CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 12 novembre 2025, n° 23/17195
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Sibel (SAS)
Défendeur :
White Line SRL (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gouarin
Conseiller :
M. Richaud
Avocats :
Me Guyonnet, Me Debordes, Me Morin
EXPOSE DU LITIGE
La SAS Sibel exerce une activité de négoce de cuirs et de peaux. Par jugement du 12 mai 2022, le tribunal de commerce de Clermont-Ferrand a ouvert à son bénéfice une procédure de redressement judiciaire et désigné la Selarl Mandatum ([N] [X]) en qualité de mandataire judiciaire et la Selarl AJ Up ([B] [E]) en qualité d'administrateur judiciaire.
La société de droit italien White Line SRL exerce une activité de vente, d'exportation, de travail et de transformation des peaux et cuirs de toute nature.
Par contrat du 14 avril 2017, la société Nuring, agissant pour le compte de la SAS Sibel qu'elle contrôle au sens de l'article L 233-3 du code de commerce, et la société White Line SRL ont conclu, pour une durée de trois renouvelable par tacite reconduction (article 8.1), un contrat de distribution exclusive aux termes duquel la seconde confiait à titre exclusif à la première la commercialisation en France, en Belgique, en Espagne et en Suisse des peaux d'animaux exotiques qu'elle lui fournissait.
Les articles 5 et 6 de cette convention stipulent que les commandes, systématiquement passées par écrit, sont faites au tarif en vigueur à leur date, sauf accord préalable contraire (article 5.1) et que :
- les produits, qui doivent être conformes à ceux confirmés en quantité, mesure, poids et qualité avec une tolérance de 5 % à charge pour le distributeur de faire ses réclamations sous huit jours (article 6.4), sont livrés avec réserve de propriété jusqu'au moment du paiement (article 6.1). En cas de désaccord persistant sur la conformité des produits, la vente est résolue de plein droit et le fournisseur est tenu de les récupérer à ses frais, de restituer les acomptes versés au distributeur et le cas échéant de l'indemniser à hauteur de 10 % de la confirmation de commande ainsi que des frais engagés (article 6.4) ;
- le règlement par le distributeur doit intervenir dans un délai maximum de 60 jours calendaires à compter de la date d'émission de la facture (article 5.2).
Durant la relation commerciale, la société White Line SRL confiait en outre régulièrement à la SAS Sibel ses produits en dépôt-vente et ne les lui facturait qu'après leur vente effective ou à défaut de restitution.
A l'issue d'un inventaire réalisé par la SAS Sibel, la société White Line SRL lui adressait les 30 septembre et 14 octobre 2020 deux factures de 100 570,91 euros et de 49 403,20 euros au titre des marchandises livrées et non restituées, factures que la SAS Sibel contestait en soutenant ne pas avoir passé les commandes concernées et en critiquant la quantité et la qualité des produits livrés.
Après avoir émis trois avoirs les 16 octobre (7 831,30 euros), 30 novembre (21 562 euros) et 18 décembre 2020 (5 137,20 euros), la société White Line SRL a notifié à la SAS Sibel le 21 décembre 2020 la résiliation du contrat de distribution à effet immédiat.
Le 22 décembre 2020, la SAS Sibel adressait à la société White Line SRL une facture d'un montant de 177 148 euros correspondant au prix d'achats des produits qu'elle lui avait retournés.
Par courrier de son conseil du 23 décembre 2020, la société White Line SRL mettait en demeure la SAS Sibel de lui régler la somme totale de 115 141,18 euros, pénalités de retard au taux prévu par l'article L 441-10 du code de commerce comprises, montant réduit par une quatrième note de crédit du 31 décembre 2020 (1 728 euros).
Par jugement du 7 février 2022, le tribunal de commerce de Clermont-Ferrand, saisi d'une opposition formée le 9 mars 2021 par la SAS Sibel contre une ordonnance d'injonction de payée rendue le 2 février 2021 par le délégataire de son président à la demande de la société White Line SRL présentée le 27 janvier 2021 pour un montant total de 110 713,97 euros, s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Lyon, la SAS Sibel ayant formé une demande reconventionnelle fondée sur l'article L 442-1 II du code de commerce.
Par jugement du 20 juin 2023, le tribunal de commerce de Lyon a :
- écarté les pièces n° 5, 16 et 16 bis de la SAS Sibel « estimées non probantes » ;
- dit que la créance détenue par la société White Line SRL à l'encontre de la SAS Sibel s'élevait à la somme de 110 713,97 euros au titre des factures n° 278 du 30 septembre 2020 et 313 du 31 octobre 2020, déduction faite des avoirs n° 248 du 16 octobre 2020, n° 347 du 30 novembre 2020, n° 354 du 18 décembre 2020 et n° 380 du 31 décembre 2020 ;
- fixé son montant à 110 713,97 euros en principal ainsi que la somme de 15 631,19 euros au titre des intérêts de retards arrêtés au 11 mai 2022, à parfaire, avec capitalisation dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil ;
- jugé qu'il y avait lieu d'inscrire cette créance au passif de la SAS Sibel ;
- dit que le défaut répété de paiement constituait un fait justificatif de « l'interruption de la relation commerciale sans préavis compte tenu du contrat liant les parties » ;
- dit que cette « résiliation » était fondée ;
- rejeté en conséquence la demande en dommages et intérêts pour « rupture abusive de contrat » de la SAS Sibel ;
- condamné la SAS Sibel à payer à la société White Line SRL la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et fixé ce montant au passif de la SAS Sibel ;
- condamné la SAS Sibel aux entiers dépens d'instance ;
- rejeté comme non fondées toutes autres prétentions.
