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Décisions

CJUE, 7e ch., 13 novembre 2025, n° C-563/24

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

Question préjudicielle

PARTIES

Demandeur :

Verband Sozialer Wettbewerb eV

Défendeur :

PB Vi Goods GmbH

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

F. Schalin

Juges :

M. Gavalec, Z. Csehi

Avocat général :

M. Szpunar

CJUE n° C-563/24

12 novembre 2025

Arrêt

1  La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 10, paragraphe 7, et de l’article 12, paragraphe 1, du règlement (UE) 2019/787 du Parlement européen et du Conseil, du 17 avril 2019, concernant la définition, la désignation, la présentation et l’étiquetage des boissons spiritueuses, l’utilisation des noms de boissons spiritueuses dans la présentation et l’étiquetage d’autres denrées alimentaires, la protection des indications géographiques relatives aux boissons spiritueuses, ainsi que l’utilisation de l’alcool éthylique et des distillats d’origine agricole dans les boissons alcoolisées, et abrogeant le règlement (CE) no 110/2008 (JO 2019, L 130, p. 1), tel que modifié par le règlement délégué (UE) 2021/1096 de la Commission, du 21 avril 2021 (JO 2021, L 238, p. 1) (ci-après le « règlement 2019/787 »), ainsi que sur la validité de l’article 10, paragraphe 7, du règlement 2019/787 au regard de l’article 16 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2  Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Verband Sozialer Wettbewerb eV (ci-après le « VSW ») à PB Vi Goods GmbH (ci-après « PB ») au sujet de la commercialisation et de la promotion, par PB, d’une boisson dénommée Virgin Gin Alkoholfrei.

 Le cadre juridique

3  Aux termes des considérants 2, 3 et 10 du règlement 2019/787 :

« (2) Les règles applicables aux boissons spiritueuses devraient contribuer à atteindre un niveau élevé de protection des consommateurs, à supprimer l’asymétrie d’information, à prévenir les pratiques de nature à induire en erreur, ainsi qu’à assurer la transparence des marchés et une concurrence loyale. Elles devraient protéger la réputation que les boissons spiritueuses de l’Union se sont taillée dans l’Union et sur le marché mondial en continuant à prendre en compte les méthodes traditionnelles utilisées dans leur production de même que la demande accrue de protection et d’information des consommateurs. [...]

(3)  Les boissons spiritueuses représentent un débouché important pour le secteur agricole de l’Union, et il existe un lien étroit entre la production de boissons spiritueuses et ce secteur. Ce lien détermine la qualité, la sécurité et la réputation des boissons spiritueuses produites dans l’Union. [...]

(10)  Il convient de prévoir des règles encadrant les dénominations légales des boissons spiritueuses mises sur le marché de l’Union, afin de garantir que ces dénominations légales sont utilisées de manière harmonisée dans l’ensemble de l’Union et de préserver la transparence des informations fournies aux consommateurs. »

4  L’article 10, paragraphe 7, premier alinéa, de ce règlement dispose :

« Sans préjudice des articles 11 et 12 et de l’article 13, paragraphes 2, 3 et 4, il est interdit d’utiliser les dénominations légales visées au paragraphe 2 du présent article ou des indications géographiques dans la désignation, la présentation ou l’étiquetage de toute boisson ne satisfaisant pas aux exigences des catégories concernées figurant à l’annexe I ou de l’indication géographique concernée. Cette interdiction s’applique également lorsque ces dénominations légales ou ces indications géographiques sont associées à des mots ou des phrases, tels que “comme”, “du type”, “du style”, “élaboré”, “arôme” ou toute autre indication similaire. »

