CA Toulouse, 4e ch. sect. 2, 10 novembre 2025, n° 24/01547
TOULOUSE
Arrêt
Autre
10/11/2025
ARRÊT N° 25/352
N° RG 24/01547 - N° Portalis DBVI-V-B7I-QGM5
FB/CI
Décision déférée du 28 Mars 2024 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULOUSE ( 22/01293)
[N] [L]
INFIRMATION PARTIELLE
Grosse délivrée
le
à
Me Catherine CARRIERE-PONSAN de la SCP CANDELIER CARRIERE-PONSAN
Me Patrick JOLIBERT de la SELAS MORVILLIERS SENTENAC & ASSOCIES
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
4eme Chambre Section 2
***
ARRÊT DU DIX NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ
***
APPELANTE
Madame [D] [X]
[Adresse 1]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Catherine CARRIERE-PONSAN de la SCP CANDELIER CARRIERE-PONSAN, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMEE
S.A.R.L. LES DELICES
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Patrick JOLIBERT de la SELAS MORVILLIERS SENTENAC & ASSOCIES, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 Septembre 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant F. BRU,présidente, chargée du rapport. Cette magistrate a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
F. BRU, présidente
F. CROISILLE-CABROL, conseillère
AF. RIBEYRON, conseillère
Greffière, lors des débats : C. IZARD
ARRET :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par F. BRU, présidente, et par C. IZARD, greffière de chambre
EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [X] a été embauchée dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée avec une durée hebdomadaire de 35 heures à compter du 28 juin 2021 en qualité de vendeuse-ménage par la SARL Les Délices.
La convention collective applicable est celle de la boulangerie pâtisserie. La société emploie au moins 11 salariés.
Le 7 février 2022, Mme [X] a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur.
Le 17 août 2022, Mme [X] a saisi le conseil de prud'hommes de Toulouse aux fins de voir requalifier la prise d'acte de rupture de son contrat de travail en licenciement aux torts exclusifs de l'employeur. Elle a sollicité le versement de sommes indemnitaires.
Mme [X] a contesté la recevabilité des attestations produites par l'employeur au cours de la procédure prud'homale, arguant qu'elles étaient entachées de faux et que les personnes considérées comme ayant témoigné ont déposé plainte pour faux et usage de faux. Dans l'attente de la décision pénale résultant des plaintes déposées, la société Les délices a sollicité un sursis à statuer.
Par jugement en date du 28 mars 2024, le conseil de prud'hommes de Toulouse a :
Rejeté la demande de sursis à statuer ;
Dit que la prise d'acte de rupture de Mme [X] en date du 7 février 2022 doit s'analyser en une démission ;
Débouté Mme [X] de l'intégralité de ses demandes ;
Condamné Mme [X] à verser à la société les délices la somme de 1 654,33 euros au titre du préavis de démission d'un mois non effectué ;
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Dit n'y avoir lieu au prononcé de l'exécution provisoire de la présente décision ;
Condamné Mme [X] aux entiers dépens.
Mme [X] a interjeté appel de ce jugement le 3 mai 2024, en énonçant dans sa déclaration d'appel les chefs critiqués.
Dans ses écritures transmises par voie électronique en date du 26 juillet 2024 auxquelles il est fait expressément référence, Mme [X] demande à la cour de :
Confirmer la décision dont appel en ce que la demande de sursis à statuer a été rejetée,
Réformer le surplus de la décision,
En conséquence,
A titre principal,
- juger que la prise d'acte doit produire les effets d'un licenciement nul en raison du harcèlement moral subi par la requérante à l'origine de la rupture du contrat de travail,
- condamner la société Les Délices à payer à Mme [X] les sommes suivantes :
- un mois de préavis conformément à l'article 32 ' rupture de contrat de la convention collective boulangerie-pâtisserie artisanale soit 1 654,33 euros
- 165,43 euros au titre des congés payés sur préavis
- 9 926 euros nets de CSG et CRDS, correspondant à six mois de salaire brut à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul
A titre subsidiaire,
- juger que la prise d'acte droit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamner la société Les Délices à payer à Mme [X] les sommes suivantes :
- un mois de préavis conformément à l'article 11- rupture de contrat de la convention collective boulangerie-pâtisserie artisanale soit 1 654, 33 euros
- 165,43 euros au titre des congés payés sur préavis
- 1 654,43 euros nets de CSG et CRDS, correspondant à un mois de salaire brut à titre de dommages et intérêts
A titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire la Cour requalifiait la prise d'acte en démission,
- limiter le préavis à deux semaines soit 827,16 euros
En tout état de cause,
- condamner la société Les Délices au règlement de la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral
- condamner la société Les Délices à verser à Mme [X] la somme de 10 000 euros de dommages et intérêts pour préjudice complémentaire du fait de la production de fausses attestations
- condamner la société Les Délices à payer à Mme [X] la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile concernant la procédure de première instance
Y ajouter,
- condamner la société Les Délices à payer à Mme [X] la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile concernant la procédure d'appel
- condamner la société Les Délices aux entiers dépens de l'instance ainsi qu'aux éventuels frais d'exécution de la décision à intervenir.
Dans ses écritures transmises par voie électronique en date du 25 octobre 2024, la société Les Délices demande à la cour de :
Confirmer le jugement en ce qu'il a :
- dit que la prise d'acte de rupture de Mme [X] en date du 7 février 2022 doit s'analyser en une démission,
- débouté Mme [X] de l'intégralité de ses demandes,
- condamné Mme [X] à verser à la société les délices la somme de 1654,33 euros au titre du préavis de démission d'un mois non effectué
- condamné Mme [X] aux entiers dépens
Infirmer le jugement en ce qu'il a
- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
Et statuant à nouveau
- débouter Mme [X] de l'intégralité de ses demandes,
- condamner Mme [X] au paiement d'une somme de 2.500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens de l'instance.
Dans ses dernières écritures transmises par voie électronique en date du 1er septembre 2025, la société Les Délices demande à la cour de :
Confirmer le jugement en ce qu'il a :
- dit que la prise d'acte de rupture de Mme [X] en date du 7 février 2022 doit s'analyser en une démission,
- débouté Mme [X] de l'intégralité de ses demandes,
- condamné Mme [X] à verser à la société les délices la somme de 1654,33 euros au titre du préavis de démission d'un mois non effectué
- condamné Mme [X] aux entiers dépens
Infirmer le jugement en ce qu'il a
- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
Et statuant à nouveau
- débouter Mme [X] de l'intégralité de ses demandes,
- condamner Mme [X] au paiement d'une somme de 2.500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens de l'instance.
La clôture de la procédure a été prononcée selon ordonnance du 2 septembre 2025.
Dans ses dernières écritures transmises par voie électronique en date du 4 septembre 2025 auxquelles il est fait expressément référence, Mme [X] demande à la cour de rejeter les pièces et les conclusions de la société intimée en date du 1er septembre 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de rejet des dernières conclusions de la partie intimée et des pièces produites
Selon l'article 15 du code de procédure civile : "Les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense".
Les conclusions de l'intimée en date du 1er septembre 2025 sont antérieures à l'ordonnance de clôture, de sorte qu'elles sont en principe recevables. Toutefois, alors que l'appelante fait valoir que la date à laquelle elles ont été remises ne lui permettait pas d'y répondre, il convient d'apprécier si elles ont été remises dans un temps utile et donc dans le respect du principe du contradictoire.
