CA Versailles, ch. civ. 1-5, 12 novembre 2025, n° 25/06463
VERSAILLES
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 36B
Chambre civile 1-5
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 12 NOVEMBRE 2025
N° RG 25/06463 - N° Portalis DBV3-V-B7J-XQAG
AFFAIRE :
[I] [O]
C/
[G] [Y] prise en sa qualité de Président de la société [22]
...
Décision déférée à la cour : Ordonnance rendu(e) le 28 Octobre 2025 par le Tribunal des activités économiques de NANTERRE
N° RG : 2025R01133
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le : 12.11.2025
à :
Me Asma MZE, avocat au barreau de VERSAILLES (699)
Me Sabine LAMIRAND, avocat au barreau de VERSAILLES (C455)
Me Pascale REGRETTIER-GERMAIN, avocat au barreau de VERSAILLES (P98)
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DOUZE NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ
à 15heures
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [I] [O]
né le [Date naissance 6] 1984 à [Localité 17]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 8]
Représentant : Me Asma MZE de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 699 - N° du dossier 2577332
Plaidant : Me Charles MOREL du barreau de Paris
APPELANT
****************
Madame [G] [Y]
en sa qualité de Président de la société [22]
née le [Date naissance 3] 1966 à [Localité 19]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 10]
SAS [22]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 10]
Représentant : Me Sabine LAMIRAND de la SELARL LPALEX, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : C.455 - N° du dossier E000CSF9
Plaidant : Me Pierre-Alain BOUHENIC et Augustin LACCOURS du barreau de Paris
S.E.L.A.R.L. [11] La SELARL [11]
mission conduite par Maître [S] [Z] en qualité d'administrateur judiciaire de la société [22]
[Adresse 7]
[Localité 9]
S.C.P. [13]
mission conduite par Maître [W] [N] en qualité de mandataire judiciaire de la société [22]
[Adresse 2]
[Localité 9]
Représentant : Me Pascale REGRETTIER-GERMAIN de la SCP HADENGUE et Associés, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES,
Plaidant : Me Benjamin BAYI du barreau de Paris
INTIMEES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 12 Novembre 2025 à 09h30 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère faisant fonction de présidente, chargée du rapport et Monsieur Ulysse PARODI, Vice-président placé faisant fonction de conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère faisant fonction de présidente,
Monsieur Ulysse PARODI, Vice président placé faisant fonction de conseiller,
M. Bertrand MAUMONT, Conseiller,
Greffière lors des débats : Mme Elisabeth TODINI,
EXPOSE DU LITIGE
Le réseau [20] a été créée en 2016 par Mme [Y] et M. [O], il s'agit d'un réseau indépendant de centres de santé pluridisciplinaires proposant plus d'une trentaine de spécialités structuré à l'origine autour de 6 sociétés commerciales et de 15 associations.
La SAS [22] est la société mère des sociétés commerciales et la principale animatrice du réseau [20], elle a pour activité la prestation de services, location de locaux et de matériels et prestations administratives destinées aux associations qui exploitent des centres de santé.
L'actionnariat de [22] s'organise autour de deux groupes d'associés: un groupe composé de M. [I] [O], de certains membres de sa famille et d'amis proches de ce dernier ; un second groupe d'associés composé d'un investisseur financier ([12] par l'intermédiaire du véhicule d'investissement [16] de droit luxembourgeois.), de Mme [Y], de la société [21] (véhicule d'intéressement des salariés) et d'autres actionnaires personnes physiques.
Le 1er groupe dispose de la majorité du capital et des droits de vote.
A l'occasion de l'investissement de [12] en 2022, les statuts ont fait l'objet d'une refonte pour mettre à jour notamment les règles de gouvernance de la société et en particulier créer un comité de surveillance. Un pacte entre titulaires de valeurs mobilières émises par [22] (ci-après « le pacte ») a été signé le 16 juin 2022.
Mme [Y] a été nommée présidente de la société [22].
Le 5 juin 2025, le tribunal des activités économique de Nanterre a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société [22] et désigné la Selarl [11], prise en la personne de Maître [S] [Z], ès-qualités d'administrateur judiciaire avec une mission d'assistance et la SCP [15], prise en la personne de Maître [W] [N], ès-qualités de mandataire judiciaire.
M. [I] [O] a convoqué, le 7 octobre 2025, une assemblée générale des associés de [22] pour le vendredi 17 octobre 2025 à 15 heures afin de statuer notamment sur la modification de l'article 16 des statuts, sur la révocation du président de son mandat et la nomination d'un nouveau président en la personne de M. [V] [O].
Cette assemblée a voté les résolutions soumises par M. [I] [O].
Mme [Y] et la société [22] ont déposé, le 20 octobre 2025, une requête auprès du Président du tribunal des activités économiques, aux fins d'être autorisées à assigner en référé d'heure à heure M. [I] [O] et les sociétés [11] et [15], ès-qualités.
Par ordonnance du 28 octobre 2025, le président du tribunal des activités économiques de Nanterre a :
- ordonné à titre provisoire, la suspension des effets des résolutions adoptées lors de l'assemblée générale des associés de la société [22] du 17 octobre 2025 ayant (i) modifié les statuts, (ii) révoqué Mme [Y] des fonctions de présidente et (iii) nommé M. [V] [O] en qualité de président.
- débouté M. [I] [O] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. [I] [O] à payer à la Selarl [11], prise en la personne de Maître [S] [Z], ès-qualités d'administrateur judiciaire de la société [22] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. [I] [O] aux dépens,
- liquidé les dépens à recouvrer par le greffe à la somme de 87,14 euros, dont TVA 14,52 euros.
Par déclaration du 29 octobre 2025, M. [I] [O] a interjeté appel de cette ordonnance en ce qu'elle a :
- ordonné à titre provisoire, la suspension des effets des résolutions adoptées lors de l'assemblée générale des associés de [22] du 17 octobre 2025 ayant (i) modifié les statuts, (ii) révoqué Mme [Y] des fonctions de présidente et (iii) nommé M. [V] [O] en qualité de président,
- débouté M. [I] [O] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, - condamné M. [I] [O] à payer à la Selarl [11], prise en la personne de Maître [S] [Z], ès-qualités d'administrateur judiciaire de la SAS [22] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. [I] [O] aux dépens.
Par requête en date du 5 novembre 2025, M. [O] a déposé une requête sur le fondement de l'article 917 aux fins d'être autorisé à assigner à jour fixe.
Autorisé par ordonnance rendue le 6 novembre 2025, M. [O] a fait assigner à jour fixe le 7 novembre Mme [Y], la société [22], la Selarl [11] et la société [15] pour l'audience fixée au 12 novembre 2025 à 9h30.
Copie de cette assignation a été remise au greffe le 7 novembre.
Dans ses conclusions notifiées le 5 novembre 2025 en même temps que sa requête aux fins d'être autorisé à assigner à jour fixe, M. [O] demande à la cour, au visa des articles 872 et 873 du code de procédure civile et 1844-10 du code civil, de :
'- déclarer M. [I] [O] recevable et bien fondé en son appel ;
Y faisant droit,
- infirmer l'ordonnance du 28 octobre 2025 en ce qu'elle a :
- ordonné, à titre provisoire, la suspension des effets des résolutions adoptées lors de l'assemblée générale des associés de [22] du 17 octobre 2025 ayant (i) modifié les statuts, (ii) révoqué Mme [Y] des fonctions de présidente et (iii) nommé M. [V] [O] en qualité de président ;
- débouté M. [I] [O] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. [I] [O] à payer à la SELARL [11], prise en la personne de Maître [S] [Z], ès-qualités d'administrateur judiciaire de la SAS [22] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. [I] [O] aux dépens.