5  L’article 12, paragraphe 1, dudit règlement prévoit :

« Dans la présentation et l’étiquetage d’une denrée alimentaire autre qu’une boisson alcoolisée, l’allusion à des dénominations légales prévues dans une ou plusieurs des catégories de boissons spiritueuses figurant à l’annexe I, ou à une ou plusieurs des indications géographiques de boissons spiritueuses, est autorisée à condition que l’alcool utilisé dans la production de cette denrée alimentaire provienne exclusivement de la ou des boissons spiritueuses auxquelles renvoie l’allusion, sauf pour l’alcool qui peut être présent dans les arômes, les colorants ou les autres ingrédients autorisés utilisés pour la production de cette denrée alimentaire. »

6  L’annexe I du même règlement est intitulée « Catégories de boissons spiritueuses ». Le point 20 de celle-ci, intitulé « Gin », est libellé comme suit :

« a)  Le gin est une boisson spiritueuse aromatisée aux baies de genévrier produite par aromatisation, avec des baies de genévrier (Juniperus communis L.), d’un alcool éthylique d’origine agricole.

b)  Le titre alcoométrique volumique minimal du gin est de 37,5 %.

c)  Seules des substances aromatisantes ou des préparations aromatisantes ou les deux peuvent être utilisées pour la production de gin, le goût du genévrier devant être prépondérant.

d)  Le terme “gin” peut être complété par le terme “dry” s’il n’est pas additionné d’édulcorants dans une proportion dépassant 0,1 gramme de produits édulcorants par litre de produit final, exprimée en sucre inverti. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

7  Le VSW est une association allemande qui a, notamment, pour mission de lutter contre la concurrence déloyale. PB est une société qui offre à la vente et promeut, entre autres, une boisson non alcoolisée dénommée Virgin Gin Alkoholfrei (Virgin Gin sans alcool).

8  Le VSW, estimant que la publicité de PB pour cette boisson enfreint les dispositions du règlement 2019/787, a introduit contre cette société, le 31 octobre 2023, une action en cessation de mise en vente de ladite boisson devant le Landgericht Potsdam (tribunal régional de Potsdam, Allemagne), qui est la juridiction de renvoi. À cet effet, il soutient que, aux termes de l’annexe I, point 20, du règlement 2019/787, le gin doit être produit par aromatisation, avec des baies de genévrier, d’un alcool éthylique d’origine agricole et son titre alcoométrique volumique minimal doit s’élever à 37,5 %. En l’absence de respect de ces exigences, le VSW considère que PB doit cesser d’offrir à la vente la boisson en cause sous la désignation « gin ».

9  PB soutient, en revanche, que la publicité pour cette boisson ne méconnaît pas le règlement 2019/787 dès lors qu’il est évident, pour tout consommateur, que celle-ci ne contient pas d’alcool.

10  Dans ce cadre, la juridiction de renvoi indique qu’elle nourrit des doutes quant à la validité de l’article 10, paragraphe 7, du règlement 2019/787 au motif d’une éventuelle violation de la liberté d’entreprise consacrée à l’article 16 de la Charte. En effet, l’interdiction de présenter et d’étiqueter comme « gin sans alcool » une boisson sans alcool serait disproportionnée dans la mesure où elle ne semble pas poursuivre un objectif légitime. Cette juridiction estime que la mention « sans alcool » écarte le risque d’induire le consommateur en erreur. L’interdiction serait également disproportionnée du fait que, en vertu du règlement 2019/787, il ne serait pas possible de désigner la boisson par exemple par « goût gin », ce qui implique que le produit ne pourrait pas être décrit de manière compréhensible pour le consommateur. Cette situation confèrerait, par ailleurs, un avantage concurrentiel aux producteurs qui distribuent, à la fois, des boissons sans alcool et du gin, par rapport aux producteurs commercialisant uniquement des boissons sans alcool qui ne seront pas, de ce fait, associées au gin.

11  Si la Cour devait ne pas considérer invalide l’article 10, paragraphe 7, du règlement 2019/787, la juridiction de renvoi souhaite savoir si les dispositions de ce règlement peuvent être interprétées en ce sens qu’elles n’interdisent pas de présenter ou d’étiqueter comme « gin sans alcool » des boissons sans alcool. Elle considère, toutefois, que ces dispositions traduisent sans équivoque une volonté d’interdiction du législateur de l’Union.

