Livv
Décisions

Cass. crim., 13 novembre 2025, n° 24-83.552

COUR DE CASSATION

Autre

Cassation

Cass. crim. n° 24-83.552

13 novembre 2025

N° P 24-83.552 F-D

N° 01454

RB5
13 NOVEMBRE 2025

CASSATION

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 13 NOVEMBRE 2025

La société [2], partie intervenante, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Grenoble, en date du 14 mai 2024, qui, dans l'information suivie contre, notamment, M. [I] [V] des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs et blanchiment, en récidive, a confirmé l'ordonnance de non-restitution de bien saisi rendue par le juge d'instruction.

Un mémoire personnel a été produit.

Sur le rapport de Mme Chafaï, conseiller référendaire, et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 octobre 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Chafaï, conseiller rapporteur, M. Samuel, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces soumises à l'examen de la Cour de cassation ce qui suit.

2. Dans le cadre d'une information ouverte des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants, le juge d'instruction a, par ordonnance du 4 mai 2023, prescrit le maintien de la saisie de la somme de 48 863,68 euros inscrite au crédit du livret ouvert dans les livres de la [1] par la société [2], exploitant une pizzeria et ayant pour gérant M. [I] [V].

3. M. [V] a été mis en examen des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs, blanchiment, en récidive.

4. La société [2], représentée par Mme [L] [V], a demandé la restitution de la somme saisie.

5. Par ordonnance du 21 décembre 2023, le juge d'instruction a rejeté cette demande.

6. La société [2] a relevé appel de la décision.

Examen des moyens

Sur les premier et second moyens proposés par la société [2]
et le moyen relevé d'office et mis dans le débat

Enoncé des moyens

7. Le premier moyen est pris de la violation de l'article 131-21 du code pénal.

8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il s'est abstenu d'établir en quoi la société [2] ne serait pas de bonne foi, la seule circonstance que le gérant d'une société ait pu commettre des infractions ne suffisant pas à établir la mauvaise foi de la société qu'il dirige.

9. Le second moyen est pris de la violation de l'article 593 du code de procédure pénale.

10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il n'a apporté aucune réponse à l'argumentation de la société [2] démontrant l'impossibilité de remettre en cause sa bonne foi, en faisant valoir que les fonds saisis ne constituaient pas l'instrument, le produit ou l'objet de l'infraction.

11. Le moyen relevé d'office est pris de la violation de l'article 131-21 du code pénal.

Réponse de la Cour

12. Les moyens sont réunis.

Vu les articles 131-21 du code pénal, 99 et 593 du code de procédure pénale :

13. Selon le deuxième de ces textes, la restitution d'un bien placé sous main de justice peut être refusée lorsque sa confiscation est prévue par la loi.

14. Il résulte du premier que, lorsque ses dispositions le prévoient, la confiscation peut porter sur les biens meubles ou immeubles, quelle qu'en soit la nature, divis ou indivis, dont le condamné a la libre disposition, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi.

15. Selon le dernier, tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

16. Pour confirmer le refus de restitution du bien saisi, l'arrêt attaqué énonce, notamment, que la peine de confiscation est susceptible d'être encourue au regard des qualifications retenues, soit en application de l'article 131-21, alinéa 5, du code pénal, s'agissant de délits punis de plus de cinq ans d'emprisonnement et ayant procuré un profit direct ou indirect, soit en application de l'article 222-44 du code pénal, s'agissant de fonds susceptibles d'être le produit d'infractions à la législation sur les stupéfiants, et de l'article 222-49 du même code, s'agissant de fonds susceptibles d'être l'objet ou le produit direct ou indirect du blanchiment d'infractions à la législation sur les stupéfiants.

17. Les juges précisent que, lorsqu'un même bien peut faire l'objet d'une confiscation à plusieurs titres, aucune disposition légale n'interdit au magistrat compétent de se référer à plusieurs d'entre eux pour fonder la décision de saisie.

18. Ils ajoutent que la confiscation en valeur peut être ordonnée sur tout bien quelle qu'en soit l'origine dont le prévenu a la propriété ou la libre disposition, même s'il ne constitue pas en lui-même le produit direct ou indirect de cette infraction, de sorte qu'il ne peut être soutenu qu'une saisie en valeur ne peut intervenir que dans le patrimoine de la personne mise en examen.

19. Les juges concluent que M. [V], seul gérant de la société [2] au moment des faits, avait bien la libre disposition des fonds et qu'il ne peut être tiré argument de l'existence d'une personnalité morale propre pour considérer que ladite société est un tiers de bonne foi.

20. D'une part, en se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision.

21. En effet, elle n'a pas apprécié concrètement le caractère confiscable de la somme saisie au regard de chacun des fondements qu'elle énumérait, et n'a pas répondu aux conclusions de la société [2] qui faisaient valoir l'absence de caractère confiscable de la somme, faute d'être le produit des infractions poursuivies, les investigations bancaires et patrimoniales réalisées à l'égard de la société ayant confirmé l'effectivité et la licéité de l'activité exercée.

22. D'autre part, en statuant ainsi, elle a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.

23. En effet, alors qu'elle maintenait la mesure de saisie sur un fondement autorisant une confiscation portant sur les biens dont le condamné, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, a la libre disposition, elle n'a établi ni que M. [V] était le propriétaire économique réel de la somme saisie, seule circonstance de nature à caractériser la libre disposition, ni que la société [2] n'était pas de bonne foi, en ce qu'elle savait que M. [V] était le propriétaire économique réel.

24. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Grenoble, en date du 14 mai 2024, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Chambéry, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Grenoble et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du treize novembre deux mille vingt-cinq.

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site