Couach CNC.
6. Par acte du même jour, la société Crane a cédé à la société Chipe la créance en compte courant qu'elle détenait contre la société Couach CNC moyennant le prix de cinq millions d'euros payable en vingt mensualités à compter du 1er juillet 2012.
7. Le 1er juin 2011, la société Couach CNC a vendu le navire à la société Chipe moyennant le prix de 8 500 000 euros, l'acte précisant que le prix serait payé par compensation avec les sommes due par la première à la seconde, et que la société Couach se réservait « la possibilité d'exercer son droit de réserve de propriété en cas de non paiement de la totalité du prix ».
8. Le 21 novembre 2011, la société Crane a cédé la totalité de sa participation dans le capital de la société Couach CNC à la société Nepteam.
9. Le 1er décembre 2011, ce navire, baptisé « [5] » a été immatriculé à titre provisoire au nom de la société Chipe Limited, venant aux droits de la société Chipe.
10. Le 26 juin 2012, la société Chipe a signifié à la société Couach CNC l'acte du 27 mai 2011 par lequel la société Crane lui a cédé la créance de cinq millions d'euros.
11. Le 25 août 2017, la société Chipe Limited, venant aux droits de la société Chipe a vendu le navire à la société Wave Maritime Ltd (la société Wave) au prix de 3 200 000 euros.
12. Le 12 avril 2018, la société Couach CNC et la société Nepteam ont fait procéder à la saisie conservatoire du navire sur le fondement de l'article L.5114-22 du code des transports et de la convention de Bruxelles du 10 mai 1952 pour l'unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires de mer en se prévalant d'une créance de 7 millions d'euros.
13. Les 9 et 11 mai 2018, la société Couach CNC, estimant avoir été trompée, et la société Nepteam ont assigné les sociétés Chipe limited, Chipe Production Corporation, la société Rinella Maritime Limited, présentée comme éventuel propriétaire du navire, M. [H] et la société Wave pour voir dire que la société Couach CNC est fondée à invoquer le bénéfice de la clause de réserve de propriété stipulée à l'article 4 du contrat de vente, en inopposabilité de la revente du navire à la société Wave, obtenir la restitution du navire ainsi que des dommages et intérêts.
14. Par un jugement du 2 mars 2020, le tribunal de commerce a dit irrecevable comme prescrite l'action diligentée par la société Couach CNC et ordonné la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée sur le navire. Il a ordonné l'exécution provisoire de la décision sous réserve de la constitution d'une garantie bancaire par la société Wave.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi incident, pris en sa première branche, qui est préalable
Enoncé du moyen
15. La société Couach CNC fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme prescrite son action en restitution, alors « que le droit de propriété ne s'éteignant pas par le non-usage, l'action en revendication n'est pas susceptible de prescription extinctive ; que l'action en revendication d'un bien faisant l'objet d'une clause de réserve de propriété destinée à garantir le paiement de la créance n'est pas soumise au régime de prescription applicable à la créance principale qui dépend de la nature de celle-ci ; qu'en l'espèce, pour dire que l'action de la société Couach CNC en revendication d'un navire qu'elle avait construit et vendu à la société Chipe Production Corporation, fondée sur la clause de réserve de propriété stipulée dans le contrat de vente du 1er juin 2011, ce contrat "en cas de non-paiement total du yacht", était soumise au régime de prescription quinquennale prévue à l'article 2224 du code civil, la cour d'appel a énoncé que la restitution du bien dont la propriété a été retenue par l'effet de la clause à titre de garantie du paiement de l'obligation constituant la contrepartie de l'effet translatif du contrat, ne peut découler que d'une inexécution, totale ou partielle, par le débiteur de son obligation de paiement ; l'extinction de la créance, dont la propriété réservée constitue l'accessoire, emporte ainsi transfert de la propriété lorsque l'événement ayant provoqué l'extinction de la créance et donc, le transfert de propriété, est le paiement de l'obligation, abstraction faite de situations particulières dans lesquelles la créance du prix se trouve éteinte pour une cause autre que le paiement ; que la cour d'appel a considéré que "la restitution du bien vendu sous réserve de propriété n'est alors que la conséquence de l'inexécution par le débiteur de son obligation de paiement qui empêche le transfert de propriété de s'opérer ; pour obtenir la restitution du bien le créancier de l'obligation de paiement doit dès lors établir l'inexécution de celle-ci, ce dont il résulte que la mise en jeu de la clause de réserve de propriété dépend du succès de l'action visant à faire juger que l'obligation de paiement n'a pas été remplie ; la réserve de propriété n'étant que l'accessoire de la créance dont elle garantit le paiement, la demande de restitution du bien est nécessairement soumise à la même prescription que l'action relative à la créance garantie" ; qu'en statuant de la sorte, quand l'action en revendication exercée par la société Couach CNC, qui était fondée non sur la créance garantie mais sur le droit de propriété que les parties à la vente avaient convenu de lui réserver, était imprescriptible, de sorte que la société Couach CNC était recevable à revendiquer son bien nonobstant l'éventuelle irrecevabilité de l'action en exécution de la créance garantie, la cour d'appel a violé les articles 544, 2224, 2227 et 2367 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2224 et 2367 du code civil :
16. Selon le second de ces textes, la propriété d'un bien peut être retenue en garantie par l'effet d'une clause de réserve de propriété qui suspend l'effet translatif d'un contrat jusqu'au complet paiement de l'obligation qui en constitue la contrepartie.
17. En conséquence, si la prescription de la créance du prix de vente libère l'acquéreur de l'obligation de payer le prix, elle n'entraîne pas, à défaut de paiement, le transfert de la propriété du bien. En effet, l'action en revendication du vendeur bénéficiaire d'une clause de propriété a pour source non pas la créance personnelle de celui-ci sur le débiteur mais son droit de propriété sur le bien dont le transfert est soumis à la condition suspensive du paiement du prix, de sorte que l'action en revendication du bien n'est pas soumise au délai prévu au premier de ces textes.
18. Pour déclarer irrecevable l'action en restitution du navire formée par la société Couach CNC, l'arrêt retient que la restitution du bien dont la propriété, par l'effet de la clause, a été retenue à titre de garantie du paiement de l'obligation constituant la contrepartie de l'effet translatif du contrat, ne peut découler que d'une inexécution, totale ou partielle, par le débiteur, de son obligation de paiement et que l'extinction de la créance, dont la propriété réservée constitue l'accessoire, emporte ainsi transfert de la propriété, de sorte que la demande de restitution du bien est nécessairement soumise à la même prescription que l'action relative à la créance garantie.
19. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
20. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt déclarant irrecevable l'action de la société chantier naval Couach en restitution du navire [5] entraîne la cassation du chef de dispositif condamnant la société Chantier naval Couach à payer à la société Wave Maritime Ltd la somme de 306 800 euros en réparation des préjudices subis résultant de la saisie conservatoire du navire [5] du 10 avril 2018, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire. »
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi principal et du pourvoi incident, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a déclaré irrecevable l'intervention volontaire de la SELARL Ekip' en sa qualité de liquidateur de la société Couach, l'arrêt rendu le 6 septembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;
Remet sur ces points l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nimes ;
Condamne la société Wave Maritime Ltd aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Wave Maritime Ltd et la condamne à payer à la société Chantier naval Couach CNC la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le dix-neuf novembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.