La chronologie de la procédure d'appel s'établit ainsi :
- le 26 juillet 2024,la partie appelante a déposé ses premières conclusions, à la suite de la déclaration d'appel du 03 mai 2024 ;
- le 25 octobre 2024, la partie intimée a répliqué ;
- le 09 mai 2025, un avis de fixation indiquant que l'ordonnance de clôture interviendra le 02 septembre 2025 pour une audience de plaidoirie le 8 septembre 2025 a été adressé aux parties ;
- le 1er septembre 2025 à 10h41, la partie intimée a transmis ses conclusions responsives et récapitulatives, ajoutant une pièce n°11 au bordereau de pièces .
La société Les Délices ne justifie d'aucun motif pour un dépôt aussi tardif de ses écritures puisqu'intervenu moins de 24 heures avant la clôture alors que l'avis de fixation indiquant que l'ordonnance de clôture interviendra le 2 septembre datait du 9 mai 2025. De telles conclusions étaient d'autant moins remises dans un temps utile qu'elles faisaient référence à une nouvelle pièce produite ( pièce 11), à savoir le jugement du tribunal correctionnel de Toulouse du 7 novembre 2024 faisant suite aux plaintes pour faux et usage de faux déposées par Mme [C], Mme [Z] et Mme [O], et donc prononcé près de 10 mois avant la clôture de la présente procédure.
Compte tenu de ces éléments, la cour considère que les dernières conclusions et la nouvelle pièce 11 produite par la société Les Délices se heurtent au principe du contradictoire, de sorte qu'elles seront écartées des débats.
Il sera ainsi fait expressément référence aux conclusions de la société Les délices transmises par voie électronique en date du 25 octobre 2024 et la Cour statuera donc au vu des conclusions de l'appelante du 26 juillet 2024 et au vu des conclusions de la partie intimée du 25 octobre 2024 et de son bordereau de pièces annexé.
Sur le grief de la production de fausses attestations
Mme [X] soutient que l'employeur a produit quatre fausses attestations dans le cadre de la procédure, celles de Mme [C], de Mme [Z], de Mme [O] et de Mme [K] .
Elle indique que Mme [C] a déposé plainte pour faux et usage de faux le 8 février 2023 et relevé « je n'ai jamais rédigé de telles attestations et je n'ai jamais donné mon accord non plus », Mme [Z] a également porté plainte le même jour et mentionné « ne pas être à l'origine de la rédaction », Mme [O] a déposé plainte le 13 février 2023 et indiqué que son attestation avait été modifiée, de sorte que l'employeur a falsifié son témoignage. Elle soutient que Mme [K] n'a pas souhaité déposer plainte par peur de représailles mais a confirmé que l'attestation n'émanait pas d'elle.
La salariée sollicite dès lors la réformation du jugement et la condamnation de l'employeur au paiement de la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour déloyauté et en raison du préjudice subi.
L'employeur conteste la falsification des attestations et indique que la cour peut trancher le litige sans prendre en compte les attestations contestées et les plaintes déposées.
En l'espèce, il n 'appartient pas à la Cour de caractériser l'infraction résultant de la production et de l'usage d'un faux témoignage, seule la juridiction pénale, saisie en l'espèce, étant compétente pour le faire. La prétendue fausseté des attestations n'est donc pas établie.
Il résulte de ces éléments que le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande indemnitaire présentée par Mme [X] au titre d'un préjudice résultant de la production de fausses attestations.
Sur la prise d'acte
La prise d'acte est un mode de rupture du contrat de travail selon lequel le salarié impute des manquements graves de l'employeur à ses obligations ne permettant pas la poursuite de l'exécution du contrat.
Celle-ci produit les effets soit d'un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, selon la nature des manquements, s'il est établi des manquements de l'employeur à ses obligations ne permettant pas la poursuite de l'exécution du contrat, soit, dans le cas contraire, les effets d'une démission. La charge de la preuve repose sur le salarié mais cette charge probatoire doit être combinée avec celle liée au harcèlement moral.
En l'espèce, Mme [X] sollicite, à titre principal, la requalification de la prise d'acte en licenciement nul et la condamnation de l'employeur au paiement d'un mois de préavis, outre les congés payés y afférents, ainsi qu'à des dommages et intérêts équivalents à six mois de salaire. A titre subsidiaire, elle sollicite la requalification de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse en raison des manquements de l'employeur à ses obligations contractuelles. Elle sollicite à ce titre une indemnité équivalente à un mois de préavis, outre les congés payés y afférents, ainsi que des dommages et intérêts équivalents à un mois de salaire.
Mme [X] invoque :
Un harcèlement moral
Le non-respect du délai de prévenance dans la communication des plannings,
Le non-respect du repos quotidien,
Le non-respect des temps de pause quotidiens.
Sur le harcèlement moral et la requalification de la prise d'acte en licenciement nul
Il résulte des dispositions de l'article L. 1152-1 du code du travail qu'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Par application des dispositions de l'article L. 1154-1 du même code lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
En l'espèce, Mme [X] soutient qu'elle a subi des humiliations, la pression permanente de l'employeur et que ce dernier utilisait de manière abusive les caméras de surveillance pour contrôler ses faits et gestes. Elle indique que le stress permanent instauré par l'employeur constituait un harcèlement et qu'il multipliait les appels téléphoniques pour la contrôler au travail.
Elle fait valoir qu'elle a alerté l'employeur à deux reprises de la dégradation de ses conditions de travail mais qu'aucune amélioration n'a pu intervenir puisque ce dernier ne la laissait pas s'exprimer. Par suite, elle soutient que l'employeur lui aurait demandé de se taire ou de prendre ses affaires et qu'elle « se casse ».
Mme [X] produit :
- La lettre de prise d'acte de la rupture du contrat (pièce n°6) dans laquelle elle se prévaut de harcèlement moral à répétition, de dénigrement face aux clients, de menace de licenciement créant des tensions, de l'utilisation abusive des caméras de surveillance pour contrôler ses faits et gestes, des appels à répétitions de l'employeur et de tentatives d'intimidations répétées
- Une attestation de Mme [I] [P] (pièce n°4) mentionnant : « Dès que je suis arrivée dans l'entreprise en septembre 2021, on m'a expliqué que Mr [Y] avait des préférences envers ses employés. Certaines des vendeuses étaient apprécié tandis que d'autres étaient tout le temps réprimandé. Il faisait beaucoup de réflexion misogyne et n'a pas hésité à défendre son pâtissier lorsque celui-ci a eu des gestes déplacés envers moi. De plus, Mr [Y] nous a toujours fait travailler sous la pression en nous menaçant de réduire nos salaires et de s'en servir pour payer ses pertes lorsqu'une erreur a été commise. (') Il se permettait de nous observer à longueur de journées à travers les caméras de surveillance présentes dans l'entreprise. Il pouvait nous téléphoner jusqu'à 5 à 10 fois en quelques heures simplement pour me dire de mieux nettoyer un coin de table ou de mieux attacher mes cheveux. »,
- Une attestation de sa s'ur, Mme [J] [X] (pièce n°13) retraçant les plaintes de la salariée s'agissant de ses conditions de travail : « surveillance et comportement de son hiérarchique parfois humiliant », « cela nuit à son équilibre vie personnelle/professionnelle », « découragement et déprime chez ma s'ur constatés lors de ses appels téléphoniques »,
- Une plainte de Mme [A] [C] (pièce n°15) pour faux et usage de faux datée du 08 février 2023 dans laquelle elle mentionne : « J'ai décidé de démissionner car cette personne [l'employeur] nous manquait de respect, mettait une mauvaise ambiance, avait des pratiques non professionnelles voir illégales comme supprimer des jours de congés pour nous punir. Il nous faisait aussi régulièrement du chantage tel que « si vous êtes pas contents, vous démissionnez car moi je fais pas de rupture de contrat comme ça vous n'avez pas le chômage »,
Une plainte de Mme [G] [Z] (pièce n°16) pour faux et usage de faux datée du 08 février 2023 dans laquelle elle mentionne : « Le patron se nomme [Y] [R]. Il était de nature très dur, il parlait mal, toujours en train de se plaindre du travail des uns et des autres, il mettait beaucoup de stress au travail, il faisait à sa guise par rapport au planning, on était prévu des horaires et des jours de repos le dimanche soir pour la semaine qui suivait, il nous prévenait une semaine avant lors de grosses semaines de vacances, nous mettait en congés payés quand il le souhaitait, et une fois en septembre il ne nous a pas averti que la boulangerie était fermée pour quelques jours et il avait d'autres façons de faire qui ne me semblait pas correctes ».