12  Dans ces conditions, le Landgericht Potsdam (tribunal régional de Potsdam) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)  L’article 10, paragraphe 7, du [règlement 2019/787] est-il non valide pour atteinte à l’article 16 de [la Charte] en ce qu’il interdit de présenter ou d’étiqueter comme “gin sans alcool” des boissons sans alcool ?

2)  À titre subsidiaire : l’article 10, paragraphe 7, ou l’article 12, paragraphe 1, du [règlement 2019/787] doit-il être interprété en ce sens que ces dispositions n’interdisent pas de présenter ou d’étiqueter comme “gin sans alcool” une boisson sans alcool au seul motif que la boisson n’atteint pas le titre alcoométrique volumique minimal requis pour être qualifiée de “gin” et qu’elle n’a pas été obtenue avec des baies de genévrier, par l’aromatisation d’alcool éthylique d’origine agricole (mais par l’aromatisation d’eau) ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la recevabilité

13  Le gouvernement italien soulève l’irrecevabilité des questions posées. Concernant la première question, la juridiction de renvoi n’aurait pas fourni suffisamment d’éléments pour permettre à la Cour d’apprécier la validité de l’article 10, paragraphe 7, du règlement 2019/787. Dans le cadre de la seconde question, la juridiction de renvoi n’aurait pas exposé les raisons qui l’ont conduite à s’interroger sur l’interprétation des dispositions du droit de l’Union en cause. Elle aurait, au contraire, estimé que ces dispositions comporteraient clairement une interdiction de la présentation et de l’étiquetage de boissons non alcoolisées comme du « gin sans alcool ».

14  À cet égard, il y a lieu de constater que la juridiction de renvoi a exposé de manière suffisamment claire le contexte du litige au principal et les raisons pour lesquelles elle estime nécessaire, pour rendre son jugement, l’interprétation des dispositions du droit de l’Union concernées.

15  Il convient de rappeler en outre que la Cour a déjà jugé que la clarté alléguée des réponses aux questions posées n’interdit en aucune manière à une juridiction nationale de poser à la Cour des questions préjudicielles et n’a pas pour effet de rendre la Cour incompétente pour statuer sur de telles questions (arrêt du 21 décembre 2011, Evroetil, C‑503/10, EU:C:2011:872, point 36).

16  Il s’ensuit que les deux questions posées sont recevables.

 Sur le fond

17  Dans la mesure où la première question, relative à la validité de l’article 10, paragraphe 7, du règlement 2019/787, ne se posera que dans l’hypothèse où cette disposition serait interprétée en ce sens qu’elle interdit de présenter et d’étiqueter des boissons sans alcool comme « gin sans alcool », il convient d’examiner, en premier lieu, la seconde question préjudicielle.

 Sur la seconde question

18  Par cette question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 10, paragraphe 7, et l’article 12, paragraphe 1, du règlement 2019/787 doivent être interprétés en ce sens qu’ils interdisent d’utiliser la dénomination de « gin sans alcool » dans la présentation et l’étiquetage d’une boisson sans alcool au motif que celle-ci ne satisfait pas aux exigences prévues au point 20, sous a) et b), de l’annexe I de ce règlement pour la catégorie des boissons spiritueuses répondant à la dénomination de « gin ».

19  Il ressort de l’article 10, paragraphe 7, du règlement 2019/787 qu’il est interdit d’utiliser les dénominations légales, à savoir notamment celle de « gin », dans la présentation et l’étiquetage de toute boisson ne satisfaisant pas aux exigences de la catégorie de boissons concernée figurant à l’annexe I de ce règlement. En outre, cette interdiction s’applique lorsque les dénominations légales sont associées à des mots ou des phrases, tels que « comme », « du type », « du style », « élaboré », « arôme » ou toute autre indication similaire.