Statuant à nouveau,
- confirmer que l'assemblée générale de la société [22] tenue le vendredi 17 octobre 2025 à 15 heures dans les locaux du cabinet d'avocats Gicqueau [Localité 23] est valable et n'est entachée d'aucune irrégularité,
- confirmer que M. [V] [O] est le Président de la société [22] depuis le 17 octobre 2025, 15 heures,
- dire n'y avoir lieu à référer sur les demandes de Mme [G] [Y], prise en sa qualité de Président de la société [22] ;
- à défaut, juger et par conséquent rejeter mal fondées les demandes de Mme [G] [Y], prise en sa qualité de Président de la société [22], notamment celles tendant à voir :
- Dire que l'assemblée générale extraordinaire de la société [22], qui s'est tenue le vendredi 17 octobre 2025 à 15 heures dans les locaux du cabinet d'avocats Gicqueau [Localité 23] et selon le lien figurant dans la convocation ou tout autre lien ou moyen permettant une réunion des associés par visioconférence, à l'effet de délibérer sur l'ordre du jour fixé dans la convocation envoyée le 7 octobre 2025 par M. [I] [O], n'a pas pu se prononcer valablement sur les résolutions soumises au vote de la collectivité des associés,
- Constater que Mme [G] [Y] demeure présidente de la société [22],
- Constater que les statuts de la société [22] n'ont pas été modifiés
- Condamner M. [I] [O] à payer à la société [22] la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700.
- dire n'y avoir lieu à référer sur les demandes de la Selarl [11] prise en la personne de Maître [S] [Z] ès-qualités d'administrateur judiciaire de la société [22], et de la SCP [15] prise en la personne de Maître [W] [N], agissant ès-qualités de mandataire judiciaire de la société [22];
- à défaut, juger mal fondées et conséquent rejeter les demandes de la Selarl [11] prise en la personne de Maître [S] [Z] ès-qualités d'administrateur judiciaire de la société [22], et de la SCP [15] prise en la personne de Maître [W] [N], agissant ès-qualités de mandataire judiciaire de la société [22], notamment celles tendant à voir :
- Suspendre les effets des résolutions adoptées lors de l'assemblée générale des associés de la société [22] du 17 octobre 2025 ayant (a) révoqué Mme [G] [Y] des fonctions de Présidente et (b) nommé M. [V] [O] en qualité de Président, et ce jusqu'à ce que le juge du fond ait statué sur la demande d'annulation de l'assemblée générale du 17 octobre 2025,
- Condamner M. [I] [O] à payer à la Selarl [11], ès-qualités, la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner M. [I] [O] à payer à la SCP [15], ès-qualités, la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la partie succombant aux entiers dépens de l'instance.
Y ajoutant,
- condamner solidairement Mme [G] [Y], la Selarl [11] prise en la personne de Maître [S] [Z] ès-qualités d'administrateur judiciaire de la société [22], et de la SCP [15] prise en la personne de Maître [W] [N], agissant ès-qualités de mandataire judiciaire de la société [22], à payer à M. [I] [O] la somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner solidairement Mme [G] [Y], la Selarl [11] prise en la personne de Maître [S] [Z] ès-qualités d'administrateur judiciaire de la société [22], et de la SCP [15] prise en la personne de Maître [W] [N], agissant ès-qualités de mandataire judiciaire de la société [22], aux entiers dépens de l'instance.'
M. [O] a déposé de nouvelles conclusions le 11 novembre, comportant le même dispositif.
Dans leurs conclusions notifiées le 10 novembre, Mme [Y] et la société [20] demandent à la cour, au visa des articles 485 et 873 alinéa 1er du code de procédure civile, L. 227-1 du code de commerce, et 1833 alinéa 2 du code civil, de :
'- confirmer, dans toutes ses dispositions, l'ordonnance de référé du Président du Tribunal des activités économiques de Nanterre du 28 octobre 2025 (RG 2025R01133) en ce qu'elle a :
- Ordonné, à titre provisoire, la suspension des effets des résolutions adoptées lors de l'assemblée générale des associés de la société [22] du 17 octobre 2025 ayant (i) modifié les statuts, (ii) révoqué Mme [Y] des fonctions de présidente et (iii) nommé M. [V] [O] en qualité de président,
- Débouté M. [I] [O] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamné M. [I] [O] à payer à la Selarl [11], prise en la personne de Maître [S] [Z], ès-qualités d'administrateur judiciaire de la société [22] la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamné M. [I] [O] aux dépens.
- débouter de l'ensemble de ses demandes M. [I] [O] dans le cadre de l'appel interjeté contre l'ordonnance de référé du Président du Tribunal des activités économiques de Nanterre du 28 octobre 2025 (RG 2025R01133).
En tout état de cause, concernant la procédure d'appel :
- condamner M. [I] [O] à payer à la société [22] la somme de 15.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner M. [I] [O] aux entiers dépens de l'instance.'
Dans leurs conclusions notifiées le 10 novembre 2025, les sociétés [11] et [15] demandent à la cour, au visa de l'article 873 alinéa 1 er du code de procédure civile, de :
'- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé du 28 octobre 2025 rendue par le Président du tribunal des activités économiques de Nanterre (RG 2025R01133),
- débouter M. [I] [O] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- condamner M. [I] [O] à payer à la Selarl [11], ès-qualités, la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [I] [O] à payer à la SCP [15], ès-qualités, la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner le même aux entiers dépens de l'instance.'
Ainsi qu'évoqué oralement à l'audience, par message RPVA du 12 novembre à 11h, il a été demandé aux parties de faire parvenir leurs observations sur le rejet des conclusions notifiées par M. [O] le 11 novembre avant 14h.
Le conseil de M. [O] indique en substance que :
- ses conclusions ne peuvent être considérées comme tardives alors qu'elles ne contiennent aucun moyen nouveau ou prétention nouvelle,
- elles doivent être déclarées recevables car elles ne sont que la manifestation du droit à la contradiction et s'expliquent par le dépôt de conclusions adverses récentes.
Il en déduit que ces conclusions ne peuvent donc être déclarées irrecevables.
Les conseils des sociétés [11] et [15] d'une part et de Mme [Y] et la société [20] d'autre part, exposent en substance que :
- ils ont respecté les délais prévus par la cour pour leurs écritures,
- les conclusions déposées le 11 novembre comprennent de nombreux ajouts et de substantielles modifications et 7 nouvelles pièces y étaient annexées, de sorte qu'ils n'ont pu en prendre connaissance avant l'audience.
Ils soulignent que l'appelant s'est en outre opposé à tout renvoi de l'affaire et sollicitent en conséquence tous deux le rejet de ces écritures sur le fondement des articles 15 et 16 du code de procédure civile.
MOTIVATION
Sur le rejet des conclusions de M. [O] du 11 novembre
Selon l'article 15 du code procédure civile : « Les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense. »
Selon l'article 16 du même code procédure civile : « Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement. Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations. »
En l'espèce, il convient de rappeler que M. [O] a saisi la cour d'une requête aux fins d'être autorisé à assigner à jour fixe le 5 novembre 2025, exposant qu'il était indispensable qu'une décision intervienne avant le 13 novembre au regard de l'audience prévue sur la procédure collective.
Le président de la chambre a alors autorisé M. [O] à assigner les intimées avant le 7 novembre à 22h , demandant aux intimées de conclure pour le 10 novembre à 15h, pour une audience prévue le 12 novembre à 9h30.
Alors que les intimées avaient déposé leurs conclusions le 10 novembre respectivement à 14h49 et 14h55, le conseil de M. [O] a déposé de nouvelles conclusions le 11 novembre à 17h41. A ces conclusions n°2 de 46 pages, alors que ses premières conclusions ne comportaient que 28 pages, étaient au surplus annexées 7 nouvelles pièces.
A l'audience, les intimées ont indiqué n'avoir pas été en mesure d'en prendre connaissance et, a fortiori, d'y répliquer avant l'audience, et l'appelant n'a pas souhaité le renvoi de l'affaire.
Il convient de constater que l'argumentation de l'appelant selon laquelle ses conclusions ne contenaient aucun moyen nouveau n'est pas opérante, 7 nouvelles pièces étant produites à leur soutien, qui nécessitaient manifestement un examen des intimées. C'est donc à juste titre que les intimées font valoir qu'elles n'étaient pas en mesure de prendre connaissance des pièces et d'y répliquer avant l'audience.