D'une part, il convient de noter que Mme [X] se prévaut d'humiliations provoquées par l'employeur mais ne les explicite pas. En effet, elles ne sont ni circonstanciées ni datées, et aucune pièce ne vient corroborer les dires de la salariée.
D'autre part, il apparaît que seule Mme [P] corrobore l'hypothèse d'une utilisation abusive des caméras de surveillance. Or, cette attestation, qui fait état de reproches formulés par l'employeur à son encontre et qui décrit une ambiance de surveillance générale au sein du lieu de travail, s'avère insuffisante, en ce qu'elle ne mentionne aucunement la situation particulière de Mme [X].
Si l'employeur reconnaît, dans son courrier du 18 février 2022 (pièce n°3) l'utilisation des caméras de surveillance, il l'explique par la nécessité de faire un point sur les stocks de marchandises de la boulangerie en cours de journée lorsqu'il était absent. Cet élément est confirmé par l'attestation de Mme [M] (pièce n°8), qui déclare que l'employeur ne détournait pas la vidéosurveillance des lieux pour contrôler les attitudes des salariés mais pour compléter les stocks.
Par ailleurs, Mme [X] soutient que l'employeur lui aurait indiqué, le 27 janvier 2022, qu'elle devait se taire ou « qu'elle prenne ses affaires et qu'elle se casse, que la porte était toujours ouverte ». Là encore, il sera souligné que la salariée n'apporte aucun élément circonstancié permettant de corroborer ses affirmations. Si les plaintes d'autres salariées font état de propos désagréables prononcés par l'employeur à leur encontre, elles ne soutiennent pas avoir été témoins de tels propos à l'encontre de Mme [X].
L'attestation rédigée par la s'ur de Mme [X] ne peut être retenue à elle seule, ne se fondant que sur les déclarations de la salariée et non sur des faits qu'elle aurait personnellement constatés et étant nécessairement partiale en raison de sa qualité.
Au demeurant, Mme [X] ne se prévaut d'aucun élément factuel précis et circonstancié pouvant caractériser des conditions de travail dégradées et empreintes de stress.Les plaintes de Mme [C] et de Mme [Z] ne rapportent aucune attitude ou propos de l'employeur à l'encontre de Mme [X], ce d'autant qu'elles ont été déposées plusieurs mois après la rédaction des attestations à la suite d'un échange avec la salariée et viennent contredire les premières attestations en faveur de l'employeur, dont la validité est contestée.
Il sera relevé par ailleurs que dans la plainte de Mme [O] pour faux et usage de faux, celle-ci indique que Mme [X] avait prévu de « faire un abandon de poste pour une reconversion professionnelle », fait également invoqué par d'autres salariés à l'occasion de leurs attestations contestées.
Ces éléments, pris dans leur ensemble, sont insuffisants pour laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral puisque la cour n'est pas en mesure de constater la matérialité de faits évoqués.
La demande en nullité du licenciement ne peut donc prospérer. Le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a rejetée et en ce qu'il a également rejeté la demande indemnitaire pour licenciement nul.
Sur les manquements reprochés à l'employeur et la demande de requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse
Sur le délai de prévenance des plannings
Il résulte des articles L.3123-11 et L.3121-47 du code du travail que toute modification de la répartition de la durée de travail entre les jours de la semaine ou entre les semaines du mois est notifiée au salarié en respectant un délai de prévenance d'au moins 7 jours.
Mme [X] soutient qu'elle était informée le dimanche à 13h00 du planning de la semaine suivante. Elle fait valoir qu'elle pouvait recevoir des SMS de la part de son employeur tôt le matin lui demandant de travailler le jour même à 6h00 et affirme que l'employeur fermait régulièrement et intempestivement la boulangerie, ne l'en avisant que la veille ou le jour même, tout en lui imposant de poser des jours de congés payés pendant ces périodes.
Elle produit :
Un échange de SMS avec l'employeur (pièce n°3) datant du 11 janvier 2022 dans lequel il expose « Bonjour [D], votre planning change' vous ne reprennez que jeudi à 13h !!! Demain vous ne travaillez pas. » « Il n y a pas [F] il. N'y a pas Noël donc Mr [Y] peux pas êtres partout, du coup il a réorganiser pour faire sans [F], mais pour demain peu pas se retourner donc il ferme. J'ai pas les planning. Demain c'est fermé. » ainsi qu'un échange de SMS du 19 janvier 2022 dans lequel l'employeur écrit : « Désoler de vous déranger [D] je sais que vous avez votre stage, mais est ce que vous pouvez venir de 6h à 8h à la boulangerie ».
Une attestation de Mme [P] (pièce n°4), ancienne salariée de la société Les délices, dans laquelle elle mentionne : « Je souhaite souligner le faite qu'à chaque fermeture de l'établissement Mr [Y] ne nous prévenez que la veille ou le jour même lorsque nous arrivions devant la boulangerie et que nous nous rendions compte qu'elle était fermé ».
La plainte de Mme [Z] (pièce n°16), ancienne salariée de la société Les délices, dans laquelle elle indique « il faisait à sa guise, par rapport au planning on était prévenu des horaires et des jours de repos le dimanche soir pour la semaine qui suivait, il nous prévenait une semaine avant lors de grosses semaines de vacances, nous mettait en congés payés quand il le souhaitait, et une fois en septembre il ne nous a pas averti que la boulangerie était fermée pour quelques jours ».
D'une part, la Cour relève que Mme [X] ne produit aucun élément permettant de dater avec précision la date de transmission des plannings. Seul le témoignage de Mme [Z] contenu dans sa plainte pour faux confirme l'hypothèse d'une communication tardive des plannings chaque semaine. Or, il ressort de ce qu'il précède que le contenu de cette plainte doit être analysé avec circonspection, en ce qu'elle se contredit avec l'attestation à son nom du 6 février 2022 produite par l'employeur.