20  Conformément à l’annexe I, point 20, sous a) et b), du règlement 2019/787, le gin est produit par aromatisation, avec des baies de genévrier, d’un alcool éthylique d’origine agricole et son titre alcoométrique volumique minimal doit s’élever à 37,5 %.

21  L’article 10, paragraphe 7, du règlement 2019/787 s’applique, selon son libellé, sans préjudice de certaines dispositions du règlement 2019/787 qui régissent l’utilisation d’une dénomination légale dans un terme composé, les allusions à une telle dénomination, l’inscription de celle-ci sur une liste d’ingrédients ainsi que les boissons spiritueuses considérées comme des mélanges ou des assemblages. Ces dispositions ne sont pas pertinentes dans le cadre de l’affaire au principal, étant donné qu’elles s’appliquent uniquement aux produits contenant de l’alcool.

22  S’agissant de l’article 12, paragraphe 1, du règlement 2019/787, mentionné par la juridiction de renvoi dans sa seconde question, force est de constater que cette disposition n’est pas pertinente pour la réponse à cette question. En effet, ladite disposition n’est applicable qu’aux denrées alimentaires qui sont produites en utilisant de l’alcool. Celle-ci ne saurait donc être appliquée dans le cadre du litige au principal.

23  Il convient de constater qu’il ressort clairement du libellé même de l’article 10, paragraphe 7, du règlement 2019/787 qu’il est interdit de présenter et d’étiqueter une boisson comme celle en cause au principal comme du « gin sans alcool », par le fait même que cette boisson ne contient pas d’alcool. Elle n’est donc pas produite par aromatisation d’un alcool éthylique d’origine agricole, en contradiction avec l’une des exigences requises pour pouvoir utiliser la dénomination légale de « gin » auxquelles renvoie cet article 10, paragraphe 7, et qui sont prévues au point 20 de l’annexe I de ce règlement.

24  En outre, il découle dudit article 10, paragraphe 7, que le fait que la dénomination légale de « gin » soit accompagnée de l’indication « sans alcool » est sans incidence dans la mesure où l’interdiction vaut également en présence de termes utilisés dans le but d’indiquer qu’une boisson donnée ne doit pas être confondue avec la boisson spiritueuse bénéficiant de cette dénomination.

25  Dans ces conditions, il convient de répondre à la seconde question que l’article 10, paragraphe 7, du règlement 2019/787 doit être interprété en ce sens qu’il interdit d’utiliser la dénomination de « gin sans alcool » dans la présentation et l’étiquetage d’une boisson sans alcool au motif que celle-ci ne satisfait pas aux exigences prévues au point 20, sous a) et b), de l’annexe I de ce règlement pour la catégorie de boissons spiritueuses répondant à la dénomination légale de « gin ».

 Sur la première question

26  Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 10, paragraphe 7, du règlement 2019/787 est valide au regard de la liberté d’entreprise consacrée à l’article 16 de la Charte en ce qu’il interdit de présenter et d’étiqueter comme « gin sans alcool » une boisson sans alcool.

27  Le droit à la liberté d’entreprise comprend notamment le droit, pour toute entreprise, de pouvoir librement disposer, dans les limites de la responsabilité qu’elle encourt pour ses propres actes, des ressources économiques, techniques et financières dont elle dispose. En outre, ce droit comporte la liberté d’exercer une activité économique ou commerciale, la liberté contractuelle et la concurrence libre (voir, en ce sens, arrêt du 30 juin 2016, Lidl, C‑134/15, EU:C:2016:498, points 27 et 28 ainsi que jurisprudence citée).

28  Il convient de rappeler que, aux termes de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, toute limitation de l’exercice des droits et des libertés reconnus par celle-ci doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui.