Il y a lieu de rappeler ensuite que les parties s'étaient expliquées devant le premier juge lors de l'audience du 21 octobre 2025 et que les arguments des parties étaient substantiellement les mêmes, de sorte que M. [O] était en mesure de connaître, dès sa déclaration d'appel, les éléments qui lui seraient opposés par les intimées.
A tout le moins, il était loisible à M. [O] de répliquer le cas échéant avant 17h41 la veille de l'audience, au demeurant un jour férié, étant encore une fois rappelé que c'est à sa demande expresse, au regard de l'audience de procédure collective du 13 novembre, que le calendrier de procédure avait été accéléré au maximum. L'appelant n'allègue pas en effet de l'impossibilité de communiquer les 7 pièces litigieuses au soutien de ses premières conclusions.
En conséquence, afin d'assurer le respect du principe du contradictoire entre les parties, il convient de déclarer d'office irrecevables les conclusions notifiées par M. [O] le 11 novembre et les pièces déposées au soutien de ces conclusions.
Sur la suspension des effets des résolutions adoptées lors de l'assemblée générale du 17 octobre 2025
M. [O] affirme qu'aucune urgence ne justifie l'intervention du juge des référés puisque les résolutions votées lors de l'assemblée générale du 17 octobre 2025 correspondent à la volonté majoritaire des associés.
Il soutient qu'il existe des contestations sérieuses et qu'il n'est pas démontré que les résolutions mises à l'ordre du jour étaient manifestement illicites.
Arguant de l'existence d'incohérences entre les différents articles des statuts de la société [20], l'appelant fait valoir qu'aux termes de l'article 22.1, la collectivité des associés est seule compétente pour prendre les décisions relatives à la nomination, rémunération et révocation du président, l'article 18.3.c prévoyant que le comité de surveillance a pour mission d'approuver ces décisions.
Il en déduit que la prétendue irrégularité de l'assemblée générale invoquée repose sur une lecture contestable des statuts et donc sur une contestation sérieuse de leur interprétation, le juge des référés ayant en conséquence excédé ses pouvoirs en analysant les clauses statutaires.
M. [O] réfute tout dommage imminent, faisant valoir que la révocation de Mme [Y] a été prise pour de justes motifs, conformément aux statuts et dans l'intérêt social de la société, eu égard aux agissements de celle-ci contraires aux intérêts de la société (dépenses inutiles, rémunérations excessives, licenciements injustifiés, mauvaise organisation du centre de [Localité 18] ayant conduit à sa fermeture administrative, mauvaise gestion des difficultés financières de la société et des ressources humaines notamment).
Il indique que les associés avaient connaissance que, à l'occasion d'une audience prévue le 13 novembre 2025, les organes de la procédure entendaient demander la conversion des procédures de redressement judiciaire en liquidation judiciaire, alors que M. [V] [O] avait présenté un plan de redressement, s'engageant à apporter 1 million d'euros pour permettre au réseau de passer la période d'observation.
L'appelant conteste ensuite tout trouble manifestement illicite, exposant que :
- la convocation de l'assemblée générale était régulière et conforme aux statuts puisque les statuts prévoient que tout associé disposant d'au moins 5% des parts peut convoquer une assemblée générale,
- les statuts prévoient une compétence d'approbation du comité de surveillance pour la nomination et la révocation du président (article 18.3) mais ne retirent pas à la collectivité des associés sa compétence décisionnelle sur ce point (article 22.1),
- les statuts prévalent sur le pacte d'actionnaire,
- en tout état de cause, depuis la réforme du droit des nullités en matière de sociétés, l'article 1844-10 du code civil dispose que la violation des statuts ne constitue plus, sauf disposition expresse de la loi, une cause de nullité des décisions sociales.
Invoquant l'existence d'une urgence particulière, Mme [Y] et la société [22] font valoir qu'est caractérisé un trouble manifestement illicite résultant de la violation par M. [O] des statuts, et notamment de ses articles 16.2, 18.3 et 22.1, ainsi que du pacte d'associés de la société [22], en ses articles 2.1, 2.1.1 et 18.
Elles expliquent ainsi que le comité de surveillance est compétent pour certaines décisions sociales, dont la nomination/révocation du président et la modification des statuts, tandis que l'assemblée générale ratifie ensuite formellement ces décisions.
Les intimées arguent également d'un dommage imminent résultant de la nomination de M. [V] [O], dès lors que :
- celui-ci a fait l'objet d'une faillite personnelle
- il fait régner un climat social très tendu dans l'entreprise, plusieurs salariés ayant décidé d'être placés en arrêt de travail ou d'exercer leur droit de retrait depuis cette décision,
- les principaux partenaires financiers de la société [20] refusent de travailler avec lui, ce qui compromet toute perspective de redressement, de plan de continuation ou même de plan de cession.
Se fondant sur l'existence d'un trouble manifestement illicite, les sociétés [11] et [15] exposent que l'instabilité découlant des résolutions proposées par M. [O] au niveau de la gouvernance de la société [22] et, partant, au niveau du groupe, est gravement préjudiciable au bon déroulement de la période d'observation et fait obstacle en l'état à l'émergence d'une solution par voie de continuation qu'elles auraient souhaité se voir mettre en place.
Elles rappellent les dispositions contractuelles et font valoir que :
- l'article 18 des statuts de la société [22] institue un comité de surveillance qui a pour mission d'approuver la nomination et la révocation du président ainsi que la modification des statuts, les pouvoirs de ce comité de surveillance étant rappelés à l'article 16 des statuts.
- ces clauses statutaires ont leur équivalent à l'article 2.1.1 du pacte d'associé (dont les stipulations prévalent sur celles des statuts en cas de discordance).
Elles affirment qu'en l'espèce, M. [O] ne pouvait fixer à l'ordre du jour de l'assemblée générale ni la révocation de Mme [Y] de ses fonctions de président, ni la modification des statuts, ces décisions relevant pour la première du pouvoir du comité de surveillance et pour la seconde devant être approuvée par lui, tous éléments caractérisant selon elles un trouble manifestement illicite.
Les intimées soulignent que, s'agissant d'une société actuellement placée en redressement judiciaire, la confiance entre les différents acteurs de la procédure est indispensable.
Sur ce,
La cour rappelle, à titre liminaire, qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de 'confirmer' ou de 'dire et juger' qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques.
En application des dispositions du 1er alinéa de l'article 873 du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le trouble manifestement illicite est caractérisé par 'toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit' qu'il incombe à celui qui s'en prétend victime de démontrer.
Au sens de l'article 835 précité, le dommage imminent dont la preuve de l'existence incombe à celui qui l'invoque, s'entend du 'dommage qui n'est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer'.
Il s'ensuit que pour que la mesure sollicitée soit prononcée, il doit nécessairement être constaté, à la date à laquelle le premier juge a statué, et avec l'évidence qui s'impose à la juridiction des référés, l'imminence d'un dommage ou d'un préjudice sur le point de se réaliser et dont la survenance et la réalité sont certaines, un dommage purement éventuel ne pouvant être retenu pour fonder l'intervention du juge des référés. La constatation de l'imminence du dommage suffit à caractériser l'urgence afin d'en éviter les effets.
Si le juge apprécie souverainement les mesures permettant de faire cesser le péril imminent, il doit veiller à ce qu'elles demeurent proportionnées aux intérêts en présence. Il ne peut prononcer que les mesures conservatoires strictement nécessaires pour préserver les droits d'une partie.
Les demandes conservatoires sollicitées devant le premier juge étaient fondées sur l'existence d'un trouble manifestement illicite et d'un dommage imminent, de sorte que l'argumentation de M. [O] relative à l'absence d'urgence ou à l'existence de contestations sérieuses est inopérante.