L'employeur se prévaut au contraire de la communication des plannings 15 jours à l'avance, dans le respect des dispositions légales précitées. En sus de l'attestation de Mme [Z], dont la véracité est contestée par Mme [X], l'employeur produit les attestations de Mme [S] (pièce n°5) et de Mme [M] (pièce n°8) qui, de manière concordante, corroborent ce délai de communication.
D'autre part, s'agissant de la modification tardive des plannings, Mme [X] démontre effectivement que l'employeur l'a informée le mardi 11 janvier 2022 de la suppression de sa journée de travail du mercredi 12 janvier suivant, au mépris du délai de prévenance applicable. L'employeur justifie, dans les échanges de SMS, la modification de la répartition de la durée du travail sur la semaine par l'absence imprévue de certains membres du personnel.
Mme [X] n'apporte pas la preuve d'autres changements imprévus au cours de la relation contractuelle, si ce n'est concernant la journée du 19 janvier 2022. Or, à cette date, l'employeur n'a pas imposé de modification mais simplement demandé à la salariée si elle pouvait se rendre à son lieu de travail à 6 heures. N'ayant pas donné une suite favorable à cette demande, Mme [X] ne peut se prévaloir de cette « modification » qui ne s'est pas concrétisée.
Dès lors, le manquement de l'employeur est établi mais est à relativiser dans la mesure où la modification des plannings a revêtu un caractère exceptionnel.
Sur le respect du repos quotidien
En application des articles L 3121-18, L 3121-19, L 3121-22, L 3131-1 et L 3132-2, la durée maximale de travail quotidienne ne peut excéder 10 heures, la durée maximale de travail hebdomadaire ne peut excéder 48 heures, ni 44 heures sur une période de 12 semaines, et le salarié a droit à un repos quotidien minimal de 11 heures consécutives et à un repos hebdomadaire minimal de 24 heures consécutives.
Mme [X] soutient que l'employeur n'a pas respecté les temps de repos quotidien, et indique que les 15 décembre 2021, 13 janvier et 17 janvier 2022, elle aurait terminé à 20 heures pour reprendre à 6 heures du matin.
Elle produit en ce sens les plannings rédigés par l'employeur sur la période du 05 juillet 2021 au 30 janvier 2022.
La société Les délices revendique le respect de la durée du temps de repos quotidien, et indique qu'en 7 mois de travail, il n'y a eu que 3 journées où ce temps de repos a été écourté à 10 heures. Elle considère qu'il ne s'agit que de situations exceptionnelles, dans l'intérêt du bon fonctionnement de l'entreprise, ce qui ne peut donc pas caractériser un manquement d'une gravité suffisante pour justifier une prise d'acte.
Dès lors, le manquement de l'employeur est établi mais est également à relativiser dans la mesure où le non-respect de la durée du repos quotidien, qui a été de 10 heures au lieu de 11 heures consécutives, a revêtu un caractère exceptionnel.
Sur le temps de pause minimal
Aux termes de l'article L.3121-16 du code du travail, dès que le temps de travail quotidien atteint six heures, le salarié bénéficie d'un temps de pause d'une durée minimale de vingt minutes consécutives.
Mme [X] soutient qu'en raison de la pression et du manque de personnel dans l'entreprise, elle n'avait pas la possibilité de prendre effectivement son temps de pause minimal.
Elle produit :
L'attestation de sa s'ur Mme [J] [X] (pièce n°13) qui évoque notamment des pauses non règlementaires,
L'attestation de Mme [P] (pièce n°4) qui mentionne « Mr [Y] nous a toujours fait travailler sous la pression en nous menaçant de réduire nos salaires et de s'en servir pour payer ses pertes lorsqu'une erreur a été commise ».
L'employeur affirme que Mme [X] a bénéficié de ses 20 minutes de temps de pause par journée de travail, et que ces temps de repos étaient rémunérés. lusieurs attestations de salariés témoignant de la prise effective des temps de pause.
Sur ce, la Cour considère que Mme [X] échoue à démontrer la matérialité des manquements reprochés. En effet, d'une part, Mme [X] ne se rapporte qu'aux dires de la salariée et n'a pas pu constater effectivement l'absence de prise des temps de pause. D'autre part, Mme [P] n'apporte aucune précision utile sur la prise effective des temps de pause, et n'évoque pas la situation de Mme [X].
Le manquement n'est donc pas établi.
Au total, si les manquements de l'employeur relatifs au respect du repos quotidien et du délai de prévenance dans la communication des plannings sont établis , il reste que Mme [X] ne fait pas la preuve de la gravité de ces manquements et du fait qu'ils rendaient impossible la poursuite du contrat de travail.
La rupture ne pouvait donc produire que les effets d'une démission de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il a jugé que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail devait produire les effets d'une démission et a débouté Mme [X] de l'ensemble de ses demandes liées à la rupture du contrat de travail.
Sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral
Mme [X] demande l'octroi de la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait des fautes de l'employeur .
Le dépassement de la durée maximale de travail quotidienne et le non-respect du temps de pause quotidien ont nécessairement causé un préjudice à Mme [X] que la cour évalue à 400 euros. Le jugement sera infirmé sur ce point.
Sur la demande au titre du préavis de démission
L'article L 1237-2 du code du travail dispose que la rupture du contrat à durée indéterminée à l'initiative du salarié ouvre droit, si elle est abusive, à des dommages et intérêts pour l'employeur.
Mme [X] sollicite la réformation du jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer un mois de salaire au titre du préavis d'un mois non effectué et fait valoir que la convention collective lui étant applicable mentionne l'existence d'un préavis de deux semaines, de sorte que la somme doit être ramenée à 827,16€.
Aux termes de l'article 32 de la convention collective nationale de la boulangerie-pâtisserie, produit aux débats,en cas de licenciement ou de démission d'un salarié, la durée du préavis est fixée à 2 semaines en cas de démission d'un salarié disposant d'une ancienneté supérieure à 6 mois et inférieure à 2 ans.
En conséquence, si l'employeur est fondé à solliciter la condamnation de Mme [X] au paiement d'une somme correspondant au préavis non exécuté, cette somme ne saurait être fixée à un mois de salaire .Il conviendra d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes sur ce point et de condamner Mme [X] à payer à la société Les délices la somme de 827,16 euros.
Sur les demandes accessoires
Les dispositions relatives aux frais irrépétibles de première instance seront confirmées.
Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel et chacune des parties conservera la charge de ses frais irrépétibles au titre de la procédure d'appel.
Les parties supporteront par moitié les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Écarte des débats les conclusions de la société Les Délices notifiées le 1er septembre 2025 ainsi que la nouvelle pièce 11 produite par elle,
Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Toulouse du 17 août 2022 , sauf en ce qu'il a condamné Mme [X] à verser à la société Les délices la somme de 1654,33 euros au titre du préavis de démission d'un mois non effectué et l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral,
Statuant à nouveau des chef infirmés et y ajoutant
Condamne Mme [X] à verser à la société Les délices la somme de 827,16 euros au titre du préavis de démission de deux semaines non effectué,
Condamne la société Les délices à verser à Mme [X] la somme de 400 euros en réparation du préjudice moral,
Déboute la société Les délices et Mme [X] de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
Dit que les dépens d'appel seront partagés par moitié par la société Les délices et Mme [X].