29  Selon la jurisprudence de la Cour, le libre exercice d’une activité professionnelle n’apparaît pas comme une prérogative absolue, mais doit être pris en considération par rapport à sa fonction dans la société. Par conséquent, des restrictions peuvent être apportées à l’exercice de la liberté d’entreprise, à condition que ces restrictions répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union et ne constituent pas, compte tenu du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même de ce droit (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2012, Deutsches Weintor, C‑544/10, EU:C:2012:526, point 54 et jurisprudence citée).

30  En outre, vu le large pouvoir d’appréciation du législateur de l’Union en matière de politique agricole commune qui implique des appréciations complexes, seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure arrêtée dans ce domaine, par rapport à l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité de celle-ci (voir, en ce sens, arrêts du 14 juin 2017, TofuTown.com, C‑422/16, EU:C:2017:458, point 46, et du 2 septembre 2021, Irish Ferries, C‑570/19, EU:C:2021:664, point 151).

31  Il convient de constater, tout d’abord, que l’interdiction d’utiliser les dénominations légales pour toute boisson ne satisfaisant pas aux exigences des catégories concernées est prévue par la loi, au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, dans la mesure où elle est énoncée à l’article 10, paragraphe 7, du règlement 2019/787.

32  Ensuite, il y a lieu de relever que cette interdiction concerne uniquement l’utilisation des dénominations légales de boissons spiritueuses sans faire obstacle à la production ou, de manière générale, à la distribution de boissons ne satisfaisant pas aux exigences prévues par ce règlement. Ainsi, elle ne porte pas atteinte à la substance même de la liberté d’entreprise (voir, en ce sens, arrêts du 13 décembre 1994, SMW Winzersekt, C‑306/93, EU:C:1994:407, point 24, et du 6 septembre 2012, Deutsches Weintor, C‑544/10, EU:C:2012:526, points 56 à 58). Il y a donc lieu de conclure que l’interdiction en cause respecte le contenu essentiel de la liberté d’entreprise.

33  Enfin, en ce qui concerne le respect du principe de proportionnalité, si la juridiction de renvoi se réfère à l’article 16 de la Charte, il importe également de tenir compte de l’article 38 de celle-ci, qui tend à assurer un niveau élevé de protection des consommateurs. Cette protection est, en outre, mentionnée, au considérant 2 du règlement 2019/787, comme un objectif poursuivi par celui-ci. De même, il vise, selon ce même considérant et le considérant 10 de ce règlement, à prévenir les pratiques de nature à induire en erreur et à préserver la transparence des informations fournies aux consommateurs. En outre, il ressort des considérants 2 et 3 dudit règlement que les boissons spiritueuses représentent un débouché important pour le secteur agricole de l’Union et que ce règlement tend à assurer une concurrence loyale ainsi qu’à protéger la réputation de ces boissons. Ces objectifs constituent des objectifs d’intérêt général (voir, par analogie, arrêts du 13 décembre 1994, SMW Winzersekt, C‑306/93, EU:C:1994:407, point 25 ; du 8 mai 2014, Assica et Kraft Foods Italia, C‑35/13, EU:C:2014:306, point 37, ainsi que du 30 juin 2016, Lidl, C‑134/15, EU:C:2016:498, point 37).

34  S’agissant de l’aptitude de l’interdiction en cause à garantir la réalisation des objectifs ainsi poursuivis, il y a lieu de constater que le respect des définitions des boissons désignées par les dénominations légales, mises sur le marché de l’Union, garantit aux consommateurs que ces produits répondent tous aux mêmes normes de qualité et les protège contre tout risque de confusion quant à la composition des produits qu’ils entendent acquérir. En outre, cette interdiction garantit que seules les boissons produites d’une certaine façon et présentant les mêmes propriétés peuvent être commercialisées sous la dénomination légale concernée. Une telle mesure permet d’éviter qu’un producteur d’une boisson ne satisfaisant pas aux exigences prévues par le règlement 2019/787 puisse tirer profit, pour son propre produit, de la réputation acquise par des producteurs de boissons spiritueuses bénéficiant d’une dénomination légale. Partant, l’interdiction en cause est apte à atteindre les objectifs poursuivis par le règlement 2019/787.