Le pacte entre titulaires de valeurs mobilières émises par la société [22], signé le 16 juin 2022, stipule que :
- article 2.1 Organisation de la Société : 'les Parties s'engagent à ne pas modifier les Statuts (i)
en ce qui concerne la gouvernance ou (ii) d'une manière qui les mettraient en contradiction avec le Pacte »
- article 2.1.1 : 'le président de la société est nommé par le conseil de surveillance.(...) Le Président est révocable conformément aux statuts par décision du comité de surveillance'
- article 2.1.2 Création d'un comité de surveillance : 'les parties décident la mise en place d'un comité de surveillance au sein de la société, conforme aux stipulations du pacte et des statuts. Il s'agira d'un organe de surveillance, sans fonctions ni prérogatives opérationnelles.'
- article 2.1.3 : 'Les parties s'interdisent de voter , lors des décisions collectives, dans un sens contraire aux décisions du comité de surveillance si celui-ci s'est prononcé sur une décision ensuite soumise à la collectivité des associés ».
Les statuts de la société [22], dans leur version du 16 juin 2022, prévoient quant à eux que :
- article 16 Président de la société :
- 16.1 Désignation : 'Le Président est désigné pour une durée indéterminée ou non par le Comité de surveillance',
- article 16.2 Cessation des fonctions : 'la révocation du président ne peut intervenir que pour juste motif au sens du pacte le cas échéant. Elle est prononcée par le comité de surveillance',
- article 18 Comité de surveillance :
- article 18.3 Fonctionnement du comité de surveillance :
(c)/ 'Le comité de surveillance aura pour mission d'approuver les décisions suivantes (...) :
- nomination et révocation du président (sans préjudice des stipulations du Pacte) ; (...)
- Toute modifications des présents statuts de la société',
- article 22 Décisions collectives des associés :
- 22.1 : 'Décisions collectives obligatoires : La collectivité des associés est seule compétente pour prendre les décisions suivantes (...)
- nomination, rémunération, révocation du Président
- modifications des statuts, sauf transfert du siège social'.
Il convient de rappeler à titre liminaire que, même si l'article 18 du pacte d'associés stipule que : 'les parties conviennent expressément qu'en cas de conflit entre les stipulations du pacte et celles des statuts, les stipulations du présent pacte prévaudront entre les parties', les statuts de la société par actions simplifiée fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée, et les actes extra-statutaires ne peuvent y déroger (Com. 12 oct. 2022, n° 21-15.382 ).
Lors de l'assemblée générale du 17 octobre 2025 convoquée par M. [I] [O], les associés ont majoritairement voté en faveur des résolutions suivantes :
- la révocation de Mme [Y] de ses fonctions de présidente de la société,
- la nomination de M. [V] [O] en qualité de président,
- la modification de l'article 16.1 des statuts, le président de la société étant désormais nommé par la collectivité des associés.
Dès lors que l'article 16.2 susvisé n'a pas été modifié lors de cette assemblée générale et que celui-ci prévoit que la révocation du président est 'prononcée par le comité de surveillance', il y a lieu de constater qu'il existe une violation manifeste des statuts à nommer un nouveau président alors que le comité de surveillance n'a pas prononcé la révocation du précédent dirigeant.
Il y a d'ailleurs lieu de souligner que M. [I] [O] a lui-même été révoqué de ses fonctions de président de la société [20] par le comité de surveillance lors de sa réunion du 6 août 2024, Mme [Y] ayant été nommée présidente par le même comité de surveillance, ce qui démontre la pratique antérieure de la société [20] et le rôle du comité de surveillance.
D'autre part, M. [O] s'était personnellement engagé dans le pacte à ne pas modifier les statuts '(i) en ce qui concerne la gouvernance ou (ii) d'une manière qui les mettraient en contradiction avec le pacte', de sorte qu'il a manifestement violé ses obligations contractuelles en convoquant une assemblée générale à cette fin.
C'est donc à juste titre que le premier juge a constaté l'existence d'un trouble manifestement illicite.
A titre surabondant, il y a lieu de dire que ces modifications intempestives de gouvernance au cours de la procédure collective mise en oeuvre, alors qu'est en cours l'appel d'offres sur le réseau [20], initié par l'administrateur judiciaire, constitue un dommage imminent en ce qu'un éventuel plan de cession implique une certaine stabilité de la société et une confiance en ses organes dirigeants, étant précisé qu'aucun élément probant ne permet d'étayer l'offre de renflouer la société par le versement d'1 million d'euros dont fait état M. [O].
De même, les intimées versent aux débats plusieurs éléments démontrant la situation de tension extrême créée par l'initiative de M. [O] à l'égard des salariés du groupe, tels que :
- un courrier adressé aux organes de la procédure le 4 novembre 2025 par 9 salariés indiquant notamment : 'nous sommes plusieurs salariés de l'entreprise [20] à souhaiter exercer notre droit de retrait comme le prévoit l'article L. 4131-1 du code du travail si M. [V] [O] était de nouveau nommé président de l'entreprise ce jeudi 6 novembre 2025. Les 10 jours passés sous sa présidence avant sa destitution par le tribunal de Nanterre ont été très éprouvants psychologiquement pour les quelques salariés encore en place (qui n'étaient pas en maladie). (...) Dès le premier jour de son arrivée, M. [V] [O] a fait venir dans les locaux au [Adresse 5] une commissaire de justice pour constater les effectifs absents afin de contester les arrêts maladie reçus et a envoyé des mises à pied à un certain nombre de collègues pour fautes graves (sans connaître la raison de leur arrêt maladie et sans historique de présente). (...) Il nous a été demandé d'effectuer le travail réalisé par nos collègues absents malgré nos alertes de non connaissance des dossiers et du risque d'erreur majeur que cela pouvait engendrer . Pour finir, nous avons dû subir le dénigrement des équipes précédentes et de leur travail sans prendre en considération la charge émotionnelle que cela représentait.',
- un courriel envoyé à Mme [Y] le 3 novembre par la contrôleuse de gestion de la société [20] qui évoque notamment : ' Je n'ai jamais travaillé sur le BP [budget prévisionnel] jusqu'à l'arrivée de M. [O]. Le BP a été mis en place par le directeur financier et ce dernier a travaillé en étroite collaboration pendant plusieurs semaines avec [14]. M. [O] m'a demandé quelques jours après son arrivée de travailler sur ce sujet en un temps record.(...) M. [O] m'a communiqué le CA qu'il souhaitait afficher et m'a demandé de calculer un Ebitda par centre. (...) Cette situation a été extrêmement lourde à gérer car je me suis retrouvée à travailler dans une urgence sur des données et une matrice totalement inconnues. Période d'autant plus difficile car je connais la qualité et la fiabilité des données remontées par le directeur financier et que M. [O] remettait en cause ces données avec seulement quelques jours de présidence.'
L'ensemble de ces éléments permettent de caractériser un péril imminent découlant de la nomination de M. [O] comme président de la société [22].
L'ordonnance querellée sera donc confirmée en ce qu'elle a suspendu les effets des résolutions adoptées lors de l'assemblée générale du 17 octobre 2025 ayant (i) modifié les statuts, (ii) révoqué Mme [Y] des fonctions de présidente et (iii) nommé M. [V] [O] en qualité de président, ce qui constitue la mesure adaptée pour faire cesser ce trouble manifestement illicite et ce dommage imminent.
Sur les demandes accessoires
L'ordonnance sera confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.
Partie perdante, M. [O] ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles et devra en outre supporter les dépens d'appel qui seront recouvrés, s'agissant des dépens d'appel, avec distraction au bénéfice des avocats qui en ont fait la demande.
Il serait par ailleurs inéquitable de laisser à la société [20] d'une part, la société [11] et la société [15] la charge des frais irrépétibles exposés en cause d'appel. L'appelant sera en conséquence condamné à leur verser pour la première la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et pour les deux autres, ensemble, la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,
Déclare irrecevables les conclusions notifiées par M. [O] le 11 novembre et les pièces déposées au soutien de ces conclusions .