Après avoir saisi la cour d'appel de Lyon le 1er août 2023, la SAS Sibel, prise en la personne de son mandataire et de son administrateur judiciaires, a, par déclaration reçue au greffe le 25 octobre 2023, interjeté appel de ce jugement devant la cour d'appel de Paris puis s'est désistée de son précédent appel.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 30 septembre 2025 par la voie électronique, la SAS Sibel demande à la cour, au visa des articles 1353 du code civil, L 624-2 du code de commerce et 455 et 700 du code de procédure civile :
- à titre principal :
o d'infirmer le jugement du 20 juin 2023 en ce qu'il a :
écarté les pièces n° 5, n° 16 et n° 16 bis de la SAS Sibel car estimées non probantes ;
dit que la créance détenue par la société White Line SRL à l'encontre de la SAS Sibel s'élevait à la somme de 110 713,97 euros au titre des factures n° 278 du 30 septembre 2020, 313 du 31 octobre 2020 et déduction faite des avoirs n° 248 du 16 octobre 2020, n° 347 du 30 novembre 2020, n° 354 du 18 décembre 2020 et n° 380 du 31 décembre 2020 ;
fixé son montant à 110 713 ,97 euros en principal ainsi que la somme de 15 631,19 euros au titre des intérêts de retards arrêtés au 11 mai 2022, et à parfaire, lesquels produiront eux-mêmes intérêts dans les mêmes conditions prévues par l'article 1343-2 du code civil ;
jugé qu'il y avait lieu d'inscrire cette créance au passif de la SAS Sibel ;
dit que le défaut répété de paiement constituait un fait justificatif de l'interruption de la relation commerciale sans préavis compte tenu du contrat liant les parties ;
dit que cette résiliation était fondée ;
rejeté en conséquence la demande en dommages et intérêts pour rupture abusive de contrat de la SAS Sibel ;
condamné la SAS Sibel à payer à la société white line à la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et fixé ce montant au passif de la SAS Sibel ;
condamné la SAS Sibel aux entiers dépens d'instance ;
rejeté comme non fondés tous autres moyens et demandes contraires des parties ;
o de débouter la société White Line SRL de sa demande d'infirmation du jugement du 20 juin 2023 en ce qu'il a fixé la créance de la société White Line SRL au titre de l'article 700 du code de procédure civile à 1 500 euros ;
- statuant à nouveau :
o d'écarter des débats les pièces adverses non traduites n° 4, 5, 7 9, 10, 11, 12, 13, 15, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 27, 28, 29 ;
o de déclarer la SAS Sibel recevable et bien fondée en son opposition ;
o dire et juger que la société White Line SRL ne justifie pas des commandes écrites et de déclarer en conséquence sans cause les factures dont le recouvrement est poursuivi ou, à défaut, d'ordonner l'annulation des ventes par suite du retour des marchandises à la société White Line SRL ;
o de débouter en conséquence la société White Line SRL de ses demandes en fixation de la créance ; à titre très subsidiaire, d'ordonner la compensation entre les créances réciproques ; à titre encore plus subsidiaire, de limiter la fixation de la créance au passif de la SAS Sibel à la somme de 29 757,34 euros ;
o de condamner la société White Line SRL à payer et porter à la Selarl Mandatum, ès qualités de mandataire judiciaire de la SAS Sibel, la somme de 300 000 euros, à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive des relations commerciales en vertu de l'article L 442-1 du code du commerce, ou d'ordonner en tant que de besoin, avant-dire droit, une expertise pour chiffrer le préjudice ;
- en tout état de cause, de :
o débouter la société White Line SRL de l'ensemble de ses demandes ;
o rejeter toute demande plus ample ou contraire ;
o débouter la société White Line SRL de ses demandes au titre des frais irrépétibles et des dépens ;
o condamner la société White Line SRL à porter et payer à la Selarl Mandatum, ès qualités de mandataire judiciaire de la SAS Sibel , la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles ;
o condamner la société White Line SRL aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 24 septembre 2025, la société White Line SRL demande à la cour :
- d'infirmer le jugement du tribunal de commerce de Lyon du 20 juin 2023 en ce qu'il condamne la SAS Sibel à payer à la société la société White Line SRL la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et fixe ce montant au passif de la SAS Sibel ;
- statuant à nouveau, de condamner la SAS Sibel à payer à la société White Line SRL la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de fixer ce montant au passif de la SAS Sibel ;
- de confirmer le jugement du tribunal de commerce de Lyon du 20 juin 2023 en ce qu'il a :
o écarté les pièces n° 5, n° 16 et n° 16 bis de la SAS Sibel car estimées non probantes ;
o dit que la créance détenue par la société White Line SRL à l'encontre de la SAS Sibel s'élevait à la somme de 110 713,97 euros au titre des factures n° 278 du 30 septembre 2020, 313 du 31 octobre 2020 et déduction faite des avoirs n° 248 du 16 octobre 2020, n° 347 du 30 novembre 2020, n° 354 du 18 décembre 2020 et n° 380 du 31 décembre 2020 ;
o fixé son montant à 110 713 ,97 euros en principal ainsi que la somme de 15 631,19 euros au titre des intérêts de retards arrêtés au 11 mai 2022, et à parfaire, lesquels produiront eux-mêmes intérêts dans les mêmes conditions prévues par l'article 1343-2 du code civil ;
o jugé qu'il y avait lieu d'inscrire cette créance au passif de la SAS Sibel ;
o dit que le défaut répété de paiement constituait un fait justificatif de l'interruption de la relation commerciale sans préavis compte tenu du contrat liant les parties ;
o dit que cette résiliation était fondée ;
o rejeté en conséquence la demande en dommages et intérêts pour rupture abusive de contrat de la SAS Sibel ;
o condamné la SAS Sibel aux entiers dépens d'instance ;
o rejeté comme non fondés tous autres moyens et demandes contraires des parties ;
- à titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour d'appel, infirmant le jugement dont appel, venait à déclarer la rupture brutale des relations commerciales établies par la société White Line SRL, d'ordonner la compensation de la créance détenue par la société White Line SRL avec la créance qui sera éventuellement déterminée par la cour au titre des dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies ;
- en tout état de cause, de :
o rejeter la demande de la SAS Sibel visant à écarter des débats les pièces de la société White Line SRL n° 4, 5, 7 9, 10, 11, 12, 13, 15, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 27, 28, 29 ;
o débouter la SAS Sibel de l'ensemble de ses demandes ;
o condamner la SAS Sibel à payer à la société White Line SRL la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens d'appel en fixant ces montants au passif de la SAS Sibel ;
o débouter la SAS Sibel de sa demande au titre des frais irrépétibles d'appel.