Le présent arrêt a été signé par F. BRU, présidente, et par C. IZARD, greffière.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
C. IZARD F. BRU
ARRÊT N° 25/352
N° RG 24/01547 - N° Portalis DBVI-V-B7I-QGM5
FB/CI
Décision déférée du 28 Mars 2024 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULOUSE ( 22/01293)
[N] [L]
INFIRMATION PARTIELLE
Grosse délivrée
le
à
Me Catherine CARRIERE-PONSAN de la SCP CANDELIER CARRIERE-PONSAN
Me Patrick JOLIBERT de la SELAS MORVILLIERS SENTENAC & ASSOCIES
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
4eme Chambre Section 2
***
ARRÊT DU DIX NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ
***
APPELANTE
Madame [D] [X]
[Adresse 1]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Catherine CARRIERE-PONSAN de la SCP CANDELIER CARRIERE-PONSAN, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMEE
S.A.R.L. LES DELICES
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Patrick JOLIBERT de la SELAS MORVILLIERS SENTENAC & ASSOCIES, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 Septembre 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant F. BRU,présidente, chargée du rapport. Cette magistrate a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
F. BRU, présidente
F. CROISILLE-CABROL, conseillère
AF. RIBEYRON, conseillère
Greffière, lors des débats : C. IZARD
ARRET :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par F. BRU, présidente, et par C. IZARD, greffière de chambre
EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [X] a été embauchée dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée avec une durée hebdomadaire de 35 heures à compter du 28 juin 2021 en qualité de vendeuse-ménage par la SARL Les Délices.
La convention collective applicable est celle de la boulangerie pâtisserie. La société emploie au moins 11 salariés.
Le 7 février 2022, Mme [X] a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur.
Le 17 août 2022, Mme [X] a saisi le conseil de prud'hommes de Toulouse aux fins de voir requalifier la prise d'acte de rupture de son contrat de travail en licenciement aux torts exclusifs de l'employeur. Elle a sollicité le versement de sommes indemnitaires.
Mme [X] a contesté la recevabilité des attestations produites par l'employeur au cours de la procédure prud'homale, arguant qu'elles étaient entachées de faux et que les personnes considérées comme ayant témoigné ont déposé plainte pour faux et usage de faux. Dans l'attente de la décision pénale résultant des plaintes déposées, la société Les délices a sollicité un sursis à statuer.
Par jugement en date du 28 mars 2024, le conseil de prud'hommes de Toulouse a :
Rejeté la demande de sursis à statuer ;
Dit que la prise d'acte de rupture de Mme [X] en date du 7 février 2022 doit s'analyser en une démission ;
Débouté Mme [X] de l'intégralité de ses demandes ;
Condamné Mme [X] à verser à la société les délices la somme de 1 654,33 euros au titre du préavis de démission d'un mois non effectué ;
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Dit n'y avoir lieu au prononcé de l'exécution provisoire de la présente décision ;
Condamné Mme [X] aux entiers dépens.
Mme [X] a interjeté appel de ce jugement le 3 mai 2024, en énonçant dans sa déclaration d'appel les chefs critiqués.
Dans ses écritures transmises par voie électronique en date du 26 juillet 2024 auxquelles il est fait expressément référence, Mme [X] demande à la cour de :
Confirmer la décision dont appel en ce que la demande de sursis à statuer a été rejetée,
Réformer le surplus de la décision,
En conséquence,
A titre principal,
- juger que la prise d'acte doit produire les effets d'un licenciement nul en raison du harcèlement moral subi par la requérante à l'origine de la rupture du contrat de travail,
- condamner la société Les Délices à payer à Mme [X] les sommes suivantes :
- un mois de préavis conformément à l'article 32 ' rupture de contrat de la convention collective boulangerie-pâtisserie artisanale soit 1 654,33 euros
- 165,43 euros au titre des congés payés sur préavis
- 9 926 euros nets de CSG et CRDS, correspondant à six mois de salaire brut à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul
A titre subsidiaire,
- juger que la prise d'acte droit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamner la société Les Délices à payer à Mme [X] les sommes suivantes :
- un mois de préavis conformément à l'article 11- rupture de contrat de la convention collective boulangerie-pâtisserie artisanale soit 1 654, 33 euros
- 165,43 euros au titre des congés payés sur préavis
- 1 654,43 euros nets de CSG et CRDS, correspondant à un mois de salaire brut à titre de dommages et intérêts
A titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire la Cour requalifiait la prise d'acte en démission,
- limiter le préavis à deux semaines soit 827,16 euros
En tout état de cause,
- condamner la société Les Délices au règlement de la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral
- condamner la société Les Délices à verser à Mme [X] la somme de 10 000 euros de dommages et intérêts pour préjudice complémentaire du fait de la production de fausses attestations
- condamner la société Les Délices à payer à Mme [X] la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile concernant la procédure de première instance
Y ajouter,
- condamner la société Les Délices à payer à Mme [X] la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile concernant la procédure d'appel
- condamner la société Les Délices aux entiers dépens de l'instance ainsi qu'aux éventuels frais d'exécution de la décision à intervenir.
Dans ses écritures transmises par voie électronique en date du 25 octobre 2024, la société Les Délices demande à la cour de :
Confirmer le jugement en ce qu'il a :
- dit que la prise d'acte de rupture de Mme [X] en date du 7 février 2022 doit s'analyser en une démission,
- débouté Mme [X] de l'intégralité de ses demandes,
- condamné Mme [X] à verser à la société les délices la somme de 1654,33 euros au titre du préavis de démission d'un mois non effectué
- condamné Mme [X] aux entiers dépens
Infirmer le jugement en ce qu'il a
- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
Et statuant à nouveau
- débouter Mme [X] de l'intégralité de ses demandes,
- condamner Mme [X] au paiement d'une somme de 2.500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens de l'instance.
Dans ses dernières écritures transmises par voie électronique en date du 1er septembre 2025, la société Les Délices demande à la cour de :
Confirmer le jugement en ce qu'il a :
- dit que la prise d'acte de rupture de Mme [X] en date du 7 février 2022 doit s'analyser en une démission,
- débouté Mme [X] de l'intégralité de ses demandes,
- condamné Mme [X] à verser à la société les délices la somme de 1654,33 euros au titre du préavis de démission d'un mois non effectué
- condamné Mme [X] aux entiers dépens
Infirmer le jugement en ce qu'il a
- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
Et statuant à nouveau
- débouter Mme [X] de l'intégralité de ses demandes,
- condamner Mme [X] au paiement d'une somme de 2.500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens de l'instance.
La clôture de la procédure a été prononcée selon ordonnance du 2 septembre 2025.
Dans ses dernières écritures transmises par voie électronique en date du 4 septembre 2025 auxquelles il est fait expressément référence, Mme [X] demande à la cour de rejeter les pièces et les conclusions de la société intimée en date du 1er septembre 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de rejet des dernières conclusions de la partie intimée et des pièces produites
Selon l'article 15 du code de procédure civile : "Les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense".
Les conclusions de l'intimée en date du 1er septembre 2025 sont antérieures à l'ordonnance de clôture, de sorte qu'elles sont en principe recevables. Toutefois, alors que l'appelante fait valoir que la date à laquelle elles ont été remises ne lui permettait pas d'y répondre, il convient d'apprécier si elles ont été remises dans un temps utile et donc dans le respect du principe du contradictoire.