35  S’agissant du caractère nécessaire de l’interdiction en cause au regard des objectifs du règlement 2019/787, il y a lieu de relever que, si les dénominations légales pouvaient être accompagnées de mentions descriptives telles que « sans alcool », pour désigner des produits ne répondant pas aux exigences requises pour l’obtention de telles dénominations, les consommateurs risqueraient d’être induits en erreur quant à la composition des produits qu’ils envisagent d’acheter (voir, en ce sens, arrêts du 16 décembre 1999, UDL, C‑101/98, EU:C:1999:615, points 33 et 34, ainsi que du 14 juin 2017, TofuTown.com, C‑422/16, EU:C:2017:458, points 47 et 48). En effet, s’il est clair pour un consommateur qu’un produit dénommé « gin sans alcool » ne contient pas d’alcool, celui-ci pourrait se méprendre quant aux autres qualités de ce produit, les exigences relatives à la dénomination légale de « gin » comportant d’autres éléments que la simple présence d’alcool, à savoir, notamment, la nécessaire production par aromatisation d’un alcool éthylique d’origine agricole. De plus, la réputation acquise par les producteurs satisfaisant aux exigences prévues par le règlement 2019/787 pour une boisson donnée ne serait pas protégée, ce qui conduirait à un risque de concurrence déloyale (voir, en ce sens, arrêts du 13 décembre 1994, SMW Winzersekt, C‑306/93, EU:C:1994:407, point 25, et du 14 juin 2017, TofuTown.com, C‑422/16, EU:C:2017:458, points 43 à 48). Par conséquent, l’interdiction énoncée à l’article 10, paragraphe 7, du règlement 2019/787 doit être considérée comme étant nécessaire.

36  Il y a également lieu de tenir compte du fait, rappelé au point 32 du présent arrêt, que les producteurs, autres que ceux ayant le droit d’utiliser les dénominations légales des boissons spiritueuses, sont uniquement empêchés d’utiliser lesdites dénominations, mais qu’ils ne sont pas privés de leur droit de commercialiser leurs produits tant qu’ils respectent la réglementation pertinente.

37  Dans ces circonstances, l’interdiction d’utiliser les dénominations légales pour toute boisson ne satisfaisant pas aux exigences des catégories de boissons concernées, telles que prévues par le règlement 2019/787, ne méconnaît pas le principe de proportionnalité.

38  Il résulte des considérations qui précèdent que l’examen de la première question n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de l’article 10, paragraphe 7, du règlement 2019/787 au regard de la liberté d’entreprise consacrée à l’article 16 de la Charte.

 Sur les dépens

39  La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :

1)  L’article 10, paragraphe 7, du règlement (UE) 2019/787 du Parlement européen et du Conseil, du 17 avril 2019, concernant la définition, la désignation, la présentation et l’étiquetage des boissons spiritueuses, l’utilisation des noms de boissons spiritueuses dans la présentation et l’étiquetage d’autres denrées alimentaires, la protection des indications géographiques relatives aux boissons spiritueuses, ainsi que l’utilisation de l’alcool éthylique et des distillats d’origine agricole dans les boissons alcoolisées, et abrogeant le règlement (CE) no 110/2008, tel que modifié par le règlement délégué (UE) 2021/1096 de la Commission, du 21 avril 2021,

doit être interprété en ce sens que :

il interdit d’utiliser la dénomination de « gin sans alcool » dans la présentation et l’étiquetage d’une boisson sans alcool au motif que celle-ci ne satisfait pas aux exigences prévues au point 20, sous a) et b), de l’annexe I de ce règlement pour la catégorie de boissons spiritueuses répondant à la dénomination légale de « gin ».

2)  L’examen de la première question n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de l’article 10, paragraphe 7, du règlement 2019/787, tel que modifié par le règlement délégué 2021/1096, au regard de la liberté d’entreprise consacrée à l’article 16 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

 

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