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise ainsi qu'aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 1er octobre 2025. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l'arrêt sera contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile.
MOTIVATION
A titre liminaire, la cour rappelle que, en vertu des dispositions des articles L 631-14, L 622-21, L 622-22 et L 622-7 du code de commerce, le jugement qui ouvre ou prononce le redressement judiciaire :
- interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L 622-17 et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ou à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent ;
- interrompt les instances en cours jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance. Elles sont alors reprises de plein droit, le mandataire judiciaire et, le cas échéant, l'administrateur ou le commissaire à l'exécution du plan nommé en application de l'article L 625-25 dûment appelés, mais tendent uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant ;
- emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception du paiement par compensation de créances connexes, ainsi que toute créance née après le jugement d'ouverture, non mentionnée au I de l'article L 622-17, tout acte ou tout paiement passé en violation de ces dispositions étant annulé à la demande de tout intéressé ou du ministère public. La déclaration de créance étant le corollaire de l'interdiction des actions en paiement, l'obligation de déclarer sa créance ne concerne, en application de l'article L 622-21§I du code de commerce, que les actions « tendant ['] à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent [' ou] à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent ».
Aussi, les demandes de la société White Line SRL, dont il n'est pas contesté qu'elle a régulièrement déclaré ses créances, ne peuvent porter, pour celles relatives à des créances antérieures au jugement d'ouverture, sur la condamnation au paiement de la SAS Sibel mais exclusivement sur la constatation éventuelle de ses créances et la fixation corrélative de leur montant au passif de cette dernière. Les créances nées postérieurement au jugement arrêtant le plan de redressement sont en revanche soumises au droit commun et doivent être payées à leur échéance.
Par ailleurs, la cour constate que, en dépit de l'élément d'extranéité qui résulte du lieu du siège social de la société White Line SRL, les parties n'évoquent ni la compétence juridictionnelle ni la loi applicable. Elle observe à ce titre que :
- sa compétence juridictionnelle est acquise sur le fondement des articles 26 et 4 du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 dit Bruxelles I bis, la SAS Sibel, attraite par la société White Line SRL, étant domiciliée sur le territoire français et ayant comparu et conclu au fond en cause d'appel sans élever de contestation à ce titre en dépit de la clause attributive de juridiction stipulée à l'article 10 du contrat de distribution du 14 avril 2017 à laquelle la seconde a renoncé (CJUE, 20 mai 2010, Vienna Insurance Group, C-111/09, §21, et 11 avril 2019, Ryanair DAC, C-464/18, §38) ;
- s'agissant de la loi applicable, l'action porte sur une demande en paiement fondée sur un contrat de distribution ainsi que sur une prétention indemnitaire au titre de l'article L 442-1 II du code de commerce. La première est soumise à la loi française en vertu de l'article 4.3 du règlement (CE) n° 593/2008 du 17 juin 2008 dit Rome I auquel l'article 10 du contrat renvoie (en visant par erreur la convention de Rome du 19 juin 1980 qui n'est pas applicable, puisque la convention litigieuse a été conclue après le 17 décembre 2009, mais qui prévoit une solution identique en son article 4). La seconde, en ce que la relation commerciale est constituée par un contrat exécuté durant plusieurs années et relève ainsi de la matière contractuelle au sens du règlement Rome I dont les dispositions doivent recevoir une interprétation uniforme avec celle du règlement Bruxelles I bis (considérants 7 et 17 et, pour la nature contractuelle ou délictuelle de l'action au sens de ce règlement, CJUE, Granarolo c. Ambrosi Emmi France, 14 juillet 2016, C-196/15), est également soumise à la loi française sur le même fondement.