Confirme l'ordonnance querellée,
Y ajoutant,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Condamne M. [I] [O] aux dépens d'appel ;
Condamne M. [I] [O] à verser à société [20] la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [I] [O] à verser à la Selarl [11] et à la société [15], ensemble, la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère faisant fonction de présidente, et par Madame Elisabeth TODINI, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente
DE
VERSAILLES
Code nac : 36B
Chambre civile 1-5
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 12 NOVEMBRE 2025
N° RG 25/06463 - N° Portalis DBV3-V-B7J-XQAG
AFFAIRE :
[I] [O]
C/
[G] [Y] prise en sa qualité de Président de la société [22]
...
Décision déférée à la cour : Ordonnance rendu(e) le 28 Octobre 2025 par le Tribunal des activités économiques de NANTERRE
N° RG : 2025R01133
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le : 12.11.2025
à :
Me Asma MZE, avocat au barreau de VERSAILLES (699)
Me Sabine LAMIRAND, avocat au barreau de VERSAILLES (C455)
Me Pascale REGRETTIER-GERMAIN, avocat au barreau de VERSAILLES (P98)
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DOUZE NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ
à 15heures
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [I] [O]
né le [Date naissance 6] 1984 à [Localité 17]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 8]
Représentant : Me Asma MZE de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 699 - N° du dossier 2577332
Plaidant : Me Charles MOREL du barreau de Paris
APPELANT
****************
Madame [G] [Y]
en sa qualité de Président de la société [22]
née le [Date naissance 3] 1966 à [Localité 19]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 10]
SAS [22]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 10]
Représentant : Me Sabine LAMIRAND de la SELARL LPALEX, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : C.455 - N° du dossier E000CSF9
Plaidant : Me Pierre-Alain BOUHENIC et Augustin LACCOURS du barreau de Paris
S.E.L.A.R.L. [11] La SELARL [11]
mission conduite par Maître [S] [Z] en qualité d'administrateur judiciaire de la société [22]
[Adresse 7]
[Localité 9]
S.C.P. [13]
mission conduite par Maître [W] [N] en qualité de mandataire judiciaire de la société [22]
[Adresse 2]
[Localité 9]
Représentant : Me Pascale REGRETTIER-GERMAIN de la SCP HADENGUE et Associés, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES,
Plaidant : Me Benjamin BAYI du barreau de Paris
INTIMEES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 12 Novembre 2025 à 09h30 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère faisant fonction de présidente, chargée du rapport et Monsieur Ulysse PARODI, Vice-président placé faisant fonction de conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère faisant fonction de présidente,
Monsieur Ulysse PARODI, Vice président placé faisant fonction de conseiller,
M. Bertrand MAUMONT, Conseiller,
Greffière lors des débats : Mme Elisabeth TODINI,
EXPOSE DU LITIGE
Le réseau [20] a été créée en 2016 par Mme [Y] et M. [O], il s'agit d'un réseau indépendant de centres de santé pluridisciplinaires proposant plus d'une trentaine de spécialités structuré à l'origine autour de 6 sociétés commerciales et de 15 associations.
La SAS [22] est la société mère des sociétés commerciales et la principale animatrice du réseau [20], elle a pour activité la prestation de services, location de locaux et de matériels et prestations administratives destinées aux associations qui exploitent des centres de santé.
L'actionnariat de [22] s'organise autour de deux groupes d'associés: un groupe composé de M. [I] [O], de certains membres de sa famille et d'amis proches de ce dernier ; un second groupe d'associés composé d'un investisseur financier ([12] par l'intermédiaire du véhicule d'investissement [16] de droit luxembourgeois.), de Mme [Y], de la société [21] (véhicule d'intéressement des salariés) et d'autres actionnaires personnes physiques.
Le 1er groupe dispose de la majorité du capital et des droits de vote.
A l'occasion de l'investissement de [12] en 2022, les statuts ont fait l'objet d'une refonte pour mettre à jour notamment les règles de gouvernance de la société et en particulier créer un comité de surveillance. Un pacte entre titulaires de valeurs mobilières émises par [22] (ci-après « le pacte ») a été signé le 16 juin 2022.
Mme [Y] a été nommée présidente de la société [22].
Le 5 juin 2025, le tribunal des activités économique de Nanterre a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société [22] et désigné la Selarl [11], prise en la personne de Maître [S] [Z], ès-qualités d'administrateur judiciaire avec une mission d'assistance et la SCP [15], prise en la personne de Maître [W] [N], ès-qualités de mandataire judiciaire.
M. [I] [O] a convoqué, le 7 octobre 2025, une assemblée générale des associés de [22] pour le vendredi 17 octobre 2025 à 15 heures afin de statuer notamment sur la modification de l'article 16 des statuts, sur la révocation du président de son mandat et la nomination d'un nouveau président en la personne de M. [V] [O].
Cette assemblée a voté les résolutions soumises par M. [I] [O].
Mme [Y] et la société [22] ont déposé, le 20 octobre 2025, une requête auprès du Président du tribunal des activités économiques, aux fins d'être autorisées à assigner en référé d'heure à heure M. [I] [O] et les sociétés [11] et [15], ès-qualités.
Par ordonnance du 28 octobre 2025, le président du tribunal des activités économiques de Nanterre a :
- ordonné à titre provisoire, la suspension des effets des résolutions adoptées lors de l'assemblée générale des associés de la société [22] du 17 octobre 2025 ayant (i) modifié les statuts, (ii) révoqué Mme [Y] des fonctions de présidente et (iii) nommé M. [V] [O] en qualité de président.
- débouté M. [I] [O] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. [I] [O] à payer à la Selarl [11], prise en la personne de Maître [S] [Z], ès-qualités d'administrateur judiciaire de la société [22] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. [I] [O] aux dépens,
- liquidé les dépens à recouvrer par le greffe à la somme de 87,14 euros, dont TVA 14,52 euros.
Par déclaration du 29 octobre 2025, M. [I] [O] a interjeté appel de cette ordonnance en ce qu'elle a :
- ordonné à titre provisoire, la suspension des effets des résolutions adoptées lors de l'assemblée générale des associés de [22] du 17 octobre 2025 ayant (i) modifié les statuts, (ii) révoqué Mme [Y] des fonctions de présidente et (iii) nommé M. [V] [O] en qualité de président,
- débouté M. [I] [O] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, - condamné M. [I] [O] à payer à la Selarl [11], prise en la personne de Maître [S] [Z], ès-qualités d'administrateur judiciaire de la SAS [22] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. [I] [O] aux dépens.
Par requête en date du 5 novembre 2025, M. [O] a déposé une requête sur le fondement de l'article 917 aux fins d'être autorisé à assigner à jour fixe.
Autorisé par ordonnance rendue le 6 novembre 2025, M. [O] a fait assigner à jour fixe le 7 novembre Mme [Y], la société [22], la Selarl [11] et la société [15] pour l'audience fixée au 12 novembre 2025 à 9h30.
Copie de cette assignation a été remise au greffe le 7 novembre.
Dans ses conclusions notifiées le 5 novembre 2025 en même temps que sa requête aux fins d'être autorisé à assigner à jour fixe, M. [O] demande à la cour, au visa des articles 872 et 873 du code de procédure civile et 1844-10 du code civil, de :
'- déclarer M. [I] [O] recevable et bien fondé en son appel ;
Y faisant droit,
- infirmer l'ordonnance du 28 octobre 2025 en ce qu'elle a :
- ordonné, à titre provisoire, la suspension des effets des résolutions adoptées lors de l'assemblée générale des associés de [22] du 17 octobre 2025 ayant (i) modifié les statuts, (ii) révoqué Mme [Y] des fonctions de présidente et (iii) nommé M. [V] [O] en qualité de président ;
- débouté M. [I] [O] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. [I] [O] à payer à la SELARL [11], prise en la personne de Maître [S] [Z], ès-qualités d'administrateur judiciaire de la SAS [22] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. [I] [O] aux dépens.