La chronologie de la procédure d'appel s'établit ainsi :
- le 26 juillet 2024,la partie appelante a déposé ses premières conclusions, à la suite de la déclaration d'appel du 03 mai 2024 ;
- le 25 octobre 2024, la partie intimée a répliqué ;
- le 09 mai 2025, un avis de fixation indiquant que l'ordonnance de clôture interviendra le 02 septembre 2025 pour une audience de plaidoirie le 8 septembre 2025 a été adressé aux parties ;
- le 1er septembre 2025 à 10h41, la partie intimée a transmis ses conclusions responsives et récapitulatives, ajoutant une pièce n°11 au bordereau de pièces .
La société Les Délices ne justifie d'aucun motif pour un dépôt aussi tardif de ses écritures puisqu'intervenu moins de 24 heures avant la clôture alors que l'avis de fixation indiquant que l'ordonnance de clôture interviendra le 2 septembre datait du 9 mai 2025. De telles conclusions étaient d'autant moins remises dans un temps utile qu'elles faisaient référence à une nouvelle pièce produite ( pièce 11), à savoir le jugement du tribunal correctionnel de Toulouse du 7 novembre 2024 faisant suite aux plaintes pour faux et usage de faux déposées par Mme [C], Mme [Z] et Mme [O], et donc prononcé près de 10 mois avant la clôture de la présente procédure.
Compte tenu de ces éléments, la cour considère que les dernières conclusions et la nouvelle pièce 11 produite par la société Les Délices se heurtent au principe du contradictoire, de sorte qu'elles seront écartées des débats.
Il sera ainsi fait expressément référence aux conclusions de la société Les délices transmises par voie électronique en date du 25 octobre 2024 et la Cour statuera donc au vu des conclusions de l'appelante du 26 juillet 2024 et au vu des conclusions de la partie intimée du 25 octobre 2024 et de son bordereau de pièces annexé.
Sur le grief de la production de fausses attestations
Mme [X] soutient que l'employeur a produit quatre fausses attestations dans le cadre de la procédure, celles de Mme [C], de Mme [Z], de Mme [O] et de Mme [K] .
Elle indique que Mme [C] a déposé plainte pour faux et usage de faux le 8 février 2023 et relevé « je n'ai jamais rédigé de telles attestations et je n'ai jamais donné mon accord non plus », Mme [Z] a également porté plainte le même jour et mentionné « ne pas être à l'origine de la rédaction », Mme [O] a déposé plainte le 13 février 2023 et indiqué que son attestation avait été modifiée, de sorte que l'employeur a falsifié son témoignage. Elle soutient que Mme [K] n'a pas souhaité déposer plainte par peur de représailles mais a confirmé que l'attestation n'émanait pas d'elle.
La salariée sollicite dès lors la réformation du jugement et la condamnation de l'employeur au paiement de la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour déloyauté et en raison du préjudice subi.
L'employeur conteste la falsification des attestations et indique que la cour peut trancher le litige sans prendre en compte les attestations contestées et les plaintes déposées.
En l'espèce, il n 'appartient pas à la Cour de caractériser l'infraction résultant de la production et de l'usage d'un faux témoignage, seule la juridiction pénale, saisie en l'espèce, étant compétente pour le faire. La prétendue fausseté des attestations n'est donc pas établie.
Il résulte de ces éléments que le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande indemnitaire présentée par Mme [X] au titre d'un préjudice résultant de la production de fausses attestations.
Sur la prise d'acte
La prise d'acte est un mode de rupture du contrat de travail selon lequel le salarié impute des manquements graves de l'employeur à ses obligations ne permettant pas la poursuite de l'exécution du contrat.
Celle-ci produit les effets soit d'un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, selon la nature des manquements, s'il est établi des manquements de l'employeur à ses obligations ne permettant pas la poursuite de l'exécution du contrat, soit, dans le cas contraire, les effets d'une démission. La charge de la preuve repose sur le salarié mais cette charge probatoire doit être combinée avec celle liée au harcèlement moral.
En l'espèce, Mme [X] sollicite, à titre principal, la requalification de la prise d'acte en licenciement nul et la condamnation de l'employeur au paiement d'un mois de préavis, outre les congés payés y afférents, ainsi qu'à des dommages et intérêts équivalents à six mois de salaire. A titre subsidiaire, elle sollicite la requalification de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse en raison des manquements de l'employeur à ses obligations contractuelles. Elle sollicite à ce titre une indemnité équivalente à un mois de préavis, outre les congés payés y afférents, ainsi que des dommages et intérêts équivalents à un mois de salaire.
Mme [X] invoque :
Un harcèlement moral
Le non-respect du délai de prévenance dans la communication des plannings,
Le non-respect du repos quotidien,
Le non-respect des temps de pause quotidiens.
Sur le harcèlement moral et la requalification de la prise d'acte en licenciement nul
Il résulte des dispositions de l'article L. 1152-1 du code du travail qu'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Par application des dispositions de l'article L. 1154-1 du même code lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
En l'espèce, Mme [X] soutient qu'elle a subi des humiliations, la pression permanente de l'employeur et que ce dernier utilisait de manière abusive les caméras de surveillance pour contrôler ses faits et gestes. Elle indique que le stress permanent instauré par l'employeur constituait un harcèlement et qu'il multipliait les appels téléphoniques pour la contrôler au travail.
Elle fait valoir qu'elle a alerté l'employeur à deux reprises de la dégradation de ses conditions de travail mais qu'aucune amélioration n'a pu intervenir puisque ce dernier ne la laissait pas s'exprimer. Par suite, elle soutient que l'employeur lui aurait demandé de se taire ou de prendre ses affaires et qu'elle « se casse ».
Mme [X] produit :
- La lettre de prise d'acte de la rupture du contrat (pièce n°6) dans laquelle elle se prévaut de harcèlement moral à répétition, de dénigrement face aux clients, de menace de licenciement créant des tensions, de l'utilisation abusive des caméras de surveillance pour contrôler ses faits et gestes, des appels à répétitions de l'employeur et de tentatives d'intimidations répétées
- Une attestation de Mme [I] [P] (pièce n°4) mentionnant : « Dès que je suis arrivée dans l'entreprise en septembre 2021, on m'a expliqué que Mr [Y] avait des préférences envers ses employés. Certaines des vendeuses étaient apprécié tandis que d'autres étaient tout le temps réprimandé. Il faisait beaucoup de réflexion misogyne et n'a pas hésité à défendre son pâtissier lorsque celui-ci a eu des gestes déplacés envers moi. De plus, Mr [Y] nous a toujours fait travailler sous la pression en nous menaçant de réduire nos salaires et de s'en servir pour payer ses pertes lorsqu'une erreur a été commise. (') Il se permettait de nous observer à longueur de journées à travers les caméras de surveillance présentes dans l'entreprise. Il pouvait nous téléphoner jusqu'à 5 à 10 fois en quelques heures simplement pour me dire de mieux nettoyer un coin de table ou de mieux attacher mes cheveux. »,
- Une attestation de sa s'ur, Mme [J] [X] (pièce n°13) retraçant les plaintes de la salariée s'agissant de ses conditions de travail : « surveillance et comportement de son hiérarchique parfois humiliant », « cela nuit à son équilibre vie personnelle/professionnelle », « découragement et déprime chez ma s'ur constatés lors de ses appels téléphoniques »,
- Une plainte de Mme [A] [C] (pièce n°15) pour faux et usage de faux datée du 08 février 2023 dans laquelle elle mentionne : « J'ai décidé de démissionner car cette personne [l'employeur] nous manquait de respect, mettait une mauvaise ambiance, avait des pratiques non professionnelles voir illégales comme supprimer des jours de congés pour nous punir. Il nous faisait aussi régulièrement du chantage tel que « si vous êtes pas contents, vous démissionnez car moi je fais pas de rupture de contrat comme ça vous n'avez pas le chômage »,
Une plainte de Mme [G] [Z] (pièce n°16) pour faux et usage de faux datée du 08 février 2023 dans laquelle elle mentionne : « Le patron se nomme [Y] [R]. Il était de nature très dur, il parlait mal, toujours en train de se plaindre du travail des uns et des autres, il mettait beaucoup de stress au travail, il faisait à sa guise par rapport au planning, on était prévu des horaires et des jours de repos le dimanche soir pour la semaine qui suivait, il nous prévenait une semaine avant lors de grosses semaines de vacances, nous mettait en congés payés quand il le souhaitait, et une fois en septembre il ne nous a pas averti que la boulangerie était fermée pour quelques jours et il avait d'autres façons de faire qui ne me semblait pas correctes ».