1°) Sur la recevabilité des pièces
Moyens des parties
La SAS Sibel, qui souligne l'absence de motivation du tribunal sur l'écartement de ses pièces 16 et 16 bis, soutient que la facture du 22 décembre 2022 (sa pièce 5), qui est inscrite dans sa comptabilité, correspond au montant des marchandises qu'elle a réexpédiées à la société White Line SRL le 12 novembre 2022 en application de l'article 8.2 du contrat. Elle ajoute que la réalité du retour des produits découle de la correspondance entre le bon de livraison et les échanges des parties qui mentionnent un poids et un volume identiques également repris sur la fiche de suivi de la livraison acceptée par son destinataire contre signature. Elle précise que le poids indiqué est conforme aux poids moyens des peaux livrées par cette dernière.
Par ailleurs, elle explique que les pièces adverses n° 5, 7, 9, 10, 11, 12, 13, 15, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 27, 28, 29 ont été produites uniquement en langue italienne et en déduit leur irrecevabilité au visa des dispositions de l'ordonnance de [Localité 11] du 25 août 1539.
En réponse, la société White Line SRL expose que le tribunal a justement retenu que la SAS Sibel n'avait pas respecté la procédure de l'article 6.4 du contrat, que les pièces 16 et 16 bis n'étaient pas probantes et que la preuve de l'expédition des produits objet de la facture du 22 décembre 2020 n'était pas rapportée par la SAS Sibel qui le reconnaissait. Soulignant les fluctuations de l'argumentation de cette dernière, elle soutient que cette facture, apparue en cours d'instance, ne lui a pas été adressée et qu'elle est quoi qu'il en soit inexploitable puisqu'elle contient une liste de produits sans aucune référence ni à ses numéros de facture de vente et son bon de livraison ni au numéro de bon de restitution de la SAS Sibel. Elle ajoute que les produits visés ne correspondent pas à ceux indiqués dans les bons de livraison BL 200328 et BL 200327 en ce que :
- le premier fait référence à sept peaux retournées par la SAS Sibel qui ont fait l'objet de l'avoir n° 354 du 18 décembre 2020 qui le mentionne expressément et dont le montant est égal à celui des peaux facturées. Elle précise à cet égard que le document de transport évoqué par l'avoir n° 354 (DDT [document de transport] n° 17 du 13 février 2020) permet d'identifier les sept peaux objet de sa facture de vente n° 278 du 30 septembre 2020 et de vérifier que leur prix est égal à celui de l'avoir ;
- le second vise des produits qui ne sont pas ceux de la facture.
Elle explique en outre que les documents de transports produits par la SAS Sibel prouvent l'envoi d'un colis de 133 kg sans établir son contenu, ce poids ne correspondant pas à celui des peaux objet de la facture, et que cette carence probatoire n'est pas palliée par l'attestation de l'expert-comptable communiquée qui porte sur le chiffre d'affaires et la marge de la SAS Sibel pour les années 2017 à 2019.
Elle expose par ailleurs que ses pièces n° 5, 7, 9, 10, 11, 12, 13, 15, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 27, 28 et 29 sont traduites en français en leurs éléments essentiels, les autres termes étant transparents. Elle ajoute que l'obligation de traduction en français ne concerne que les actes de procédure et que le juge apprécie souverainement les pièces qui sont produites par les parties, la SAS Sibel communiquant à son tour des pièces non traduites et exploitant les traductions des siennes dans ses écritures.
Réponse de la cour
- Sur les pièces 5, 16 et 16 bis de la SAS Sibel
Conformément aux articles 12 et 16 du code de procédure civile, le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables et doit donner ou restituer dans le respect du principe de la contradiction leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.
La cour constate que la société White Line SRL n'élève pas de contestation touchant à aux conditions d'obtention, de production ou de communication des pièces mais les estiment, comme le tribunal à sa suite, non probantes. Or, le défaut de force probante d'une pièce, qu'il découle de l'impossibilité de son exploitation, de sa nature, de ses incohérences ou de la qualité de son auteur, n'est pas cause de son irrecevabilité ou de son « rejet » ou de son « écartement » des débats, mais exclusivement de son impropriété à établir la réalité des faits sur lesquels elle porte et à emporter la conviction du juge. Aussi, la pertinence et la valeur probatoires de chaque pièce seront examinées au stade des moyens de fait et de droit qu'elle appuie.
Aussi, ce chef de dispositif, qui s'analyse en un simple constat de l'absence de force probante des pièces litigieuses au fond sans égard pour leur recevabilité et n'a pas à y figurer, sera infirmé, la force probante de chacune de ces pièces étant appréciée au stade de l'examen au fond de la demande.
- Sur les pièces 4, 5, 7, 9, 10, 11, 12, 13, 15, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 27, 28, 29 de la société White Line SRL
Les articles 16 et 23 du code de procédure civile et 110 et 111 de l'ordonnance de [Localité 10] du 10 août 1539, qui ne visent que les actes de procédure, n'interdisent pas la production de pièces en langue étrangère dès lors que les parties et le juge les comprennent, celui-ci étant fondé, dans l'exercice de son pouvoir souverain et sans pour autant violer l'article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, à ne pas retenir un document écrit en langue étrangère faute de production d'une traduction en langue française (en ce sens, pour des preuves, Com. 27 novembre 2012, n° 11-17.185, et 27 novembre 2024, n° 23-10.433).
Les pièces 4 « extrait Annonce BODACC du 17 mai 2022 » et 5 « Déclaration de créance de WHITE LINE envoyée par lettre recommandée avec avis de réception du 22 juin 2022, bordereau d'envoi et suivi du site de la Poste » sont, ainsi que leur intitulé le précise, écrites en langue française. Les annexes de la seconde sont constituées des conclusions notifiées devant le tribunal de commerce et du jugement sur la compétence du 7 février 2022, ainsi que d'une convocation devant cette juridiction, documents également rédigés en français, ainsi que des factures par ailleurs produites en pièces 17 à 22 par la société White Line SRL.