Statuant à nouveau,
- confirmer que l'assemblée générale de la société [22] tenue le vendredi 17 octobre 2025 à 15 heures dans les locaux du cabinet d'avocats Gicqueau [Localité 23] est valable et n'est entachée d'aucune irrégularité,
- confirmer que M. [V] [O] est le Président de la société [22] depuis le 17 octobre 2025, 15 heures,
- dire n'y avoir lieu à référer sur les demandes de Mme [G] [Y], prise en sa qualité de Président de la société [22] ;
- à défaut, juger et par conséquent rejeter mal fondées les demandes de Mme [G] [Y], prise en sa qualité de Président de la société [22], notamment celles tendant à voir :
- Dire que l'assemblée générale extraordinaire de la société [22], qui s'est tenue le vendredi 17 octobre 2025 à 15 heures dans les locaux du cabinet d'avocats Gicqueau [Localité 23] et selon le lien figurant dans la convocation ou tout autre lien ou moyen permettant une réunion des associés par visioconférence, à l'effet de délibérer sur l'ordre du jour fixé dans la convocation envoyée le 7 octobre 2025 par M. [I] [O], n'a pas pu se prononcer valablement sur les résolutions soumises au vote de la collectivité des associés,
- Constater que Mme [G] [Y] demeure présidente de la société [22],
- Constater que les statuts de la société [22] n'ont pas été modifiés
- Condamner M. [I] [O] à payer à la société [22] la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700.
- dire n'y avoir lieu à référer sur les demandes de la Selarl [11] prise en la personne de Maître [S] [Z] ès-qualités d'administrateur judiciaire de la société [22], et de la SCP [15] prise en la personne de Maître [W] [N], agissant ès-qualités de mandataire judiciaire de la société [22];
- à défaut, juger mal fondées et conséquent rejeter les demandes de la Selarl [11] prise en la personne de Maître [S] [Z] ès-qualités d'administrateur judiciaire de la société [22], et de la SCP [15] prise en la personne de Maître [W] [N], agissant ès-qualités de mandataire judiciaire de la société [22], notamment celles tendant à voir :
- Suspendre les effets des résolutions adoptées lors de l'assemblée générale des associés de la société [22] du 17 octobre 2025 ayant (a) révoqué Mme [G] [Y] des fonctions de Présidente et (b) nommé M. [V] [O] en qualité de Président, et ce jusqu'à ce que le juge du fond ait statué sur la demande d'annulation de l'assemblée générale du 17 octobre 2025,
- Condamner M. [I] [O] à payer à la Selarl [11], ès-qualités, la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner M. [I] [O] à payer à la SCP [15], ès-qualités, la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la partie succombant aux entiers dépens de l'instance.
Y ajoutant,
- condamner solidairement Mme [G] [Y], la Selarl [11] prise en la personne de Maître [S] [Z] ès-qualités d'administrateur judiciaire de la société [22], et de la SCP [15] prise en la personne de Maître [W] [N], agissant ès-qualités de mandataire judiciaire de la société [22], à payer à M. [I] [O] la somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner solidairement Mme [G] [Y], la Selarl [11] prise en la personne de Maître [S] [Z] ès-qualités d'administrateur judiciaire de la société [22], et de la SCP [15] prise en la personne de Maître [W] [N], agissant ès-qualités de mandataire judiciaire de la société [22], aux entiers dépens de l'instance.'
M. [O] a déposé de nouvelles conclusions le 11 novembre, comportant le même dispositif.
Dans leurs conclusions notifiées le 10 novembre, Mme [Y] et la société [20] demandent à la cour, au visa des articles 485 et 873 alinéa 1er du code de procédure civile, L. 227-1 du code de commerce, et 1833 alinéa 2 du code civil, de :
'- confirmer, dans toutes ses dispositions, l'ordonnance de référé du Président du Tribunal des activités économiques de Nanterre du 28 octobre 2025 (RG 2025R01133) en ce qu'elle a :
- Ordonné, à titre provisoire, la suspension des effets des résolutions adoptées lors de l'assemblée générale des associés de la société [22] du 17 octobre 2025 ayant (i) modifié les statuts, (ii) révoqué Mme [Y] des fonctions de présidente et (iii) nommé M. [V] [O] en qualité de président,
- Débouté M. [I] [O] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamné M. [I] [O] à payer à la Selarl [11], prise en la personne de Maître [S] [Z], ès-qualités d'administrateur judiciaire de la société [22] la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamné M. [I] [O] aux dépens.
- débouter de l'ensemble de ses demandes M. [I] [O] dans le cadre de l'appel interjeté contre l'ordonnance de référé du Président du Tribunal des activités économiques de Nanterre du 28 octobre 2025 (RG 2025R01133).
En tout état de cause, concernant la procédure d'appel :
- condamner M. [I] [O] à payer à la société [22] la somme de 15.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner M. [I] [O] aux entiers dépens de l'instance.'
Dans leurs conclusions notifiées le 10 novembre 2025, les sociétés [11] et [15] demandent à la cour, au visa de l'article 873 alinéa 1 er du code de procédure civile, de :
'- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé du 28 octobre 2025 rendue par le Président du tribunal des activités économiques de Nanterre (RG 2025R01133),
- débouter M. [I] [O] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- condamner M. [I] [O] à payer à la Selarl [11], ès-qualités, la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [I] [O] à payer à la SCP [15], ès-qualités, la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner le même aux entiers dépens de l'instance.'
Ainsi qu'évoqué oralement à l'audience, par message RPVA du 12 novembre à 11h, il a été demandé aux parties de faire parvenir leurs observations sur le rejet des conclusions notifiées par M. [O] le 11 novembre avant 14h.
Le conseil de M. [O] indique en substance que :
- ses conclusions ne peuvent être considérées comme tardives alors qu'elles ne contiennent aucun moyen nouveau ou prétention nouvelle,
- elles doivent être déclarées recevables car elles ne sont que la manifestation du droit à la contradiction et s'expliquent par le dépôt de conclusions adverses récentes.
Il en déduit que ces conclusions ne peuvent donc être déclarées irrecevables.
Les conseils des sociétés [11] et [15] d'une part et de Mme [Y] et la société [20] d'autre part, exposent en substance que :
- ils ont respecté les délais prévus par la cour pour leurs écritures,
- les conclusions déposées le 11 novembre comprennent de nombreux ajouts et de substantielles modifications et 7 nouvelles pièces y étaient annexées, de sorte qu'ils n'ont pu en prendre connaissance avant l'audience.
Ils soulignent que l'appelant s'est en outre opposé à tout renvoi de l'affaire et sollicitent en conséquence tous deux le rejet de ces écritures sur le fondement des articles 15 et 16 du code de procédure civile.
MOTIVATION
Sur le rejet des conclusions de M. [O] du 11 novembre
Selon l'article 15 du code procédure civile : « Les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense. »
Selon l'article 16 du même code procédure civile : « Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement. Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations. »
En l'espèce, il convient de rappeler que M. [O] a saisi la cour d'une requête aux fins d'être autorisé à assigner à jour fixe le 5 novembre 2025, exposant qu'il était indispensable qu'une décision intervienne avant le 13 novembre au regard de l'audience prévue sur la procédure collective.
Le président de la chambre a alors autorisé M. [O] à assigner les intimées avant le 7 novembre à 22h , demandant aux intimées de conclure pour le 10 novembre à 15h, pour une audience prévue le 12 novembre à 9h30.
Alors que les intimées avaient déposé leurs conclusions le 10 novembre respectivement à 14h49 et 14h55, le conseil de M. [O] a déposé de nouvelles conclusions le 11 novembre à 17h41. A ces conclusions n°2 de 46 pages, alors que ses premières conclusions ne comportaient que 28 pages, étaient au surplus annexées 7 nouvelles pièces.
A l'audience, les intimées ont indiqué n'avoir pas été en mesure d'en prendre connaissance et, a fortiori, d'y répliquer avant l'audience, et l'appelant n'a pas souhaité le renvoi de l'affaire.
Il convient de constater que l'argumentation de l'appelant selon laquelle ses conclusions ne contenaient aucun moyen nouveau n'est pas opérante, 7 nouvelles pièces étant produites à leur soutien, qui nécessitaient manifestement un examen des intimées. C'est donc à juste titre que les intimées font valoir qu'elles n'étaient pas en mesure de prendre connaissance des pièces et d'y répliquer avant l'audience.