D'une part, il convient de noter que Mme [X] se prévaut d'humiliations provoquées par l'employeur mais ne les explicite pas. En effet, elles ne sont ni circonstanciées ni datées, et aucune pièce ne vient corroborer les dires de la salariée.
D'autre part, il apparaît que seule Mme [P] corrobore l'hypothèse d'une utilisation abusive des caméras de surveillance. Or, cette attestation, qui fait état de reproches formulés par l'employeur à son encontre et qui décrit une ambiance de surveillance générale au sein du lieu de travail, s'avère insuffisante, en ce qu'elle ne mentionne aucunement la situation particulière de Mme [X].
Si l'employeur reconnaît, dans son courrier du 18 février 2022 (pièce n°3) l'utilisation des caméras de surveillance, il l'explique par la nécessité de faire un point sur les stocks de marchandises de la boulangerie en cours de journée lorsqu'il était absent. Cet élément est confirmé par l'attestation de Mme [M] (pièce n°8), qui déclare que l'employeur ne détournait pas la vidéosurveillance des lieux pour contrôler les attitudes des salariés mais pour compléter les stocks.
Par ailleurs, Mme [X] soutient que l'employeur lui aurait indiqué, le 27 janvier 2022, qu'elle devait se taire ou « qu'elle prenne ses affaires et qu'elle se casse, que la porte était toujours ouverte ». Là encore, il sera souligné que la salariée n'apporte aucun élément circonstancié permettant de corroborer ses affirmations. Si les plaintes d'autres salariées font état de propos désagréables prononcés par l'employeur à leur encontre, elles ne soutiennent pas avoir été témoins de tels propos à l'encontre de Mme [X].
L'attestation rédigée par la s'ur de Mme [X] ne peut être retenue à elle seule, ne se fondant que sur les déclarations de la salariée et non sur des faits qu'elle aurait personnellement constatés et étant nécessairement partiale en raison de sa qualité.
Au demeurant, Mme [X] ne se prévaut d'aucun élément factuel précis et circonstancié pouvant caractériser des conditions de travail dégradées et empreintes de stress.Les plaintes de Mme [C] et de Mme [Z] ne rapportent aucune attitude ou propos de l'employeur à l'encontre de Mme [X], ce d'autant qu'elles ont été déposées plusieurs mois après la rédaction des attestations à la suite d'un échange avec la salariée et viennent contredire les premières attestations en faveur de l'employeur, dont la validité est contestée.
Il sera relevé par ailleurs que dans la plainte de Mme [O] pour faux et usage de faux, celle-ci indique que Mme [X] avait prévu de « faire un abandon de poste pour une reconversion professionnelle », fait également invoqué par d'autres salariés à l'occasion de leurs attestations contestées.
Ces éléments, pris dans leur ensemble, sont insuffisants pour laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral puisque la cour n'est pas en mesure de constater la matérialité de faits évoqués.
La demande en nullité du licenciement ne peut donc prospérer. Le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a rejetée et en ce qu'il a également rejeté la demande indemnitaire pour licenciement nul.
Sur les manquements reprochés à l'employeur et la demande de requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse
Sur le délai de prévenance des plannings
Il résulte des articles L.3123-11 et L.3121-47 du code du travail que toute modification de la répartition de la durée de travail entre les jours de la semaine ou entre les semaines du mois est notifiée au salarié en respectant un délai de prévenance d'au moins 7 jours.
Mme [X] soutient qu'elle était informée le dimanche à 13h00 du planning de la semaine suivante. Elle fait valoir qu'elle pouvait recevoir des SMS de la part de son employeur tôt le matin lui demandant de travailler le jour même à 6h00 et affirme que l'employeur fermait régulièrement et intempestivement la boulangerie, ne l'en avisant que la veille ou le jour même, tout en lui imposant de poser des jours de congés payés pendant ces périodes.
Elle produit :
Un échange de SMS avec l'employeur (pièce n°3) datant du 11 janvier 2022 dans lequel il expose « Bonjour [D], votre planning change' vous ne reprennez que jeudi à 13h !!! Demain vous ne travaillez pas. » « Il n y a pas [F] il. N'y a pas Noël donc Mr [Y] peux pas êtres partout, du coup il a réorganiser pour faire sans [F], mais pour demain peu pas se retourner donc il ferme. J'ai pas les planning. Demain c'est fermé. » ainsi qu'un échange de SMS du 19 janvier 2022 dans lequel l'employeur écrit : « Désoler de vous déranger [D] je sais que vous avez votre stage, mais est ce que vous pouvez venir de 6h à 8h à la boulangerie ».
Une attestation de Mme [P] (pièce n°4), ancienne salariée de la société Les délices, dans laquelle elle mentionne : « Je souhaite souligner le faite qu'à chaque fermeture de l'établissement Mr [Y] ne nous prévenez que la veille ou le jour même lorsque nous arrivions devant la boulangerie et que nous nous rendions compte qu'elle était fermé ».
La plainte de Mme [Z] (pièce n°16), ancienne salariée de la société Les délices, dans laquelle elle indique « il faisait à sa guise, par rapport au planning on était prévenu des horaires et des jours de repos le dimanche soir pour la semaine qui suivait, il nous prévenait une semaine avant lors de grosses semaines de vacances, nous mettait en congés payés quand il le souhaitait, et une fois en septembre il ne nous a pas averti que la boulangerie était fermée pour quelques jours ».
D'une part, la Cour relève que Mme [X] ne produit aucun élément permettant de dater avec précision la date de transmission des plannings. Seul le témoignage de Mme [Z] contenu dans sa plainte pour faux confirme l'hypothèse d'une communication tardive des plannings chaque semaine. Or, il ressort de ce qu'il précède que le contenu de cette plainte doit être analysé avec circonspection, en ce qu'elle se contredit avec l'attestation à son nom du 6 février 2022 produite par l'employeur.