Ces dernières, auxquelles sont joints des bons de livraisons ou documents de transport (DDT), comportent peu de mentions en langue italienne qui sont de surcroît l'objet d'une traduction libre en français dont les termes ne sont pas critiqués, constat valant pour les factures et avoirs communiqués en pièces 10 à 12 et 27 à 29. Aussi, elles sont, en dépit du caractère partiel de la traduction, aisément compréhensibles par la cour et les parties qui ont échangé en français, en anglais et en italien durant leurs relations commerciales (pièces 14 et 15 de l'intimée). Il est en de même de l'extrait Kbis produit en pièce 7, dont les mentions essentielles sont également traduites en français, qui n'a en outre aucune fonction probatoire et n'est pas discuté, et des extraits de compte (pièces 9 et 10) dont les intitulés de colonnes et les « codes description objet » sont librement traduits en français, à l'instar de la capture d'écran en pièce 9 bis dont la SAS Sibel ne souligne pas les éventuelles insuffisances.
Enfin, les pièces 13 et 15 sont également l'objet d'une libre traduction de la société White Line SRL dont la SAS Sibel n'explique pas en quoi elle serait inexacte.
En conséquence, outre le fait qu'une demande de rejet est par nature infondée pour les raisons déjà exposées, constat qui commande le rejet de la prétention de la SAS Sibel à ce titre, ces pièces peuvent faire l'objet d'un débat contradictoire utile.
2°) Sur le paiement des factures
Moyens des parties
La SAS Sibel expose que la société White Line SRL ne prouve pas la réalité des livraisons facturées, les bons de livraison produits datant de 2017 et 2018 et ne pouvant être comparés aux factures litigieuses, et que ce constat, fait par le tribunal, aurait dû le conduire à rejeter les demandes de la société White Line SRL. Rappelant que l'article 5 du contrat imposait la passation de commandes par écrit, elle observe que la société White Line SRL ne justifie pas des commandes alléguées. Elle conteste en outre avoir reçu d'autres peaux que celles mentionnées dans les bons de livraisons BL200327 et BL200328 du 12 novembre 2020, les documents de transport opposés ne comportant pas, à l'instar des bons d'enlèvement et des lettres de voitures, sa signature. Elle précise que les stipulations des documents de transport relatives au retour des marchandises et à leur facturation dans les 90 jours de leur émission sont contraires au contrat de distribution dont l'article 11.2 interdit toute modification en l'absence d'un accord écrit. Elle ajoute que, à supposer opposables ces règles inappliquées en fait par la société White Line SRL elle-même, cette dernière les a violées en lui adressant pas de communication écrite préalable.
Elle explique par ailleurs que la facturation de la société White Line SRL, qui comporte des doublons, est incohérente et ne correspond pas aux documents de transport censés l'éclairer, ce qu'elle illustre par six exemples. Elle soutient enfin avoir réexpédié l'intégralité de son stock de marchandises et en déduit l'annulation des ventes sur le fondement de l'article 8.2 du contrat et son droit à remboursement, ou, à défaut, la compensation de leurs créances réciproques. Subsidiairement, elle estime que, si la totalité des marchandises qu'elle a retournées pour un montant total de 177 148 euros correspond à un poids total de 291,5 kg, la restitution de 133 kg de marchandises doit entrainer une réduction proportionnelle de 45,70 % du quantum des demandes ainsi ramenées à 29 757,34 euros.
En réponse, la société White Line SRL, qui se réfère à ses développements précédents sur la force probante des pièces produites et souligne le caractère contradictoire de la SAS Sibel qui dénonce tardivement une absence de livraison des marchandises tout en prétendant les avoir retournées, expose que celle-ci est établie par les documents versés aux débats et les échanges entre les parties. Elle ajoute que l'article 11.2 du contrat ne concerne que les obligations qu'il comporte et qu'aucune d'entre elles ne concerne les modalités d'émission de ses factures, que son article 6.1 prévoit que les conditions différentes ou particulières seront celles figurant dans la confirmation de commande du fournisseur et qu'elle n'invoque pas le délai de 90 jours figurant dans ses documents de transport, les factures en litige portant sur des produits livrés plusieurs années auparavant. Elle conteste toute incohérence dans sa facturation et critique les six exemples donnés par la SAS Sibel. Estimant avoir émis des avoirs pour l'intégralité des peaux retournées, elle souligne à nouveau la carence probatoire de cette dernière et le défaut de pertinence du raisonnement qu'elle livre à titre subsidiaire en ce qu'il s'appuie, non sur une reconnaissance du poids total des retours attendus, mais sur une simple hypothèse minimale développée pour combattre les éléments qui lui étaient opposés.
Réponse de la cour
En application de l'article 9 de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 dont les dispositions sont entrées en vigueur le 1er octobre 2016, le contrat du 14 avril 2017 est soumis aux règles qui en sont issues.
Conformément aux articles 1103, 1104 et 1194 du code civil (anciennement 1134), les conventions légalement formées, qui tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise, doivent être exécutées de bonne foi. Et, en vertu des dispositions des articles 1231-1 à 4 (anciennement 1147, 1149 et 1150) du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure, les dommages et intérêts dus au créancier étant, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé et le débiteur n'étant tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu'on a pu prévoir lors du contrat, sauf lorsque l'inexécution est due à une faute lourde ou dolosive. Les dommages et intérêts ne comprennent quoi qu'il en soit que ce qui est une suite immédiate et directe de l'inexécution.
