Cass. com., 13 novembre 2025, n° 23-22.168
COUR DE CASSATION
Autre
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Bourgeois (SAS)
Défendeur :
BN (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
Mme Bellino
Avocats :
SAS Zribi et Texier, SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 7 septembre 2023), le 31 octobre 2018, la société Bourgeois, fournisseur de produits de boulangerie-pâtisserie, a conclu un contrat d'approvisionnement et de distribution exclusifs d'une durée de sept ans avec la société Bourgeois Voujeaucourt, distributeur desdits produits, aux droits de laquelle est venue la société BN.
2. Par lettre du 25 mars 2021, la société BN a notifié à la société Bourgeois la cession de son fonds de commerce avec effet au 26 avril 2021, en précisant que le cessionnaire ne souhaitait pas poursuivre les relations contractuelles à compter de la date susvisée.
3. La société Bourgeois a assigné la société BN aux fins de la voir condamner à lui payer une certaine somme à titre de dommages et intérêts en raison de la rupture abusive du contrat.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
4. La société Bourgeois fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant au constat de la rupture unilatérale et abusive du contrat d'approvisionnement et de distribution exclusifs signé le 31 octobre 2018 et, en conséquence, de rejeter sa demande tendant à la condamnation de la société BN à lui payer la somme indemnitaire de 320 000 euros au titre de cette rupture abusive et d'ordonner la mainlevée de l'opposition faite sur le prix de vente du fonds de
commerce, alors « qu'aux termes de l'article 1193, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 10 février 2016, du code civil, les contrats ne peuvent être modifiés ou révoqués que du consentement mutuel des parties, ou pour les causes que la loi autorise ; que, dans ses conclusions d'appel, la société Bourgeois a fait valoir que "la cession du fonds de commerce par le distributeur ne constitue pas une cause de résolution du contrat" et que la société BN "ne peut se soustraire à ses obligations contractuelles au motif que l'acheteur du fonds de commerce ne souhaite pas poursuivre l'exécution du contrat d'approvisionnement et de distribution exclusifs", de sorte qu'elle "a rompu de manière unilatérale et abusive le contrat" ; qu'elle a souligné, ensuite, que, dans un courrier du 23 avril 2021 émanant de la société Demeusy à laquelle la société BN avait cédé son fonds de commerce, la cessionnaire précisait qu'"aucun contrat d'approvisionnement n'est visé dans le compromis de cession de fonds de commerce et ne figure sur aucune liste remise par la SAS BN" ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher comme elle y était invitée, si, en ne transmettant pas le contrat d'approvisionnement au cessionnaire du fonds de commerce, la société BN ne l'avait pas rompu abusivement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1193 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1193 et 1212, alinéa 1er, du code civil :
5. Il résulte de ces textes que le contrat conclu à durée déterminée ne peut être résilié avant son terme que du consentement mutuel des parties ou pour les causes que la loi autorise.
6. Pour rejeter la demande de la société Bourgeois tendant au constat de la rupture unilatérale et abusive du contrat d'approvisionnement et de distribution exclusifs, rejeter sa demande tendant à la condamnation de la société BN à lui payer une certaine somme à titre de dommages et intérêts et ordonner la mainlevée de l'opposition faite sur le prix de vente du fonds de commerce, l'arrêt retient qu'il est constant entre les parties que, par lettre du 14 avril 2021, la société BN a indiqué renoncer à la résiliation du contrat d'approvisionnement et de distribution exclusifs signé le 31 octobre 2018 et qu'il en résulte que la demande formée par la société Bourgeois tendant à « constater » le caractère abusif de cette rupture ne peut qu'être rejetée.
7. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, en cédant son fonds de commerce sans prévoir la transmission du contrat d'approvisionnement exclusif au cessionnaire du fonds de commerce, la société BN n'avait pas rompu fautivement ce contrat avant son terme, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le moyen, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
8. La société Bourgeois fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'aux termes de l'article 954, alinéa 3, du code de procédure civile, la cour d'appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion ; que, dans le dispositif de ses conclusions d'appel, la société Bourgeois a énoncé une prétention, à savoir la condamnation de la société BN à lui "payer la somme de 320 000 euros à titre de dommages intérêts", à l'appui de laquelle elle a invoqué un moyen, pris de la méconnaissance de ses engagements contractuels ; que la cour d'appel devait donc se prononcer sur cette prétention et ce moyen, sans pouvoir opposer à la société Bourgeois qu'elle avait rattaché cette prétention indemnitaire à la rupture abusive du contrat, qui constituait seulement un moyen de droit, d'autant qu'elle avait visé, dans le dispositif de ses conclusions, les articles 1231 à 1231-7 du code civil ; qu'en énonçant pourtant, pour rejeter sa demande indemnitaire, que, "si la société Bourgeois, dans le cadre des motifs développés dans ses conclusions en appel, évoque une faute contractuelle commise par la société BN qui aurait cessé l'approvisionnement auprès d'elle et aurait omis de faire état de ses obligations contractuelles lors de la cession de son fonds de commerce, elle ne sollicite au dispositif de ses écritures qu'une indemnisation au titre de la seule rupture abusive du contrat d'approvisionnement et de distribution", la cour d'appel a violé l'article 954 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 954, alinéa 3, du code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret du 29 décembre 2023 :
9. Aux termes de ce texte, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.
10. Pour rejeter la demande de la société Bourgeois tendant au constat de la rupture unilatérale et abusive du contrat d'approvisionnement et de distribution exclusifs, rejeter sa demande tendant à la condamnation de la société BN à lui payer une certaine somme à titre de dommages et intérêts et ordonner la mainlevée de l'opposition faite sur le prix de vente du fonds de commerce, l'arrêt retient encore que si la société Bourgeois, dans les motifs développés dans ses conclusions en appel, évoque une faute contractuelle commise par la société BN, qui aurait cessé l'approvisionnement auprès d'elle et aurait omis de faire état de ses obligations contractuelles lors de la cession de son fonds de commerce, elle ne sollicite au dispositif de ses écritures qu'une indemnisation au titre de la seule rupture abusive du contrat d'approvisionnement et de distribution. Il ajoute que le juge n'est tenu d'examiner les motifs développés par les parties que si ceux-ci sont invoqués au soutien de demandes figurant au dispositif de leurs écritures et qu'en l'absence de rupture abusive du contrat, constitutive d'une faute, la demande indemnitaire formée par la société Bourgeois n'est donc pas fondée. Il retient enfin que la substitution du fondement indemnitaire explicitement visé dans la demande d'une partie ne relève pas de l'obligation faite au juge de restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux.
11. En statuant ainsi, alors que les moyens tirés de la cessation par la société BN de son approvisionnement auprès de la société Bourgeois et de la méconnaissance de ses obligations contractuelles lors de la cession de son fonds de commerce, venaient au soutien de la prétention indemnitaire énoncée au dispositif des conclusions, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 septembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Besançon autrement composée ;
Condamne la société BN aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société BN et M. [G], pris en sa qualité de liquidateur amiable de la société BN, et condamne la société BN à payer à la société Bourgeois la somme de 3000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le treize novembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.