L'employeur se prévaut au contraire de la communication des plannings 15 jours à l'avance, dans le respect des dispositions légales précitées. En sus de l'attestation de Mme [Z], dont la véracité est contestée par Mme [X], l'employeur produit les attestations de Mme [S] (pièce n°5) et de Mme [M] (pièce n°8) qui, de manière concordante, corroborent ce délai de communication.
D'autre part, s'agissant de la modification tardive des plannings, Mme [X] démontre effectivement que l'employeur l'a informée le mardi 11 janvier 2022 de la suppression de sa journée de travail du mercredi 12 janvier suivant, au mépris du délai de prévenance applicable. L'employeur justifie, dans les échanges de SMS, la modification de la répartition de la durée du travail sur la semaine par l'absence imprévue de certains membres du personnel.
Mme [X] n'apporte pas la preuve d'autres changements imprévus au cours de la relation contractuelle, si ce n'est concernant la journée du 19 janvier 2022. Or, à cette date, l'employeur n'a pas imposé de modification mais simplement demandé à la salariée si elle pouvait se rendre à son lieu de travail à 6 heures. N'ayant pas donné une suite favorable à cette demande, Mme [X] ne peut se prévaloir de cette « modification » qui ne s'est pas concrétisée.
Dès lors, le manquement de l'employeur est établi mais est à relativiser dans la mesure où la modification des plannings a revêtu un caractère exceptionnel.
Sur le respect du repos quotidien
En application des articles L 3121-18, L 3121-19, L 3121-22, L 3131-1 et L 3132-2, la durée maximale de travail quotidienne ne peut excéder 10 heures, la durée maximale de travail hebdomadaire ne peut excéder 48 heures, ni 44 heures sur une période de 12 semaines, et le salarié a droit à un repos quotidien minimal de 11 heures consécutives et à un repos hebdomadaire minimal de 24 heures consécutives.
Mme [X] soutient que l'employeur n'a pas respecté les temps de repos quotidien, et indique que les 15 décembre 2021, 13 janvier et 17 janvier 2022, elle aurait terminé à 20 heures pour reprendre à 6 heures du matin.
Elle produit en ce sens les plannings rédigés par l'employeur sur la période du 05 juillet 2021 au 30 janvier 2022.
La société Les délices revendique le respect de la durée du temps de repos quotidien, et indique qu'en 7 mois de travail, il n'y a eu que 3 journées où ce temps de repos a été écourté à 10 heures. Elle considère qu'il ne s'agit que de situations exceptionnelles, dans l'intérêt du bon fonctionnement de l'entreprise, ce qui ne peut donc pas caractériser un manquement d'une gravité suffisante pour justifier une prise d'acte.
Dès lors, le manquement de l'employeur est établi mais est également à relativiser dans la mesure où le non-respect de la durée du repos quotidien, qui a été de 10 heures au lieu de 11 heures consécutives, a revêtu un caractère exceptionnel.
Sur le temps de pause minimal
Aux termes de l'article L.3121-16 du code du travail, dès que le temps de travail quotidien atteint six heures, le salarié bénéficie d'un temps de pause d'une durée minimale de vingt minutes consécutives.
Mme [X] soutient qu'en raison de la pression et du manque de personnel dans l'entreprise, elle n'avait pas la possibilité de prendre effectivement son temps de pause minimal.
Elle produit :
L'attestation de sa s'ur Mme [J] [X] (pièce n°13) qui évoque notamment des pauses non règlementaires,
L'attestation de Mme [P] (pièce n°4) qui mentionne « Mr [Y] nous a toujours fait travailler sous la pression en nous menaçant de réduire nos salaires et de s'en servir pour payer ses pertes lorsqu'une erreur a été commise ».
L'employeur affirme que Mme [X] a bénéficié de ses 20 minutes de temps de pause par journée de travail, et que ces temps de repos étaient rémunérés. lusieurs attestations de salariés témoignant de la prise effective des temps de pause.
Sur ce, la Cour considère que Mme [X] échoue à démontrer la matérialité des manquements reprochés. En effet, d'une part, Mme [X] ne se rapporte qu'aux dires de la salariée et n'a pas pu constater effectivement l'absence de prise des temps de pause. D'autre part, Mme [P] n'apporte aucune précision utile sur la prise effective des temps de pause, et n'évoque pas la situation de Mme [X].
Le manquement n'est donc pas établi.
Au total, si les manquements de l'employeur relatifs au respect du repos quotidien et du délai de prévenance dans la communication des plannings sont établis , il reste que Mme [X] ne fait pas la preuve de la gravité de ces manquements et du fait qu'ils rendaient impossible la poursuite du contrat de travail.
La rupture ne pouvait donc produire que les effets d'une démission de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il a jugé que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail devait produire les effets d'une démission et a débouté Mme [X] de l'ensemble de ses demandes liées à la rupture du contrat de travail.
Sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral
Mme [X] demande l'octroi de la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait des fautes de l'employeur .
Le dépassement de la durée maximale de travail quotidienne et le non-respect du temps de pause quotidien ont nécessairement causé un préjudice à Mme [X] que la cour évalue à 400 euros. Le jugement sera infirmé sur ce point.
Sur la demande au titre du préavis de démission
L'article L 1237-2 du code du travail dispose que la rupture du contrat à durée indéterminée à l'initiative du salarié ouvre droit, si elle est abusive, à des dommages et intérêts pour l'employeur.
Mme [X] sollicite la réformation du jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer un mois de salaire au titre du préavis d'un mois non effectué et fait valoir que la convention collective lui étant applicable mentionne l'existence d'un préavis de deux semaines, de sorte que la somme doit être ramenée à 827,16€.
Aux termes de l'article 32 de la convention collective nationale de la boulangerie-pâtisserie, produit aux débats,en cas de licenciement ou de démission d'un salarié, la durée du préavis est fixée à 2 semaines en cas de démission d'un salarié disposant d'une ancienneté supérieure à 6 mois et inférieure à 2 ans.
En conséquence, si l'employeur est fondé à solliciter la condamnation de Mme [X] au paiement d'une somme correspondant au préavis non exécuté, cette somme ne saurait être fixée à un mois de salaire .Il conviendra d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes sur ce point et de condamner Mme [X] à payer à la société Les délices la somme de 827,16 euros.
Sur les demandes accessoires
Les dispositions relatives aux frais irrépétibles de première instance seront confirmées.
Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel et chacune des parties conservera la charge de ses frais irrépétibles au titre de la procédure d'appel.
Les parties supporteront par moitié les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Écarte des débats les conclusions de la société Les Délices notifiées le 1er septembre 2025 ainsi que la nouvelle pièce 11 produite par elle,
Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Toulouse du 17 août 2022 , sauf en ce qu'il a condamné Mme [X] à verser à la société Les délices la somme de 1654,33 euros au titre du préavis de démission d'un mois non effectué et l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral,
Statuant à nouveau des chef infirmés et y ajoutant
Condamne Mme [X] à verser à la société Les délices la somme de 827,16 euros au titre du préavis de démission de deux semaines non effectué,
Condamne la société Les délices à verser à Mme [X] la somme de 400 euros en réparation du préjudice moral,
Déboute la société Les délices et Mme [X] de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
Dit que les dépens d'appel seront partagés par moitié par la société Les délices et Mme [X].
Le présent arrêt a été signé par F. BRU, présidente, et par C. IZARD, greffière.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
C. IZARD F. BRU