Et, en vertu de l'article 1353 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
A titre liminaire, la cour observe que le tribunal, après avoir constaté que les pièces produites par les parties ne permettaient d'établir ni un état des peaux facturées, commandées, livrées, retournées et objet d'avoirs ni le montant des créances alléguées, ne pouvait en tirer pour conséquence, sans préciser en quoi les unes pouvaient primer les autres, qu'il pouvait retenir les seules déclarations, pourtant contradictoires, des parties à l'audience.
Bien que l'article 5 du contrat de distribution stipule que les commandes sont toujours passées par écrit, notamment par fax ou par courrier électronique, la société White Line SRL ne prouve l'existence d'aucune commande écrite alors que ses factures des 30 septembre et 31 octobre 2020 font référence à une commande unique du 5 octobre 2016 (« réf. Order 252 05/10/16 ») non communiquée et qui serait antérieure à la signature du contrat de distribution du 14 avril 2017. Elle ne démontre par ailleurs pas que les parties se seraient, dans leur pratique habituelle, dispensées du respect de ce formalisme.
Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la SAS Sibel qui procède à une lecture erronée des factures en identifiant systématiquement les mauvais DDT, la combinaison de ces documents et des factures (pièces 17 et 19 de l'intimée) permettent de s'assurer de la correspondance entre les marchandises visées, l'unique difficulté, réelle, tenant aux DDT qui, à l'instar du DDT 133 mis en lien avec la facture du 31 octobre 2020, mentionnent des quantités qui ne sont pas celles des factures et ne permettent ainsi pas, faute d'individualisation, l'identification exacte des peaux. Mais, rien ne démontre une livraison effective des marchandises concernées à la SAS Sibel. En effet, les DDT, comme les lettres de voiture ou les bons d'enlèvement, ne sont pas signés ou comportent des signatures changeantes non accompagnées d'un cachet ou d'un élément quelconque d'identification de leur auteur et sont de ce fait insusceptibles d'être rattachées à une personne habilitée à représenter et engager la SAS Sibel.
Faute de preuve d'une commande et de la remise effective des marchandises, le silence de la SAS Sibel ne peut valoir preuve de leur acceptation. Celle-ci ne découle ni des échanges de courriels d'octobre à décembre 2020 (pièces 14 et 15 de l'intimée), la SAS Sibel contestant expressément les quantités et qualités visées dans les factures litigieuses après avoir souligné qu'elle n'avait pas commandé les peaux qui en étaient l'objet, ni de l'émission de sa facture de restitution qui porte, ainsi que le révèle l'intitulé du courriel du 5 novembre 2020 (pièce 3 de l'appelante), sur « les peaux en stock », soit la totalité des marchandises non vendues détenues par la SAS Sibel dont rien n'indique qu'elles correspondent à celles visées dans les factures litigieuses.
En conséquence, la société White Line SRL ne prouvant pas le principe et la mesure de sa créance, le jugement entrepris sera infirmé et sa demande à ce titre sera rejetée.
3°) Sur la rupture brutale des relations commerciales établies
Moyens des parties
La SAS Sibel, qui relève que la société White Line SRL reconnaît l'existence d'une relation commerciale établie entre septembre 2016 et décembre 2020, expose que cette dernière l'a rompue brutalement en résiliant sans préavis le contrat de distribution sans pouvoir lui imputer une faute grave justifiant cette soudaineté. Contestant dans les termes déjà résumés la réalité de la créance de la société White Line SRL, elle précise subsidiairement que les factures des 30 septembre et 31 octobre 2020 dont le défaut de paiement est allégué arrivaient à échéance postérieurement à la résiliation et que les retards de paiement de 2018 et 2019, qui ne sont pas démontrés, sont quoi qu'il en soit insuffisamment graves pour fonder la rupture brutale, la société White Line SRL les ayant tolérés. Au regard de la durée des relations (4 ans) et de la « part très significative » qu'elles représentaient dans son chiffre d'affaires, elle estime le préavis éludé à « 8 mois, ce qui représente une perte de marge de 300.000 euros, sauf à parfaire à dire d'expert ».
En réponse, la société White Line SRL expose que les retards de paiement répétés de la SAS Sibel, prouvés par l'extrait de compte qu'elle produit et qui est attesté par un expert-comptable, fondaient une rupture immédiate des relations commerciales. Elle conteste toute tolérance à leur endroit et précise que la lettre de rupture n'a pas à en expliciter les motifs. Elle précise enfin que la SAS Sibel, qui ne justifie pas du montant de sa marge sur coûts variables, ne prouve pas le principe et la mesure du préjudice qu'elle évalue forfaitairement. Subsidiairement, elle sollicite la compensation des créances réciproques et connexes des parties, sa créance déclarée étant antérieure au jugement d'ouverture et l'éventuelle créance indemnitaire de la SAS Sibel au titre de la rupture brutale ayant également une nature contractuelle.
Réponse de la cour
En application de l'article L 442-1 II du code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels, et, pour la détermination du prix applicable durant sa durée, des conditions économiques du marché sur lequel opèrent les parties. En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois. Ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.