Il y a lieu de rappeler ensuite que les parties s'étaient expliquées devant le premier juge lors de l'audience du 21 octobre 2025 et que les arguments des parties étaient substantiellement les mêmes, de sorte que M. [O] était en mesure de connaître, dès sa déclaration d'appel, les éléments qui lui seraient opposés par les intimées.
A tout le moins, il était loisible à M. [O] de répliquer le cas échéant avant 17h41 la veille de l'audience, au demeurant un jour férié, étant encore une fois rappelé que c'est à sa demande expresse, au regard de l'audience de procédure collective du 13 novembre, que le calendrier de procédure avait été accéléré au maximum. L'appelant n'allègue pas en effet de l'impossibilité de communiquer les 7 pièces litigieuses au soutien de ses premières conclusions.
En conséquence, afin d'assurer le respect du principe du contradictoire entre les parties, il convient de déclarer d'office irrecevables les conclusions notifiées par M. [O] le 11 novembre et les pièces déposées au soutien de ces conclusions.
Sur la suspension des effets des résolutions adoptées lors de l'assemblée générale du 17 octobre 2025
M. [O] affirme qu'aucune urgence ne justifie l'intervention du juge des référés puisque les résolutions votées lors de l'assemblée générale du 17 octobre 2025 correspondent à la volonté majoritaire des associés.
Il soutient qu'il existe des contestations sérieuses et qu'il n'est pas démontré que les résolutions mises à l'ordre du jour étaient manifestement illicites.
Arguant de l'existence d'incohérences entre les différents articles des statuts de la société [20], l'appelant fait valoir qu'aux termes de l'article 22.1, la collectivité des associés est seule compétente pour prendre les décisions relatives à la nomination, rémunération et révocation du président, l'article 18.3.c prévoyant que le comité de surveillance a pour mission d'approuver ces décisions.
Il en déduit que la prétendue irrégularité de l'assemblée générale invoquée repose sur une lecture contestable des statuts et donc sur une contestation sérieuse de leur interprétation, le juge des référés ayant en conséquence excédé ses pouvoirs en analysant les clauses statutaires.
M. [O] réfute tout dommage imminent, faisant valoir que la révocation de Mme [Y] a été prise pour de justes motifs, conformément aux statuts et dans l'intérêt social de la société, eu égard aux agissements de celle-ci contraires aux intérêts de la société (dépenses inutiles, rémunérations excessives, licenciements injustifiés, mauvaise organisation du centre de [Localité 18] ayant conduit à sa fermeture administrative, mauvaise gestion des difficultés financières de la société et des ressources humaines notamment).
Il indique que les associés avaient connaissance que, à l'occasion d'une audience prévue le 13 novembre 2025, les organes de la procédure entendaient demander la conversion des procédures de redressement judiciaire en liquidation judiciaire, alors que M. [V] [O] avait présenté un plan de redressement, s'engageant à apporter 1 million d'euros pour permettre au réseau de passer la période d'observation.
L'appelant conteste ensuite tout trouble manifestement illicite, exposant que :
- la convocation de l'assemblée générale était régulière et conforme aux statuts puisque les statuts prévoient que tout associé disposant d'au moins 5% des parts peut convoquer une assemblée générale,
- les statuts prévoient une compétence d'approbation du comité de surveillance pour la nomination et la révocation du président (article 18.3) mais ne retirent pas à la collectivité des associés sa compétence décisionnelle sur ce point (article 22.1),
- les statuts prévalent sur le pacte d'actionnaire,
- en tout état de cause, depuis la réforme du droit des nullités en matière de sociétés, l'article 1844-10 du code civil dispose que la violation des statuts ne constitue plus, sauf disposition expresse de la loi, une cause de nullité des décisions sociales.
Invoquant l'existence d'une urgence particulière, Mme [Y] et la société [22] font valoir qu'est caractérisé un trouble manifestement illicite résultant de la violation par M. [O] des statuts, et notamment de ses articles 16.2, 18.3 et 22.1, ainsi que du pacte d'associés de la société [22], en ses articles 2.1, 2.1.1 et 18.
Elles expliquent ainsi que le comité de surveillance est compétent pour certaines décisions sociales, dont la nomination/révocation du président et la modification des statuts, tandis que l'assemblée générale ratifie ensuite formellement ces décisions.
Les intimées arguent également d'un dommage imminent résultant de la nomination de M. [V] [O], dès lors que :
- celui-ci a fait l'objet d'une faillite personnelle
- il fait régner un climat social très tendu dans l'entreprise, plusieurs salariés ayant décidé d'être placés en arrêt de travail ou d'exercer leur droit de retrait depuis cette décision,
- les principaux partenaires financiers de la société [20] refusent de travailler avec lui, ce qui compromet toute perspective de redressement, de plan de continuation ou même de plan de cession.
Se fondant sur l'existence d'un trouble manifestement illicite, les sociétés [11] et [15] exposent que l'instabilité découlant des résolutions proposées par M. [O] au niveau de la gouvernance de la société [22] et, partant, au niveau du groupe, est gravement préjudiciable au bon déroulement de la période d'observation et fait obstacle en l'état à l'émergence d'une solution par voie de continuation qu'elles auraient souhaité se voir mettre en place.
Elles rappellent les dispositions contractuelles et font valoir que :
- l'article 18 des statuts de la société [22] institue un comité de surveillance qui a pour mission d'approuver la nomination et la révocation du président ainsi que la modification des statuts, les pouvoirs de ce comité de surveillance étant rappelés à l'article 16 des statuts.
- ces clauses statutaires ont leur équivalent à l'article 2.1.1 du pacte d'associé (dont les stipulations prévalent sur celles des statuts en cas de discordance).
Elles affirment qu'en l'espèce, M. [O] ne pouvait fixer à l'ordre du jour de l'assemblée générale ni la révocation de Mme [Y] de ses fonctions de président, ni la modification des statuts, ces décisions relevant pour la première du pouvoir du comité de surveillance et pour la seconde devant être approuvée par lui, tous éléments caractérisant selon elles un trouble manifestement illicite.
Les intimées soulignent que, s'agissant d'une société actuellement placée en redressement judiciaire, la confiance entre les différents acteurs de la procédure est indispensable.
Sur ce,
La cour rappelle, à titre liminaire, qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de 'confirmer' ou de 'dire et juger' qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques.
En application des dispositions du 1er alinéa de l'article 873 du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le trouble manifestement illicite est caractérisé par 'toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit' qu'il incombe à celui qui s'en prétend victime de démontrer.
Au sens de l'article 835 précité, le dommage imminent dont la preuve de l'existence incombe à celui qui l'invoque, s'entend du 'dommage qui n'est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer'.
Il s'ensuit que pour que la mesure sollicitée soit prononcée, il doit nécessairement être constaté, à la date à laquelle le premier juge a statué, et avec l'évidence qui s'impose à la juridiction des référés, l'imminence d'un dommage ou d'un préjudice sur le point de se réaliser et dont la survenance et la réalité sont certaines, un dommage purement éventuel ne pouvant être retenu pour fonder l'intervention du juge des référés. La constatation de l'imminence du dommage suffit à caractériser l'urgence afin d'en éviter les effets.
Si le juge apprécie souverainement les mesures permettant de faire cesser le péril imminent, il doit veiller à ce qu'elles demeurent proportionnées aux intérêts en présence. Il ne peut prononcer que les mesures conservatoires strictement nécessaires pour préserver les droits d'une partie.
Les demandes conservatoires sollicitées devant le premier juge étaient fondées sur l'existence d'un trouble manifestement illicite et d'un dommage imminent, de sorte que l'argumentation de M. [O] relative à l'absence d'urgence ou à l'existence de contestations sérieuses est inopérante.