Au sens de ce texte, la relation, notion propre du droit des pratiques restrictives de concurrence qui n'implique aucun contrat (en ce sens, Com., 9 mars 2010, n° 09-10.216) et n'est soumise à aucun formalisme quoiqu'une convention ou une succession d'accords poursuivant un objectif commun puisse la caractériser, peut se satisfaire d'un simple courant d'affaires, sa nature commerciale étant entendue plus largement que la commercialité des articles L 110-1 et suivants du code de commerce comme la fourniture d'un produit ou d'une prestation de service (en ce sens, Com., 23 avril 2003, n° 01-11.664). Elle est établie dès lors qu'elle présente un caractère suivi, stable et habituel laissant entendre à la victime de la rupture qu'elle pouvait raisonnablement anticiper, pour l'avenir, une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial (en ce sens, Com., 15 septembre 2009, n° 08-19.200 qui évoque « la régularité, le caractère significatif et la stabilité de la relation commerciale » et Com., 11 janvier 2023, n° 21-18.299, qui souligne l'importance pour la victime de démontrer la légitimité de sa croyance dans la pérennité des relations). La poursuite de la relation par une personne distincte de celle qui l'a nouée initialement ne fait pas obstacle à sa stabilité en présence d'une transmission universelle de patrimoine et, à défaut, si des éléments démontrent que la commune intention des parties était de continuer la même relation (en ce sens, Com., 10 février 2021, n° 19-15.369).
Et, l'article L 442-1 II du code de commerce sanctionne non la rupture, qui doit néanmoins être imputable à l'agent économique à qui elle est reprochée, mais sa brutalité qui résulte de l'absence de préavis écrit ou de préavis suffisant. Celui-ci, qui s'apprécie au moment de la notification ou de la matérialisation de la rupture, s'entend du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, soit pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement en bénéficiant, sauf circonstances particulières, d'un maintien des conditions antérieures (en ce sens, Com., 10 février 2015, n° 13-26.414), les éléments postérieurs ne pouvant être pris en compte pour déterminer sa durée (en ce sens, Com, 1er juin 2022, n° 20-18960). Les critères pertinents sont notamment l'ancienneté des relations et les usages commerciaux, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, l'éventuelle exclusivité des relations et la spécificité du marché et des produits et services en cause ainsi que tout obstacle économique ou juridique à la reconversion. En revanche, le comportement des partenaires consécutivement à la rupture est sans pertinence pour apprécier la suffisance du préavis accordé. La rupture peut être totale ou partielle, la relation commerciale devant dans ce dernier cas être modifiée substantiellement (en ce sens, Com. 31 mars 2016, n° 14-11.329 ; Com 20 novembre 2019, n° 18-11.966).
Au regard de la fonction du préavis, la date d'appréciation de la suffisance de sa durée est celle de sa matérialisation concrète dans le tarissement du flux d'affaires ou de la notification de la rupture, qui correspond à l'annonce faite par un cocontractant à l'autre de sa volonté univoque de cesser la relation à une date déterminée, seule information qui peut permettre au partenaire délaissé de se projeter et d'organiser son redéploiement ou sa reconversion en disposant de la visibilité indispensable à toute anticipation.
Mais, la rupture, quoique brutale, peut être justifiée si elle est causée par une faute suffisamment grave pour fonder la cessation immédiate des relations commerciales (en ce sens, sur le critère de gravité, Com. 27 mars 2019, n° 17-16.548). La faute doit être incompatible avec la poursuite, même temporaire, du partenariat : son appréciation doit être objective, au regard de l'ampleur de l'inexécution et de la nature l'obligation sur laquelle elle porte, mais également subjective, en considération de son impact effectif sur la relation commerciale concrètement appréciée et sur la possibilité de sa poursuite malgré sa commission ainsi que du comportement de chaque partie.
Ni le caractère établi des relations, en dépit du peu d'éléments produits par la SAS Sibel sur ce point, ni la réalité et l'imputabilité de la rupture ne sont en débat, la société White Line SRL circonscrivant la discussion à la caractérisation de la faute grave qu'elle reproche à son partenaire pour fonder la cessation immédiate des relations et qui réside dans ses retards de paiement répétés, l'absence de règlement des factures des 30 septembre 2020 et 31 octobre 2020 n'étant en revanche pas invoquée à ce titre.
Pour établir cette faute, la société White Line SRL produit :
- un extrait de ses comptes du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2020 certifié par un expert-comptable ainsi que le révèle le tampon et la signature qui y sont apposés (sa pièce 9) et le confirme sa pièce 9 bis dont la traduction permet de saisir la signification ;
- un second extrait de compte non certifié mais accompagné de factures (ses pièces 10 et 11 qui sont lisibles et, ainsi qu'il a été dit, parfaitement compréhensibles).
Ces documents ne sont l'objet que d'une critique systématique de principe de la SAS Sibel qui n'étaye pas son propos et ne conteste pas la réalité de la livraison des marchandises qui en sont l'objet et qu'elle a nécessairement reçues, les factures produites comportant de nombreuses mentions manuscrites en français précisant les modalités de vente et émanant de ce fait nécessairement d'elle. Ils établissent entre le 31 août 2017 et le 31 mai 2018 de nombreux retards de paiement compris entre 3 mois et 2 ans au sens de l'article 5.2 du contrat de distribution.
Quoiqu'intrinsèquement graves à raison de leur nombre et de leur ampleur, ces manquements sont relativement anciens et ont été tolérés par la société White Line SRL qui ne justifie d'ailleurs ni de relances ni d'alertes : ils ne peuvent fonder à eux seuls une rupture immédiate le 21 décembre 2020, leur gravité étant subjectivement modérée par ces circonstances qui manifestent leur compatibilité avec la poursuite, au moins temporaire, des relations. Pour autant, ils demeurent pertinents pour apprécier les manquements postérieurs de même nature moins éloignés de la rupture dont la commission traduit, à raison de la réitération qu'ils caractérisent, une incapacité persistante de leur auteur à honorer ses engagements : les seconds, ravivant les premiers qu'ils prolongent et excédant le seuil de la tolérance manifestée à leur endroit par le passé, sont alors propres à fonder la cessation immédiate du partenariat.
Or, alors que la société White Line SRL, qui soulignait l'endettement de son partenaire, avait amiablement émis le 13 juillet 2020 un avoir important pour le réduire significativement et solder les comptes entre les parties (pièce 12 de l'intimée), signe que les limites de sa tolérance étaient alors atteintes, le chèque émis par la SAS Sibel pour s'acquitter du solde résiduel de sa dette, de plus de 60 000 euros, a été rejeté faute de provision (pièce 13 de l'intimée qui est aisément compréhensible et non utilement critiquée). Au regard du montant de la créance non contestée de la société White Line SRL, ce nouvel incident, grave en lui-même et faisant écho aux difficultés récurrentes passées de même nature, fondait la rupture immédiate des relations commerciales, toute poursuite du partenariat, même brève, générant un risque d'aggravation d'un passif déjà significatif sans offrir de perspective d'apurement.
L'énonciation des motifs de la rupture dans le document écrit la notifiant n'étant pas exigée par la loi lors, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de la SAS Sibel.
Surabondamment, la cour rappelle que le préjudice causé à la victime de la rupture est habituellement constitué de son gain manqué qui correspond à sa marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée et les charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, appliquée au chiffre d'affaires moyen hors taxe qui aurait été généré pendant la durée du préavis éludé (en ce sens, Com. 28 juin 2023, n° 21-16.940 : « le préjudice principal résultant du caractère brutal de la rupture s'évalue en considération de la marge brute escomptée, c'est-à-dire la différence entre le chiffre d'affaires hors taxe escompté et les coûts variables hors taxe non supportés durant la période d'insuffisance de préavis, différence dont pourra encore être déduite, le cas échéant, la part des coûts fixes non supportés du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, durant la même période »). Cette approche n'exclut pas l'indemnisation d'autres préjudices directement causés par la brutalité de la rupture dès lors que, distincts du précédent, ils sont démontrés en leur principe et en leur étendue.
Or, pour justifier de son préjudice, la SAS Sibel produit une attestation d'un expert-comptable précisant sans la moindre explication et sans produire de justificatif, pour les années 2017 à 2019, le montant des achats marchandises auprès de la société White Line SRL, une « marge commerciale » de montants variables ainsi qu'un « chiffre d'affaires estimé des marchandises Whiteline vendues (selon marge commerciale) » (sa pièce 18). Les données certifiées n'étant ni compréhensibles ni étayées, cette pièce n'établit pas la mesure du préjudice allégué et forfaitairement évalué par la SAS Sibel en violation du principe de réparation intégrale, carence que ne peut pallier l'organisation d'une expertise judiciaire au sens de l'article 146 du code de procédure civile puisque la SAS Sibel dispose de l'intégralité des pièces nécessaires au soutien de ses prétentions.
4°) Sur les frais irrépétibles et les dépens
- Sur les frais irrépétibles et les dépens de première instance
Tandis que la SAS Sibel souligne le caractère infondé de sa condamnation au titre des frais irrépétibles en première instance à raison de la carence probatoire de la société White Line SRL ainsi que de l'importance des frais engagés pour assurer sa défense alors qu'elle était en redressement judiciaire, cette dernière estime l'indemnité allouée insuffisante au regard de la stratégie dilatoire de la SAS Sibel, qui a fait opposition sans motif sérieux et a présenté une demande reconventionnelle à l'évidence abusive pour obtenir une décision d'incompétence.
Le jugement entrepris sera infirmé en ses dispositions sur les frais irrépétibles et les dépens. La SAS Sibel ne formant aucune demande spécifique aux premiers, sa prétention étant globale pour les frais irrépétibles de première instance et d'appel, la société White Line SRL sera condamnée aux dépens de première instance.
- Sur les frais irrépétibles et les dépens d'appel
Succombant, la société White Line SRL, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, sera condamnée à supporter les entiers dépens d'appel ainsi qu'à payer à la SAS Sibel la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
Rejette la prétention de la SAS Sibel relative aux pièces 4, 5, 7 9, 10, 11, 12, 13, 15, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 27, 28 et 29 de la société White Line SRL ;
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a dit que la rupture était fondée sur une faute grave de la SAS Sibel et a rejeté sa demande reconventionnelle, et sauf à préciser que celle-ci portait non sur une « rupture abusive de contrat » ou une « interruption de la relation commerciale » et sur le bien-fondé d'une « résiliation » mais sur une rupture brutale des relations commerciales établies ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés
Rejette la demande de la société White Line SRL au titre des factures n° 278 du 30 septembre 2020 et 313 du 31 octobre 2020 ;
Y ajoutant,
Rejette la demande de la société White Line SRL au titre des frais irrépétibles ;
Condamne la société White Line SRL à payer à la SAS Sibel la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société White Line SRL à supporter les entiers dépens de première instance et d'appel.