Le pacte entre titulaires de valeurs mobilières émises par la société [22], signé le 16 juin 2022, stipule que :
- article 2.1 Organisation de la Société : 'les Parties s'engagent à ne pas modifier les Statuts (i)
en ce qui concerne la gouvernance ou (ii) d'une manière qui les mettraient en contradiction avec le Pacte »
- article 2.1.1 : 'le président de la société est nommé par le conseil de surveillance.(...) Le Président est révocable conformément aux statuts par décision du comité de surveillance'
- article 2.1.2 Création d'un comité de surveillance : 'les parties décident la mise en place d'un comité de surveillance au sein de la société, conforme aux stipulations du pacte et des statuts. Il s'agira d'un organe de surveillance, sans fonctions ni prérogatives opérationnelles.'
- article 2.1.3 : 'Les parties s'interdisent de voter , lors des décisions collectives, dans un sens contraire aux décisions du comité de surveillance si celui-ci s'est prononcé sur une décision ensuite soumise à la collectivité des associés ».
Les statuts de la société [22], dans leur version du 16 juin 2022, prévoient quant à eux que :
- article 16 Président de la société :
- 16.1 Désignation : 'Le Président est désigné pour une durée indéterminée ou non par le Comité de surveillance',
- article 16.2 Cessation des fonctions : 'la révocation du président ne peut intervenir que pour juste motif au sens du pacte le cas échéant. Elle est prononcée par le comité de surveillance',
- article 18 Comité de surveillance :
- article 18.3 Fonctionnement du comité de surveillance :
(c)/ 'Le comité de surveillance aura pour mission d'approuver les décisions suivantes (...) :
- nomination et révocation du président (sans préjudice des stipulations du Pacte) ; (...)
- Toute modifications des présents statuts de la société',
- article 22 Décisions collectives des associés :
- 22.1 : 'Décisions collectives obligatoires : La collectivité des associés est seule compétente pour prendre les décisions suivantes (...)
- nomination, rémunération, révocation du Président
- modifications des statuts, sauf transfert du siège social'.
Il convient de rappeler à titre liminaire que, même si l'article 18 du pacte d'associés stipule que : 'les parties conviennent expressément qu'en cas de conflit entre les stipulations du pacte et celles des statuts, les stipulations du présent pacte prévaudront entre les parties', les statuts de la société par actions simplifiée fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée, et les actes extra-statutaires ne peuvent y déroger (Com. 12 oct. 2022, n° 21-15.382 ).
Lors de l'assemblée générale du 17 octobre 2025 convoquée par M. [I] [O], les associés ont majoritairement voté en faveur des résolutions suivantes :
- la révocation de Mme [Y] de ses fonctions de présidente de la société,
- la nomination de M. [V] [O] en qualité de président,
- la modification de l'article 16.1 des statuts, le président de la société étant désormais nommé par la collectivité des associés.
Dès lors que l'article 16.2 susvisé n'a pas été modifié lors de cette assemblée générale et que celui-ci prévoit que la révocation du président est 'prononcée par le comité de surveillance', il y a lieu de constater qu'il existe une violation manifeste des statuts à nommer un nouveau président alors que le comité de surveillance n'a pas prononcé la révocation du précédent dirigeant.
Il y a d'ailleurs lieu de souligner que M. [I] [O] a lui-même été révoqué de ses fonctions de président de la société [20] par le comité de surveillance lors de sa réunion du 6 août 2024, Mme [Y] ayant été nommée présidente par le même comité de surveillance, ce qui démontre la pratique antérieure de la société [20] et le rôle du comité de surveillance.
D'autre part, M. [O] s'était personnellement engagé dans le pacte à ne pas modifier les statuts '(i) en ce qui concerne la gouvernance ou (ii) d'une manière qui les mettraient en contradiction avec le pacte', de sorte qu'il a manifestement violé ses obligations contractuelles en convoquant une assemblée générale à cette fin.
C'est donc à juste titre que le premier juge a constaté l'existence d'un trouble manifestement illicite.
A titre surabondant, il y a lieu de dire que ces modifications intempestives de gouvernance au cours de la procédure collective mise en oeuvre, alors qu'est en cours l'appel d'offres sur le réseau [20], initié par l'administrateur judiciaire, constitue un dommage imminent en ce qu'un éventuel plan de cession implique une certaine stabilité de la société et une confiance en ses organes dirigeants, étant précisé qu'aucun élément probant ne permet d'étayer l'offre de renflouer la société par le versement d'1 million d'euros dont fait état M. [O].
De même, les intimées versent aux débats plusieurs éléments démontrant la situation de tension extrême créée par l'initiative de M. [O] à l'égard des salariés du groupe, tels que :
- un courrier adressé aux organes de la procédure le 4 novembre 2025 par 9 salariés indiquant notamment : 'nous sommes plusieurs salariés de l'entreprise [20] à souhaiter exercer notre droit de retrait comme le prévoit l'article L. 4131-1 du code du travail si M. [V] [O] était de nouveau nommé président de l'entreprise ce jeudi 6 novembre 2025. Les 10 jours passés sous sa présidence avant sa destitution par le tribunal de Nanterre ont été très éprouvants psychologiquement pour les quelques salariés encore en place (qui n'étaient pas en maladie). (...) Dès le premier jour de son arrivée, M. [V] [O] a fait venir dans les locaux au [Adresse 5] une commissaire de justice pour constater les effectifs absents afin de contester les arrêts maladie reçus et a envoyé des mises à pied à un certain nombre de collègues pour fautes graves (sans connaître la raison de leur arrêt maladie et sans historique de présente). (...) Il nous a été demandé d'effectuer le travail réalisé par nos collègues absents malgré nos alertes de non connaissance des dossiers et du risque d'erreur majeur que cela pouvait engendrer . Pour finir, nous avons dû subir le dénigrement des équipes précédentes et de leur travail sans prendre en considération la charge émotionnelle que cela représentait.',
- un courriel envoyé à Mme [Y] le 3 novembre par la contrôleuse de gestion de la société [20] qui évoque notamment : ' Je n'ai jamais travaillé sur le BP [budget prévisionnel] jusqu'à l'arrivée de M. [O]. Le BP a été mis en place par le directeur financier et ce dernier a travaillé en étroite collaboration pendant plusieurs semaines avec [14]. M. [O] m'a demandé quelques jours après son arrivée de travailler sur ce sujet en un temps record.(...) M. [O] m'a communiqué le CA qu'il souhaitait afficher et m'a demandé de calculer un Ebitda par centre. (...) Cette situation a été extrêmement lourde à gérer car je me suis retrouvée à travailler dans une urgence sur des données et une matrice totalement inconnues. Période d'autant plus difficile car je connais la qualité et la fiabilité des données remontées par le directeur financier et que M. [O] remettait en cause ces données avec seulement quelques jours de présidence.'
L'ensemble de ces éléments permettent de caractériser un péril imminent découlant de la nomination de M. [O] comme président de la société [22].
L'ordonnance querellée sera donc confirmée en ce qu'elle a suspendu les effets des résolutions adoptées lors de l'assemblée générale du 17 octobre 2025 ayant (i) modifié les statuts, (ii) révoqué Mme [Y] des fonctions de présidente et (iii) nommé M. [V] [O] en qualité de président, ce qui constitue la mesure adaptée pour faire cesser ce trouble manifestement illicite et ce dommage imminent.
Sur les demandes accessoires
L'ordonnance sera confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.
Partie perdante, M. [O] ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles et devra en outre supporter les dépens d'appel qui seront recouvrés, s'agissant des dépens d'appel, avec distraction au bénéfice des avocats qui en ont fait la demande.
Il serait par ailleurs inéquitable de laisser à la société [20] d'une part, la société [11] et la société [15] la charge des frais irrépétibles exposés en cause d'appel. L'appelant sera en conséquence condamné à leur verser pour la première la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et pour les deux autres, ensemble, la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,
Déclare irrecevables les conclusions notifiées par M. [O] le 11 novembre et les pièces déposées au soutien de ces conclusions .
Confirme l'ordonnance querellée,
Y ajoutant,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Condamne M. [I] [O] aux dépens d'appel ;
Condamne M. [I] [O] à verser à société [20] la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [I] [O] à verser à la Selarl [11] et à la société [15], ensemble, la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère faisant fonction de présidente, et par Madame Elisabeth TODINI, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente